Séance du vendredi 19 septembre 2003 à 17h10
55e législature - 2e année - 11e session - 69e séance

PL 8956
Projet de loi de MM. Bernard Lescaze, Pascal Pétroz, Jean-Claude Dessuet, André Reymond modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (B 1 01)

Préconsultation

Le président. Pour l'Alliance de gauche, Monsieur Vanek, vous avez la parole. Nous sommes en préconsultation, ce qui signifie que chaque groupe a cinq minutes pour s'exprimer.

M. Pierre Vanek (AdG). Monsieur le président, je me demandais si, par courtoisie envers les autres...

Le président. Comme vous le voyez, Monsieur Vanek, ce projet de loi a été préparé par certains membres du Bureau, et il n'est pas prévu qu'ils prennent la parole... Cet objet sera renvoyé en commission, mais, vous pouvez, bien entendu, vous exprimer...

M. Pierre Vanek. Je vous remercie, Monsieur le président, de cette précision selon laquelle les auteurs ne désirent pas s'exprimer...

Ce projet de loi comprend trois mesures. La première, et peut-être la plus importante, consiste à admettre que le Grand Conseil peut passer à la discussion immédiate d'un projet de loi, comme c'est déjà le cas aujourd'hui. Il est possible de demander la discussion immédiate d'un projet de loi en cas d'urgence et de surseoir à son renvoi en commission.

La discussion immédiate pose problème, puisque cela signifie qu'il faut traiter sur le siège l'ensemble d'une discussion qui peut parfois être complexe. Mais surtout, avec cette mesure, le Grand Conseil dispose de la possibilité, à l'issue du tour de préconsultation - au cours duquel cinq minutes par groupe sont octroyées aux députés - de refuser tout simplement la prise en considération d'un projet de loi, de ne pas le renvoyer en commission, et, en conséquence, de le rayer de tous les travaux du Grand Conseil.

Je suis poli: cela revient, après un tour de préconsultation - pendant lequel un député par parti s'exprime pendant cinq minutes - à pouvoir mettre purement et simplement un projet de loi à la poubelle !

C'est une possibilité qui n'existait pas jusqu'à maintenant et qui pose un réel problème, car cela veut dire qu'une majorité de ce Grand Conseil peut, de fait, refuser le débat sur les propositions soumises par la minorité... L'expérience de la législature monocolore 1993-1997 a vu l'Alliance de gauche, mais aussi d'autres partis de l'Alternative, déposer toute une série de projets de lois. Ces derniers n'agréaient pas à la majorité, mais, du moins, avons-nous pu en débattre et, cas échéant, revenir en discuter dans cette enceinte après les travaux en commission. Et les citoyennes et citoyens ont pu se faire une opinion sur les positions politiques et les propositions politiques des uns et des autres ! Cette opinion s'est ensuite traduite - il y en a eu d'autres depuis - par un renversement de majorité.

Par rapport au droit des députés et des groupes de cette enceinte de déposer des projets de lois - ce qui est un acte essentiel - ce projet de loi donne tout simplement la possibilité d'escamoter le débat. Et cela, au nom de l'efficacité ou du gain de temps des travaux de notre Grand Conseil ! Cette mesure est pour nous tout à fait inacceptable ! Elle signifie qu'on élude le débat, comme on l'a fait - je ne vais pas rouvrir une polémique - tout à l'heure pour le paquet fiscal, en refusant d'inscrire un projet de loi à l'ordre du jour !Bien sûr, cette inscription à l'ordre du jour ne préjuge pas de l'issue de la discussion, mais les citoyennes, les citoyens et les électeurs de tout bord ont le droit de suivre, d'écouter, de voir, les débats, les arguments développés par les uns et les autres autour de propositions législatives !

Cette mesure fournit un instrument à une majorité, quelle qu'elle soit, pour éluder les débats sur les propositions de projets de lois qui ne lui conviennent pas. Il est d'ailleurs dit dans l'exposé des motifs que cela permettra, je cite: «d'écarter un projet en évitant une discussion immédiate qui n'apportera rien de concret...». C'est l'argument que vous donnez dans votre exposé des motifs !

Alors, j'entends bien que, quand la gauche - ou l'Alternative - dépose des projets de lois, ceux-là ont peu de chance d'aboutir, étant donné que l'Entente détient la majorité, d'abord en commission et ensuite en plénière ! Mais ce n'est pas parce que vous avez la majorité que vous devez éluder le débat en refusant ces projets, sous prétexte que nos arguments n'apportent rien de concret.

