Séance du
vendredi 13 juin 2003 à
17h
55e
législature -
2e
année -
9e
session -
53e
séance
La séance est ouverte à 17 h, sous la présidence de M. Bernard Lescaze, président.
Assistent à la séance: Mmes et MM. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat, Robert Cramer, Martine Brunschwig Graf, Carlo Lamprecht, Micheline Spoerri, Pierre-François Unger et Charles Beer, conseillers d'Etat.
Exhortation
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, prenons la résolution de remplir consciencieusement notre mandat et de faire servir nos travaux au bien de la patrie qui nous a confié ses destinées.
Personnes excusées
Le président. Ont fait excuser leur absence à cette séance: Mmes et MM. Gilles Desplanches, Hubert Dethurens, Michel Halpérin, Claude Marcet, Blaise Matthey, Jacqueline Pla, Louis Serex, Ivan Slatkine et Jean Spielmann, députés.
Annonces et dépôts
Néant.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Madame de Haller m'interpelle sur une enseignante française aujourd'hui retraitée, travaillant effectivement à la rédaction d'une thèse portant sur le contenu des manuels et des documents utilisés pour l'enseignement du français dans les écoles secondaires genevoises au XXe siècle. Pour ce faire, elle a besoin des thèmes des examens de maturité de l'année scolaire 2001-2002, tant écrits qu'oraux, et également de la liste des oeuvres sur la base desquelles ces examens ont été organisés. La demande est effectivement attestée par le professeur qui dirige sa thèse, et je peux confirmer l'intégralité des déclarations de Mme de Haller.
Cependant, je crois important d'ajouter que si cette personne n'a pas encore obtenu satisfaction, ce n'est pas qu'il y ait volonté d'entrave, mais simplement une certaine complexité de la tâche. Cette demande concerne en effet douze établissements, dont deux n'ont pas encore intégralement répondu à sa demande. Ce sera chose faite d'ici fin juin.
Cette interpellation urgente est close.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. La question que soulève Mme Roth-Bernasconi mérite notre attention - comme toutes les questions relatives à l'apprentissage - puisque dans ce processus de formation, il y a une dépendance très forte vis-à-vis du marché du travail. Ce que j'aimerais rappeler en préambule à cette réponse, c'est que les stages que vous évoquez sont des stages de trente-neuf semaines, destinés tout particulièrement aux élèves de l'Ecole de commerce ayant passé leur diplôme et cherchant à obtenir, après ce stage et un travail de recherche, leur titre de maturité professionnelle. Durant ce stage de trente-neuf semaines, ils sont payés 1500 F au minimum - c'est le salaire annoncé. Il faut savoir que, chaque année, une centaine de diplômés sont potentiellement intéressés à suivre ce type de stage. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)Il est également important de préciser que le marché du travail à Genève est tendu, puisqu'il y a toujours une difficulté à trouver des stages qui soient formateurs, c'est-à-dire qui permettent de concilier pratique professionnelle et accomplissement du mandat tel qu'il est prévu dans le contrat de stage.
En outre, le département de l'instruction publique et le département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures se sont engagés à faire en sorte que l'ensemble des jeunes intéressés par ce type de stage puissent trouver une place. Ainsi, la structure Interface Entreprises a été créée il y a de cela quelques années. Elle a été fortement mobilisée pour la recherche de stages. Aujourd'hui, le fait que cette structure tienne des permanences et fasse des démarches a permis d'obtenir la réponse de 131 entreprises potentiellement intéressées à recevoir des stagiaires, dont une vingtaine de places dépendent des services de l'Etat. Aujourd'hui, nous pensons qu'il y aura adéquation entre l'offre et la demande, c'est-à-dire entre le nombre de places proposées et le nombre de jeunes intéressés qui n'ont pas encore eu leur diplôme - on peut les évaluer à 80 ou 90 - ajoutés au nombre de jeunes qui l'ont déjà passé au cours d'une année précédente.
Toutefois, étant donné le suivi extrêmement fin opéré par la structure Interface Entreprises, il n'est pas exclu d'entamer de nouvelles démarches, de manière à s'assurer que chaque jeune puisse trouver un stage. Voilà ce que je pouvais dire aujourd'hui par rapport à votre interpellation. On sait qu'il y a 47 candidats issus d'années précédentes, ce qui fait un total de 120 personnes, pour 131 places de stages, et donc un nombre de places suffisant.
Cette interpellation urgente est close.
Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Il y a beaucoup d'agitation en ce moment dans cette salle. Comme nous allons entendre maintenant les réponses du Conseil d'Etat aux interpellations concernant le sommet d'Evian, je souhaite que les députés puissent regagner leurs places. Ceci d'autant plus que plusieurs photographes de divers médias sont présents.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Voici les réponses que j'apporterai à l'interpellation de l'Alliance de gauche: tout d'abord, les dispositifs de sécurité, de même que la planification d'engagement des policiers, tenaient effectivement compte du fait que des actes de violence pouvaient être commis dans les jours précédant et durant le sommet d'Evian.
Les mesures préventives qui avaient été arrêtées prévoyaient une disponibilité du personnel policier, avec des patrouilles en ville et des éléments de piquet. Six inspecteurs patrouillaient en ville, six inspecteurs en patrouille à l'extérieur sont revenus immédiatement en ville, dix gendarmes se trouvaient dans les Rues Basses, cent vingt gendarmes étaient de piquet - ils se restauraient à la caserne des Vernets et sont intervenus dans les quinze minutes qui ont suivi le déclenchement des événements. L'intervention de la police a été déclenchée sans délai, les policiers sont intervenus immédiatement sur le terrain.
S'agissant des engagements tactiques, de nombreux policiers ont été engagés simultanément en mobile afin de s'en prendre aux casseurs. Le contact a notamment été établi dans le secteur rue du Stand/Usine. Les policiers engagés dans le secteur Molard ont été déployés afin de sécuriser les commerces dévastés et pour éviter tout risque de pillage. A ce moment-là, les casseurs avaient déjà regagné l'Usine. Vous connaissez la rapidité foudroyante de l'intervention, de l'ordre de vingt-cinq minutes.
En ce qui concerne l'équipement des policiers, leur tenue de protection était évidemment là pour les protéger. Elle n'entrave pas outre mesure la mobilité et correspond en tous points, d'ailleurs, à l'équipement de la police allemande. Pour terminer, c'est une section portant ce type d'équipement qui a été à même de courir depuis le garage en feu de la rue Diorama pour contrer les casseurs à la rue du Stand. Des patrouilles ont été disposées préventivement au centre-ville. Elles devaient se tenir prêtes à intervenir à l'encontre d'éventuels casseurs dans l'ensemble du secteur d'engagement, et devaient également empêcher toute occupation ou toute intrusion dans les objectifs symboles du centre-ville et, évidemment, du secteur des organisations internationales. Le dispositif de police, les patrouilles préventives de la gendarmerie et de la police judiciaire, ainsi que l'élément de piquet, fort de 120 hommes, correspondaient aux missions de base de la police. La manière discrète de se déployer n'entravait en rien l'exécution des missions.
