Séance du
jeudi 13 novembre 2003 à
17h
55e
législature -
3e
année -
1re
session -
1re
séance
Discours de M. Bernard Lescaze, président sortant
Discours de M. Bernard Lescaze, président sortant
Le président. Force n'est pas droit. Chaque jour, le brocart médiéval trouve quelque nouvelle application. Sur le plan international les exemples abondent. Comment ne pas regretter l'absence, au niveau mondial, malgré les efforts de nombreuses organisations internationales comme Amnesty International ou la Commission internationale des Juristes, d'une institution analogue à la commission des visiteurs de prison du Grand Conseil. Il y aurait tant à faire du côté de Guantanamo et ailleurs.
Sur le plan local aussi, «force n'est pas droit», qu'il s'agisse de la procédure parlementaire, dans les limites étroites de cette salle, ou de la sécurité physique, sociale, économique ou psychique qu'on peut déceler à Genève.
Durant cette année parlementaire où, quoi qu'il paraisse, nous avons traité plusieurs centaines d'objets et voté plusieurs dizaines de lois - ce qui n'est certes pas un gage de qualité - à de nombreuses reprises, le fonctionnement de cette institution a été évoqué. Des remèdes ont été proposés (parfois pires que le mal) et ingurgités grâce aux efforts de la majorité parlementaire. Espérons que les effets secondaires de l'abandon pur et simple, sans cautèle, de la préconsultation ou de la suppression totale de l'interpellation urgente orale ne se feront pas sentir trop rapidement !
Au-delà de son rôle de contrôle de l'exécutif et de fixation des cadres budgétaires, un parlement est là pour débattre et, si possible, de l'essentiel avant l'accessoire. Il doit pour cela entretenir un dialogue ferme, constant et courtois avec le gouvernement qui, en retour, doit pouvoir s'appuyer sur une majorité qui l'épaule.
L'une des difficultés majeures de cette année, mises à part les élections successives au Conseil fédéral (qui ont connu un triomphe genevois) au Conseil d'Etat, aux Conseils municipaux et administratifs pour s'achever par les élections fédérales, provient de l'inadéquation entre la majorité parlementaire et la ligne majoritaire suivie par le Conseil d'Etat. Ce constat peut paraître surprenant. Il n'en est pas moins réel. Cela crée une incertitude d'autant plus dommageable que l'administration gouverne quand le gouvernement administre.
Nous avons tenu à maintenir les prérogatives du Grand Conseil et à veiller à l'application de la loi, en particulier pour ce qui regarde les élections judiciaires. Le Conseil d'Etat était libre de ne pas organiser l'élection populaire prévue par la loi et la constitution en s'appuyant sur une interprétation controversée de la première. Le Grand Conseil prendra ses responsabilités pour modifier la loi, afin que les élections judiciaires se déroulent en conformité avec la nouvelle loi et en accord avec les voeux du Conseil d'Etat, mais sans risquer un recours au Tribunal fédéral, ce qui fait toujours mauvais genre.
Or la «judiciarisation» de la vie quotidienne se projette aussi dans la vie politique. Certaines décisions du Grand Conseil sont attaquées en justice. Tous les recours au Tribunal fédéral ont été, cette année, gagnés par le Grand Conseil, y compris la validation d'une initiative populaire mêlant deux sujets distincts. Mais cela ne durera peut-être pas.
Force n'est pas droit. L'année écoulée a vu s'affronter au parlement comme dans les rues de Genève des opinions bien tranchées. Il faut regretter que certains casseurs aient honteusement profité de la naïveté des uns et de l'indulgence des autres. (Applaudissements.)Ils ont contribué à répandre un sentiment d'insécurité, souvent fallacieux, mais qu'il convient de prendre très au sérieux, parce qu'il est d'abord dans les têtes.
Cependant, les incivilités multiples qui transforment les véhicules des transports publics genevois en épave ou en étable, les murs de la ville en panneaux de tags, les trottoirs en dépotoirs, les préaux en lieux de violence ou de racket, et même les séances de ce parlement (parfois) en corrida ou en théâtre guignol, ces incivilités ne doivent plus être tolérées. Halte aux «voyouteries» ! Qu'à défaut d'un souffle pur qui enveloppe les coeurs et les esprits, les murs et les rues de la ville soient nettoyés. Puisse ce Grand Conseil, dans ces temps difficiles, se souvenir que le nombre des chômeurs augmente, que celui des défavorisés s'accroît et qu'il y a toujours des mal logés et des sans-logis.
Seulement, pour construire, il faut oser démolir. A de nombreuses reprises, les travaux parlementaires ont porté sur les questions d'aménagement du territoire ou de logement. Les uns veulent bétonner les espaces verts privatifs: champs et jardins, les autres construire en hauteur. Il appartiendra au Grand Conseil encore bien des fois de se prononcer à ce sujet, car, à Genève, on classe et on déclasse. On classe les immeubles, on déclasse les terrains. On classe les dossiers, on déclasse les propriétaires.
Il est vrai que les jeux politiques n'intéressent qu'une minorité d'habitants. Malgré le vote par correspondance et par Internet, trois habitants sur dix s'expriment, tandis que quatre sur dix s'abstiennent et que trois sur dix n'ont pas le droit de vote. Cette proportion, Mesdames et Messieurs les députés, n'est pas meilleure ni pire que celle de la Genève oligarchique du XVIIIe siècle. Le suffrage universel n'y a rien changé, et c'est là un sujet de réflexion. Que la majorité des actifs n'aie pas le droit de vote en est un autre. Laissons là ces sujets qui fâchent !
Au cours de l'année écoulée, votre président s'est efforcé d'éviter les écueils et les récifs où certains voulaient l'entraîner; la vie parlementaire n'est pas un long fleuve tranquille... chutes, cascades, tourbillons, courants contraires, berges effondrées l'accompagnent. Il a fallu naviguer entre bâbord et tribord pour avancer tout droit, imperturbablement, en gardant l'équilibre parfois plus évident à l'observateur extérieur qu'à l'occupant de la barque.
Avant de lâcher la barre, je tiens à remercier Mme le sautier, et chacune et chacun des membres du service du Grand Conseil, dont j'ai pu apprécier le dévouement, l'efficacité et la perspicacité tout au long de l'année présidentielle. De même, j'adresse ma gratitude à un équipage formidable: les membres du Bureau, en particulier, à Pascal Pétroz qui saura manier l'humour, la convivialité, la rigueur et la fermeté comme il le souhaite pour diriger cette assemblée dont les sièges et les lumières ont été refaits à neuf, à défaut de pouvoir modifier l'architecture de la salle en introduisant, par exemple, une tribune de l'orateur ou un hémicycle.
Mais c'est à vous, Mesdames et Messieurs les députés, que s'adresseront mes derniers remerciements, pour m'avoir permis d'exercer cette présidence et me rendre désormais le bien le plus précieux d'un parlementaire: sa liberté de parole. (Applaudissements.)