Non, Mesdames et Messieurs, comme le disait Michel Balestra, député libéral...

M. John Dupraz. On ne parle pas des absents !

M. Pierre Vanek. Mais je vais en dire du bien ! Il disait quelque chose d'intelligent: que, lorsqu'on a la majorité, on vote, et que, lorsqu'on a la minorité, on parle... Eh bien, il avait raison ! Effectivement, les députés de la minorité ont un rôle d'opposition, c'est-à-dire qu'ils doivent s'exprimer, faire des propositions, critiquer la politique de la majorité et préparer l'opinion à un éventuel renversement de cette majorité, à une alternance... C'est la règle du jeu démocratique, et c'est ce que ce projet de loi remet en cause. Il se présente sous des apparences techniques et modestes; les auteurs ne désirent même pas prendre la parole pour le défendre, mais, en réalité - et c'est très grave - il remet en cause assez fondamentalement les règles du fonctionnement de notre parlement.

J'aimerais dire aussi...

Le président. Il est temps de conclure, Monsieur Vanek ! Votre temps de parole est épuisé...

M. Pierre Vanek. Nous avons parlé jusqu'à présent des mesures concernant les projets de lois consistant à limiter le débat à une prise de parole par groupe qui n'excède pas cinq minutes pour les motions et les résolutions... Je conclus en disant tout le mal que je pense des autres propositions de ce projet de loi. Cela revient concrètement à supprimer le débat ! Un débat est un échange d'arguments: un orateur s'exprime, un autre lui répond, puis, cas échéant, des amendements peuvent être formulés sur une motion ou une résolution. Normalement, une vie politique doit pouvoir avoir lieu dans cette enceinte ! Si chaque porte-parole de chaque groupe doit se contenter de lire un texte et qu'il n'y a pas d'échange possible - puisque personne ne pourra répondre - il ne peut pas y avoir de débat ! A ce moment-là, autant faire l'ensemble de la procédure par écrit et éviter les réunions de ce parlement, où, justement parce que nous pouvons nous exprimer, nous échangeons des idées et, surtout, nous nous faisons entendre de la population qui nous a élus pour réaliser ce travail.

Nous avons donc décidé de rejeter ce projet de loi, auquel nous nous opposerons avec vigueur.

Le président. La parole a été demandée par M. Charbonnier, par M. Annen et M. Kunz. Les débats montrent qu'il faut rationaliser nos discussions. Monsieur Charbonnier, vous avez la parole !

M. Alain Charbonnier (S). Comme M. Vanek l'a déjà dit, ce projet de loi comporte en fait trois volets.

Le premier concerne la prise en considération ou non d'un projet de loi. Nous avions déjà cru comprendre les intentions de la majorité actuelle lors de l'étude, en commission, du projet de loi 8703 qui traite précisément de la procédure relative aux projets de lois, puis, plus spécialement, lors de l'examen de l'alinéa concernant la discussion immédiate. Le rapport, qui sera bientôt inscrit à l'ordre du jour de la prochaine séance plénière, démontre ces intentions qui se font plus claires aujourd'hui...

L'exposé des motifs de ce projet de loi 8956 enfonce le clou... Je cite: «...dans certains cas, le Grand Conseil, dans sa majorité, souhaiterait simplement pouvoir écarter le projet en évitant une discussion immédiate qui n'apportera rien de concret et un inutile passage par une commission parlementaire.» Et cela, évidemment, selon le souhait d'une majorité de ce parlement !

La tradition démocratique, toujours respectée ces dernières années et pendant les quatre ans de majorité de l'Alternative, consistant à renvoyer tout projet de loi en commission, serait ainsi balayée par ce projet de loi... Nous nous y opposerons par tous les moyens !

Le deuxième volet concerne le traitement des motions et des résolutions. La proposition de vouloir rendre plus efficaces les travaux de notre parlement est certes louable, je crois qu'il n'est pas nécessaire de le dire. Mais il ne faut pas tout mettre dans le même panier ! Si nous souscrivons au fait qu'un temps de parole de trois fois sept minutes par député engendre parfois des débats de préconsultation disproportionnés pour une motion renvoyée ensuite en commission, retravaillée, puis retournée en plénière, il faut garder à l'esprit qu'une motion peut être renvoyée par la majorité du Grand Conseil, amendée ou non, directement au Conseil d'Etat. Mais, dans ce cas, il faudrait que ce soit après un vrai débat démocratique ! Alors, un temps de parole de cinq minutes par groupe se révélera probablement largement insuffisant !