Rien ne s'oppose à ce que le rapport de M. Arbenz soit rendu public. La compétence d'emploi et d'engagement opérationnel de la police est du ressort de son commandement, le Conseil d'Etat validait la palette des moyens d'engagement de la police. La nature de l'emploi de ces moyens, qu'ils soient défensifs ou à des fins de dispersion, est appréciée de cas en cas, suivant les situations, la nature des risques et de la menace. J'observe enfin qu'on ne peut pas à la fois demander l'institution d'une commission d'enquête sur les événements survenus à Genève dans le cadre du sommet d'Evian et vouloir des réponses immédiates aux nombreuses questions actuellement posées ici et là, ainsi que dans le cadre de notre parlement.
Cette interpellation urgente écrite est close.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. L'interpellation urgente écrite, formulée par M. Weiss, vise à démontrer un rapport de cause à effet entre les propos tenus ou attribués à M. de Marcellus et les actes délictueux commis par les casseurs en ville de Genève à l'occasion du G8.
Monsieur Weiss, vous accordez à M. de Marcellus une influence déterminante sur ces voyous, sans pour autant savoir s'ils lisent M. de Marcellus, sans savoir s'ils l'écoutent et, surtout, sans savoir s'ils le connaissent. Ce qui est particulièrement frappant dans votre interpellation urgente écrite - et cet exercice prend quinze pages ! - c'est le fait que vous additionnez des citations, des suppositions et des affirmations. Vous vous livrez ici à un exercice qui s'appelle une construction, qui a sans doute beaucoup de valeur d'un point de vue intellectuel, mais qui peut poser problème lorsqu'il s'agit d'en vérifier le résultat. Vous savez qu'il n'est pas possible, dans l'art des réponses aux interpellations urgentes où nous avons peu de temps, de répondre à quinze pages. Tel n'est pas tout à fait mon but.
J'aimerais quand même dire quelque chose concernant certains éléments sur la violence. Vous avez eu la correction - et je vous en remercie - de remettre les pièces sur lesquelles vous vous basiez pour analyser les propos que vous attribuez à M. de Marcellus. Il en ressort quand même ceci: un certain nombre de pièces proviennent d'un contexte dans lequel il est question de lutte au Mexique, en Amérique latine, au Chiapas, avec le sous-commandant Marcos, où, effectivement, les rapports de force et les rapports politiques ne sont pas tout à fait les mêmes qu'en démocratie suisse. Faut-t-il pour autant interpeller M. de Marcellus, si celui-ci s'exprime au niveau de la lutte dans le Chiapas, concernant le pouvoir au Mexique ? Ce qu'il dit ici mérite certes un examen plus attentif. Mais, Monsieur Weiss, au-delà de l'examen plus attentif, vous nous demandez si le Conseil d'Etat entend dénoncer M. de Marcellus au Procureur général, pour un certain nombre de délits ou de crimes dont il se serait rendu coupable. En tout état de cause, vous faites très clairement allusion à l'article 259 du Code pénal, soit la provocation publique au crime ou à la violence. Et vous savez également qu'il s'agit de crimes que le Procureur général poursuit d'office, s'il estime qu'il est nécessaire de le faire. C'est dire quand même que cet article 259 du Code pénal mérite en tous les cas d'être cité - car c'est là-dessus, à mon avis, que vous vous basez - de même que l'article 26 de la loi pénale genevoise, qui - je me permets de le dire - date de 1942 et concerne la provocation de fonctionnaires à la désobéissance. A cet égard, le Procureur général qui, je crois, n'a pas d'amitié particulière avec tel ou tel milieu, effectuera son travail de manière parfaitement indépendante, s'il estime opportun de l'effectuer. Je crois que c'est un élément qui mérite d'être dit et pour lequel vous n'avez pas besoin du Conseil d'Etat. Si la gravité de l'affaire est aussi importante que vous le dites, il y aura probablement travail du Procureur, surtout que vous n'ignorez pas que des enquêtes sont en cours par rapport au G8. Je reviens donc à ce rapport de cause à effet que vous établissez entre ces propos et les destructions liées au G8: je crois qu'il convient là d'attendre l'enquête de police pour déterminer les responsables de ces différents incendies et casses commis à l'occasion de ce G8.
L'autre question que vous posez est également importante, puisque vous voulez savoir si le devoir de réserve d'un fonctionnaire doit s'appliquer à M. de Marcellus. Vous dites en fait que ce devoir s'applique, que M. de Marcellus l'a violé, et que le Conseil d'Etat doit d'ores et déjà prononcer l'ouverture d'une enquête administrative, suspendre M. de Marcellus et également, quel que soit le résultat, décider de le licencier. J'aimerais simplement vous dire que toutes les pièces sont évidemment examinées en profondeur, et - comme cela vous a été dit hier par Mme Spoerri au nom du Conseil d'Etat - d'une façon très générale et concernant d'autres fonctionnaires également, la notion même du devoir de réserve doit être réexaminée à la lumière de l'actualité. Je crois qu'il s'agit de considérer le tout dans un contexte général et de ne pas chercher à stigmatiser.
Enfin, Monsieur Weiss, je me permets encore - et n'y voyez aucune volonté de provocation - de relever la gravité de certains de vos propos. Vous reprenez certains de mes propos oraux, et je me permets de vous citer, à la page 6 de votre interpellation urgente. Vous dites: «[...] Charles Beer a signé un courrier à son attention - donc celle de M. de Marcellus - "s'inquiétant de ce qu'il écrivait et l'appelant bien évidemment à souscrire à ses propres propos concernant les manifestations du G8"». Et vous en déduisez, sans posséder le texte de ce courrier: «[...] ce sont bien ces derniers mots qui nous paraissent particulièrement maladroits, puisqu'ils peuvent être compris, sinon comme une incitation pour M. de Marcellus à mettre en pratique sa conception du recours à la violence contre les choses, du moins comme une démonstration du malentendu - ou plutôt du mal-lu.» Je vous mets en garde par rapport à ce type d'amalgames, selon quoi les casseurs agiraient sur ordre de M. de Marcellus, et celui-ci serait, le cas échéant, soutenu par un magistrat. Vous franchissez ici un certain nombre de pas qui relèvent de la calomnie. Je me permets de vous le dire non pas pour être formaliste, mais parce que nous devons, malgré la gravité des événements, garder la tête froide et rester lucides. (Applaudissements.)
Cette interpellation urgente écrite est close.
M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Nous arrivons ici à un objet d'une tout autre nature que celui qui a été traité. Dans la sagesse de ce parlement, on a décidé que cet objet ferait partie du débat du G8 - je m'incline bien volontiers devant cette décision.
