Séance du
jeudi 4 décembre 2003 à
20h45
55e
législature -
3e
année -
2e
session -
6e
séance
La séance est ouverte à 20h45, sous la présidence de M. Pascal Pétroz, président.
Assistent à la séance: Mmes et MM. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat, Martine Brunschwig Graf, Carlo Lamprecht, Micheline Spoerri, Pierre-François Unger et Charles Beer, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat, ainsi que MM. René Desbaillets, Antoine Droin, Renaud Gautier, Ueli Leuenberger et Ivan Slatkine, députés.
Correspondance
Le président. Vous avez trouvé sur vos places la correspondance suivante reçue par le Grand Conseil:
Courrier de Syndicats (Actions Unia, ASI, SIT, SSP/VPOD, Syna) au sujet de la pétition 1457 "Pour défendre les conditions de travail du personnel des EMS" déposée le 13 novembre 2003 ( C-1719)
Annonces et dépôts
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous informe que la motion suivante est retirée par ses auteurs:
Proposition de motion de Mmes Marie-Françoise De Tassigny, Erica Deuber-Pauli, Véronique Pürro pour la poursuite et le développement de la politique contractuelle de l'Etat au niveau culturel ( M-1294)
Par ailleurs, la pétition suivante est parvenue à la présidence:
Pétition "Un enfant, deux parents" ( P-1459)
Cette pétition est renvoyée à la commission des pétitions.
Préconsultation
Le président. Je rappelle que nous sommes en débat de préconsultation, avant le renvoi de cette initiative en commission législative, laquelle devra examiner sa recevabilité. Je vous demande donc de vous limiter strictement à l'examen de la recevabilité de cette initiative.
Je constate que la parole n'est pas demandée ! Personne n'est inscrit... La parole est à M. le député Guy Mettan !
M. Guy Mettan (PDC). Je veux bien me dévouer pour être le premier à me prononcer sur ce sujet qui, puisqu'il concerne l'école, je le constate comme d'habitude depuis deux ans, n'intéresse presque personne...
Une voix. Menteur !
M. Guy Mettan. Presque personne et surtout pas M. Dupraz, qui se lève d'ailleurs déjà pour se rendre à la buvette... (Brouhaha.)
J'aimerais tout d'abord dire que le PDC se réjouit du succès massif de cette initiative. En effet, celle-ci, lancée par des enseignants, faut-il le rappeler, a le grand mérite de crever l'abcès qui ronge notre système scolaire depuis des années. Ce malaise a gagné tous les milieux: les enseignants, dont la plupart se sont fait imposer la rénovation contre leur gré; les directeurs d'établissements et les responsables de l'administration, qui imposent une ligne pédagogique contre les enseignants; les parents, qui ne parviennent plus à se repérer dans la jungle des réformes en cours, et les élèves eux-mêmes, dont les performances sont en baisse, comme l'a montré l'enquête PISA, et qui paraissent livrés à eux-mêmes.
C'est pourquoi notre parti se réjouit d'étudier cette proposition en commission législative, étant entendu que sa validité ne semble pas, de prime abord, poser problème, comme l'a reconnu le Conseil d'Etat. Cela dit, il a deux manières d'aborder ce sujet. La voie rapide, qui est celle que le parti radical a cru bon emprunter, et qui consiste à accepter ce texte et à le proposer tel quel sans contre-projet. C'est une option, mais elle ne nous plaît guère pour l'instant, car elle n'aboutira à aucun résultat valable pour notre école. Une fois acceptée par le peuple, on se contentera en effet de rétablir les notes, de mauvaise grâce, en ajoutant un petit espace ad hoc au bas des carnets scolaires, mais sans rien changer pour le reste. La confusion, la mauvaise humeur et les luttes entre clans subsisteront, dont enseignants, élèves et parents continueront à faire les frais. Or ce n'est pas ce que veulent les initiants, qui sont tous des gens sérieux voulant le bien de l'école.
C'est pourquoi nous privilégions à ce stade la seconde voie, beaucoup plus périlleuse, qui consiste à escalader les difficultés frontalement, par la face Nord, là où elles sont les plus nombreuses. Cette voie consiste à étudier un véritable contre-projet, un contre-projet substantiel et non alibi, qui permettrait de redonner à l'école la confiance dont elle a besoin. Il est possible de rétablir les notes tout en poursuivant la rénovation, nous le savons. En prenant le temps nécessaire, il est possible de réunir tous les acteurs du système scolaire, de les écouter, de les faire parler, sans se contenter de consulter seulement ceux qui sont d'accord ou seulement les représentants sélectionnés de tel ou tel syndicat, de telle ou telle association de parents trustéepar un clan, mais en consultant tout les éléments représentatifs du monde scolaire. Si l'on prend le temps de réunir des états généraux de l'enseignement, sans préjugés ni esprit de chapelle, de travailler sur la durée, même s'il faut prendre deux ans pour cela, on aura alors une chance d'élaborer un contre-projet acceptable par une large majorité de parents et d'enseignants et de rebâtir une école qui fonctionne. C'est la raison pour laquelle nous privilégions la seconde voie, celle du contre-projet, pour autant que celui qui nous sera proposé par le Conseil d'Etat soit à la mesure du défi à relever.
Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Les Verts ne s'opposeront certainement pas à la recevabilité de cette initiative, toutes les conditions étant remplies pour que celle-ci puisse passer devant le peuple. Par contre, cette initiative, basée sur la peur du changement, qui s'appuie sur le principe «c'était mieux avant ou de mon temps», sera combattue avec énergie par les Verts, comme décidé lors d'une récente assemblée générale.
Une fois de plus, le débat sur l'école ne se résumera qu'à l'aspect "notes ou pas notes", une vision bien réductrice face aux enjeux de l'école en ce début de 21e siècle, confrontée à une société plus évolutive que jamais. Rappelons-le, la réforme tant combattue par cette initiative ne touche que l'enseignement primaire et a pour but principal de combattre l'échec scolaire. L'initiative lancée par l'ARLE, soutenue par les radicaux, demande de figer dans la loi le principe des notes, au détriment d'autres évaluations, exigeantes et formatives, plus profitables aux élèves et aux parents.
Autre réforme attaquée par l'initiative, les cycles de quatre ans. Initialement prévus, ces cycles de quatre ans permettent de mieux respecter le rythme des enfants. Il est raisonnable de penser que les capacités d'apprentissage ne soient pas identiques pour chaque individu entre quatre et douze ans. Il s'agit donc de laisser du temps pour atteindre les objectifs fixés aux enfants rencontrant des difficultés ou, au contraire, de respecter ceux qui disposent de plus de facilité pour progresser plus rapidement.
Cette initiative obligerait plus de la moitié des établissements scolaires déjà engagés dans la réforme à faire marche arrière. Cela entraînerait bien des déceptions et démotiverait de nombreux enseignants impliqués dans cette démarche, depuis dix ans pour certains. Sous prétexte que la société est exigeante, certains voudraient déjà sélectionner dans les petits degrés, car un chiffre n'est utile que pour classer, comparer et sélectionner.
Les Verts restent toutefois ouverts au débat et défendront le principe d'une école non sélective, égalitaire et évolutive, d'autant plus qu'il s'agit de l'école obligatoire. Nous attendons donc avec impatience le contre-projet du Conseil d'Etat qui défendra, nous l'espérons, les mêmes valeurs républicaines.
M. Christian Brunier (S). Nous enregistrons tout d'abord la volonté populaire, fortement affirmée à travers cette initiative, de se prononcer ou du moins de débattre sur le thème de l'école, ce qui est plutôt réjouissant. La recevabilité de cette initiative est certainement légitime, quoique mélanger la réintroduction des notes avec l'arrêt d'une réforme est certainement une vision très flexible de l'unité de la matière. Mais lorsqu'une initiative est - certainement ! - recevable, je crois que c'est le moment de réfléchir à l'utilisation ou non d'un contre-projet. C'est aussi l'une des questions qui se posera très rapidement en commission.
Une initiative, on le sait toutes et tous, émane souvent d'une revendication tranchée, ce que l'on appelle dans le jargon genevois: «d'un coup de gueule». Nous sommes ici typiquement dans ce cas de figure, puisque cette initiative est l'expression d'un certain malaise au niveau de l'école et le prolongement d'une perte de repères, comme l'a dit un préopinant, dans une société qui bouscule complètement les habitudes et le rôle de l'école. Dans ce contexte, le contre-projet est un moyen d'améliorer, dans la sérénité, mais aussi dans le dialogue, une initiative certainement extrême, au goût de populisme, afin de présenter à la population un projet mieux pensé, mieux négocié.
Il est quand même regrettable que certaines craintes, peut-être légitimes, autour de l'école, se soient cristallisées autour du simple débat de l'existence ou non des notes. Il est tout d'abord périlleux d'axer le débat actuel sur l'école essentiellement sur ce thème, alors que nous savons très bien qu'il y a des questions bien plus cruciales qui se posent à notre système d'enseignement et que l'évaluation des élèves doit être un moyen et en aucun cas un but. De plus, il est quand même relativement malhonnête, et personne ne l'a constaté jusqu'à présent, de parler de rétablissement des notes, alors que nous savons toutes et tous que les notes n'ont jamais disparu dans la plupart des écoles. Il est tout aussi faux de lier les mauvais résultats de l'école genevoise, constatés dans l'étude PISA, à l'arrêt de la notation, puisque la plupart des élèves scrutés étaient soumis aux notes. Je rappelle encore que la Finlande, qui est citée comme modèle dans l'étude PISA, est un pays qui n'applique pas les notes durant l'enseignement primaire.
L'enfant, les parents et les enseignants ont aujourd'hui besoin d'un système d'évaluation qui soit clair, simple, formatif, qui soit régulier dans la fréquence et uniforme sur l'ensemble du canton. La note sans commentaire est assurément insuffisante. Je reprends toujours l'exemple de Mme Hagmann, mais il est clair qu'un élève qui a 4 de moyenne générale en fin d'année, mais qui se trouve en pleine perdition avec 6 au premier trimestre, 4 au deuxième et 2 en fin d'année, n'a rien à voir avec un autre enfant qui a aussi 4 de moyenne, mais qui est en pleine progression avec 2 au premier trimestre, 4 au deuxième trimestre et 6 au dernier. Il faut aussi soulever une question cruciale qui se pose à travers l'initiative: est-il normal de figer le système d'évaluation dans la loi ? Faut-il le fossiliser dans la loi ? Vous, parti radical essentiellement, qui n'arrêtez pas de larmoyer sur la lourdeur de l'appareil législatif, vous voulez inscrire aujourd'hui dans la loi un système qui devrait être évolutif. Il s'agit d'une erreur et d'un manque de cohérence, mais ce n'est pas le premier en ce qui vous concerne.
Pendant que nous étions de trop rares personnes à nous engager pour tenter de corriger la réforme du primaire, où étaient ceux qui viennent maintenant nous donner des leçons ? Ils étaient soit totalement désintéressés par la thématique de l'école qui, à l'époque, il faut bien le dire, apportait trop peu de voix dans l'escarcelle électorale, soit ils étaient «alignés, couverts» derrière la conseillère d'Etat de l'époque, qui était d'une couleur politique très proche d'eux. Les milieux radicaux et leurs suiveurs passent de l'appui aveugle, inconditionnel et sans sens critique de cette réforme, au blocage total de toute évolution de l'école. C'est un numéro dangereux de retournement de veste et un risque qui pourrait se payer très cher par les élèves. Nous préférons une évolution maîtrisée de l'école et une correction rapide des dysfonctionnements constatés de la réforme, comme est en train de le faire le nouveau conseiller d'Etat Charles Beer.