Le troisième volet concerne les interpellations urgentes écrites, et les mesures préconisées rencontrent elles aussi notre opposition. Le rapport sur le projet de loi 8728, qui figure au point 24 de notre ordre du jour, va être débattu sous peu et diminuera drastiquement la possibilité de développer des interpellations urgentes orales - plus qu'une seule par groupe. Ce projet de loi propose que la réponse du Conseil d'Etat à une interpellation urgente écrite ne se donne plus oralement, mais par écrit...

Nous ne sommes pas des conservateurs acharnés, nous souhaitons seulement conserver ces rares moments publics de proximité et d'échange avec le Conseil d'Etat que nous permettent d'avoir les réponses aux interpellations urgentes orales ou écrites.

Même si nous sommes soucieux de la crise que connaît le travail parlementaire, nous refusons tous ces projets de lois, passés et futurs, qui occultent un réel débat de fond et qui n'ont qu'un seul but: museler la minorité !

M. Bernard Annen (L). «Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la gale»... C'est un adage bien connu. Naturellement, certains invoquent l'argument de la démocratie en disant que nous utilisons des procédures antidémocratiques. Ô Dieu, qui pourrait s'opposer à un tel argument ? Personne ! La moindre des choses, c'est au moins d'en parler.

Le projet qui nous est soumis ce soir présente un certain nombre de défauts et d'inconvénients, certes, mais, au moins, il va dans le sens de la démocratie, puisqu'il propose que l'ensemble des points de l'ordre du jour soient traités pendant la session.

Monsieur Vanek, le jour où vous cesserez d'enliser les débats - exprès ! - et de ralentir nos travaux... Vous, Monsieur Vanek, en particulier, mais d'autres aussi... (Exclamations.)Alors, nous pourrons parler de démocratie !

A quoi assistons-nous, Monsieur le député ? Tout simplement, à un retour de balancier !

En commission, vous dites toujours qu'il est possible de s'autodiscipliner... Si j'en crois ce qu'on m'a dit sur la séance de tout à l'heure... (Commentaires.)Vous avez contesté les extraits de l'ordre du jour - alors que cela fait plus d'une année que cette procédure est appliquée - et cela uniquement dans le but de retarder nos travaux ! Et vous dites, avec la plus complète mauvaise foi, que cette procédure n'a pas de base légale... Tranquillisez-vous, Monsieur, je suis en train de préparer cette base légale, et je vous la remettrai !

Alors, Monsieur Vanek, nous devons choisir entre respecter l'ordre du jour et nous prononcer sur les objets soumis - ce que nos concitoyens attendent de notre part - ou entendre vos balivernes ! (L'orateur est interpellé.)Je suis pour la démocratie ! Et nous traiterons de ce projet... (Exclamations.)

Une voix. Tu te tais un peu !

Le président. Monsieur Vanek, je vous en prie !

Une voix. Ecrase, Vanek !

M. Bernard Annen. Monsieur le président, je continue... A mon avis, ce projet de loi est un retour de balancier. C'est pourquoi, en commission, nous devrons être raisonnables et tenter de trouver les moyens de faire avancer nos travaux parlementaires. Si certains, ici, pensent qu'il est malin de faire traîner les débats pour embêter tout le monde dans ce parlement, je pense, moi, que ceux qui jouent à cela, quels qu'ils soient, ne sont pas dignes d'estime !

Une voix. On est élu par le peuple ! (Le président agite la cloche.)

M. Bernard Annen. Ils portent l'entière responsabilité des modifications du règlement de ce Grand Conseil ! Et il y en aura d'autres ! Vous n'êtes pas d'accord... Vous voulez toujours parler, parler, parler... Mais, Monsieur Vanek, vous parlez souvent pour ne rien dire ! (Applaudissements.)

M. Pierre Kunz (R). Depuis 1993 est apparue dans ce parlement une catégorie de députés un peu particulière qui n'avait pas été recensée ici probablement depuis les années 30, à l'époque de Léon Nicole et compagnie... (Rires.)