Je dois l'admettre, Madame Hagmann, l'affaire du feu des Bains des Pâquis a échappé à l'attention des limiers du GEDEC. Le GEDEC est donc le service qui s'occupe de la gestion des déchets. Mais - il faut le dire - contrairement aux feux du 1er août dont la date était prévue... (Exclamations et applaudissements.) ...les services de l'administration ont été, dans ce cas-là, désemparés. Vous le savez, il n'était pas prévu qu'il y ait un feu aux Bains des Pâquis, si ce n'est quelques jours avant, mais assurément pas avec cette prévisibilité propre aux feux du 1er août. Cela dit, Madame Hagmann, j'ai pris note de votre dénonciation, elle sera traitée avec sérieux. Et - puisque vous me dites que c'est dans une émission de télévision que vous avez pu constater ce comportement illicite - si vous avez, par bonheur, un enregistrement et que vous pouvez me le remettre, je vous garantis qu'une instruction attentive sera menée sur cette affaire. (Applaudissements.)
Cette interpellation urgente est close.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Apparemment... (Brouhaha, chahut, rires.)
Le président. S'il vous plaît, Mesdames et Messieurs ! Un peu de calme et de tenue !
M. Laurent Moutinot. Le sujet provoque une hilarité surprenante... Plus sérieusement, Monsieur Pagan, lorsqu'il y a une tempête, le capitaine ne lâche pas la barre...
M. Claude Blanc. Il se met la tête dans le sac.
M. Laurent Moutinot. ... et il ne serait pas normal, Monsieur Blanc, d'ajouter, aux désordres dans la rue, des désordres institutionnels, à moins - mais cela serait leur faire beaucoup trop d'honneur - de reconnaître que les casseurs sont en mesure, par leurs actions, d'entraîner la chute d'un gouvernement démocratiquement élu. (Applaudissements fournis.)
Cette interpellation urgente est close.
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vois que vous êtes de fort bonne humeur en fin de journée, c'est bien.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Revenons à des choses plus terre-à-terre. En réponse à M. Catelain, et concernant le contrôle aux frontières avant et pendant le sommet d'Evian, il convient, Monsieur le député, de préciser ce qui suit: c'est d'abord à la demande des cantons de Genève, Vaud et Valais que le corps des gardes-frontières a reçu la mission de procéder à un contrôle accru des frontières dès le 12 mai, respectivement à un contrôle systématique des frontières dès le 22 mai. Les mesures arrêtées ont été prises en concertation entre les cantons de l'Arc lémanique et la direction du corps des gardes-frontières. Le but de cette mesure consistait à agir sur toute la frontière suisse dès le 12 mai, afin de retenir à la frontière les personnes ne remplissant pas les conditions légales d'entrée en Suisse. La France a pris des mesures analogues à la Suisse dès le 12 mai, en suspendant les accords de Schengen. Le contrôle de la frontière franco-suisse ne posait pas de problème particulier, c'est surtout sur les frontières avec l'Italie et l'Allemagne que devait s'exercer l'effet principal des contrôles.
La Confédération est seule compétente en matière de contrôles fiscaux à la frontière, mais pour ce qui est du contrôle des personnes, la compétence - et je crois que vous le savez - appartient aux polices cantonales. Cette compétence est déléguée en temps ordinaire aux gardes-frontières. En l'occurrence, la constitution, Monsieur le député, n'a pas été violée. Les mesures ad hoc prises sur la frontière genevoise pour les passages-frontières situés entre Pierre-à-Bochet et la Croix-de-Rozon, entre le 29 mai et le 3 juin, visaient à ne pas devoir conduire des opérations de maintien de l'ordre sur toute la frontière. Cette mesure a été prise de concert avec le commandant de corps des gardes-frontières 3.
Enfin, j'aimerais rectifier l'utilisation de «frontières ouvertes». C'est vrai que cette expression a été entendue ou dite ici ou là, mais, en fait, la note interne précisait «le passage de la frontière sera facilité pour les manifestants aux points de passage». Il convient encore de préciser qu'il s'agissait de sept passages-frontières seulement, situés sur l'axe reliant les villages alternatifs de Genève et d'Annemasse.
Cette interpellation urgente est close.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Monsieur le député, vous me demandez pourquoi la police n'est pas intervenue dans la nuit du samedi 31 mai au dimanche 1er juin, lorsqu'une bande de casseurs s'en est prise aux commerces de notre ville. En réponse, je vous rappelle qu'il incombait à la police d'assurer la sécurité de l'aéroport pour les arrivées des chefs d'Etat, qui se sont succédé sans interruption cette nuit-là. En outre - et on en a parlé tout à l'heure - des festivités se déroulaient au même moment en six autres endroits de la ville: le feu au lac des Bains des Pâquis, le feu au lac à Baby Plage, la fête au Bout-du-Monde, la fête aux Bastions, la fête à l'Usine, la fête à la Maison des Associations. Parmi les policiers affectés prioritairement au maintien de l'ordre en ville, un groupe basé dans le secteur des Rues Basses au moment des événements - on en a aussi parlé tout à l'heure - a été rejoint par tous les policiers disponibles, afin de neutraliser les casseurs et d'éviter les risques de pillage.
La simultanéité de l'attaque par plusieurs groupes, la rapidité fulgurante de l'intervention et la tactique de ces casseurs ont en effet surpris les forces de maintien de l'ordre - je l'ai publiquement reconnu, je le redis aujourd'hui, et j'en prends la responsabilité. Le raid des casseurs a duré vingt-cinq à trente minutes, il a visé une quarantaine de sites. Au vu des dégâts malheureusement déjà commis, l'objectif principal de la police qui a alors conditionné la nature de son intervention a, à ce moment-là, plutôt été de sécuriser le centre-ville afin d'éviter des pillages en cascades, voire des incendies. Comme vous l'aurez compris, compte tenu du dispositif de maintien de l'ordre mis en place, il ne s'est pas trouvé, à ce moment-là et aux endroits sinistrés, de petites unités mobiles qui auraient pu être engagées.
J'aimerais, Mesdames et Messieurs, vous rappeler que heureusement - mais, malheureusement, maintenant - c'est la première fois que Genève connaît un événement de ce type, et j'ajoute que ces événements accompagnent généralement des manifestations de grande envergure. J'aimerais également vous dire que la technique et la tactique vis-à-vis de ces attaques urbaines ont été modifiées vingt-quatre à quarante-huit heures après samedi 31 mai. Des petites unités de police judiciaire - dont vous parlez, Monsieur - ont été diligentées sur le terrain, en plusieurs endroits de la ville. Ce sont des groupes mobiles qui étaient par ailleurs protégés par des gendarmes visibles en uniforme. L'intervention de la police judiciaire face à des gens violents peut être ressentie comme une agression et engendrer, dès lors, une mise en danger de l'unité de police judiciaire elle-même.
De plus, cette mesure a permis de façon très claire - ce qui n'est pas toujours facile - de procéder à des arrestations dans des cas de flagrant délit. A ce titre-là, je veux rassurer la population, qui se demande naturellement si nous avons factuellement, concrètement, pris d'autres mesures. Je peux vous dire que cette façon de procéder, adoptée quelques jours plus tard, a en effet donné des résultats beaucoup plus appropriés à ce genre d'attaques.
Cette interpellation urgente est close.
M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat a effectivement pris, le 5 juin 2003, un arrêté, interdisant toute manifestation et tout rassemblement, dans les circonstances que vous connaissez. M. Vanek souhaite savoir ce qu'il en est de cet arrêté: il est aujourd'hui caduc, puisqu'il était tout à fait circonstancié. De son texte même, il ressortait que cet arrêté visait la manifestation et ce qui pouvait se produire autour d'elle ce jour-là.
C'était un arrêté circonstanciel, il est caduc sans qu'il soit nécessaire d'en prendre un autre. Nous sommes par conséquent dans le régime ordinaire. Je me permets de vous rappeler, pour éviter tout malentendu, que les manifestations peuvent avoir lieu, mais qu'elles sont bien entendu soumises à une autorisation préalable; en particulier, de manière que les modalités de ces manifestations puissent être organisées afin d'éviter, d'une part, des débordements et, d'autre part, d'éventuels désagréments pour le reste de la population. Monsieur Vanek, nous n'avons donc jamais été dans un Etat d'exception; si tant est que vous pensiez que nous ayions pu l'être pendant quelques heures, je puis vous rassurer aujourd'hui: nous ne le sommes plus !
Cette interpellation urgente est close.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Monsieur le député, vous avez fait état de vos craintes se rapportant à la criminalisation des milieux alternatifs, à la suite de la descente de la police à l'Usine, le 1er juin dernier. Cette intervention n'était pas motivée par des raisons politiques, mais par les besoins de la police judiciaire, dont on a parlé tout à l'heure et sur laquelle on reviendra, pour répondre à l'interpellation de M. Brunier. Elle a eu lieu sur ordre du Procureur général. En effet, les renseignements obtenus, à la suite des événements survenus la veille au centre-ville, et la situation de trouble, qui prévalait aux alentours de l'Usine, démontraient que des casseurs se trouvaient sur place. Il s'imposait alors de tenter de les appréhender. J'ajouterai que d'autres témoignages sont en train de le confirmer actuellement.
Cette interpellation urgente est close.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Monsieur le député Brunier, à votre première question, je répondrai que la police a décidé de ne pas intervenir contre le Black Block le 1er juin, lors du blocage du pont de la Coulouvrenière, avant le départ de la manifestation, ni lorsque le Black Block s'est infiltré en queue de cortège, lors de la grande manifestation. Dans ces deux cas, le mélange avec les manifestants pacifiques était tel que des risques importants - et il s'agit du principe de l'opportunité - de créer une escalade de violence ou une atteinte à un innocent ne devaient pas être pris.
Votre deuxième question concerne l'Usine. Des témoignages ont confirmé que les casseurs étaient partis de l'Usine le samedi soir pour aller attaquer différents sites, rue du Stand, Rues Basses, rue de l'Hôtel-de-Ville, place Neuve, place du Cirque, rue Diorama, rue du Stand et retour à l'Usine. Toutefois, arrivés sur la place des Volontaires, ils se sont changés, ont repris un aspect tout à fait anodin de badauds, et ils sont rentrés dans l'Usine. La non-intervention à l'Usine samedi soir, décidée par le chef de la police, était justifiée par l'imbrication des casseurs avec des badauds, et parce que des fauteurs de trouble s'étaient fondus parmi ceux-ci en se débarrassant de leurs accoutrements. Pour mémoire, d'ailleurs, tant samedi que dimanche, cent cinquante à deux cents personnes se trouvaient sur la place des Volontaires, et deux cent personnes à l'intérieur de l'Usine. Et j'aimerais préciser que, contrairement à ce que vous dites, Monsieur le député, la situation autour de l'Usine dimanche n'était absolument pas calme. Je m'y suis moi-même rendue pour le constater.
Puisqu'on en est à ce point, j'aimerais également préciser que dans le cadre de ces événements, nous avons créé une cellule d'enquête G8. Cette cellule est actuellement constituée de huit inspecteurs de la police judiciaire. Elle a été mise sur pied pour effectuer les enquêtes relatives aux dégâts provoqués par les casseurs. Ce groupe travaille sous les ordres du Procureur général et d'un juge d'instruction. Il est spécialement détaché, pour une durée indéterminée. Si cela s'avérait nécessaire, pour que les enquêtes puissent se faire dans les meilleurs délais, nous augmenterions encore, par d'autres unités, cette cellule spéciale d'enquête G8. Je vous rappelle que ses coordonnées ont été publiées dans la presse, et que toute personne - y compris un député - désirant témoigner est appelée à le faire. Il y a aujourd'hui 149 plaintes déposées, et tous les plaignants ont été contactés.
Ces interpellations urgentes sont closes.
Mme Micheline Spoerri, conseillère d'Etat. Monsieur le député Charbonnier, la période G8 n'est pas une période identique à d'autres. Je crois qu'au vu de tout ce qui a été dit au sein de ce parlement, et de tout ce que la population, pour certaine, a vécu et a subi, on ne peut pas tout à fait se dire que nous sommes dans des circonstances habituelles.
Ce dont vous accusez le président de l'UPCP, à savoir une sortie du droit de réserve, peut éventuellement être compris comme tel en des temps ordinaires. Cependant, je crois quand même que vous ne pouvez pas ignorer - parce qu'on entend tout le temps dire «on soutient la police, on a une police formidable», la population le sait, et la population le dit - j'ai le regret de vous dire que M. Widmer s'est exprimé, ce jour-là, en sa qualité de président de l'UPCP, en sa qualité de syndicaliste, et, qu'à ce titre, il n'était pas tenu au même devoir de réserve qu'en sa qualité de fonctionnaire.
Quant à M. Cudre-Mauroux, il faudrait savoir si on veut aussi que la presse tout entière réclame des renseignements, des explications, sur tout - probablement à juste titre; quand il s'est agi de passer des informations à la population, en matière de prévention, en matière d'indication de parcours, vous le savez, ceci s'est traduit, à la fin, par l'édition d'une «Feuille d'avis officielle» spéciale, et... Je ne sais pas, j'entends des petits bruits, au fond, j'ai l'impression que... (Le président agite la cloche.)
Le président. Il n'y a pas d'intervention pendant les interpellations urgentes, Madame la conseillère d'Etat, veuillez poursuivre.
Mme Micheline Spoerri. Merci, Monsieur le président. Quant à M. Cudre-Mauroux, comme bien d'autres, il a beaucoup donné, il s'est beaucoup mobilisé, il a fait tout ce qu'il a pu: à chaque fois qu'on a eu besoin de renseignements et d'explications, il est venu sur le terrain, il est venu devant les journalistes pour faire un maximum de diffusion et de compréhension, permettez-moi de vous dire que je serais bien malvenue de le lui reprocher aujourd'hui.
Le président. Merci, Madame la conseillère d'Etat.
Cette interpellation urgente est close.
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Monsieur le député Follonier, vous posez une question - et je vous en remercie - qui me donne l'occasion d'expliquer des choses purement factuelles. (Brouhaha.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, M. le conseiller d'Etat répond à une interpellation, vous voudrez bien l'écouter.
M. Charles Beer. Je réponds à l'interpellation urgente qui m'a été posée. (L'orateur est interpellé.) (Manifestation dans la salle.)Mesdames et Messieurs les députés, on peut mettre en cause un certain nombre de personnes, mais il y a certaines limites, et j'aimerais que vous me laissiez m'exprimer, parce que si tel n'est pas le cas devant ce parlement, je ne vois pas à quels moyens il faut recourir pour pouvoir être entendu. Et j'insiste sur ce point: pour l'instant j'ai toujours refusé toute interview relative à ma présence sur le pont du Mont-Blanc, le soir du lundi 2 juin.
Je me permets également, au-delà des remerciements, Monsieur Follonier, de dire qu'il n'est ni concevable ni acceptable et qu'il est même injurieux d'invoquer le rôle de laborantine, que n'est pas Mme Spoerri, à la télévision. J'ai trouvé cela scandaleux, et je le redis.
Il n'est pas forcément non plus de bon aloi de me traiter d'éducateur de rue ou de syndicaliste. (Applaudissements.)
Monsieur le député, au-delà de ces quelques propos introductifs, j'aimerais vous donner les renseignements factuels que voici. J'étais, ce lundi 2 juin en début de soirée, non pas devant ma télévision, ni même de passage sur mon vélo sur le pont du Mont-Blanc, mais tout simplement au comité directeur du parti socialiste. Je me dois de vous dire la vérité, car l'ensemble de mes propos, le cas échéant, pourront intéresser telle ou telle commission d'enquête ou telle ou telle commission appelée à se prononcer sur les événements du G8.
Un certain nombre de coups de téléphone ont eu lieu, je peux même dire de messages SMS, nous alertant - je dis «nous» parce que j'étais avec le président du Conseil d'Etat à une réunion du parti socialiste - d'une situation gravissime sur le pont du Mont-Blanc. Je restitue les termes, tels qu'ils ont été évoqués. Pour ma part, j'ai estimé qu'il était indispensable, vu l'aspect répétitif de ces messages, de me faire une idée, et je me suis rendu sur place, sans accord, je peux même dire, en désaccord avec le président du Conseil d'Etat.
Cela dit, si je me suis rendu sur le pont du Mont-Blanc - je reviendrai sur ce réflexe - c'était uniquement pour voir ce qui était en train de se passer. Selon les descriptions que j'avais reçues, quelques centaines de manifestants et manifestantes souvent très jeunes se trouvaient bloqués sur le pont du Mont-Blanc, et plus exactement entre les quais, le pont lui-même et la rue du Mont-Blanc. Et quand je suis arrivé sur place, la situation était extrêmement tendue.
Les forces de l'ordre, et plus particulièrement le bataillon genevois qui occupait la place à côté de l'hôtel des Bergues, étaient extrêmement inquiètes de la situation. Ce que je dis n'est que factuel. A tel point que des phrases telles que «si les manifestants chargent, nous serons obligés de tirer» ont été prononcées. Ce sont les mots que j'ai entendus, Monsieur le député, et je me permets de les répéter, parce que la tension était telle - non pas que les forces de l'ordre aient perdu le sens de la mesure, mais parce qu'elles étaient inquiètes - la situation était tellement enlisée qu'une deuxième manifestation est venue naître derrière les rangs de la police, prenant celle-ci, ou plus précisément, une partie d'elle, en étau entre deux manifestations. La deuxième manifestation, quant à elle, était d'un caractère tendu, voire même violent, puisqu'il y a eu des jets de pierres sur la police.
Cela dit, quel a été mon rôle, puisque c'est votre question principale, au-delà de ce rôle de témoin qui me permet de vous restituer une ou deux citations ? Tout simplement aucun, si ce n'est celui d'accompagner tel ou tel officier de police qui tentait de trouver une porte de sortie. Je n'ai jamais négocié, je tiens à le dire, sous la foi de mon serment, je n'ai jamais négocié, comme je n'ai jamais donné d'ordres à la police, parce que si j'avais donné des ordres à la police, l'homme ou l'officier qui les aurait reçus se serait trouvé dans une situation bien plus inconfortable que la mienne. Je me permets de faire cette mise au point, parce que, derrière cette accusation, on accuse également le chef de la police ainsi qu'un certain nombre d'officiers.
J'ai simplement accompagné, comme je l'ai déjà dit, les officiers de police dans leur lourde tâche, qui consistait à faire face à une situation que, pour ma part, je voyais comme celle de l'enlisement. Peut-être que l'histoire le dira différemment, notre appréciation institutionnelle fait que nous observons les choses différemment aujourd'hui. Cela dit, il a fallu débloquer cette situation, et le chef de la police l'a débloquée en prenant appui sur les officiers de police et sur ma simple présence. Les quelques mots que j'ai pu échanger, ici ou là, n'étaient rien d'autre que des mots, relayant les ordres donnés par la police à telle ou telle personne. Je tiens également à ajouter, pour que vous soyez rassuré sur mon rôle, que ce n'est sans doute pas, à proprement parler, la place du président du département de l'instruction publique... (Le président agite la cloche.)...mais j'ai constaté, sur place, des comportements particulièrement inquiétants de jeunes manifestants. Cette manifestation était probablement pacifiste... (Manifestation dans la salle. Chahut.)...mais ce que j'ai vu était particulièrement...
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je vous en prie
M. Charles Beer. ...atterrant, en ce sens que certains jeunes se livraient à des gestes et tenaient des propos absolument inqualifiables et d'un manque total de civilité.
Je le dis parce que je l'ai vu. Et cela m'inquiète car je ne souhaite pas voir des jeunes se glisser dans n'importe quel type de société à la fois individualiste et de casse. Cette inquiétude m'a amené à dire que je souhaitais que des missions de discussions, par la présence de la police dans les établissements scolaires, permettent aussi des explications, pour éviter des dérives liées à la violence ou à la méconnaissance de l'importance de la tâche de la police.
Pour terminer, je me permets de dire que vendredi, samedi, dimanche, des choses graves se sont passées. Lundi, vous le dites, des choses graves sur le plan institutionnel se sont passées, mais il n'y a eu aucun dégât matériel ni aucun blessé - ce qui constituait ma principale peur, lorsque je suis intervenu. Il y a eu des situations, dans telles ou telles villes d'Europe, qui n'ont engendré des drames qu'après coup et qu'on a dû analyser dans d'autres circonstances. Je préfère recevoir de votre part, aujourd'hui, la pluie de reproches que vous me faites, plutôt que d'avoir à me reprocher de ne pas avoir été présent dans une situation qui était inquiétante. Telle a été ma conception... (Brouhaha. Chahut. Exclamations.)
Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je me suis entendu avec le conseiller d'Etat. Je pense que, si vous voulez entendre de sa bouche son explication, il est bon qu'il puisse la donner pleinement et entièrement. Et je lui ai dit qu'il pouvait aller au-delà du temps réglementaire. Cela me paraît une simple équité à son égard. (Exclamations.)Monsieur le conseiller d'Etat, poursuivez.
M. Charles Beer. Je termine en disant que j'assume pleinement la collégialité, par le simple engagement que j'ai pris, et auquel je me tiens, de ne pas polémiquer et de m'en tenir, en ce qui concerne les faits, aux déclarations du Conseil d'Etat. En revanche, qu'il me soit permis de terminer en disant ceci: j'ai admiré le courage, le sang-froid et la détermination des forces de police, ce soir-là, sur le pont du Mont-Blanc. Et si, après coup, en fonction de tel ou tel événement, on a tendance à vouloir refaire l'histoire, je crois qu'on s'égare, et c'est dommage.
Je voulais répondre à la question de M. Follonier. Je crois l'avoir fait loyalement, honnêtement et de façon transparente. Et j'espère que vous saurez me rendre grâce de cet exercice. (Applaudissements.)
Le président. Je crois qu'en des temps extraordinaires, et la situation que Genève a connue est extraordinaire, il vaut la peine de faire une légère entorse à notre règlement...
Des voix. C'est parce que cela vient de la gauche, c'est pour ça que vous l'acceptez !
Le président. Oh ! (Manifestation dans la salle.)Monsieur le député Annen, la bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe. (Applaudissements. Exclamations.)
Cette interpellation urgente est close.
Débat
Mme Jocelyne Haller (AdG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés... (Brouhaha.)...j'attends juste un peu que tout le monde se calme et qu'on m'écoute...
Le président. Les personnes qui ne souhaitent plus écouter le débat sont priées d'aller à la buvette ou à la salle des Pas Perdus. Je ne peux pas empêcher les conseillers d'Etat de parler, mais j'aimerais que les gens qui veulent aller à la buvette, aillent à la buvette, et, Madame Haller, vous allez tranquillement commencer à parler, allez lentement au début, vous verrez que vous serez écoutée. Monsieur Muller, vous voulez bien sortir de la salle si vous avez quelque chose à dire à vos interlocuteurs.
Mme Jocelyne Haller. Merci, Monsieur le président, je crois que je vais finalement pouvoir y arriver. Alors, Mesdames et Messieurs les députés, le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 1465-A nous indique, dans ses conclusions, qu'après concertation une allocation unique totale de 50 000 F a été allouée aux associations demandeuses. Il est toutefois troublant de voir évoquée une notion de concertation, quand ces dernières persistent dans leur demande de se voir attribuer l'intégralité du solde de la subvention 2002. Le système de subventionnement des associations organisant des camps de vacances se caractérise, nous dit-on, par le fait que les subventions sont calculées en fonction des données de l'année précédente. Ce qui leur vaut d'être versées avec un an de décalage.
Par conséquent, se référer aux données de l'année précédente pour couvrir les besoins de l'année en cours nous amène à courir le risque de manquer de couverture et d'amputer le développement des activités de vacances en question. C'est donc bien de cela dont il s'agit, Mesdames et Messieurs les députés: soit nous permettons aux organisateurs de camps de vacances d'obtenir les moyens d'assumer pleinement leur mission, soit nous cautionnons le fait que leurs ailes soient rognées, et nous ne devrons plus, dès lors, nous étonner que l'offre de prise en charge des enfants ne corresponde plus à la demande, et que nombre de ceux-ci se retrouvent désoeuvrés et livrés à eux-mêmes.
C'est pourquoi nous insistons, Mesdames et Messieurs les députés, afin que l'intégralité du solde de la subvention 2002 soit allouée aux organisateurs de camps de vacances, et nous recommandons que ces derniers soient, le plus rapidement possible, associés à la réflexion qui s'impose sur le mode de subventionnement des activités de vacances dont il est question ici.
C'est pourquoi nous ne prendrons pas acte de ce rapport et demandons au Conseil d'Etat de reconsidérer cette question.
M. Thierry Apothéloz (S). Je tiens tout d'abord à remercier le Conseil d'Etat pour la rapidité de sa réponse à cette motion.
Néanmoins, je regrette que nous la traitions d'ores et déjà dans cette enceinte, tant il est vrai que nous attendons deux choses importantes: d'une part l'étude de l'office de la jeunesse sur cette question, dont nous parle le Conseil d'Etat, et, d'autre part, j'aurais bien voulu attendre le rapport de la commission des pétitions, qui a traité cette problématique dans le cadre de son travail - qui, je dois le dire, a été long, pour permettre un travail efficace au maximum - pour traiter de cette question de camps de vacances.
Tant il est vrai que nous considérons ces camps de vacances non pas comme un simple départ en vacances pour s'amuser mais bien comme un besoin que de plus en plus de jeunes et d'enfants éprouvent pour pouvoir vivre des choses différentes dans leur vie quotidienne, si ce n'est pendant les vacances.
Je trouve également dommage d'avoir dû passer par une telle motion pour que la situation, en tout cas dans la première étape, soit débloquée au niveau du Conseil d'Etat. Il a fallu, je vous le rappelle, Mesdames et Messieurs les députés, passer non seulement par cette motion mais aussi par une pétition, appuyée par 5000 signatures, pour que les choses puissent enfin se débloquer.
Enfin, vous indiquez que les communes sont également sensibles à cette problématique des camps de vacances, à tel point qu'avec l'ACG, l'association des communes genevoises, la participation des communes aux résidents de leurs communes est passée de 7 à 10 F par jour, ce qui n'est pas négligeable dans la situation de ces enfants et de leurs parents.
En ce qui nous concerne, nous prendrons acte de ce rapport, tout en vous disant d'ores et déjà, Mesdames et Messieurs les députés, que nous attendrons d'une part le rapport de la commission des pétitions, mais, d'autre part et surtout, l'étude proposée par le département sur ce sujet, étude que nous attendons avec impatience.
Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.
Débat
M. Jacques Follonier (R), rapporteur de majorité. Tout d'abord, après les propos de M. Beer concernant l'école et la sécurité à l'école, je ne peux que me réjouir d'un rapport comme celui-ci, qui ne peut que contribuer à améliorer l'état de l'école genevoise.
Concernant le rapport lui-même, je dirai que nous y avons travaillé durant plusieurs semaines et que nous avons auditionné beaucoup de monde. Ce qu'il est important de retenir, c'est que nous nous sommes rendu compte, au fur et à mesure des auditions, au-delà du problème des notes - et j'espère que nous n'aurons pas uniquement un débat sur les notes mais sur la réforme en elle-même - non seulement de l'importance de la réforme mais aussi, à l'analyse complète de cette dernière, qu'elle présentait certains défauts, peut-être pas inhérents à la réforme elle-même mais à sa mise en place.
Premièrement, une des grandes remarques qui nous a été faite sur cette réforme était qu'elle avait peut-être été prévue d'une manière trop ample et, surtout, amenée trop rapidement. Or l'un des buts de ce rapport était de donner une nouvelle dimension à cette réforme afin de pouvoir développer quelque chose d'utile pour l'école genevoise.
Cela étant dit, je suis extrêmement déçu de la concision du rapport de minorité de mon collègue Apothéloz. Je souhaite qu'il nous explique en quoi le fait de prendre des mesures pour favoriser de meilleures connaissances, en quoi le fait d'améliorer l'évaluation ainsi que la compréhension de ces réformes, en quoi le fait de favoriser la communication et d'améliorer la compréhension des professeurs et des parents, en quoi ces invites sont-elles inacceptables?
J'ai une peine énorme à comprendre cet état d'esprit et j'espère simplement que cela est dû à un manque de temps ou de préparation. Mais je voudrais, quand même, qu'au-delà de toutes ces considérations on reste toujours serein dans ce débat en pensant que, finalement, ce sont nos enfants - et c'est cela qui compte! - que nous mettons à la disposition du département par rapport aux décisions qu'il va prendre. Et il est important que la population genevoise - pas seulement les personnes qui ont des enfants mais tout le monde - puisse avoir droit à une vraie compréhension de ce que l'école genevoise est, et de ce qu'elle deviendra peut-être un jour.
M. Thierry Apothéloz (S), rapporteur de minorité. Quelques mots suite à l'invitation de mon collègue Follonier à propos du rapport.
J'aimerais tout d'abord faire un peu de pédagogie, tant il est vrai que nous en parlons beaucoup dans ce rapport alors que, lorsqu'il s'agit de pratique, on se rend compte que les choses ne sont pas aussi simples que cela.
En effet, lorsqu'on fait un peu de pédagogie, on apprend que, pour faire avancer les choses, il faut être positif et employer des termes qui puissent être entendus de part et d'autre. Ainsi, lorsque dans le titre - et même dans les considérants - on lit qu'il s'agit de moratoire, de réforme inefficace et d'autres choses de ce genre, nous ne pouvons pas entrer en matière sur ce type de discours.
S'il est vrai que la commission de l'enseignement a beaucoup travaillé durant des semaines et a pris le temps, Mesdames et Messieurs les députés, d'auditionner un maximum d'acteurs dans la vie de l'école, il faut aussi entendre de leur part un certain nombre de remarques, un peu formulées dans le rapport de M. Follonier.
Je tiens à vous rappeler que le titre de cette motion nous demande d'instaurer un moratoire. Alors, après avoir étudié cette motion et tenté de l'amender, il est ressorti que les radicaux - en particulier - ont déclaré être en faveur d'un certain nombre d'amendements, mais qu'ils n'étaient pas enclins à imaginer autre chose que les considérants - ainsi que le titre - tels qu'ils ont été nommés. C'est également à ce propos qu'un certain nombre de mes collègues de l'Alternative n'ont pas voulu accepter cette motion. Parce qu'il faut être un peu sensible et cohérent entre un titre de motion et les invites attribuées au Conseil d'Etat!
Nous ne sommes pas foncièrement opposés à suivre M. Follonier quant à un certain nombre de choses, tant il est vrai que nous sommes tout à fait conscients du malaise que rencontrent certains enseignants. Nous ne sommes en revanche pas d'accord sur la façon dont on veut procéder.
Ce qui nous dérange également, c'est le profond sentiment que cette motion a été écrite par une association qui a lancé une pétition - qui a rencontré un certain succès - mais qui, je dois le dire, prend des airs sectaires qui nous inquiètent énormément. Notamment lorsqu'on nous demande de revenir à une école de 1930-40 et que ne sont pas pris en compte les événements ayant permis que la pédagogie à l'égard de nos enfants puisse évoluer également.
Voilà quelques mots en introduction. Je reprendrai la parole pour répondre aux députés qui le souhaitent, mais je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de ne pas entrer en matière sur cette motion, tout en regrettant que les radicaux - en particulier - n'aient pas eu l'intelligence, à un moment donné, comme cela a été proposé, de retirer cet objet. La commission était prête, à l'unanimité, à reprendre bon nombre des invites de ce texte et d'en faire une motion tout à fait acceptable; les radicaux ne l'ont pas voulu, c'est bien dommage.
Mme Janine Hagmann (L). Il y a quelque temps, les panneaux d'affichage de Genève étaient recouverts de grandes affiches rouges, éditées par l'école club Migros, qui disaient - elles étaient très interpellantes - «le monde bouge, et vous ?» Et pendant ce temps, que recevions-nous ? Une motion qui demande un moratoire sur quelque chose qui bouge: l'école, et qui bouge - pourquoi ? Parce que le monde bouge.
Moratoire, c'est un mot qui vient du verbe morari, qui veut dire retarder. Comme vous le savez, cette motion a été lancée par les radicaux; elle a permis à la commission de l'enseignement de se poser des questions qui ont en fait abouti à un travail très intéressant. Qu'est-ce qui s'est passé ? Je dois reconnaître, ici, la qualité de la réflexion, l'excellent rapport de majorité est le témoin des modifications de certaines positions, parce que nous avons constaté, au fur et à mesure des auditions, que nous assistions à une évolution dans la conception de l'enseignement - même par les radicaux, qui, au départ, voulaient ce moratoire. Pour arriver à quoi ? A une motion qui est tout à fait intéressante et qui donne des recommandations au Conseil d'Etat sur une école de qualité que nous voulons tous, je crois.
Est-ce qu'on peut, Mesdames et Messieurs les députés, arrêter quelque chose qui est en train de se construire ? Est-ce que le monde ne bouge pas ? Non ! Quand arrête-t-on la construction d'un immeuble ? Dans le cas où ses bases ne seraient pas solides; c'est justement ce que vous ne voulez pas, vous voulez que les bases soient solides. Au moment où les bases sont solides, on doit continuer et terminer l'édifice... le mieux possible. Moi, j'aimais bien l'expression que Mme Martine Brunschwig Graf utilisait tout le temps, chaque fois qu'elle faisait un exposé sur l'évolution de l'école, elle disait: «mais si on avait découvert l'école idéale, ça se saurait». Et si ça s'était su, il n'y aurait pas eu de récriminations. C'est bien la preuve qu'il fallait qu'on change quelque chose, et que c'est pour cela que la pédagogie, qui est devenue une science, fait évoluer l'école positivement.
La pédagogie, dans le temps, c'était très simple, du style: «suivez ce que je vous dis, ne discutez pas; enseigner c'était affirmer». Mais ça n'est absolument plus le cas dans l'école d'aujourd'hui. Enseigner c'est apprendre à intérioriser, à comprendre, à savoir se servir d'outils, à être curieux; c'est aussi donner des règles de comportement et de savoir faire. La trilogie de l'enseignement du savoir, du savoir être et du savoir faire ne peut pas être dissociée, ça n'est pas possible.