M. Olivier Vaucher. Ah, voilà ! C'est le meilleur !
M. Christian Brunier. Eh bien, oui ! En tout cas, il y a, aujourd'hui, une véritable volonté de pouvoir améliorer cette réforme. C'est ce que souhaitent vraisemblablement les élèves aujourd'hui.
Il serait donc l'heure de remettre sereinement...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Christian Brunier. Je conclus, Monsieur le président ! Il serait l'heure de remettre sereinement - je dis bien: «sereinement» - de l'ordre dans l'institution scolaire, de la valoriser et de lui donner les moyens suffisants pour atteindre ses objectifs. Certains préfèrent aujourd'hui refuser le budget du canton, qui pourtant renforçait le milieu scolaire, et transformer l'école en un véritable boulevard du populisme pour sauver leur parti au bord de la disparition ! Espérons que ce ne seront pas les élèves qui payeront de nouveau l'addition ! (Applaudissements.)
Mme Caroline Bartl (UDC). Que la note valorise ou sanctionne, elle est universelle et claire. C'est un point de repère compréhensible de tous, qui permet à l'enfant de se situer avec précision. Nous sommes à une époque où l'on insiste pour donner des repères aux enfants. Il serait donc insensé d'enlever aux enseignants, parents et enfants cet outil qui permet de savoir où ils en sont. C'est pour cette raison que de simples appréciations et des apprentissages sur quatre ans les laisseraient dans le flou. Si l'on dilue ces derniers sur une aussi grande période, des fossés et des inégalités se creuseront entre élèves et probablement ne répondront-ils pas tous aux réelles conditions de passage d'une classe à l'autre. Nous vivons dans une société multiculturelle; je me demande donc comment des familles non francophones pourraient comprendre des termes tels que «pas satisfaisant», «n'a pas atteint l'objectif» ou «en voie d'acquisition». Peut-être que l'évaluation est moins punitive que la note, mais toujours est-il que ce principe se caractérise par un manque de clarté évident, car il ne permet pas de connaître le niveau réel de l'enfant. En supprimant les notes et le passage certifié d'une année à l'autre, on ne supprime pas l'échec scolaire, on ne fait que le masquer. De plus, je pense que le redoublement d'une classe est positif, car il permet à l'élève de combler ses lacunes. Comme bien d'autres, cette volonté de supprimer les notes et d'instaurer des cycles de quatre ans est une réforme hâtive et désordonnée, qui aggravera la baisse des exigences scolaires et le dysfonctionnement de la structure scolaire.
Les personnes militant pour une école qui veut corriger les inévitables différences entre élèves prônent le droit à la réussite en valorisant le bien-être au détriment du savoir tout court. En préconisant réforme sur réforme, l'Instruction publique fuit l'enseignement, aggrave l'illettrisme et dévalue les diplômes. Ce désastreux bilan, elle seule le conteste.
L'UDC soutiendra donc les initiants, mais regrette que le Conseil d'Etat, confronté à une critique justifiée, décide de jouer la prolongation avec un contre-projet qui sera voté en 2006. (Applaudissements.)
Le président. Je rappelle à toutes fins utiles que nous sommes en débat de préconsultation concernant uniquement la recevabilité.
Mme Janine Hagmann (L). Même s'il s'agit d'un débat sur la recevabilité, on peut constater que le débat sur l'école s'est engagé ce soir. C'est bravo ! Parce que ce sujet vient enfin dans notre enceinte. Pourquoi vient-il dans notre enceinte ? Parce que le Conseil d'Etat soumet, dans son rapport, des pistes de réflexion, des pistes qui ne sont effectivement pas nouvelles, mais qui annoncent formellement une prise de position du Conseil d'Etat au complet. J'ai bien dit: «du Conseil d'Etat». En proposant un contre-projet, le Conseil d'Etat nous invite à le suivre dans le refus de l'initiative 121. Pourrions-nous ce soir, oserions-nous ici faire fi de 28'000 signatures démocratiquement apposées ?
J'ai déjà exprimé dans cette enceinte les doutes d'une grande partie du groupe libéral sur les affirmations d'ARLE, qui voudrait imposer aux élèves un cursus annuel sélectif que tous les systèmes scolaires performants ont abandonné. Les analyses suisses de PISA l'ont prouvé. D'autre part, ARLE veut combattre la progression de l'école primaire, officialisée à travers sa rénovation, mais surtout faire croire à la population qu'il existe une solution simple pour remédier aux difficultés des élèves et de leur famille, et que cette solution passe tout bêtement par la mise de notes. Les vrais enjeux de cette action doivent être analysés plus finement.
Première question que l'on doit tous se poser: quels doivent être les objectifs et les finalités de l'école publique ? On le sait, l'école publique assume une mission globale et générale de formation, mais qui intègre des tâches d'éducation et d'instruction, permettant à tous les élèves d'apprendre et surtout d'apprendre à apprendre, afin de devenir apte à poursuivre une formation tout au long de la vie. La construction des connaissances et l'acquisition de compétences doivent permettre de développer pour chacun ses potentialités de manière optimale.
Un principe de base de l'éducation suppose que chacun est en mesure d'apprendre si les conditions lui sont favorables et que l'enseignant, l'élève et l'environnement y contribuent. On a entendu pendant des années qu'enseigner, c'était affirmer. Beaucoup d'entre nous ont traversé ce mode de faire sans trop de handicaps. Même si nos maîtres ne se posaient peut-être pas vraiment trop de questions à l'époque, ils affirmaient. Le maître disait : «Moi je sais. Toi, tu es en face et tu vas bien finir par apprendre.» Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, cette méthode n'a pas vraiment convenu, puisqu'elle a relégué nos élèves dans le bas du classement PISA ! Je vous rappelle juste, s'agissant de la lecture, que Genève était 17e en Europe, ce qui n'est quand même pas brillant.
Il me semble donc qu'un contre-projet à l'initiative est indispensable. Ce contre-projet devra clairement fixer des objectifs d'apprentissage et faire en sorte que l'évaluation «colle» à ces objectifs. A mon avis, il faudrait même confirmer la volonté de procéder à des contrôles transversaux par les épreuves cantonales, par exemple.
L'initiative exprime de vrais soucis, mais n'apporte malheureusement aucune réponse, si ce n'est le maintien des notes, qui étaient d'ailleurs tout à fait présentes pour tous les élèves qui ont passé le test PISA chez nous. Comme je l'ai déjà dit, le problème n'est pas la note, mais la forme de l'évaluation et les exigences qui doivent y être liées. La commission de l'enseignement espère recevoir dans un proche avenir un contre-projet qui soit crédible, un contre-projet qui tienne compte des attentes de la population, mais aussi de l'évolution de l'école. La pédagogie, je l'ai déjà dit, est devenue une science. Elle évolue, car des certitudes ont été mises en doute. Les recherches l'ont prouvé. Faire écrire cent fois à un gamin de dix ans le mot «micocoulier» ou «Finsteraarhorn», sans contexte, sans intériorisation de l'acte pédagogique, sans les autres qui permettent d'apprendre, cela ne sert à rien ! Essayez un mois après, le gosse n'a rien retenu ! Personne ne voudrait se faire soigner de nos jours par un médecin qui n'aurait pas évolué, qui fait encore poser des ventouses et qui renonce aux antibiotiques. L'autre soir, j'ai assisté - même s'il n'y avait malheureusement que peu de députés - au débat qui s'est déroulé à Uni-II, sous le patronage de M. Charles Beer qui parlait des expériences des classes en rénovation...
Le président. Il vous faut conclure, Madame la députée !
Mme Janine Hagmann. Oui, Monsieur le président ! Vous me donnez encore 30 secondes, s'il vous plaît ! La première constatation, c'est qu'il y avait foule dans cette salle. Cela veut bien dire que le sujet intéresse, voire passionne. Deuxième constatation, c'est que des enseignants consciencieux, dynamiques, enthousiastes, feront toujours mieux passer un message que des enseignants qui ne désirent pas se remettre en question. Genève, cité des pédagogues, se doit d'avoir une école à la hauteur de ses attentes. Il faudra bien trouver un consensus pour satisfaire les signataires de l'initiative tout en améliorant la qualité de l'école ! Je vous rappelle que la présidente Martine Brunschwig Graf, pendant son mandat au DIP, a eu le courage de remettre l'ouvrage sur le métier. Elle a eu le courage de s'entourer de personnes auxquelles elle pouvait se référer avant de prendre d'importantes décisions; elle a milité pour une pédagogie intelligente...
Le président. Veuillez conclure, Madame la députée ! S'il vous plaît !
Mme Janine Hagmann. ...elle a redéfini les objectifs d'apprentissage. Monsieur Beer, nous comptons sur vous pour continuer cela !
L'école a le devoir de construire un cadre institutionnel garant de la progression des apprentissages et de l'information aux parents. Je finis, Monsieur le président, je vous le promets, par une anecdote ! Il y a quinze ans environ, une expérience pédagogique, intitulée «Fluidité», a été mise en place. Cette expérience montrait qu'il fallait parfois deux ans pour apprendre à lire, donc aucun élève ne pouvait doubler avant la fin de la deuxième primaire. Savez-vous par qui cette initiative «Fluidité» a été mise en place ? C'était un mandat radical, puisque les radicaux étaient à la tête du département de l'instruction publique, sous la présidence d'un conseiller d'Etat PDC. Je suis donc fière que nos cousins aient été en avance pour penser au bienfait de l'école ! Renvoyons donc tout cela à la commission législative, mais n'oublions jamais que nous sommes là pour défendre une école de qualité ! (Applaudissements.)
M. Souhail Mouhanna (AdG). Je voudrais tout d'abord rappeler à mes éminents collègues de ce Grand Conseil que j'enseigne depuis plusieurs dizaines d'années - pratiquement quarante ans - et que j'attribue des notes dans le cadre de mon enseignement. Par exemple, j'enseigne dans une école professionnelle, l'Ecole d'ingénieurs, où nous avons la possibilité d'attribuer des notes plus ou moins objectives, puisqu'elles portent sur des branches scientifiques et professionnelles. Je puis donc vous affirmer, Mesdames et Messieurs les députés, que la note reste terriblement subjective.