Je veux parler de la catégorie des agitateurs ! Les agitateurs qui sont capables de parler au peuple, qu'ils soient sur un tank, qu'ils soient sur un caillou, qu'ils soient dans ce parlement !

Une voix. T'es jaloux ?

M. Pierre Kunz. Cette attitude n'a qu'un seul inconvénient, c'est qu'elle paralyse complètement le travail de ce parlement. Et le discours que nous a fait tout à l'heure M. Vanek me désole non pas tellement parce qu'il l'a tenu - puisqu'il y a maintenant parmi nous des personnes comme lui, nous savons à quoi nous attendre - mais parce que je vais être obligé, en commission des droits politiques, de l'entendre trois fois plus...

Je suis donc d'avis que l'attitude adoptée constamment par certains ici mérite - comme l'a dit le député Annen - que l'on y mette fin ! Et les mesures de contrebalancier auxquelles il se réfère sont parfaitement adéquates. Vous n'avez pas fini, Mesdames et Messieurs les agitateurs, de voir les conséquences de votre attitude antidémocratique ! (Applaudissements.)

Le président. La parole est à M. Patrick Schmied, pour le parti démocrate-chrétien. Nous sommes en préconsultation. Un député par groupe peut s'exprimer. Allez-y, Monsieur Schmied.

M. Patrick Schmied (PDC). Le groupe démocrate-chrétien soutient fermement ce projet de loi, qui est frappé au coin du bon sens...

Il n'est pas acceptable, vis-à-vis des électeurs qu'on invoque si souvent ici - ces citoyens absolument dégoûtés de ce qu'ils voient à la télévision - de laisser traîner des dizaines de projets de lois qui concernent leur vie de tous les jours pour le plaisir de donner son avis sur le dernier article de presse qu'on a lu ce jour-là ! C'est inadmissible, et cela doit cesser !

Les projets de lois qui nous sont soumis ici sont tout à fait raisonnables, et nous les soutiendrons en commission.

Quant à museler la minorité, excusez-moi, mais vous êtes un peu paranoïaques, et ça ne peut que nous faire sourire ! (Applaudissements.)

M. Antonio Hodgers (Ve). Si la volonté de certains, de réduire un peu le temps de parole dans cette enceinte, nous paraît légitime - car il est vrai que nous nous étendons beaucoup trop sur les objets portés à notre ordre du jour - il faut faire attention à ne pas aller trop loin. Et, à mon sens, ce projet va un peu trop loin dans la restriction de l'expression dans ce parlement.

M. Vanek l'a dit - mais c'est une constante de n'importe quel système démocratique, avec une majorité et une minorité - le droit de la minorité, pendant quatre ans, consiste à pouvoir parler, ce qui est finalement son seul droit. Et c'est grâce à cela que la démocratie fonctionne ! C'est peut-être parce que la minorité s'exprime pendant quatre ans que les électeurs sont convaincus, à l'échéance électorale, de changer de majorité.

Alors, pour une restriction du temps de parole, usage très développé dans notre parlement: oui ! Quant à la restriction de n'attribuer qu'une seule fois la parole par groupe durant cinq minutes: c'est trop ! D'autant plus que ce projet de loi, ne concernant que certains de nos objets parlementaires, risque d'induire un effet pervers: la minorité voulant parler davantage, elle utilisera d'autres types d'objets - comme les projets de lois - pour pouvoir s'exprimer sur certains problèmes, usant ainsi pleinement de la liberté qui est la sienne. Je vous rends attentifs à cet aspect des choses, parce que c'est bien ce qui pourrait se produire si vous alliez trop loin !

Finalement, un des problèmes que nous ne pouvons pas nier dans ce débat sur la «parlotte» au sein de ce parlement, c'est que c'est nous, les hommes, qui nous exprimons plus longuement que les femmes... A ce niveau-là, nous - les Verts - sommes assez à l'aise, puisque nous ne sommes pas réputés pour être très bavards. Et je crois que le fait que la plupart des députés des Verts sont des Vertes n'y est pas étranger... Dès lors, pour introduire le débat prochain sur une représentation équitable des sexes, on peut dire qu'une présence féminine accrue dans ce parlement aurait certainement pour effet de diminuer le temps de parole. (Applaudissements.)

Ce projet est renvoyé à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil.