Séance du
jeudi 22 avril 2004 à
10h30
55e
législature -
3e
année -
7e
session -
37e
séance
M 1525-A
Suite du débat
Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, ce rapport du Conseil d'Etat est une réponse à une motion que la commission de contrôle de gestion avait déposée. Bien que ce rapport soit succinct, il manifeste quand même le souci du Conseil d'Etat de suivre avec attention l'évolution de l'état financier des caisses de pension dont il répond. Le Conseil d'Etat nous explique clairement en dernière page qu'il a prévu une nouvelle expertise actuarielle, qu'il a mandaté un actuaire-conseil indépendant et qu'il se basera sur les comptes 2003 déjà en possession de la commission des finances pour une nouvelle actualisation de la situation.
Ce rapport appelle en effet des réponses, mais nous voulons, en l'état, prendre acte de ce rapport. Cela signifie que nous sommes d'accord avec lui, même si nous voudrions quand même avoir les résultats de toutes ces études demandées. Et comme la commission de contrôle de gestion peut se saisir elle-même d'interviews ou d'auditions, je pense qu'il est inutile de renvoyer ce rapport à la commission et qu'il vaudrait mieux, en temps utile, demander au président de la commission de contrôle de gestion d'auditionner le Conseil d'Etat. Les résultats de toutes ces études nous donneront en effet plus de renseignements sur l'état des caisses de la CIA.
M. Pierre Kunz (R). Pour les radicaux, qui tiennent à remercier le Conseil d'Etat d'avoir réagi rapidement à la motion présentée par les membres de la commission de contrôle de gestion, il paraît important que la commission de contrôle de gestion participe activement aux travaux. Elle doit pouvoir - et ce rapport devrait nous y inciter - organiser et procéder à ses propres auditions, afin de constituer sa propre vision de cette problématique. Je ne suis pas sûr qu'un simple groupe de travail, mandaté par le Conseil d'Etat, apporte une réponse suffisante à cette très vaste problématique. Les radicaux pensent que des auditions d'experts en tous genres - des gens qui connaissent les problématiques financières, démographiques - seront nécessaires, et c'est pourquoi nous pensions utile de renvoyer ce rapport en urgence à la commission de contrôle de gestion.
Il est important pour nous que la commission de contrôle de gestion travaille de manière approfondie sur cette problématique, qui est une bombe à retardement si nous n'y prenons pas garde.
M. Claude Marcet (UDC). En ce qui concerne le groupe UDC, il prend acte d'un montant d'endettement très important des caisses de pensions, au niveau du déficit actuariel. Cela avait été relevé à l'époque et, à juste titre, par notre collègue M. Kunz - il faut le dire - et par nous-mêmes, mais personne alors ne voulait nous croire quand nous disions qu'il y avait plus de trois milliards de déficit technique.
J'aimerais simplement, sans aller très loin, revenir sur ce petit document. Je prendrai un seul exemple: celui de la fondation de prévoyance du personnel des TPG. On sait que le montant indiqué est basé sur les normes RPC; or, si nous tablons sur des normes IAS ou IFRS, ce montant grimpe vite fait à 200 millions de francs ! Cela veut dire que si nous appliquons des normes IAS au déficit technique total tel qu'il nous est présenté - car je suppose qu'il est basé sur des normes RPC - nous approchons des 5 milliards !
Je me pose également des questions sur certains éléments que nous avons dans ce rapport. Il est dit que le principe de la garantie repose sur une base légale. Certes, mais si nous n'avons pas la capacité de comprendre exactement l'ampleur du problème, nous pouvons poser toutes les bases légales qu'il nous faut, nos gamins devront manifestement payer demain le déficit technique causé par les anciens. Il y a là un problème que nous devrons rediscuter au niveau fondamental, bien avant que des questions de détails ne se posent.
De plus, je lis que depuis plus de vingt ans, le dispositif mis en place n'a jamais posé de problèmes. Certes, Mesdames et Messieurs les députés, lorsque l'on commence à 100 millions de déficit technique, personne ne se pose de questions, ni même quand on en est à 200 millions. On commence à se poser des questions lorsqu'on en est à 1 milliard de déficit, puis, quand on a atteint les 4 milliards, on n'est plus sûr d'être capable de résoudre les questions qu'on se pose !
Je vais vous donner un petit exemple, si vous m'accordez une minute. J'ai consulté le dossier d'une fonctionnaire publique, proche d'un de mes clients, qui reçoit 120 000 F de salaire, qui a la possibilité de prendre son plend à mon âge, soit à 56 ans. Cette brave madame, d'après les comptes de la CIA, tous intérêts confondus, toutes mises de l'employeur et de l'employée confondues, a 575 000 F. Elle va pouvoir toucher à 56 ans, sans le plend à 2110 F par mois, quelque 4000 F par mois, soit environ 50 000 F par année ! Quand on sait que, selon les tables de mortalité actuarielles, nos braves compagnes meurent à 82 ans en moyenne, cela signifie que les caisses devront dépenser 1,3 million pour cette dame. Et si nous considérons encore les intérêts sur dix ans sur ce capital moyen de 575 000 F, nous atteignons un ordre de grandeur de 700 000 F.
Cela veut dire que rien que dans ce domaine-là, nous courons plus que jamais, Mesdames et Messieurs, à notre ruine, à la ruine de la CIA, parce que manifestement personne ne veut voir aujourd'hui quel sera le problème demain ! Comme l'a dit le député Kunz, c'est une réflexion de fond que nous devons engager, c'est un problème de fond sur lequel nous devons travailler, faute de quoi - comme cela a toujours été dit - ce sont nos gamins qui paieront, et nous qui serons responsables des déficits futurs !
M. Philippe Glatz (PDC). Le groupe démocrate-chrétien prendra acte du rapport et de la réponse du Conseil d'Etat, et il adoptera en quelque sorte la position du groupe des Verts, qui demande que la commission de contrôle de gestion puisse aller plus avant dans l'examen des réponses qui ont été apportées par les auditions des représentants ou des conseillers d'Etat. Voilà ce que nous voulions dire en ce qui concerne ce rapport et les importants éléments qui nous ont été communiqués.
Nous notons ici que le découvert technique approche en effet la limite inférieure, et que cela n'a pas l'air d'inquiéter outre mesure qui que ce soit. Si nous prenons la CIA, son taux de couverture est de 60%, mais on nous indique très clairement en page 2 que la limite inférieure acceptable est de 50%. Nous notons également que l'Etat répond directement ou est garant d'un grand nombre de caisses de prévoyance, et qu'il y aurait peut-être lieu, pour l'avenir, de tenter de rationaliser un peu cet ensemble, peut-être dans une caisse unique, ou dans une caisse plus large. Cela nous permettrait d'avoir une vue d'ensemble qui serait plus claire.
En dernier lieu, on nous indique qu'une nouvelle expertise actuarielle, ainsi qu'une nouvelle étude de congruence entre actifs et passifs, a été demandée. La commission de contrôle de gestion sera sans doute très heureuse de connaître les résultats de cette nouvelle étude. Il suffira, Madame Leuenberger, que vos représentants à la commission de contrôle de gestion demandent qu'un vote soit fait et que la commission puisse se saisir de cette problématique.
Je vous remercie de votre attention, le groupe démocrate-chrétien prendra donc acte de ce rapport, mais il suivra aussi avec intérêt tous les travaux qui seront conduits dans les différentes commissions appelées à suivre l'état des caisses de pension de l'Etat de Genève.
M. Souhail Mouhanna (AdG). Mesdames et Messieurs les députés, quand j'entends M. Marcet dire qu'il faut prévoir une dette égale au déficit technique de la caisse, je suis très étonné. En effet, de deux choses l'une: ou bien l'Etat cesse d'exister et, par conséquent, ne peut plus honorer ses engagements, de sorte qu'il n'y a rien à payer, que c'est perdu, et qu'il n'y a donc pas de dette; ou bien l'Etat continue à exister et doit, dans ce cas, honorer ses engagements. Il n'y a dès lors pas de nécessité de combler cet écart, dans la mesure où, depuis plusieurs dizaines d'années déjà, l'Etat n'a jamais été appelé à payer quoi que ce soit en dehors des cotisations.
L'Etat est pérenne, je l'espère. Certains voudraient l'abolir, mais ce n'est pas encore en vigueur: l'Etat continue et continuera encore longtemps d'exister - j'en suis persuadé ! Par conséquent, les craintes de certains de voir l'Etat incapable de compenser le déficit technique sont totalement injustifiées. J'imagine que ceux qui veulent parler des caisses de retraite sont, à des degrés divers, plus ou moins intéressés: ceux qui voudraient s'attaquer aux conditions de prestations des caisses de retraite - comme ils l'ont fait d'ailleurs sur le plan national ! - ne doivent pas se cacher derrière de faux prétextes, mais dire carrément ce qu'ils veulent.
D'autres veulent savoir quelle est la situation. Cette demande est tout à fait normale et légitime, elle ne pose aucun problème à l'Alliance de gauche. Vouloir connaître la vérité, c'est normal: nous ne voulons pas qu'on nous raconte des salades, quel que soit l'objet concerné.
Cependant, certains voudraient peut-être que les caisses de retraite publiques soient des caisses à capitalisation à 100%. Or on a vu ce que ça donnait... Vous voulez peut-être qu'on ait une sorte de caisse de retraite Enron ? Vous voulez peut-être donner à des établissements bancaires la possibilité de jouer en bourse l'argent que des gens ont accumulé pendant des dizaines d'années et qu'ils pourraient ainsi perdre du jour au lendemain ? Non ! L'Etat a un rôle tout à fait différent de celui que vous voulez lui faire jouer. L'Etat a des obligations, non seulement par rapport à ses employés, mais également à l'égard de la collectivité. Il faut que l'Etat puisse jouer un rôle modèle. Il n'est donc pas question pour nous, à l'Alliance de gauche, d'accepter que le fruit du labeur des gens, que les cotisations qui ont été payées soient mises à disposition d'aventuriers de la bourse, qui pourraient risquer la totalité ou une bonne partie de ces avoirs.
Ne comptez pas sur nous pour aller dans le sens d'une fragilisation ou d'une régression des prestations des caisses de retraite de l'Etat de Genève et de l'ensemble des collectivités publiques. Nous nous y opposerons de toutes nos forces. Pour dire la vérité, nous sommes tout à fait prêts à lutter dans le sens de la transparence, nous le revendiquons même, car la réalité est exactement le contraire de ce que certains croient sur les bancs d'en face.
Le président. Merci, Monsieur le député. Je rappelle à toutes fins utiles que nous sommes en procédure de renvoi en commission et qu'un député par groupe peut s'exprimer. La parole est à M. le député Pierre Weiss pour le groupe libéral.
M. Pierre Weiss (L). Merci, Monsieur le président. Au nom du groupe libéral, je me prononce, comme d'autres avant moi, pour le renvoi en commission de ce rapport, parce qu'il permettra notamment d'arriver à une vision peut-être plus sereine des choses. M. Mouhanna a très justement dit qu'il convenait d'avoir des éléments de vérité, et je crois que tout le monde dans cette salle sera d'accord pour que la vérité des chiffres soit établie sur les caisses de pension qui dépendent du canton de Genève. On a vu que, dans d'autres cantons, cette vérité a pu être occultée et que cette occultation a pu se faire au détriment des bénéficiaires ou des cotisants, voire des contribuables. Je pense notamment au canton du Valais pour les enseignants, mais aussi à la Confédération.
Il y a une deuxième chose qui me semble importante: lorsque l'on connaîtra l'état de couverture au 31 décembre 2003, on verra qu'il se sera probablement amélioré par rapport au 31 décembre 2002. Je pense que de ce point de vue là, cela devrait partiellement rassurer certains. Les mêmes devraient aussi prendre conscience que dans la question des caisses de pension, il faut avoir une vision qui ne se limite pas à des considérations strictement parcellisées de la société. Il faut viser aussi à ce que les caisses de pension permettent un passage aisé entre différents types d'emplois, entre différents secteurs, entre le public et le privé. Dans cette perspective, il faudra bien prendre en considération le fait que des règles établies, en l'occurrence par les caisses de pension publiques, peuvent être défavorables à la mobilité des travailleurs et aux intérêts à long terme de notre société. C'est un point sur lequel j'aimerais aussi attirer l'attention de vous autres, chers collègues députés, car il faut avoir une vision globale du fonctionnement des caisses de pension, publiques comme privées, et de leur harmonisation.
Il y a un troisième point, sur lequel je suis probablement en désaccord avec mon collègue Mouhanna; c'est plus exactement une différence d'accent. Lorsqu'il se prononce de façon ferme sur les risques de la spéculation, j'aimerais lui signaler que le troisième cotisant, à savoir les intérêts fournis par la masse sous gestion des caisses de pension, permet précisément d'améliorer dans le long terme les pensions versées aux anciens collaborateurs des caisses de pension publiques. De ce point de vue là, l'on sait d'expérience qu'une saine répartition implique des risques, en particulier des placements en actions. Je crois qu'il convient, certes, d'avoir de la mesure, mais il convient en même temps de ne pas vouloir peindre le diable sur la muraille, et de se rappeler que dans le long terme, les placements en actions sont les placements les plus rentables, et donc les plus intéressants pour les intérêts des anciens collaborateurs des caisses de pension publiques.
C'est par ces simples remarques, Monsieur le président, que je souhaite aussi que ce rapport soit renvoyé en commission.
Mme Alexandra Gobet Winiger (S). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, la déroute de certaines caisses fédérales ou, du moins, leurs difficultés, pourraient pour une fois nous servir à éviter de pareilles situations. Il est donc important que nous vérifions les éléments qui nous ont été communiqués, non pas pour spolier les assurés, mais pour nous assurer que nous conservons des moyens suffisants pour garantir ces prestations. Cela, nous ne pouvons pas le faire ici.
Je pense que c'est une continuation du travail déjà effectué que d'expliciter ces enjeux. Nous soutenons donc le renvoi en commission.
M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, comme Mme Leuenberger l'a exprimé et d'autres après elle, on peut se demander s'il est très adéquat de renvoyer ce rapport du Conseil d'Etat en commission. Au fond, la commission de contrôle de gestion a pour vocation - et cela ressort de la loi portant règlement sur le Grand Conseil - de suivre un certain nombre de dossiers, et notamment ce dossier de caisse de pension. Or, le rapport qu'a fait le Conseil d'Etat à la suite de la motion qui avait été déposée - et je tiens à vous remercier pour l'accueil que vous lui avez réservé - est un rapport qui vous donne une photographie, basée sur les éléments que nous pouvions avoir au moment où ce rapport vous a été adressé. Depuis, comme l'a relevé à juste titre M. Weiss, la situation a évolué dans un sens positif, heureusement, puisque l'état financier des caisses s'est amélioré de façon tout à fait sensible durant l'année 2003. Cela rend d'autant moins nécessaire d'envisager des mentions en pied de bilan des effets de la garantie de l'Etat en matière de taux de rendement.
Cela étant, nous parlons ici de caisses de pension ! Et vous avez été nombreux ici à souligner - notamment à la suite de l'intervention de M. Marcet - qu'il s'agit d'une question qui s'inscrit dans la durée. Ce n'est certainement pas l'exercice 2003 qui va nous permettre de savoir si la politique suivie en matière de caisses de pension est adéquate ou pas. C'est la raison pour laquelle les caisses, et notamment la CIA, ont mis sur pied une analyse financière prospective à vingt ans, pour examiner les problématiques des financements à moyen et long terme. Il s'agit là de travaux en cours. Le Conseil d'Etat vous en tiendra régulièrement informés, et il va de soi que si la commission de contrôle de gestion se saisit de ce dossier, indépendamment du renvoi ou pas de ce rapport, elle pourra procéder à des auditions, pour lesquelles nous sommes à disposition.
Par ailleurs, il y a un second élément qui, à mon sens, devra également être suivi par la commission de contrôle de gestion, comme il est suivi par la cheffe du département des finances que je supplée ici: c'est l'évolution de la législation fédérale, puisque de nouvelles dispositions législatives sont actuellement débattues à Berne et qu'elles devront bien sûr, le moment venu, faire l'objet d'adaptations sur le plan cantonal.
En conclusion, je dirai simplement que s'il est légitime qu'aussi bien le Conseil d'Etat que le parlement - et cela est lié à nos engagements - se préoccupent de la viabilité des caisses de pension, il faut tout de même se souvenir qu'en première ligne, ce sont les caisses elles-mêmes qui doivent s'en préoccuper. Au fond, la solidité de ces caisses repose sur la qualité de la gestion actuellement assurée en leur sein, avec l'indépendance dont elles bénéficient. Il faudra se souvenir, dans tous ces débats et dans tout ce travail de contrôle que nous exerçons, que nous agissons bien en qualité de contrôleurs, et non pas au front, puisque nous n'avons pas à suppléer, à remplacer, à nous mettre à la place de ceux dont c'est la profession et qui sont les gestionnaires de ces caisses. Je vous remercie.
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Nous avons été saisis d'une demande de renvoi de ce rapport à la commission de contrôle de gestion. Nous votons à main levée.
Mis aux voix, le renvoi de ce rapport à la commission de contrôle de gestion est adopté.