Que dire de l'école primaire ? Il faut rappeler que l'école n'a pas pour unique vocation de transmettre des connaissances. Certains semblent l'oublier, l'école a aussi la mission essentielle de former des citoyennes et des citoyens, c'est-à-dire des gens conscients de leur appartenance à une société. Ce que l'Alliance de gauche et beaucoup d'autres partis partagent, c'est l'attachement que nous avons pour une école républicaine et citoyenne. Malheureusement, s'agissant de l'affaire qui nous concerne aujourd'hui, soit l'initiative 121... Je reconnais à celles et ceux qui l'ont lancée le droit de lancer une initiative. Et, dans l'affaire qui nous occupe, il y a un malaise, un certain nombre de préoccupations et un certain nombre de volontés de trouver des solutions. La solution proposée est peut-être une bonne solution dans l'esprit de certains, mais d'aucuns pensent malheureusement qu'il s'agit de «la» meilleure solution à tous les problèmes de l'école. Nous, nous pensons que ces problèmes-là ne sont pas les véritables problèmes. Au contraire, les véritables problèmes sont ceux transférés par la société au niveau de l'école, les problèmes économiques, le problème du chômage, le problème de la violence. Mettez des notes quand vous voulez, cela ne va pas supprimer la violence à l'école ! Parce qu'elle est engendrée par des rapports sociaux que certains ici veulent imposer et aggraver de plus en plus. Ceux qui prétendent aujourd'hui vouloir sauver l'école publique des problèmes qu'elle connaît, selon eux, sont les mêmes qui proposent des projets de lois de réduction des moyens de l'école publique, projet de loi sur projet de loi, réduction des recettes... Le parti radical est devenu aujourd'hui - malheureusement ! - l'un des fossoyeurs de l'école républicaine et de l'école publique.
Une voix. Ah, non !
M. Souhail Mouhanna. Oui, vos projets de lois vont dans ce sens-là !
Pour l'Alliance de gauche, l'essentiel est que l'école puisse transmettre des valeurs républicaines, des valeurs citoyennes. La note ne constitue nullement une solution. C'est l'un des éléments parmi beaucoup d'autres. Ce que vous semblez oublier aujourd'hui, c'est que l'école a une autre mission que celle de transmettre seulement du savoir et des connaissances - qu'est-ce que le savoir ? Que sont les connaissances sans la conscience ? Nous voulons qu'il y ait, avec la connaissance, la conscience ! La conscience républicaine, la conscience citoyenne ! Ce que vous semblez oublier, Mesdames et Messieurs les radicaux et ceux qui vous soutiennent !
Par conséquent, nous sommes pour que le Conseil d'Etat et pour que l'ensemble des partenaires de l'école publique se penchent sur les problèmes de l'école publique, qui ne sont pas uniquement des problèmes de notes et des problèmes d'évaluation ! C'est la raison pour laquelle l'Alliance de gauche est favorable à ce qu'il y ait un contre-projet qui soit l'oeuvre d'une large consultation et de la prise en compte, également, de l'expérience des principaux acteurs de l'école publique et des parents qui sont les principaux partenaires. Nous sommes donc pour un contre-projet.
M. Jacques Follonier (R). A entendre ce soir la harangue vitupératrice de M. Brunier, on peut penser que l'école genevoise rencontre aujourd'hui des problèmes. Venant de sa part et d'un groupe - le groupe socialiste - qui n'a strictement rien fait au niveau de l'enseignement pendant deux ans, cela frise un peu l'indécence. Quant à l'attitude de M. Mouhanna, elle est tellement indécente que je n'en parlerai même pas !
L'initiative 121 concernant les notes à l'école, ainsi que les cycles de quatre ans, a vu sa recevabilité acceptée par le Conseil d'Etat. On peut se féliciter de la clarté de son compte-rendu. Je n'entrerai pas dans le détail sur la forme, mais sur le fond.
On entend souvent dire une phrase intéressante : Errare humanum est. La suite est beaucoup plus intéressante : Perseverare diabolicum. Il y a un point important que l'on doit reconnaître à cette initiative: elle met, non pas l'église, mais l'école au milieu du village. Que l'on soit d'accord ou pas avec cette initiative, elle met au moins en évidence un point important: le peuple a le droit de se déterminer sur la politique qu'il souhaite voir appliquer dans son canton !
Les réformes se sont longtemps fourvoyées dans les méandres d'esprits bien pensants et elles sont bien souvent mises en place par une élite pédagogique. On nous explique que ces réformes ont été faites sur la base d'un large consensus et, à entendre le chef du département de l'instruction publique, qui nous a répété, il n'y a pas si longtemps, qu'il allait faire une large concertation, on peut se poser la question de cette utilité. Car à quoi sert une large consultation effectuée uniquement dans de petits milieux spécialisés ? A entendre les réponses que l'on a déjà entendues ou éventuellement celles que l'on voudrait bien entendre !
Cette initiative est intéressante parce que la meilleure consultation dont on puisse rêver, c'est celle de la population d'un canton. Il n'y a aucune peur à avoir, car le meilleur moyen, c'est de savoir ce que veulent nos concitoyens. De deux choses l'une: soit ils refusent cette initiative, et ils légitiment alors l'attitude du département de l'instruction publique ainsi que les réformes - et donnent dès lors le cap au département pour savoir dans quel axe il doit continuer - soit, à l'inverse, ils acceptent cette initiative, et l'école devra à ce moment-là redéfinir ses missions et le département de l'instruction publique revoir sa copie. Quoi qu'il en soit, un verdict est nécessaire. Je m'étonne même - et il y a longtemps qu'on aurait dû le faire - qu'on ne l'ait pas rendu.
S'engager dans la voie des réformes sans être certain d'avoir l'appui de la population ainsi que celui du corps enseignant paraît très peu réaliste. Et à voir autour de tout cela la communication et la manière dont elle a été mise en place, on ne peut que constater que les réformes ont une difficulté certaine à prendre une bonne ampleur.
Je souhaite que cette initiative soit rapidement présentée au peuple genevois, je ne voudrais pas qu'on la reporte. Une preuve de bonne foi doit à présent être montrée, et la rapidité avec laquelle cette votation sera soumise donnera à notre canton le respect dont il a besoin par rapport à notre école.
Le parti radical propose effectivement que cette initiative soit renvoyée en commission législative, mais il émet le souhait sincère que l'ensemble des intervenants puissent faire de leur mieux en vue d'un traitement accéléré. C'est le minimum que nous pouvons effectuer pour l'école genevoise et pour la population de notre canton.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Il s'agit d'analyser dans un premier temps la recevabilité de l'initiative, cela ne fait pas couler beaucoup d'encre et n'utilise pas beaucoup de notre énergie puisque cette initiative ne pose pas de problème sur ce plan.
Pour ce qui est de l'attitude du Conseil d'Etat face à cette initiative, il s'agit de reconnaître: premièrement, une volonté de continuité; deuxièmement, une unité, puisqu'il faut relever que le Conseil d'Etat est tout à fait uni quant à l'idée du traitement de cette initiative.
En ce qui concerne l'initiative elle-même, il s'agit d'abord de constater que des dizaines de milliers de citoyens - soit 28 000, dont je répète qu'il s'agit d'un contrôle porté sur 11 000, mais il n'y a probablement pas de doute à avoir sur un chiffre supérieur à 25 000 signatures valables. Il s'agit donc de constater un rassemblement important de citoyennes et citoyens traduisant un malaise dans la société, ce que le Conseil d'Etat peut tout à fait reconnaître.
La deuxième chose importante à relever par rapport à cette initiative, c'est qu'il s'agit, sur un plan strictement juridique, d'une initiative législative visant à introduire dans la loi sur l'instruction publique à la fois le système de passage d'une année à l'autre, c'est-à-dire de revenir sur les cycles d'apprentissage tout en imposant le système de notation pour le cycle moyen, soit de la 3e primaire à la 6e primaire. Voilà le contenu de cette initiative.
Dans ce but, cette dernière propose un exercice tout à fait étrange: elle répète tout d'abord - sur quatre alinéas - deux dispositions de la loi sur l'instruction publique, elle en paraphrase l'une des deux et ajoute un élément nouveau: la notation. En faisant croire que l'on propose du neuf, on propose en réalité le texte actuel de la loi. Pourquoi ? Dans la simple volonté de voir le peuple reconfirmer le contenu de la loi sur l'instruction publique. Telle est la volonté des initiants - il ne s'agit pas de caricaturer.
Parlons du malaise. Un certain nombre de personnes reconnaissent celui-ci et disent qu'il se traduit dans le test PISA, à l'échelle internationale. Il montre un score moyen pour la Suisse, de même que pour Genève. Cela a été dit. D'abord l'ensemble des élèves - testés en l'an 2000 - n'ont connu que le système traditionnel d'enseignement. Deuxième élément d'information de PISA: le problème à Genève est principalement la difficulté des élèves qui ne peuvent pas suivre la filière prégymnasiale et qui sont donc confrontés à l'échec scolaire. Par rapport à d'autres cantons, il y a une véritable coupure entre ceux que l'on appelle les «bons» et ceux que l'on appelle, malheureusement de façon un peu réductrice, «les mauvais élèves». Et si l'on veut aujourd'hui s'attaquer à la performance genevoise, il faut porter notre attention sur la difficulté des élèves qui sont eux-mêmes précisément en difficulté sur le plan scolaire. Voilà la réalité du niveau de l'école genevoise !
En ce qui concerne maintenant le contenu de la rénovation, puisqu'on dit que c'est celle-ci qui est mise en cause à travers l'initiative, force est de constater que cette rénovation poursuit un double objectif. Le premier, c'est de pouvoir imposer à la fois des objectifs d'apprentissage similaires pour tous, de pouvoir adapter un système d'évaluation qui prenne en compte les possibilités de l'élève, lui permettant de voir où il en est et de progresser. Pour ce faire - deuxième élément de la rénovation - il propose un assouplissement des parcours et condamne le redoublement stérile, acte purement répétitif. Il ne bannit pas pour autant la prolongation de cycles, certains élèves ayant besoin de plus de temps que d'autres. Simplement, un élève qui prolonge son cycle ne répète pas machinalement - même tout ce qu'il a réussi - mais il concentre ses efforts là où il a des difficultés. Et c'est justement un des objectifs de la rénovation: le but même de la rénovation est de permettre aux élèves qui ont le plus de difficultés scolaires d'améliorer leur niveau. Voilà les moyens proposés ! Est-ce condamnable pour cela ? C'est ce semblent dire un certain nombre de personnes autour de la table... Mais le travail en commission vous permettra largement de développer vos propos.
En ce qui concerne maintenant les objectifs du contre-projet, le Conseil d'Etat entend d'abord réaffirmer sa volonté de rénover notre système d'enseignement de manière générale, et il entend le faire particulièrement par rapport à l'école primaire puisqu'un mouvement a déjà été enclenché sur le terrain, il y a de cela pratiquement huit ans. C'est dire que nous avons besoin à la fois de temps pour mener à bien des réformes et que nous avons aussi besoin de cadrage.
Dans notre volonté de rénover le système scolaire, nous estimons important, puisque la détermination démocratique d'en débattre existe, de pouvoir procéder à un vaste rassemblement des forces qui s'intéressent au devenir de l'école. Je me permettrai juste de revenir sur quelques déclarations de M. Mettan, non pas pour le corriger, mais pour dire que, si les associations de parents et la Société pédagogique genevoise ont été consultées jusque là et ont suivi tout le processus de la rénovation, tant mieux ! Il ne s'agit pas de clans, mais de procéder à une consultation beaucoup plus large quant au système d'évaluation et quant au système de passage, respectivement d'une année à l'autre, ou quant au rôle des cycles d'apprentissage. Voilà notre objectif à travers le contre-projet ! Tout en précisant qu'il y a des questions de contenu. Il faut aujourd'hui prendre en compte l'assouplissement des parcours individuels, qui doit permettre à chacun de progresser à son rythme. Deuxièmement, il faut pouvoir compter sur une évaluation particulièrement formative pour les jeunes confrontés à cette évaluation et qui leur permette de progresser. Voilà le double objectif que le Conseil d'Etat devra soumettre à la consultation, dans un contre-projet devant déterminer la durée des cycles, respectivement l'élément final du système d'évaluation, entre notes et commentaires.
C'est un vaste débat, mais j'entends d'ores et déjà certains ou certaines, qui n'ont pas participé à ce dernier, s'interroger sur l'objectif de la démarche... Permettez-moi en tous les cas de dire ceci: le Conseil d'Etat n'entend pas traîner. Pour deux raisons: la première, Monsieur Follonier, c'est que l'initiative vient aujourd'hui devant le Grand Conseil et part dans vos commissions. C'est maintenant le Grand Conseil qui tient le sort du traitement de l'initiative, y compris du contre-projet, entre ses mains. Vous découvrez donc dans mes propos - c'est une bonne chose, Monsieur Follonier - que vous allez vous-mêmes dicter le rythme ! Il est sûr qu'en matière de connaissance de la constitution... (Remarque.)Même d'obédience radicale... Il est sûr que l'on ne peut pas soupçonner le groupe radical, ensemble, d'être pratiquement sous le coup de l'article 24, c'est-à-dire d'avoir un intérêt personnel ! (Exclamations.)Mais pour le traitement de ce contre-projet... (Remarque.)Veuillez m'excusez, je terminerai rapidement !
Il s'agit tout simplement de découvrir celles et ceux qui souhaient ou pas restaurer un climat de confiance ou celles et ceux qui souhaitent pouvoir alimenter l'insécurité. Et l'on sait que certains partis se sont fait une rente de situation à travers ce traitement ! Le plus étonnant est de voir aujourd'hui le groupe «radic... ARLE»... pratiquement se joindre à d'autres pour jouer le sentiment d'insécurité... (Protestations.)Au lieu de participer... (Exclamations.)Au lieu de participer à l'élan républicain ! Qui vise à redéfinir son pacte autour de l'école et qui demande... (L'orateur est interpellé. Brouhaha. Le président sonne la cloche.)
Monsieur Dupraz ! S'il vous plaît ! Vous me permettrez de dire que j'étais sur le pont du Mont-Blanc; vous êtes plutôt sous les ponts en ce moment ! Je vous remercie de votre attention. (Rires et applaudissements.)
Le Grand Conseil prend acte du rapport du Conseil d'Etat.
L'IN 121 est renvoyée à la commission législative.
Préconsultation
Le président. Comme pour l'initiative précédente, nous sommes en débat de préconsultation. Un seul député par groupe peut donc s'exprimer durant cinq minutes. La parole est à M. le député Antonio Hodgers pour les Verts. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)
M. Antonio Hodgers (Ve). Comme vous le savez, ces initiatives et ce débat sur les droits politiques communaux des étrangers partent de la base. En 1996 déjà, les parlements des jeunes de certaines communes avaient adopté des résolutions demandant que les étrangers habitant depuis un certain nombre d'années en Suisse puissent disposer de droits politiques au niveau communal. Ils ont été suivis par les conseils municipaux de neuf communes genevoises. Aujourd'hui, ce sont les citoyens qui, par le biais de deux initiatives populaires, reviennent sur cette problématique.
Ces initiatives touchent à une réalité concrète: la politique communale. En politique communale - comme en politique cantonale et nationale, mais particulièrement au niveau municipal - tout se fait avec les étrangers: le sport, la culture, les arts, les loisirs, le voisinage, les amitiés. Quel citoyen suisse ne compte pas d'étrangers parmi son entourage ? Dès lors, la question qui se pose est la suivante: pourquoi pas la politique ?
La campagne de «J'y vis, J'y vote» est axée sur une idée simple représentée par une tresse tricolore. Cette tresse tricolore, symbole d'unité composée de la diversité de notre canton, représente les trois tiers qui font la diversité de Genève: un tiers de Genevois d'origine, un tiers de Confédérés, un tiers d'étrangers. Trois fils correspondent à ces tiers: le jaune pour les Genevois, le rouge pour les Suisses et le blanc pour les étrangers. Ces fils entremêlés forment un tout fort et cohérent, mais ils ne représentent pas que cela: ils représentent également les couleurs de notre drapeau national ainsi que celles de notre drapeau cantonal. Ils symbolisent le fait que la diversité qui constitue la richesse de notre canton doit pouvoir s'inscrire dans les institutions et dans le cadre de notre démocratie. Y opposer l'argument de la naturalisation est un faux débat, car il s'agit de dispositions complémentaires. La naturalisation relève d'un acte individuel de l'étranger, alors que les propositions des initiatives «J'y vis, J'y vote» relèvent d'une démarche collective: on invite une population relativement importante de notre canton à partager les responsabilités de notre avenir commun.
Deux initiatives sont proposées: une aînée et une cadette. L'aînée octroie des droits politiques communaux complets, tandis que la cadette se limite au droit de voter et de signer des initiatives et des référendums. S'agissant des Verts, notre préférence va très largement à l'aînée. L'avantage de cette démarche d'initiatives en cascade est toutefois de tenir compte de la volonté populaire exprimée il y a deux ans. On avait en effet découvert une population partagée sur cette question. Bien que le «non» l'ait très faiblement emporté, plusieurs communes se sont prononcées en faveur de l'octroi de droits politiques complets au niveau communal. Les deux initiatives, l'aînée et la cadette, permettent de poursuivre ce débat en offrant à chaque citoyen la liberté de se prononcer sur l'une ou l'autre de ces options.
En ce qui concerne la recevabilité des deux initiatives, nous sommes parvenus à la même conclusion que le Conseil d'Etat: ces textes ne posent à notre sens aucun problème sur le plan formel. (Applaudissements.)
M. François Thion (S). Que les ressortissants étrangers, ayant leur domicile légal en Suisse depuis huit ans au moins, exercent des droits politiques complets en matière communale à leur lieu de domicile: voilà ce que demande l'aînée des deux initiatives de «J'y vis, J'y vote».
Etendre les droits politiques au niveau communal au plus grand nombre des habitants de notre cité est, à nos yeux, tout à fait normal: il s'agit tout simplement de renforcer notre démocratie. Les étrangères et étrangers sont nombreux dans notre canton. Représentant près de 50 % de la population active, ils travaillent dans nos hôpitaux jour et nuit, construisent nos logements et nos édifices, entretiennent notre réseau routier et nos places publiques, gèrent des programmes informatiques, participent à la recherche universitaire ou encore sont actifs dans les nombreuses entreprises internationales implantées à Genève. Ces travailleuses et ces travailleurs qui, à longueur d'année, participent à la prospérité de notre cité, nous côtoient, eux et leur famille, dans notre vie quotidienne. Comme nous, ils peuvent être parents d'élèves, usagers des transports publics, locataires, supporters du Servette, membres d'une association culturelle communale ou clients de la banque cantonale. Après huit ans de vie dans nos communes, ainsi que le propose le texte de l'initiative, ils ne doivent plus être considérés comme des demi-citoyens n'ayant que le droit de travailler et de payer des impôts sans pouvoir prendre part à la gestion et à l'organisation de la vie politique communale.
Il s'en est fallu de peu que ces droits politiques ne soient accordés aux étrangers lors d'une précédente votation, le 4 mars 2001: 48 % de oui. Le projet de loi de l'époque avait pour origine le voeu d'un certain nombre de conseillers municipaux qui, relayant des parlements des jeunes, proposaient d'octroyer le droit de vote et d'éligibilité aux étrangers habitant dans leurs communes. Les conseillers municipaux socialistes des communes de Carouge, de Chancy, de Bardonnex, de la Ville de Genève, de Meyrin, d'Onex, de Plan-les-Ouates ou encore de Vernier ont, durant cette période, joué un rôle de premier ordre pour faire avancer cette grande cause politique. Aujourd'hui, grâce au travail admirable et acharné d'une association, «J'y vis, J'y vote» - présidée par notre non moins admirable collègue Antonio Hodgers - une nouvelle initiative va être soumise aux électrices et aux électeurs du canton.
Pourquoi reposer la question alors que le peuple a dit «non» il y a un peu plus de deux ans ? L'Histoire nous montre qu'en matière de progrès démocratique il faut parfois plusieurs votations avant d'obtenir une avancée. C'est ainsi que le droit de vote au niveau cantonal n'a été accordé aux femmes genevoises qu'en 1960, après avoir été rejetée en 1921, en 1940, en 1946 et en 1953... Nous sommes persuadés qu'en octroyant des droits politiques communaux aux étrangers nous favoriserons encore davantage leur intégration dans nos villes et nos villages. La société civile bénéficiera en outre de cette participation active au débat citoyen. A l'heure où notre pays se rapproche de l'Europe grâce aux accords bilatéraux - et en particulier grâce à celui concernant la libre circulation des personnes - Genève, ville qui a vu naître Jean-Jacques Rousseau, ne peut rester en retard en matière de démocratie.
Comme le Conseil d'Etat le précise dans son rapport - dont je tiens ici à souligner la qualité - les socialistes pensent qu'il convient de ne pas faire de distinction entre le droit de vote et le droit d'éligibilité en matière communale. Après le vote par correspondance - qui semble permettre d'élever le taux de participation électorale - après deux essais de vote par Internet, la démocratie genevoise doit maintenant se moderniser en profondeur. C'est pourquoi les socialistes appellent d'ores et déjà le peuple genevois à accepter cette initiative.
Pour conclure, précisons que nous partageons entièrement l'avis exprimé par le Conseil d'Etat: cette initiative est formellement et matériellement recevable. La commission législative confirmera ce fait. (Applaudissements.)
M. Pierre Schifferli (UDC). Au cours des dix dernières années, le peuple genevois a déjà rejeté par deux fois des propositions visant à accorder des droits politiques communaux aux étrangers. La naturalisation constitue, à nos yeux, la porte d'entrée de la nationalité et de la citoyenneté.
Des voix. Comme à Emmen ! Comme à Zurich !
Une voix. Taisez-vous !
M. Pierre Schifferli. Eh bien, oui ! Un vote démocratique est intervenu à Zurich et je crois savoir que la plupart des candidats ont été naturalisés.
Cette proposition constitue donc, à notre sens, une négation à la fois de la notion de nationalité et de celle de citoyenneté. Le citoyen est un national suisse et le national suisse est un citoyen. Nous considérons qu'il n'est pas possible de découper la citoyenneté en tranches: une tranche inférieure, une tranche moyenne, une tranche supérieure... Les problèmes communaux sont souvent intimement liés à des problèmes cantonaux et les questions cantonales à des questions fédérales. La Suisse est une nation de volonté constituée par l'adhésion de territoires, de communautés et de citoyens dans le cadre d'un acte volontaire. C'est la raison pour laquelle nous estimons que l'octroi de droits politiques doit résulter d'un acte de volonté positif de la part de la personne qui souhaite obtenir ces droits - qui veut, en d'autres termes, «faire partie du club». Or cette procédure porte un nom: il s'agit de la naturalisation.
Nous estimons évidemment que ces deux initiatives sont recevables du point de vue formel et matériel. Au-delà des questions de principe que j'ai évoquées, un élément contenu dans le texte nous interpelle néanmoins de façon directe. A suivre le raisonnement qui est celui des initiants - et, semble-t-il, du Conseil d'Etat - le but de ces initiatives réside dans l'intégration des étrangers. On estime que le citoyen qui habite depuis huit ans dans une commune...
Une voix. Non, en Suisse !
M. Pierre Schifferli. Je me trompe effectivement ! Vous avez bien fait de me corriger, car c'est exactement le point auquel je voulais en venir. Là réside précisément le problème de ces initiatives: vous voulez intégrer une personne originaire d'un pays étranger à la culture suisse et lui accorder le droit de vote en matière communale, par exemple à Chancy ou à Soral, alors qu'elle a passé les sept dernières années de sa vie à Flawil ou à Bumplitz ! (Brouhaha.)Le problème est le suivant: si vous souhaitez que cette personne fasse véritablement partie d'une commune et puisse être normalement intégrée à la vie communale, ces initiatives auraient dû prendre en compte le critère de résidence dans la commune - et non uniquement la résidence en Suisse. Je vois là un défaut majeur de cette initiative, puisque l'on passe de la résidence en Suisse au niveau communal sans respecter les droits de la commune et du canton en la matière. Quant au délai de huit ans, même si l'on acceptait la notion d'octroi des droits politiques au niveau communal aux étrangers, je le trouve extrêmement court.
Pour résumer, même si l'on acceptait la notion d'octroi des droits politiques au niveau communal aux étrangers, le défaut principal de ces initiatives réside dans l'ignorance de la question du domicile communal. Cette question est complètement évincée, alors même qu'il s'agit d'intégrer la personne étrangère dans la vie de la commune ! Notre groupe s'oppose donc au principe même de ce projet - tout comme la population genevoise s'y est massivement opposée lors des deux votations précédentes. (Protestations.)Je ne sais pas ce qu'il vous faut: 73 % de non, cela constitue un refus relativement massif ! Et je vous garantis que cela sera également le cas la prochaine fois: nous nous opposerons à ce projet et la population genevoise nous suivra ! (Applaudissements.)
M. Pierre Kunz (R). Les pays qui se préparent le plus bel avenir sont ceux qui savent que les immigrants rejettent l'assimilation - ce processus dévastateur né avec l'Etat-Nation et renforcé par le jacobinisme qui nie la différence et prétend vider l'immigrant de sa culture originelle.
Les pays qui se préparent le plus bel avenir sont ceux dont les citoyens savent intégrer... (L'orateur insiste sur ce terme.) ... les immigrants établis sur leur sol grâce à un processus d'échanges croissants et respectueux du vécu de l'étranger.
Les pays qui se préparent le plus bel avenir sont ceux dont les citoyens ne doutent pas de la valeur de leurs institutions ni de la force des liens qui les unissent les uns les autres et qui ne considèrent pas l'étranger installé chez eux comme une simple force de travail.
Ouverts au monde et aux changements, ces citoyens ont compris la richesse de l'apport de cet étranger culturellement différent et, précisément pour cela, désireux de s'exprimer et de participer à la vie de la communauté. Ils ont compris, dans une société sûre d'elle et ambitieuse pour son avenir, combien cet apport est stimulant - et, donc, nécessaire.
Les radicaux croient en Genève et en son avenir. Ils sont convaincus que l'avenir de ce canton est largement fondé sur notre capacité à faire participer les résidents étrangers à la vie de notre société. Ils sont convaincus que ceux-ci ne constituent pas simplement un apport économique, mais aussi, par le fait même de leur différence, une grande richesse culturelle et sociale.
Pour que Genève puisse mieux bénéficier de cette richesse, les radicaux sont convaincus qu'il faut donner aux résidents étrangers les droits de vote et d'initiative au plan communal. Le groupe radical est donc heureux de constater que rien ne semble s'opposer, ni sur le fond, ni sur la forme, à la recevabilité de ces initiatives. En juin prochain, nous les soutiendrons ! (Applaudissements.)
M. Pierre Vanek (AdG). Mon intervention sera brève, car nous avons déjà abondamment débattu de cette question et l'essentiel a déjà été dit à l'occasion du précédent projet de loi constitutionnel discuté sur cette question dans cette enceinte et soumis au suffrage de nos concitoyens.
J'avais l'intention d'être plus bref... (Manifestation dans la salle.)... et plus «gouvernemental» qu'à l'accoutumée en déclarant simplement que je me ralliais pleinement à la conclusion du rapport du Conseil d'Etat. Je rappelle que ce dernier estime qu'il ne convient pas d'établir une distinction entre le droit de vote et le droit d'éligibilité en matière communale. Il est donc favorable à l'initiative dite «aînée», laquelle propose que les étrangères et étrangers résidant dans le canton de Genève puissent parfaire leur intégration dans notre collectivité en bénéficiant de droits politiques complets en matière communale.
A ce stade de mon intervention, j'avais initialement prévu de m'asseoir. Je dois cependant répondre à l'intervention M. Schifferli. La première réponse qu'appelle son intervention concerne la thèse saugrenue qu'il a développée. Selon cette thèse, si l'on vient de Bumplitz ou d'autres localités d'outre-Sarine...
M. John Dupraz. Qu'est-ce que tu as contre Bumplitz ?!
M. Pierre Vanek. Moi, je n'ai rien ! C'est M. Schifferli qui a des choses contre Bumplitz ! Je reprends: selon M. Schifferli, si l'on vient de Bumplitz ou d'autres lieux d'outre-Sarine, on ne saurait bénéficier de droits politiques dans les communes de notre canton. On serait en effet un élément allogène, non intégré - huit ans n'ayant pas suffi à parfaire cette intégration... Une telle idée n'est pas sérieuse ! Vous savez bien, Messieurs de l'UDC, que l'on accorde à nos concitoyens alémaniques, après trois mois seulement, le droit de se prononcer sur les affaires communales ! Si vous vous montriez cohérents avec cet argument, vous devriez préparer le retour à une situation où nos concitoyens de Suisse allemande - voire du canton de Vaud, car les personnes originaires du canton de Vaud ne sont pas tout à fait comme nous... - seraient privés des droits politiques sur le plan communal. Rien de plus normal pour la force politique réactionnaire que vous êtes ! Nous disposons d'une expérience à l'échelle nationale: nous avons accepté d'octroyer les droits de citoyenneté communale à nos Confédérés et de tolérer ainsi que des personnes originaires de Bumplitz ou de localités situées encore plus à l'est puissent voter et être élues dans les conseils de nos municipalités. Il s'agit d'une conquête progressiste qui n'a posé aucun problème dramatique. Je tenais donc à écarter l'argument absurde invoqué par M. Schifferli.
J'aborde maintenant le fond de votre intervention, Monsieur Schifferli. Vous avez martelé que «citoyenneté» égalait «nationalité» et que «nationalité» égalait «citoyenneté». Voilà le fond de votre discours. Voilà également le fond de notre divergence. Lors des interventions précédentes - notamment celles relatives à l'école -, il a été question d'idéal républicain et d'école républicaine. Nous sommes ici en république. Toutes les personnes qui oeuvrent au bien de notre collectivité et qui prennent part à notre vie commune participent à cette république. Ils doivent donc être considérés comme des citoyens de celle-ci, quelle que soit la couleur de leur passeport ou leur origine. Voilà un aspect du le républicanisme au sens révolutionnaire et démocratique ! Consultez les premières constitutions de la République française: vous verrez les critères de résidence simple qui étaient imposés pour participer au processus démocratique ! Cet idéal démocratique de citoyenneté pour tous a également fait l'objet de luttes révolutionnaires dans notre canton, où une petite élite de patriciens et de bourgeois genevois ont voulu refuser des droits politiques à des natifs de notre canton originaires d'un autre lieu. C'était là l'un des thèmes des luttes révolutionnaires et républicaines qui se sont déroulées dans notre République genevoise. L'équation entre citoyenneté et nationalité que vous avez tenté de nous vendre n'est ni exacte, ni démocratique ! C'est également pour cela, Madame et Messieurs de l'UDC, que nous soutiendrons la conclusion du Conseil d'Etat sur cette initiative !
Une dernière évidence mérite d'être signalée...
Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député !
M. Pierre Vanek. ...c'est que, notamment à Genève, ces mêmes raisonnements devraient s'appliquer non seulement à l'échelon communal, mais également à l'échelon cantonal.
M. Guy Mettan (PDC). Ce n'est pas en tant que représentant du parti démocrate-chrétien que je m'exprimerai, ni même en tant que membre du comité des deux initiatives «J'y vis, J'y vote»: c'est en tant que simple patriote. Quel que soit l'avis de M. Schifferli, j'estime en effet que cette salle compte cent patriotes: nous sommes tous des patriotes. J'ai moi-même écrit un opéra rock intitulé «Guillaume Tell», que je me fais un plaisir de vous offrir. Or, je connais peu de membres de l'Union démocratique du centre qui aient écrit des livres et des opéras sur Guillaume Tell... Le patriotisme est donc une valeur largement partagée dans cette salle et, comme l'a déclaré M. Kunz, lorsqu'on est fier de ses institutions, on cherche à les faire partager aux autres. Pas plus tard qu'il y a une heure, nous avons pu entendre, à La Pastorale, huit cents étrangers entonner le «Cé qu'è Lainô» en présence de notre président M. Cramer. Quoi de plus beau ? Pourquoi empêcher ces personnes de participer à notre vie communale ?! (Brouhaha.)
Je tiens à faire savoir que je suis extrêmement satisfait du succès de ces deux initiatives. Lors de la dernière votation, notre parti s'était engagé en faveur de l'octroi du droit de vote communal aux étrangers. Ce projet a malheureusement échoué de peu. Nous avons remis l'ouvrage sur le métier en inscrivant, il y a deux ans, ce projet dans notre programme de législation. Nous sommes contents de constater que ce projet a abouti. En effet, dans une ville comme Genève - laquelle compte 38 % de ressortissants étrangers qui travaillent en Suisse, qui paient des impôts, qui font tourner notre économie et qui concourent à notre bien-être - la moindre des choses consiste à leur accorder le droit de participer à notre vie communale !
Ce geste est également essentiel dans la mesure où il contribue à l'apaisement des tensions entre la communauté suisse et les communautés étrangères. Je rappelle à ceux qui craignent les étrangers que tout se déroule bien dans les cantons qui, comme celui de Neuchâtel, ont accordé le droit de vote communal aux étrangers... (Manifestation dans la salle.)Et les citoyens neuchâtelois ne se sont pas sentis diminués du fait que les étrangers puissent participer à la vie communale !
C'est pourquoi nous soutenons la position du Conseil d'Etat en vous recommandant de soutenir ces deux initiatives.
M. Michel Halpérin (L). Ce débat est en principe limité à la validité formelle de cette initiative - et encore, puisqu'il se limite à la première appréciation du Conseil d'Etat. Pour le groupe libéral, il va de soi que ces deux initiatives sont formellement recevables. Nous y reviendrons après les travaux de la commission législative, où ces textes seront renvoyés.
Bien que nous l'ayons souvent rappelé dans cette enceinte, ce débat nous permet de répéter à quel point le rôle des étrangers est - et a toujours été - important à Genève. L'importance de ce rôle a été rappelée sur le plan numérique, mais il ne s'agit pas du seul aspect. Le Conseil d'Etat a bien fait de rappeler dans son rapport que les plus grands hommes de Genève - soit ceux qui figurent sur le Mur des Réformateurs - étaient tous étrangers. Le fait qu'ils n'aient pas été des citoyens n'en a pas moins rendu essentiel leur apport à la vie de cette communauté. L'apport des étrangers à la vie genevoise est si ancien et si marqué que chacun s'est plu à le souligner dans cette enceinte - y compris les initiants dans leur rapport. C'est toutefois une vérité d'évidence que la participation à la communauté s'entend sur les plans associatif, culturel ou encore sportif, et qu'il n'est, pour cela, pas nécessaire d'exercer une fonction élective.
Nous sommes conscients que de nombreuses personnes oeuvrent au bien de la République en dehors de cette enceinte. L'intégration n'est pas non plus un sujet qui nous divise. Le groupe libéral a été parmi les promoteurs du projet qui a débouché, il y a deux ans de cela, sur la loi favorisant l'intégration. A notre sens - et, je pense, aux yeux de toutes les personnes siégeant dans cette enceinte - l'intégration constitue un phénomène double. D'une part, il s'agit pour les personnes habitant à Genève d'accueillir les immigrants; d'autre part, il s'agit pour les immigrés d'apprendre à vivre avec leurs nouveaux voisins.
Par conséquent, l'élément qui nous sépare des initiants est à caractère culturel ou philosophique. Il s'agit, au fond, du sens qu'il convient de donner à l'idée même des droits d'éligibilité - ou des droits politiques au sens large. Il s'agit de déterminer le sens que nous donnons au terme de «citoyen». Je tiens ici à relever que la définition commune n'est pas celle proposée par les initiants. Etre citoyen, ce n'est pas vivre dans une cité; ce n'est pas y voter; ce n'est pas y payer d'impôts. Etre citoyen, c'est, littéralement, appartenir à une cité: c'est en reconnaître la juridiction, être habilité à jouir de ses droits et se soumettre aux contraintes ainsi qu'aux devoirs corollaires à ces droits. Il s'agit, en d'autres termes, d'un acte d'adhésion - et d'un acte d'adhésion qui suppose à la fois la volonté d'en être et la volonté de servir. Cela est si vrai que le sens donné au terme de «citoyen» par les initiants et repris par quelques-uns d'entre vous n'a pas la même portée pour tout le monde. Je sais que le mot possède des synonymes. On peut, par exemple, être citoyen du monde - ce qui va dans le sens des initiants. Toutefois, même le champion de ces initiatives, notre collègue Hodgers, ne s'y est pas trompé - ou, plutôt, s'y est trompé tout à l'heure. Il nous a en effet expliqué que ces deux initiatives étaient le fruit de la volonté des citoyens qui les avaient signées - c'est-à-dire des personnes qui possèdent la qualité nécessaire pour agir dans cette fonction particulière qu'est celle de citoyen. Même l'Europe - et je parle ici de l'Europe unie - ne reconnaît pas le droit de vote universel de tous les Européens dans tous les pays d'Europe et à tous les niveaux: seuls certains droits communaux sont réunis.
J'en déduis - et il s'agit, en tous les cas, de la conviction du groupe libéral - que la citoyenneté suppose un acte d'adhésion bilatéral. Elle suppose à la fois un acte d'accueil de la communauté qui se trouve sur place et un acte de manifestation de la volonté d'adhérer du nouveau venu ou de celui qui vit ici depuis quelque temps et qui veut transformer son statut d'immigré en la qualité de citoyen. En d'autres termes, la citoyenneté ne représente pas un moyen d'intégration, mais le couronnement de l'intégration.
Dans de telles conditions, nous ne sommes pas favorables à la proposition qui nous est soumise. En effet, nous ne pensons pas qu'il nous appartienne de naturaliser à bon compte ceux qui n'ont pas demandé à l'être. Comme vous le savez, nous sommes évidemment favorables à des procédures de naturalisation facilitée. Nous estimons en revanche que le beau titre de citoyen doit être l'objet d'un désir mutuel et réciproque. L'abandonner, c'est réduire cette citoyenneté à quelque chose qu'elle n'est pas et qu'elle ne devrait pas devenir ! (Applaudissements.)
M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Comme vous l'avez lu dans notre rapport, le Conseil d'Etat vous invite en premier lieu à considérer que ces deux initiatives sont recevables. Le Grand Conseil se montre également unanime sur ce point. Les travaux de la commission législative seront donc vraisemblablement brefs. Le Conseil d'Etat vous recommande en outre de considérer qu'il convient de recommander l'approbation de ces deux initiatives aux électeurs.
Puisque l'on doit tout d'abord s'exprimer devant ce Grand Conseil sur la recevabilité de ces initiatives, j'évoquerai en premier lieu la façon dont ces initiatives sont formulées afin de ne plus devoir y revenir. Il convient premièrement de relever que ces initiatives ont pour elles l'extrême netteté du propos et l'avantage d'employer des termes connus par chacun - ou, du moins, largement connus en droit. On y évoque, par exemple, le domicile légal: on sait de quoi il s'agit. On y évoque le domicile légal en Suisse - et non dans une commune. On sait également de quoi il s'agit: par ailleurs, à Genève comme dans les autres cantons suisses, lorsqu'une personne se déplace d'un point à un autre du pays, voire d'une commune à une autre - car il peut arriver que l'on déménage, dans un même canton, d'une commune à une autre - on acquiert, après trois mois, le droit de vote dans la commune où l'on s'est établi. C'est donc dire que ces deux initiatives ne demandent pas l'instauration d'une exception, mais l'application du droit tel qu'il existe. Ces initiatives prévoient, dans leur deuxième alinéa, une référence explicite aux législations fédérale et cantonale. Chacun de leurs termes a donc déjà fait ailleurs l'objet d'une interprétation - et, de surcroît, d'une interprétation précise. En dernier lieu, ces initiatives jugent qu'après un délai de huit ans, l'on est suffisamment au fait des affaires communales pour pouvoir s'exprimer sur le plan communal. Or, il s'agit précisément du délai que se propose de retenir le législateur fédéral s'agissant de l'octroi de la nationalité. C'est donc dire si nous nous trouvons en terrain connu sur tous ces points !
Qu'en est-il du fond de ces initiatives ? M. le député Halpérin nous a, à très juste titre, indiqué que les appréciations quant à la définition des personnes à même de bénéficier de droits politiques pouvaient être variées. Il y a moins de deux cents ans, dans cette salle même où siégeait le Grand Conseil, on refusait les individus qui n'étaient pas suffisamment fortunés pour s'exprimer. Genève fonctionnait selon le système du suffrage censitaire: il fallait bénéficier d'un certain revenu pour bénéficier de droits politiques. Aujourd'hui, un tel système semble bien évidemment incongru. (Brouhaha.)Revenons à des périodes plus récentes: il y a une quarantaine d'années - très précisément, jusqu'en 1960 - Genève ne connaissait pas le suffrage féminin. Ce dernier n'a en effet été introduit qu'en 1960 dans notre canton et en 1971 sur le plan fédéral. Penchons-nous maintenant sur l'âge auquel on peut voter: ce n'est qu'en 1980 que l'on a fixé à Genève le droit de vote à l'âge de 18 ans. Auparavant, il fallait être âgé de 20 ans pour être autorisé à voter. Ces trois exemples expriment, à chaque fois, des choix qui tracent des limites entre les personnes qui disposent du droit de s'exprimer par le vote et celles qui ne bénéficient pas de ce droit. Les deux initiatives proposent d'élargir ces limites en laissant s'exprimer par le vote, sur le plan communal, les personnes résidant en Suisse depuis plus de huit ans et habitant la commune.
Contrevenons-nous par là à quelque grand principe ? Je le crois d'autant moins que, contrairement au système français, le système suisse ne prévoit pas le passage d'un contrat pour devenir électeur. On acquiert la qualité de citoyen par la naissance ou par la naturalisation mais, dès l'instant où elle est acquise, on bénéficie de tous les droits politiques. Ce procédé diffère de celui en vigueur dans d'autres pays: en France, aux Etats-Unis ou encore ailleurs, si vous voulez voter, vous devez vous procurer une carte de vote et manifester, par là même, votre intention d'exercer des droits politiques. Ce n'est pas ce qu'il vous est demandé en Suisse: il vous suffit de remplir un certain nombre de conditions pour pouvoir automatiquement voter. La notion de quasi-contrat qui unirait l'électeur à l'Etat n'existe pas dans la conception suisse des droits politiques.
Que reste-t-il à faire ? Une appréciation. Or, le Conseil d'Etat a estimé que l'appréciation qu'il avait faite il y a trois ou quatre ans, lorsqu'il s'était exprimé une première fois sur les propositions portées par le mouvement «J'y vis, J'y vote», n'avait pas à être modifiée. Nous jugeons important d'offrir aux nombreuses personnes qui vivent dans notre collectivité et qui, comme l'a très clairement exprimé M. Thion, participent à nos activités la possibilité de s'exprimer sur le plan communal par le droit de vote. Il s'agit là d'une manière d'exprimer le fait que les membres d'une collectivité participent à des débats communs, sans aucune exclusion ni sur le lieu de travail, ni sur le lieu de loisirs.
Pourquoi ces initiatives ont-elles choisi de traiter de ces questions sur le plan communal, et non sur le plan cantonal ? Parce que c'est au niveau de la commune que s'exercent les relations de plus grande proximité entre les personnes qui y résident et les autorités. Comme cela est mentionné dans l'exposé des motifs, c'est, du reste, le système qui a été retenu dans bon nombre de pays qui nous entourent - et notamment dans tous les pays de l'Union européenne.
Le Conseil d'Etat estime, en dernier lieu, que les avantages résultant de l'octroi des droits politiques en matière communale l'emportent largement sur les inconvénients évoqués lors de ce débat. En tant que chef du département en charge de l'intérieur et, partant, des naturalisations, je juge dans le même temps nécessaire d'établir une distinction entre la démarche d'une personne qui souhaite être naturalisée et celle d'une personne qui choisit de s'installer et de vivre dans une collectivité. Dans le premier cas, la personne entend, par la démarche même qu'elle entreprend, indiquer son adhésion pleine et entière à un système de valeurs et à une histoire; elle entend également acquérir des droits civiques complets s'exerçant également sur les plans fédéral et cantonal. Dans le second cas, nous estimons que c'est un enrichissement pour cette collectivité que de donner à cette personne la possibilité de s'exprimer.
Voilà les raisons pour lesquelles le Conseil d'Etat juge ces initiatives recevables quant à la forme et estime qu'elles doivent être soutenues sur le fond. (Applaudissements.)
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Lors de notre traditionnelle réunion du Bureau et des chefs de groupe, il a été demandé que deux débats distincts soient consacrés à chacune des deux initiatives. Toutefois, dans la mesure où chacun a pu s'exprimer sur le fond du problème, et si personne ne s'y oppose, je vous propose de renvoyer maintenant ces deux initiatives en commission législative.
