Séance du
vendredi 29 août 2003 à
8h
55e
législature -
2e
année -
10e
session -
62e
séance
M 1444-A
Débat
M. Pierre-Louis Portier (PDC), rapporteur. Vous l'avez constaté, c'est dans sa séance du 10 septembre 2002 que la commission des affaires communales, régionales et internationales a traité la motion de la Ville de Genève.
A ce moment, la commission avait déjà fait état de ce que nous nous étions préoccupés de ce problème dès février 2001. C'est dire que l'objet qui nous est soumis a été examiné depuis longtemps par notre Grand Conseil, et cela très sérieusement - les députés qui siégeaient lors de la dernière législature doivent s'en souvenir...
Néanmoins, la commission des affaires communales souhaite que ce problème continue à être suivi de près et elle vous propose donc - comme je le dis en page 2 de mon rapport - de renvoyer cette motion 1444 au Conseil d'Etat, de façon à obtenir de la part de ce dernier un rapport exhaustif sur la situation actuelle de la sécurité au Tunnel du Mont-Blanc.
M. Christian Bavarel (Ve). Aujourd'hui le tunnel du Mont-Blanc est ouvert aux poids lourds et dans les deux sens...
Je rappellerai simplement, du point de vue de la sécurité, que le tunnel du Mont-Blanc fait 7 mètres de large, soit la largeur d'une cage de football et qu'on fait rouler des camions dans les deux sens à l'intérieur d'une cage de football sur des kilomètres et des kilomètres... Nous savons pertinemment qu'il y aura de nouveau, à un moment ou à un autre, un accident dans le tunnel du Mont-Blanc si rien n'est fait pour changer cela.
Deuxième point: les transports en poids lourds sont souvent absurdes; un accident a encore eu lieu cet été dans le tunnel du Gothard,; un camion a brûlé - il a, heureusement, réussi à sortir du tunnel - qui «promenait»... des couches-culottes ! Et je dis bien «promenait» parce que je ne comprends pas la raison impérative de transporter ces couches-culottes par camion! Je ne suis pas sûr du tout que ce soit le transport adéquat pour ce type de marchandises.
Nous pouvons, par exemple, aussi constater que des tomates produites en Hollande sont transportées en Italie pour y être mises en boîtes puis retournées en Hollande pour y être vendues ! Nous sommes confrontés à des situations aberrantes ! Nous devons changer de mentalité à propos des modes de transport que ce soit pour les marchandises ou pour les personnes. Nous voyons de manière un peu désespérée que même des accidents extrêmement graves ne font encore pas évoluer les mentalités! Et nous nous demandons combien d'accidents devront encore survenir pour que l'on prenne conscience de la gravité des problèmes engendrés.
Nous vous proposons donc, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
M. Christian Brunier (S). J'aimerais tout d'abord saluer le climat constructif des travaux de commission. Tous les commissaires autour de la table avaient compris que l'on ne tirait pas politiquement profit d'une catastrophe, et j'espère que les débats d'aujourd'hui seront menés dans le même esprit...
Le 24 mars 1999 - vous vous en souvenez - trente-neuf personnes ont disparu dans la catastrophe qui a eu lieu dans le tunnel du Mont-Blanc. A l'époque, bien sûr, tout le monde était consterné, et on peut dire qu'a été ouverte une sorte de foire aux belles promesses en matière de sécurité... Et ces promesses n'ont pas été tenues !
Toute une série de mesures efficaces ont alors fait l'objet de débats: le ferroutage - c'était un débat relativement nouveau pour nos amis de la France voisine et de l'Italie - la création d'un deuxième tube pour assurer la sécurité, la suppression des poids lourds, l'alternance de la circulation... Mais ces mesures ne sont aujourd'hui pas réalisées.
Les belles promesses envolées... On peut dire que les dirigeants de ce tunnel ont entrepris le strict minimum pour donner une illusion de sécurité, se donnant, par là-même, bonne conscience. Cette situation est tout à fait scandaleuse !
Notre canton, qui est actionnaire du tunnel, aussi bien pour la partie française que pour la partie italienne - certes, un petit actionnaire, mais actionnaire tout de même - qui est membre des conseils d'administration de la gestion de ce tunnel aussi bien sur la partie française que la partie italienne, a une responsabilité, même si elle est limitée. De ce fait, nous ne pouvons pas accepter les conditions d'insécurité encore d'actualité dans ce tunnel.
Le passage des poids lourds a été autorisé à nouveau et l'alternance qui avait été mise en place au début, pour calmer les esprits après l'accident, a été supprimée très vite. Seules des demi-mesures ont été prises. Nous pouvons l'affirmer: aujourd'hui la sécurité n'est pas assurée dans ce tunnel, et nous ne pouvons pas l'accepter, je le répète.
De plus, aucune réflexion n'a été menée, suite aux belles promesses qui avaient été faites, sur les aspects environnementaux, et la vallée de Chamonix est à nouveau une vallée sinistrée.
Comment voulez-vous assurer la sécurité, comment voulez-vous assurer le développement durable de la vallée de Chamonix, alors que plus d'un millier de poids lourds passent chaque jour dans ce tunnel, large, comme l'a dit notre ami Christian Bavarel, comme une cage de foot ?
La motion de la Ville de Genève, qui est dépassée sur certains points, puisqu'elle demandait, entre autres, de s'opposer à la réouverture du tunnel - c'est malheureusement un peu tard - reste néanmoins tout à fait d'actualité. Nous devons donc l'accepter aujourd'hui pour deux raisons: la première, pour demander une sorte de bilan des actions que le gouvernement a menées, par rapport à la sécurité et à l'environnement liés à ce tunnel, et pour demander aussi au gouvernement de nous dire sur quelles pistes il travaille actuellement pour assurer au plus vite la sécurité de ce tunnel et la viabilité de cette vallée de Chamonix - du côté italien aussi, au niveau environnemental bien entendu.
Deuxièmement, cette motion est aussi l'occasion de donner un mandat très clair à notre gouvernement - j'espère que ce vote sera unanime - pour qu'il s'oppose à la politique démagogique, qui est menée actuellement par les dirigeants du tunnel, et pour faire en sorte que la sécurité et le développement durable liés à cette installation soient assurés.
M. Sami Kanaan (S). Je n'ai pas grand chose à ajouter aux propos de mon collègue Brunier... J'aimerais simplement être sûr aujourd'hui que ce point restera à l'ordre du jour, car aucune des promesses faites après l'accident dans le cadre d'une situation de choc et d'émotion n'a été tenue. La sécurité a été légèrement améliorée - ça, on ne peut pas le nier - mais de loin pas assez par rapport au danger que représente un trafic de poids lourds dans un tunnel aussi étroit.
Sur le plan du ferroutage, les choses ont peu progressé... Sur le plan du transfert du fret sur le rail, la revalorisation de l'axe Dijon-Vallorbe-Simplon avait été évoquée, mais les choses ont peu bougé. D'ailleurs, des deux côtés de la frontière, les CFF ne progressent pas non plus... Il en est de même pour la voie du Tonkin, l'axe du sud Léman... Même le projet du Mont-Cenis franco-italien est menacé pour des considérations budgétaires!
Pour ce qui est de la sécurité, comme je l'ai dit, le minimum a été fait. Il n'y a toujours pas de galerie de secours, l'alternance du trafic poids lourds a été supprimée et les dirigeants sont revenus ainsi peu à peu sur les quelques mesures concrètes qui avaient été prises. Et les cheminées d'aération sont insuffisantes!
J'aimerais tout de même rappeler que non seulement nous sommes actionnaires, mais encore que de nombreux Genevois empruntent ce tunnel, qui peuvent aujourd'hui croire naïvement que les promesses de l'époque en matière de sécurité ont été tenues. C'est important! Nous avons dit à l'époque, et nous le maintenons, que le seul moyen de rendre ce tunnel sûr pour les véhicules qui l'empruntent, c'est de limiter le trafic des poids lourds au trafic de cabotage régional, comme cela a d'ailleurs été en vigueur pendant quelques mois, c'est-à-dire pour les camions jusqu'à 19 tonnes servant aux transports régionaux de marchandises. Il est évident que l'on ne peut pas remettre cela en question, mais qu'on le peut pour le fret international.
En tant qu'actionnaires, mais aussi dans le cadre de l'Agenda 21, qui, je crois, est la fierté de l'Etat de Genève - cet agenda ne peut pas s'arrêter aux frontières cantonales formelles, car l'espace du Mont-Blanc est une des richesses sur de nombreux plans de notre région, richesse écologique, bien sûr, environnementale, en termes de patrimoine, en termes économiques - nous ne pouvons pas laisser détruire peu à peu cet environnement parce que des promesses n'ont pas été tenues!
M. René Desbaillets (L). Je m'exprimerai en tant qu'automobiliste, agriculteur, citoyen... (L'orateur est interpellé.)Et député! Mais je suis libre de m'exprimer comme je l'entends... Puisque je ne vais pas parler au nom du groupe libéral mais en mon nom propre!
Il est bien évident que ce n'est pas nous, les Genevois, qui allons résoudre le problème de la sécurité, je ne dirai pas du du tunnel du Mont-Blanc, mais des transports en général. Il ne faut pas rêver! M. Brunier et Messieurs des bancs d'en face, dès que vous sortez de votre lit, vous prenez des risques: vous pouvez glisser dans votre salle de bains en prenant votre douche, votre voisin peut manquer un stop, etc.
A mon sens, il faut surtout mener une réflexion globale sur la sécurité de chacun, sur le coût social, sur les conséquences écologiques et économiques des transports inutiles, car il y a beaucoup de transports inutiles! C'est la seule manière de trouver des solutions en matière de sécurité, et pas en faisant du tunnel du Mont-Blanc une espèce de cloche où il n'y aurait aucun risque d'accident! On sait bien que chaque véhicule en mouvement - c'est la loi de la physique - est un risque d'accident en puissance.
M. Pierre Vanek (AdG). L'essentiel a été exprimé... Mon préopinant vient de dire que ce ne sont pas les Genevois qui vont résoudre l'ensemble du problème des transports et il condamne les transports inutiles: il a raison. Mais nous pouvons néanmoins y contribuer, et nous devons précisément prendre conscience de la dimension générale de ce problème. Ce ne sont pas des décisions individuelles qui régleront cette question, mais une orientation politique peut être prise et soutenue le plus largement possible, pour critiquer les transports routiers, leur développement explosif, massif et délétère.
Christian Bavarel faisait tout à l'heure la critique du transport absurde des tomates hollandaises, du nord au sud et du sud au nord, du transport non moins absurde de couches-culottes, et il exprimait son incompréhension à ce sujet. Eh bien, la raison en est la loi du profit maximal ! Les entreprises n'ont plus de stocks. Une bonne partie des marchandises en Europe ne sont plus stockées dans des entrepôts: elles sont en mouvement sur les routes de manière permanente pour maximiser le profit, ce qui donne effectivement des situations absurdes. Bien sûr, la problématique de la sécurité dans le tunnel du Mont-Blanc n'est qu'un symptôme et notre critique peut être étendue, comme l'a fait le député libéral - même s'il ne s'exprimait pas au nom de son parti - au système en général qui engendre des transports inutiles et coûteux, que ce soit sur le plan social, écologique et en termes de vies humaines, comme on a pu le voir au tunnel du Mont-Blanc. La critique de la sécurité de ce tunnel a été faite.
J'insisterai sur l'aspect évoqué par Christian Brunier, à savoir le sens du renvoi de cette motion au Conseil d'Etat. Il ne sera pas simplement une indication d'intérêt pour cette question et le souhait d'obtenir des informations par le biais d'un rapport. Cette motion devra être reçue comme un mandat de notre part pour que le gouvernement mène une politique active s'agissant de la sécurité dans le tunnel du Mont-Blanc.
Monsieur Portier, vous dites dans votre rapport que reste cependant l'interrogation de l'utilité de cette motion communale, qui, en l'espèce, viendrait «comme la grêle après les vendanges»... Certes, la grêle est tombée: le tunnel a été ouvert à nouveau au trafic dans les deux sens et une des invites de la motion demande: «...d'empêcher la réouverture de ce tunnel aux camions tant que des mesures substantielles de sécurité n'auront pas été prises et validées...». De ce point de vue, je crois que le vote d'aujourd'hui sur cette invite doit évidemment être interprété comme une demande de fermeture du tunnel aux transports des camions, ou, pour le moins, que ceux-ci ne puissent pas circuler dans les deux sens en même temps. Comme chacun le sait, c'est une revendication des habitantes et habitants de la vallée de Chamonix qui le manifestent de manière vigoureuse et régulière.
Par solidarité transfrontalière - c'est un mot qu'on a souvent à la bouche - nous devons soutenir ce combat. Pour ma part, et du point de vue de l'AdG, c'est le sens que nous donnons au renvoi de cette motion au Conseil d'Etat.
M. Jean-Michel Gros (L). La conclusion du rapporteur, M. Portier, est tout à fait pertinente. Cette motion montre bien l'inanité des motions communales, et nous sommes très heureux que ce soit l'une des dernières.
Mesdames et Messieurs les intervenants de la gauche, vous avez parlé de sécurité. Parce que vous connaissez les problèmes de sécurité, vous êtes certains que le tunnel du Mont-Blanc ne répond pas aux normes de sécurité... Contrairement au gouvernement français, contrairement au gouvernement italien, non, vous, députés au Grand Conseil de la République et canton de Genève, vous savez mieux que ces gouvernements que le tunnel du Mont-Blanc n'est pas sûr !
Alors, où en sommes-nous maintenant dans les débats ? Nous en sommes à savoir si nous renvoyons une motion au Conseil d'Etat ! Or une motion comporte des invites! Et il ne s'agit pas d'interpréter, comme le dit M. Vanek, le sens de cette motion, qui est devenue vaine vu la réouverture du tunnel du Mont-Blanc, en disant qu'il s'agit simplement qu'on nous tienne informés régulièrement des mesures de sécurité prises...
Mais la motion que nous allons renvoyer au Conseil d'Etat ne demande pas cela: elle demande d'empêcher la réouverture du tunnel ! Et ce sont les invites qui comptent ! M. Vanek l'a très bien dit: si l'on veut vraiment s'en tenir au texte de la motion, c'est de la fermeture du tunnel dont il est question !
Eh bien, Mesdames et Messieurs, il me semble que ce n'est pas tout à fait la bonne solution. Nos prédécesseurs ont mis toute leur volonté pendant des siècles pour arriver à traverser les Alpes - cela a commencé au Gothard, cela a continué au Simplon, au Mont-Blanc, au Fréjus - partout, le but a été de traverser les Alpes pour permettre le transport des marchandises. En Suisse, nous avons choisi une nouvelle option: le transfert de la route au rail. Et nous sommes à peu près tous d'accord pour que ces transports de marchandises se fassent d'une façon plus écologique par le rail.
Mais, Mesdames et Messieurs, la France y vient également, elle prend même la Suisse en exemple ! Et j'ai entendu plusieurs membres du gouvernement l'évoquer. Mais pour le moment rien n'existe en la matière! Le TGV Lyon-Turin n'est pas terminé, ni même la voie de chemin de fer. Il est encore tout à fait nécessaire de traverser les Alpes par le tunnel du Mont-Blanc pour transporter les marchandises en France, même si l'on peut effectivement discuter de l'utilité du transport de certaines d'entre elles. Sachez que, si vous vous adressez aux charmants habitants de la vallée de Chamonix et que vous obtenez la fermeture du tunnel du Mont-Blanc - quoi que j'en doute, je ne crois pas que notre influence soit telle - ce sont les habitants de la vallée de la Maurienne qui en subiront les conséquences... Et je ne vois pas en quoi ces habitants sont moins dignes d'intérêt que les Chamoniards !
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, pour tous ces motifs, nous vous demandons de refuser cette motion. (Applaudissements.)
Le président. Bien, le débat continue avec: M. le député Odier, M. le député Vanek, M. le député Kanaan, puis le Conseil d'Etat. Monsieur Jean-Marc Odier, vous avez la parole.
M. Jean-Marc Odier (R). Je n'avais pas vraiment l'intention d'intervenir sur ce point, mais la remarque de M. Bavarel à propos de la sécurité dans les tunnels et l'exemple du camion qui transportait des couches-culottes qui a pris feu, me fait dire qu'effectivement le trafic routier international a ses limites...
Après avoir consulté mon groupe tout à l'heure, je peux dire que nous sommes d'avis que cette problématique doit vraiment être étudiée globalement et que nous ne devons pas nous en tenir au problème spécifique de l'ouverture ou non du tunnel du Mont-Blanc. Je le répète, le trafic routier international a ses limites.
Vous le savez, je travaille dans le domaine des transports, et ce n'est peut-être pas forcément à moi de le dire, mais je le confirme: autant le trafic routier local a tout lieu d'être, autant le trafic routier international devrait être réduit au profit du rail. Ce mode de transport devrait être étudié de manière globale en Europe. Je ne suis pas sûr que ce soit en prenant une option spécifique sur un tunnel - ouverture ou fermeture - que nous allons appréhender ce problème de manière intelligente.
Je voulais dire une deuxième chose: je ne pense pas qu'il faille avantager le rail en faisant payer le trafic routier. Ce qui est détestable dans la taxe poids lourds, c'est qu'elle touche le trafic international et le trafic local. Et, depuis l'introduction de la taxe poids lourds, il faut savoir que le trafic local à Genève est touché de la même manière que le trafic international, ce qui ne fait qu'augmenter les coûts à la consommation des usagers locaux...
Je vous demande donc de ne pas vous cantonner à prendre une décision à propos de l'ouverture ou non du tunnel du Mont-Blanc et de lui préférer une réflexion globale sur le report du trafic routier sur le rail, et cette réflexion doit se faire au niveau européen.
M. Pierre Vanek (AdG). Bien sûr, Monsieur le député, il faut mener une réflexion globale et essayer de résoudre le problème d'un point de vue général - et je l'ai dit: la question du tunnel du Mont-Blanc et la catastrophe malheureuse qui a eu lieu n'est qu'un symptôme d'une maladie plus générale que vous avez décrite - pour essayer de changer fondamentalement le système de transport et, derrière le système de transport, il y a un certain nombre de causes. Ce ne sont en effet pas de simples choix malheureux ou hasardeux qui ont conduit à ce système de transport, mais des motivations économiques que j'ai expliquées tout à l'heure. Il faut donc être en mesure de faire une critique générale de ce système.
Toutefois, face à un cas particulier qui sert de symptôme et peut servir de point de départ pour un débat comme celui-ci, il faut s'y accrocher et aller jusqu'au bout pour tenter de régler le problème spécifique de la sécurité dans le tunnel du Mont-Blanc, qui est un problème concret.
Vous dites, Monsieur Gros, qu'il est assez incroyable que nous, les Genevois, nous, les députés, ayons la prétention d'en savoir plus que les gouvernements français et italien qui ont étudié le problème de manière très attentive... Il nous est tout de même arrivé assez souvent dans cette enceinte d'en savoir plus que le gouvernement français sur un certain nombre de questions! Je prends l'exemple de la bataille que nous avons menée pour faire fermer - ce qu'ils ont fait, en fin de compte - le surgénérateur de Creys-Malville en France voisine... (Exclamations. Le président agite la cloche.)Et pourtant... (L'orateur hausse le ton.)...une succession de gouvernements français de tous bords ont affirmé que cette installation était très sûre et qu'il fallait continuer à l'utiliser... Et ce n'est pas parce que nous sommes plus intelligents que nous savons mieux de quoi il retourne! C'est parce que nous ne sommes pas dans la situation, fort heureusement, du gouvernement français - nous ne subissons pas la pression des mêmes lobbies et certains rapports de force - que nos avis peuvent être meilleurs que ceux de l'illustre gouvernement français qui siège à Paris! Et nous pouvons effectivement et utilement donner notre avis sur un certain nombre de questions, parce que Genève jouit d'une certaine audience, y compris sur le plan international,
M. Sami Kanaan (S). J'aimerais d'abord rappeler que cette motion a été proposée par la Ville de Genève, en décembre 2001. Le tunnel n'était pas réouvert à l'époque, et il était logique, qu'on soit d'accord ou pas, de se prononcer sur le bien-fondé ou non de sa réouverture.
Si vous critiquez l'inactualité de cette motion, prenez-vous-en à vous-mêmes et à nous-mêmes, le parlement, qui ne sommes pas capables de traiter un objet en moins de dix-huit mois ! A l'époque, cette motion était parfaitement d'actualité... Je vous rappelle que le tunnel a été réouvert au début 2002, trois ans après la tragédie.
Je vous rappelle aussi que, dans un premier temps, les gouvernements si intelligents et si compétents, selon notre collègue Jean-Michel Gros, avaient promis qu'il y aurait un alternat pour les camions, puis ils ont décidé de limiter le trafic aux camions de moins de 19 tonnes... C'était apparemment pertinent à l'époque, mais ce ne l'était plus quelques mois plus tard...
Soyons clairs: on ne peut pas faire confiance sur ce dossier aux autorités franco-italiennes! On ne le peut pas! Parce qu'elles sont malheureusement soumises à de telles pressions de certains lobbies qu'elles n'osent tout simplement pas remettre en question certaines réalités actuelles dans le domaine du trafic poids lourds. Il est vrai que la Suisse est plus en avance dans ce domaine, il est vrai que la France s'y réfère, mais les actes ne suivent pas. Si aujourd'hui, alors que le tunnel est réouvert, nous voyions véritablement progresser la cause du ferroutage et le transfert du fret sur le rail, nous pourrions être un peu plus nuancés. Mais, non, nous ne faisons pas confiance, en aucune manière !
Au nom de la protection de la population genevoise - je ne parle même pas d'écologie ici, mais de sécurité - nous avons la responsabilité de dénoncer ce problème et de le répéter tant que les promesses solennelles faites à l'époque ne seront pas tenues. Car il faut bien dire qu'aucune de ces promesses n'a été tenue, aucune! (Commentaires.)C'est notre responsabilité - c'est la région proche - de nous adresser aux autorités françaises pour le leur rappeler inlassablement !
Nous venons de signer solennellement - début juillet, je crois - la Charte des transports publics régionaux avec les partenaires français. C'est une charte qui a été cosignée par tous les acteurs de tous les échelons politiques concernés: département, région, Etat, pour ce qui est de la France, et par les cantons et la Confédération, pour ce qui est de la Suisse. C'est le moment de mettre les Français face à leurs responsabilités et leurs obligations.
M. Gilbert Catelain (UDC). Je ne vais pas me prononcer sur le fond de cette motion qui a déjà été largement discuté.
Il ne nous appartient pas de discuter de la réouverture ou non du tunnel... Je crois que les deux gouvernements concernés ont pris leur décision. Si des citoyens genevois empruntent ce tunnel, ils le font en toute connaissance de cause. C'est un choix personnel d'emprunter cet itinéraire si on le juge sûr ou de ne pas l'emprunter si on ne le juge pas sûr.
Par contre, comme vous, je ne fais pas entièrement confiance aux autorités françaises et italiennes. Je suis d'avis qu'effectivement, d'un point de vue écologique, c'est une aberration de faire passer le trafic poids lourds par ce tunnel, mais, je tiens à le rappeler, c'est un choix des gouvernements français et italien. Et je pense aussi que, si nous intervenions, ces deux gouvernements nous renverraient à nos chères études et nous demanderaient ce qui se passe au Gothard...
Depuis la réouverture du tunnel du Gothard, malgré l'introduction de la taxe poids lourds liée aux prestations et des forfaits par rapport aux transversales nord-sud entre Bâle/Weil-Autobahn et Chiasso - pour lesquels la Suisse a dû négocier un taux de transit très bon marché - on peut constater une explosion du trafic de transit sur cet axe, alors que votre motion parle effectivement de «dangers graves et avérés que représente le trafic des poids lourds dans les tunnels routiers»... Alors, je crois que nous devrions commencer par balayer devant notre porte !
Actuellement - et l'accident qui a eu lieu cet été le prouve - malgré la mise en place de tout un système de sécurité, d'alternance, au tunnel du Gothard, l'intensité du trafic de transit explose littéralement ! Un personnel fédéral nombreux, qu'on peut estimer à cent ou deux cents collaborateurs, gère uniquement le trafic de transit au Gothard et, en parallèle, pour favoriser ce trafic de transit sur l'axe Nord Sud, la Confédération va investir 20 millions de francs pour moderniser l'infrastructure de Chiasso, alors que l'Italie ne veut pas verser un sou bien que ce sont essentiellement des camions italiens et allemands qui empruntent cette voie.
Alors, soyons cohérents! Si, nous, Genevois, nous ne sommes pas en phase avec ce que décide Berne au niveau du trafic de transit, quelle est notre crédibilité vis-à-vis des gouvernements français et italien? Je vous laisse le soin d'apporter la réponse qui convient.
M. Christian Grobet (AdG). Contrairement à ce que certains ont dit, on ne peut pas prétendre que la sécurité du tunnel du Mont-Blanc ne nous concerne pas - parce que, finalement, c'est bien de cela dont il s'agit - même si le tunnel a été réouvert. M. Kanaan a raison de rappeler que ce n'est pas parce que cette motion n'est plus tout à fait d'actualité qu'on doit écarter le problème de la sécurité du tunnel en disant qu'il ne nous concerne pas.
Je rappelle, contrairement à ce que vient de dire M. Catelain, que la réouverture du tunnel et les dispositions en matière de trafic poids lourd n'ont pas seulement été décidées par les gouvernements français et italien... Peut-être ignorez-vous la structure de la Société du tunnel du Mont-Blanc? Eh bien, sachez que le canton de Genève et la Ville de Genève sont actionnaires de cette société et que les décisions d'exploitation sont prises par les deux comités - puisqu'il y a deux sociétés: la société italienne et la française - de ces deux sociétés, dans lesquelles siègent des représentants du Canton et de la Ville de Genève ainsi que dans le comité mixte.
En conséquence, Mesdames et Messieurs, on ne peut pas se contenter de dire que ce problème ne nous concerne pas, parce que, si demain un accident grave se produit à nouveau dans le tunnel du Mont-Blanc, ce sont bel et bien les représentants qui siègent dans les conseils du tunnel du Mont-Blanc qui seront concernés! J'en parle en connaissance de cause, puisque j'ai représenté l'Etat de Genève pendant huit ans - il y a bien longtemps - dans ce comité, et que je suis intervenu à l'époque dans les problèmes de sécurité. Eh bien, je considère pour ma part que les questions de sécurité ont - hélas! - été négligées au niveau de l'exploitation du tunnel du Mont-Blanc, parce que la priorité était de réaliser le chiffre d'affaires le plus important possible! Il faut savoir que le tunnel du Mont-Blanc était à l'époque - j'emploie un terme peut-être un peu frustre - une «pompe à fric» pour l'Etat italien et l'Etat français. Du reste, la seule préoccupation du comité du tunnel du Mont-Blanc, à l'époque, portait sur la concurrence que faisait le tunnel du Fréjus au tunnel du Mont-Blanc, et des abattements de la taxe de passage étaient accordés aux poids lourds pour les encourager à traverser le tunnel du Mont-Blanc!
Ce n'est qu'à la fin des années 80 que certains Français, notamment M. Pellarin, considérant les réactions dans la région, ont au contraire demandé que des mesures restrictives soient prises par rapport à l'augmentation du trafic. Voilà, c'est une première chose que je voulais rappeler!
Deuxième chose. J'ai appris, au moment de la mise en exploitation du tunnel après les travaux, que les camions qui font près de 4 m de haut ne pouvaient plus se croiser dans le tunnel, parce que le niveau de la chaussée avait été élevé. Et je vous rappelle que le tunnel du Mont-Blanc a été construit dans les années 50 en fonction d'un gabarit qui n'est plus compatible avec les normes européennes actuelles. En raison de l'étroitesse et de la hauteur du plafond du tunnel, il est extrêmement dangereux que les poids lourds se croisent. Comme M. Kanaan l'a rappelé, la décision qui avait été prise que les poids lourds circulent en alternance était tout à fait pertinente, en raison du danger que représente leur croisement, notamment pour ceux qui atteignent 4 mètres de hauteur selon les normes européennes.
J'estime par conséquent, Monsieur Catelain, qu'il n'est pas possible de dire que, si les gens empruntent un tunnel, ils le font en toute connaissance de cause et que cela relève de leur choix... Excusez-moi, mais lorsque vous prenez un train ou que vous montez dans un téléphérique, vous partez de l'idée que les installations ont été contrôlées et qu'elles sont conformes aux normes, sans vous demander si cela représente un danger ou non !
A mon avis, notre canton porte une part de responsabilité comme actionnaire de la société en ce qui concerne la sécurité du tunnel, et cette motion, même si le libellé est dépassé - M. Portier a raison de le dire - doit être renvoyée au Conseil d'Etat pour qu'il examine les problèmes de sécurité et pour qu'il demande pourquoi, effectivement, le comité n'a pas respecté ce qui avait été décidé, ce qui est fondamental, et qui a été rappelé par M. Kanaan. Je me souviens encore des fanfaronnades du nouveau préfet de la Haute-Savoie, et je me demandais justement combien de temps ses déclarations, qui ont toutes été contredites par la suite des évènements, allaient tenir...
J'aimerais ajouter un dernier point. Vous avez raison, Monsieur Catelain, de dire que la Suisse mène une politique exemplaire en matière de transfert, à terme, du transport des marchandises par camions sur le rail. Les pays européens reconnaissent que nous avons une politique d'avant-garde, mais il ne faut pas oublier non plus que la décision qui avait été prise par l'avant-dernier gouvernement français, avec le gouvernement italien, de réaliser le tunnel ferroviaire permettant une liaison entre Paris, Lyon, Turin et l'Italie, a été remise en cause par l'actuel gouvernement français qui ne veut pas réaliser ledit tunnel ferroviaire. Et je pense que nous devons effectivement mettre la pression sur la France pour qu'elle tienne ses engagements. M. Kanaan a raison de dire que, malheureusement, les Français ont l'art du double langage et qu'ils reviennent souvent sur leurs engagements - je cite au passage l'appui financier suite aux évènements du G8...
Il est vital, surtout après l'été que nous avons connu et la pollution générée par tout ce trafic automobile, que nous réagissions! Il est de notre devoir vis-à-vis de Genève et de toute l'Europe, sur le plan environnemental, de promouvoir le trafic ferroviaire et d'intervenir auprès du gouvernement français pour que la France, qui a des moyens financiers beaucoup plus importants que les nôtres, fasse le même effort financier pour rendre possible la traversée des Alpes par le train et ne se contente pas de faire circuler les camions par la route existante.
M. Laurent Moutinot, conseiller d'Etat. Dans toute l'histoire du tunnel du Mont-Blanc, le Conseil d'Etat a toujours donné comme instruction à ses représentants, dans les conseils des deux sociétés, que la traversée de ce massif alpin doit se faire, à terme - et le terme devant être le plus rapproché possible - par le rail et pas par route, en conformité avec la Constitution fédérale, soit les dispositions issues de l'initiative dite «des Alpes» allant dans ce sens.
Nos représentants ont également systématiquement insisté, dans les deux sociétés française et italienne, sur la nécessité d'une sécurité digne de ce nom. Mais il ne faut pas qu'il y ait de malentendu sur nos rôles... Nous sommes actionnaires minoritaires, nous sommes aux conseils des deux sociétés, et nous avons toujours dit - vous avez vu, je crois, certains procès-verbaux - ce que nous avions à dire. Mais nous sommes minoritaires !
Par rapport à l'époque que vous évoquez, Monsieur Grobet, il y a un élément nouveau: c'est qu'une bonne partie des prérogatives des deux sociétés ont été transférées à un GEIE, un groupement économique d'intérêts européens, ce qui fait qu'aujourd'hui les deux sociétés sont pratiquement des coquilles vides...
A cela s'ajoute enfin que, compte tenu de l'importance que vous avez tous reconnue à cet ouvrage, les deux gouvernements prennent la plupart des décisions, dont celle de mettre fin à l'alternat, décision à laquelle nous nous sommes opposés fermement.
A partir de ce moment-là, la discussion avec le gouvernement français et le gouvernement italien - on peut en avoir une au niveau du canton, et on en a une à un certain degré - revient fondamentalement à la Confédération et au département des transports ou à celui des affaires étrangères. C'est à eux de défendre cette politique, car ils sont les interlocuteurs naturels des gouvernements européens et pas nous.
Cela pour vous dire qu'à notre niveau et avec les limites que je viens de rappeler nous nous battrons, bien entendu, à la fois pour le transfert modal et à la fois pour que les ouvrages dans lesquels peuvent circuler nos concitoyens soient sûrs, mais je ne veux pas vous donner l'illusion que nous avons, à nous tout seuls, une capacité d'action importante.
A titre anecdotique, je peux vous dire qu'en avril, soit trois semaines après la catastrophe - j'étais à ce moment-là représentant de l'Etat de Genève au conseil de la société italienne - j'avais parlé de transfert modal... C'est à peu près comme si j'avais dit une insanité, alors qu'aujourd'hui, même si les choses n'avancent pas très vite, c'est un sujet qui est tout de même à l'ordre du jour, y compris de la société italienne.
Le président. Je mets aux voix l'acceptation de cette motion et son renvoi au Conseil d'Etat, comme le propose le rapporteur dans ses conclusions. (Un député demande l'appel nominal.)L'appel nominal est demandé. Cette demande est-elle soutenue? Elle l'est.
Mise aux voix à l'appel nominal, la Motion 1444 est adoptée par 39 oui contre 21 non et 2 abstentions.