Le Grand Conseil prend acte des rapports IN 122-A et IN 123-A du Conseil d'Etat.
Les initiatives 122 et 123 sont renvoyées à la commission législative.
Premier débat
M. Blaise Matthey (L), rapporteur de majorité. Je tiens à insister sur le fait que le budget des Services industriels est correctement présenté. C'est la raison pour laquelle une écrasante majorité de la commission s'est prononcée en sa faveur. Il me paraît essentiel de préciser que la comptabilité de ce budget ne présente aucun problème. Je soulignerai en outre que le budget est constitué de prévisions, et non de décisions.
La réflexion menée par les Services industriels de Genève quant à la tarification de l'électricité est par ailleurs la bienvenue compte tenu des tarifs élevés pratiqués dans notre canton et compte tenu de la nécessité d'assurer la compétitivité de nos entreprises.
Le président. Merci, Monsieur le rapporteur de majorité. Madame la rapporteur de minorité, vous avez la parole.
Mme Sylvia Leuenberger (Ve), rapporteuse de minorité. On peut se demander: pourquoi un rapport de minorité ? Pour des questions relativement profondes et philosophiques. L'un des éléments les plus importants réside dans le fait que l'économie ne peut plus raisonner uniquement en termes de productivité et de compétitivité pure, en ignorant les conséquences d'un tel raisonnement sur l'environnement. Si notre planète veut demeurer viable pour les générations futures, les pays riches et industrialisés doivent tout faire pour économiser ressources naturelles et fluides énergétiques ainsi que pour encourager les énergies renouvelables et l'apprentissage d'un usage rationnel de l'énergie. Ce discours peut être entendu et tenu par de nombreux milieux, mais il s'agit surtout de le mettre en pratique lorsqu'on en a l'occasion.
Le budget des SIG tel que présenté cette année nous en a offert l'occasion. Ce budget ne s'est pas suffisamment soucié des principes énoncés dans notre constitution aux articles 158 et suivants auxquels les SIG sont soumis - à savoir, la priorité aux sources d'énergie renouvelables et à la protection de l'environnement. Le budget 2004 des SIG propose en effet une nouvelle tarification, mais les modalités de cette dernière ne sont pas précisées et cette nouvelle tarification correspondra à une diminution de revenus d'environ 50 millions par an. Or, chacun sait que, si les tarifs baissent, la consommation augmente: il s'agit là d'un principe basique. Nous devrions, au contraire, tout faire pour encourager les entreprises à s'adapter à un avenir où il leur faudra apprendre à fonctionner de manière plus rationnelle avec des fluides énergétiques au futur incertain.
Notre message est très clair: nous demandons que le Conseil d'Etat étudie d'autres possibilités et nous présente une tarification accompagnée de mesures visant avant tout un usage intelligent et rationnel de l'électricité et du gaz. Nous souhaitons que le Conseil d'Etat ne cède pas simplement aux pressions des entreprises - lesquelles ne songent qu'à diminuer leurs charges, sans imaginer que d'autres méthodes pourraient également engendrer une baisse de leurs coûts.
L'une de ces options réside dans le modèle bâlois: non seulement ce canton a procédé à une baisse des tarifs, mais il a également instauré une taxe incitative. Cette dernière est ensuite rétrocédée aux particuliers et aux entreprises sous forme de baisse des charges sociales pour les entreprises et de retour en argent pour les particuliers. Nous proposerons un projet de loi allant dans ce sens en espérant qu'il permettra à la commission de l'énergie de suivre la politique du Conseil d'Etat sur ce sujet. Nous souhaitons être informés des nouvelles tarifications et nous voulons participer au débat. La demande principale que nous exprimons par le biais de ce rapport de minorité est la suivante: nous souhaitons discuter avec le Conseil d'Etat d'une tarification permettant aux entreprises d'apprendre à économiser de l'énergie. Nous désirons également que les SIG instaurent des mesures d'audit énergétique, de manière à encourager les énergies renouvelables et à aider les entreprises à s'améliorer dans ce domaine.
Notre objectif est que Genève applique une politique énergétique exemplaire en termes de protection de l'environnement, d'économie d'énergie et d'encouragement des énergies renouvelables. Ce rapport de minorité prend son sens dans la mesure où l'on ne peut pas prévoir une baisse de tarifs et une diminution de revenus de 50 millions sans mettre en place des mesures d'accompagnement. Il peut s'agir du modèle bâlois ou d'autres modèles, mais nous souhaitons en tous les cas pouvoir en discuter avec le Conseil d'Etat dans le cadre des travaux de la commission de l'énergie.
M. John Dupraz (R). Le groupe radical votera ce projet de loi qui entérine le budget des Services industriels.
Je tiens à exprimer ici l'étonnement du groupe radical quant à la position des Verts. Je rappelle aux députés de ce groupe que le ministre en charge de ce dossier appartient à leur parti. Je m'étonne que ces députés votent contre leur ministre - et ceci sous des prétextes élitaires: «il est scandaleux que le prix de l'électricité diminue», «le canton de Bâle mène une politique exemplaire». Je trouve vos propos quelque peu frustrants et réducteurs compte tenu de l'immense effort réalisé par la direction et le conseil d'administration des Services industriels - lesquels mènent une politique exemplaire dans la gestion de l'entreprise et, notamment, en matière d'électricité. Vous ne vous rendez pas compte - ou vous ne voulez pas voir - que, ne vous en déplaise, le marché de l'électricité sera, en 2007, complètement libéralisé en Europe. La Suisse ne pourra pas rester au milieu de l'Europe et exiger le maintien du marché cartellisé qu'elle connaît actuellement. La situation présente permet d'ailleurs à M. Brélaz, toujours très intelligent et très doué pour «rouler le peuple dans la farine», de remplir les caisses de la Ville de Lausanne en fiscalisant la distribution de l'électricité.
Les Services industriels ont développé une offre diversifiée comprenant divers types d'énergie électrique: énergie écologique, non-polluante, hydraulique ou encore solaire. Et voilà que les Verts font la fine bouche ! Leur discours est le suivant: «Le prix de l'électricité diminuera, les revenus des Services industriels baisseront de 50 millions et la consommation augmentera...». Mais, Mesdames et Messieurs, je souhaite que cette consommation augmente, car il s'agit d'un signe de croissance ! Si vous voulez réduire la consommation d'énergie et entraîner le pays dans la décroissance, continuez ainsi ! Vous voulez ruiner le pays ? Continuez ainsi !
Je trouve l'attitude des Verts élitaire, stupide, incohérente par rapport à la politique menée par les Services industriels et, de surcroît, discourtoise vis-à-vis de son ministre. Pour notre part, Monsieur le ministre, nous vous soutiendrons !
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Gilbert Catelain.
M. Gilbert Catelain (UDC). Le groupe UDC soutiendra également ce projet de loi qui finalise les budgets d'exploitation et d'investissement des Services industriels. Nous nous réjouissons de leurs résultats positifs et nous approuvons les propos tenus par le groupe radical. Nous relevons toutefois que, contrairement à ce que peuvent faire apparaître les comptes, ces résultats positifs sont principalement dus à la situation de monopole des SI. Si ce monopole devait tomber - par exemple, dans le cadre d'une intégration européenne - il faudrait se poser de nombreuses questions sur les coûts d'exploitation des Services industriels, qui sont probablement parmi les plus élevés d'Europe.
Une voix. Ce sont des sottises !
M. Gilbert Catelain. Ce ne sont pas des sottises ! Contrairement aux propos soutenus par le groupe des Verts, s'il est vrai que le prix de l'électricité à Genève n'est pas le plus cher de Suisse, il demeure néanmoins relativement élevé. Les sociétés qui travaillent sur ce territoire et qui consomment de l'électricité l'ont, je crois, relevé à plusieurs reprises. Je fais par ailleurs remarquer que vous avez voté des budgets concernant Internet et que vous utilisez ce dernier. Vous me direz qu'il n'y a aucun rapport... On sait cependant qu'Internet représente 3 % de la consommation d'électricité dans notre pays et qu'il représente à lui seul 8 % de la consommation d'électricité aux Etats-Unis.
Soyons cohérents: on veut de la modernisation, mais on ne veut pas de l'implantation de consommation d'électricité. C'est malheureux, mais c'est ainsi ! Il existe une solution dans ce domaine: il s'agit de la baisse démographique. Vous menez malheureusement, dans ce domaine également, une politique qui va à contre-courant. Vous ne disposez finalement plus de beaucoup d'arguments pour vous opposer à l'adoption de ces comptes...
Le groupe UDC, je le rappelle, soutiendra le rapport de la majorité.
Le président. Merci, Monsieur le député. La parole est à M. le député Roger Deneys... que je prie d'enlever ses lunettes avant de s'exprimer. (M. Deneys porte des lunettes de soleil.)Oui, je souhaite que vous retiriez vos lunettes avant de vous exprimer, s'il vous plaît ! (Commentaires.)
M. Roger Deneys (S). Je suis désolé, je n'ai pas la chaîne en or... Ce sera pour la prochaine fois !
Les socialistes soutiendront le projet de budget des Services industriels pour deux raisons: en premier lieu, comme l'a relevé M. Matthey, il est conforme; en deuxième lieu, il s'efforce d'adapter ses tarifs à la conjoncture dans laquelle nous vivons. (L'orateur est interpellé.)Cette expression prend peut-être une signification différente selon les uns ou les autres...
Il est vrai que ce projet de budget ne fournit pas de réponse à certaines questions, notamment concernant le potentiel de soutien aux économies d'énergie ou, du moins, à des solutions favorisant les économies d'énergie. En ce sens, nous rejoignons les préoccupations des Verts. Nous ne pensons cependant pas que ce soit dans le cadre de ce budget qu'il nous faille exprimer notre opposition.
Comme l'a relevé Mme Leuenberger dans son rapport, l'exercice auquel se livrent la commission de l'énergie et notre Grand Conseil est quelque peu difficile dans la mesure où il nous faut accepter ou refuser le budget sans pouvoir l'amender. C'est pourquoi une motion a été déposée. Vous avez refusé l'urgence ainsi que le traitement conjoint de ces deux objets. C'est dommage, car nous vous proposions précisément de discuter d'un modèle - le modèle dit «bâlois» - favorisant les économies d'énergie et permettant de baisser les tarifs. Tant pis: nous en discuterons une autre fois !
Je répète que, dans l'état actuel, ce budget est acceptable. Il est raisonnable qu'une entreprise comme les Services industriels réalise des bénéfices, mais qu'elle applique également des tarifs adaptés. Il est également raisonnable que les Services industriels favorisent, à long terme, les économies d'énergie.
Je conclurai mon intervention en faisant remarquer que, contrairement aux propos de M. Dupraz, une hausse de la consommation d'énergie ne constitue nullement une preuve de croissance. Heureusement que l'on réalise des économies, cela prouve que l'on a une croissance intelligente !
Mme Sylvia Leuenberger (Ve), rapporteuse de minorité. Je souhaite simplement répliquer à M. Dupraz. Notre opposition ne va nullement à l'encontre de notre magistrat - que je remercie par ailleurs pour sa politique exemplaire en la matière. Il s'agit, Monsieur Dupraz, d'une discussion de fond ! Ce que nous demandons, ce sont des mesures d'accompagnement. En effet, on ne peut pas consommer de l'électricité sans réfléchir et augmenter sans cesse la production d'électricité, car on sait que les énergies ne sont pas forcément renouvelables et qu'elles impliquent des modes de production souvent dangereux pour l'environnement.
Nous voulons donc pousser les SIG, par une politique instaurée par l'Etat, à encourager les entreprises à rationaliser leur consommation d'énergie. Cette rationalisation entraînera également une baisse de coût. C'est sur cette question que nous tenions à nous exprimer et à être associés à la discussion.
Si je refuse le budget des SIG, ce n'est pas parce que j'estime que ceux-ci travaillent mal ou que leur budget est mal présenté: c'est parce qu'il n'a pas été précisé de manière suffisamment ferme que la baisse des tarifs des SIG devait être accompagnée de mesures. C'est la seule raison pour laquelle nous refusons ce projet ! Cela ne me pose aucun problème que les autres partis de ce parlement acceptent ce projet. Je tenais simplement à faire savoir qu'il est, aux yeux des Verts, extrêmement important que les entreprises comprennent que l'on devra, à l'avenir, tout faire pour économiser de l'énergie !
M. Blaise Matthey (L), rapporteur de majorité. Puisque l'on a beaucoup évoqué les entreprises, je tiens à préciser qu'il convient de se montrer prudents dans nos propos quant à la consommation d'énergie desdites entreprises. Voyons, Mesdames et Messieurs, n'y a-t-il que les entreprises qui consomment de l'énergie ?! Vous le savez bien: il y en a d'autres ! Nous-mêmes en consommons beaucoup ce soir - au point, d'ailleurs, que l'on ne voit plus les écrans ! La problématique de l'énergie dépasse donc très largement le problème des entreprises.
S'agissant de ces dernières, la corrélation entre la baisse des tarifs et l'augmentation de la consommation des entreprises est loin d'être évidente - ce sont d'ailleurs les propos du directeur des Services industriels. Cette corrélation reste à démontrer. Mme Leuenberger le sait fort bien, puisque cette question a été discutée dans le cadre de la commission.
Au surplus, j'observe que la demande de création d'un fonds bâlois devrait être étudiée sereinement en commission plutôt que de faire l'objet d'un débat demandé en urgence ce soir. Il y aurait tout lieu d'être satisfaits de la décision sereine prise tout à l'heure.
M. Robert Cramer, président du Conseil d'Etat. Comme je prends la parole à la fin du débat, je ferai simplement remarquer que les Services industriels sont, en l'occurrence, victimes de leur succès. Il est en effet plus agréable de réaliser des bénéfices et de se demander comment les distribuer plutôt que de se trouver dans les chiffres rouges et de se demander comment les combler !
J'ai eu, tout à l'heure, un mouvement d'humeur en entendant les propos de M. Catelain. J'ai eu le sentiment d'une immense injustice: d'une immense injustice parce que je constatais que, dans cette salle, un député ayant reçu les documents que vous avez tous reçus, ayant eu la possibilité de prendre connaissance des comptes et des budgets des Services industriels qui vous ont, à tous et à toutes, été distribués, pouvait se montrer incapable de reconnaître le travail considérable accompli dans cette entreprise ces dernières années.
Lorsque je suis devenu conseiller d'Etat il y a six ans, les Services industriels se trouvaient dans les chiffres rouges. Cela n'a pas été une chose simple que de redresser cette entreprise qui se portait mal alors même, Monsieur Catelain, qu'elle connaissait une situation de monopole bien plus confortable que cela n'est le cas aujourd'hui, à l'heure où ce monopole est remis en question de toutes parts. Les Services industriels se trouvaient, comme d'autres entreprises publiques de ce pays, dans les chiffres rouges. Un travail considérable a été effectué par tous pour sortir de ces chiffres rouges. Il s'agit, bien sûr, en premier lieu de ceux qui sont au front: les collaboratrices et les collaborateurs des Services industriels. Il s'agit, ensuite, de leur encadrement. Il s'agit également de leur direction. Il s'agit, enfin, des responsables politiques que sont tant le Conseil d'Etat que le Grand Conseil, qui ont accompagné les Services industriels non seulement dans la sortie des chiffres rouges, mais également dans la voie des profits.
Vous savez bien, Mesdames et Messieurs les député - et en particulier ceux d'entre vous qui ont siégé durant la dernière législature - que ce dossier a constitué un travail important pour le parlement. Il a impliqué plusieurs révisions législatives ainsi qu'une réflexion de fond sur la définition d'une entreprise publique, sur la définition du rôle de l'Etat par rapport à cette entreprise publique ainsi que sur la distinction entre les tâches relevant de l'autorité organisatrice et celles relevant de l'opérateur que sont les Services industriels. C'est grâce à ce travail que les Services industriels sont capables, depuis deux ans, de réaliser des profits - et des profits importants, puisqu'il s'agit d'une centaine de millions !
Je dirai encore un mot sur cette entreprise que j'aime et à laquelle je veux rendre hommage. Je vous invite à observer les chiffres, à examiner un certain nombre d'indicateurs. Etudiez notamment l'évolution des marges des Services industriels, l'évolution des biens qu'ils vendent et des produits qu'ils commercialisent, puis mettez ces chiffres en parallèle avec des indicateurs tels que le développement du nombre de collaborateurs ou encore le taux d'absentéisme ! Il s'agit là des indicateurs employés lorsqu'on se trouve à la tête d'une entreprise. Voilà les propos que j'avais envie de vous tenir, car les Services industriels sont une entreprise dont notre canton a tout lieu d'être fier !
Cette entreprise dont nous sommes fiers réalise aujourd'hui des profits importants. Comme il ne s'agit pas d'une entreprise capitaliste et qu'elle ne doit donc pas redistribuer ses profits à ses actionnaires, il est normal qu'elle redistribue les profits réalisés à la collectivité, aux citoyennes et aux citoyens, aux différents consommateurs d'énergie. Cela est tout à fait logique, puisqu'une entreprise publique n'a pour vocation ni de perdre de l'argent, ni d'en gagner: elle a pour seule vocation de vendre ses prestations au plus juste prix.
Qu'en est-il de ce juste prix ? Si l'on se livre à une comparaison avec les prix pratiqués dans le reste de la Suisse et en Europe, on constate que l'électricité payée par les ménages genevois se situe à peu près dans la moyenne - plutôt dans la partie inférieure de la moyenne. La plus grande partie de la population genevoise reçoit cette prestation qu'est l'électricité à un prix inférieur à celui pratiqué dans le reste du pays. Il n'en va, en revanche, pas de même s'agissant des gros consommateurs. C'est donc fort logiquement que les Services industriels ont décidé de redistribuer le profit qu'ils ont réalisé et de porter une attention toute particulière aux gros consommateurs dans le cadre de leur réflexion quant à la redistribution de ce profit.
Quelle somme parle-t-on de redistribuer ? On parle de redistribuer une somme de l'ordre d'une cinquantaine de millions. Pourquoi 50 millions, et pas 100 millions ? Parce que les Services industriels ont consenti - et consentent chaque année - à des investissements importants, qu'ils n'entendent pas se trouver dans une situation d'un trop gros endettement de manière à garder une bonne capacité d'autofinancement et que, dans le cadre de leur planification financière portant sur plusieurs années, ils jugent sage et raisonnable de conserver une certaine marge.
Le point sur lequel ma position pourrait diverger de celle du rapport de minorité - dont, vous l'imaginez bien, je comprends tout à fait les finalités et les intentions - c'est sur le procès d'intention ou, du moins, sur la crainte formulée quant à la façon dont les Services industriels redistribueront cette somme de 50 millions. Il y a mille façons de procéder à cette redistribution. Les Services industriels pourraient, par exemple, redistribuer ces 50 millions selon le modèle bâlois. Je vous rappelle que ce modèle consiste à remettre des chèques aux consommateurs d'électricité - qu'il s'agisse de ménages ou d'entreprises; lorsqu'il s'agit d'entreprises, ces chèques sont remis sous forme d'abaissement des charges sociales. On pourrait également imaginer que cette somme soit redistribuée selon le modèle zurichois - lequel vise notamment à subventionner des audits énergétiques pour les entreprises et à promouvoir des baisses de tarifs. On pourrait imaginer que cette redistribution se fasse encore selon un autre modèle - et, pourquoi pas, selon un modèle genevois. En effet, nous nous penchons actuellement, en collaboration avec le Service cantonal de l'énergie, sur la révision du système actuel de tarification de l'électricité. Le futur système devrait être très incitatif pour ceux qui font des économies d'énergie et dissuasif pour les gaspilleurs. Cette politique sera induite par des structures de tarifs, et non par des pénalisations. Il s'agit d'un système assez subtil dont nous devrons discuter. Peut-être existe-t-il encore d'autres possibilités.
A ce stade, je pense qu'il vous faut prendre acte des données figurant dans le budget. Ce dernier se fonde sur l'idée que les Services industriels devront, l'année prochaine, organiser leur activité de manière à réaliser un profit - et un profit de l'ordre d'une centaine de millions. Pour le surplus, il faudra veiller à ce que la redistribution de ce profit ne se fasse pas de manière contraire aux objectifs de la politique cantonale de l'énergie voulue par le Grand Conseil. Je vous rappelle que cette politique a été votée par votre parlement sur proposition du Conseil d'Etat et que l'autorité publique - le Conseil d'Etat et ses divers services, notamment le Service cantonal de l'énergie - a pour mission et pour devoir de l'appliquer. Sachez que, lorsque des nouveaux tarifs lui seront soumis, le Conseil d'Etat sera attentif à ce que ceux-ci ne soient pas contraires aux objectifs de notre politique de l'énergie. Puisque l'on a évoqué une motion qui sera prochainement examinée par votre parlement, j'ajouterai la chose suivante: si cette proposition de motion avait été traitée par votre Grand Conseil aujourd'hui, je vous aurais proposé de l'accepter. Cette motion nous demande en effet une étude et j'estime qu'il n'est jamais nocif de mener une réflexion approfondie avant de prendre une décision.
Voilà les raisons pour lesquelles je ne vous demande pas de signer un chèque en blanc aux Services industriels, mais je vous demande également de ne pas non plus voter contre eux une motion de censure. Il n'y a ainsi, à mon sens, absolument aucune raison de s'opposer au budget qui vous est présenté aujourd'hui. (Applaudissements.)
Des voix. Bravo, Cramer !
Le président. Merci, Monsieur le président du Conseil d'Etat. Nous allons maintenant procéder au vote électronique.
La loi 9092 est adoptée en premier débat.
La loi 9092 est adoptée article par article en deuxième débat et en troisième débat.
Mise aux voix, la loi 9092 est adoptée en troisième débat par article et dans son ensemble par 60 oui contre 2 non et 8 abstentions.
Le président. Nous avons bien avancé nos travaux. Je vous remercie de la bonne tenue de nos débats. Nous reprendrons nos travaux demain à 15h. Je vous rappelle que, compte tenu de la prestation de serment qui aura lieu demain dans cette salle, vous êtes priés d'emporter toutes vos affaires avec vous ce soir. Bonne soirée et bon retour dans vos foyers !
La séance est levée à 22h45.