Que veut cette motion ? Je pense qu'elle veut justement ce que nous avons dit hier soir pendant les débats du G8: on ne peut pas s'empêcher, maintenant, d'avoir un débat avant et après-G8. Quelle n'a pas été notre surprise, à tous, d'apprendre que les casseurs n'étaient ni des étrangers ni des petits Suisses-Allemands, qui venaient méchamment chez nous, mais qu'il y avait beaucoup de Genevois.
Alors, là, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons une responsabilité politique: celle d'inciter les enseignants à promouvoir les notions de responsabilité, le sens de l'effort, la discipline. Parce qu'on ne veut pas une jeunesse qui est en train de dévier comme celle que nous avons vue pendant le G8. On ne veut pas une jeunesse qui en arrive aux actes épouvantables qui se sont passés à Yverdon. L'école doit préparer à une vie dont on pourra être fier.
Il faudra évidemment remettre certaines pratiques en cause. Les enseignants, qui sont souvent de bons pédagogues, moi je pense que ce sont de mauvais communicateurs. Les enseignants ont, très facilement, un complexe de supériorité: eux savent, les autres ne savent pas, et ça, ce n'est pas bon. Si ARLE a récolté 28 000 signatures, l'initiative qui a récolté le plus de signatures de toutes celles déposées, ça n'est pas pour rien, Mesdames et Messieurs les députés, c'est parce qu'il n'y a pas eu de communication suffisante, parce que les enseignants n'ont pas été capables de faire passer le message «ce que nous faisons, c'est valable». Cette motion, avec les invites que nous vous proposons, elle, en revanche, en arrive à cette constatation.
C'est vrai, Monsieur Apothéloz, que vous nous avez habitués, en commission, à une hauteur de débat qui était dix fois mieux que ce que vous nous avez pondu dans cette petite page de rapport de minorité. En plus, ce que vous dites n'est pas tout à fait crédible, car nous avons demandé l'avis de Mme Hutter: dans une motion, le titre et les considérants ne peuvent pas être changés. Nous avons modifié les invites, certes, mais nous étions obligés de garder le même titre. Mais, oui, c'est sûr, c'est moi qui ai demandé conseil à Mme Hutter, j'ai la réponse sur mon mail, je ne l'ai pas encore effacée. Avec des invites comme celles-là, on doit accepter cette motion. Elles permettront les débats qui vont intervenir sur un contre-projet à l'initiative.
Monsieur Beer, vu mon ancienneté, je crois que je peux vous donner un conseil: n'oubliez jamais que le pouvoir n'est pas dans la rue. Vous ne l'avez pas prouvé jusqu'à maintenant, à plusieurs reprises. La première a été la décision que vous avez prise en cédant aux parents, qui, soi-disant, paniquaient à cause du virus d'une pneumonie atypique. Vous avez donné congé dix jours à des enseignants rentrant de Chine qui ont profité d'aller faire du golf tous les jours pendant que leurs collègues devaient s'occuper des élèves; je ne suis pas sûre que ça ait été une bonne décision. Vous avez cédé au pouvoir de la rue, et cela ce n'est pas possible. Il faudra bien y penser au moment où un contre-projet sera rédigé.
Ce qui est important, maintenant, c'est que notre école retrouve confiance. Aujourd'hui, il y avait un article de Jean Romain, dans Entreprise, qui mettait en parallèle, une école qui instruit et une école qui milite. Lisez-le ! Moi qui suis opposée à l'initiative ARLE, comme vous le savez, je pense qu'il faut écouter ces gens. On n'a jamais raison tout seul, et les enseignants doivent se dire maintenant: «il y a un problème, pourquoi ?». Quand 28 000 personnes signent une initiative, il faut forcément les écouter. Monsieur Follonier, je vous félicite aussi d'avoir demandé que, ce soir, le débat ne soit pas focalisé sur les notes. Nous l'avons toujours dit, la présidente Martine Brunschwig Graf en premier, les notes, c'est la pointe de l'iceberg, ce n'est pas le véritable motif du débat.
La motion demande une évaluation, cette évaluation doit être claire et compréhensible, qu'elle soit mise avec des notes, peut-être, les explications, à mon avis, vont plus loin que les notes. Ce que je demande, ne revenez pas aux notes moyennes. Un enfant doit être évalué par rapport à un but à atteindre, par rapport à des objectifs qui ont été fixés, mais pas par rapport à d'autres élèves; ce serait complètement ridicule et amènerait à des aberrations du style «si on est dans tel quartier, on a des notes qui n'ont pas la même valeur, la même signification que dans un autre quartier».
Vous avez aussi fait un faux procès à Mme Martine Brunschwig Graf, en disant qu'elle voulait absolument supprimer l'évaluation. Ce n'est pas vrai. En commission, on retravaillera tout ça. Il est évident qu'une évaluation tous les quatre ans pour qu'un enfant sache s'il peut aller plus loin, s'il peut changer de cycle, c'est peut-être trop long, et nous en reparlerons. Nous attendons avec plaisir, enfin avec intérêt, le contre-projet qui sera présenté. C'est bien que le débat sur l'école ait lieu, parce que souvent, c'est un sujet qui n'est pas abordé dans cette enceinte. (Applaudissements.)
Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président
M. Gabriel Barrillier (R). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, enfin ce débat sur l'école publique arrive dans cette enceinte. Depuis des mois, depuis des années, le débat fait rage sur le fonctionnement de l'institution scolaire. Il a à peine été éclipsé par les événements de ces derniers jours. Et puis, je le préciserai à l'attention de M. Apothéloz, je suis l'un des co-auteurs de cette motion. Et je puis vous dire que, quand j'ai rédigé une partie de cette motion, je ne connaissais pas l'existence d'ARLE. Par conséquent, notre motion est bien antérieure à l'apparition de cette association.
Il n'empêche qu'ARLE a déposé une initiative, cela a été dit, avec 28 000 signatures, j'aimerais quand même vous le dire, avec l'appui d'un très grand nombre d'enseignantes et d'enseignants. Et ce malgré les pressions de la direction du DIP ou le discours politiquement correct des associations professionnelles d'enseignants - voire de la position assez ambiguë de certaines associations de parents, qui sont prises en sandwich entre ces dirigeants de syndicats dits progressistes. Mesdames et Messieurs les députés, l'écrasante majorité - 28 000 signatures ! - des parents veulent que l'on fasse une pause dans les réformes, qui attendent plus de visibilité et de sérénité, et, surtout, une école performante.
Et je dois dire qu'en tant que lecteur de ce rapport j'ai été très intéressé par l'audition du SRED, représenté par MM. Bottani et Grin, dont l'audience est connue. Ce qui m'a vraiment frappé dans cette audition, et dans l'analyse du SRED, c'est le positionnement parents-enseignants. Là, le rapport est tout à fait clair, il note une fracture entre les attentes des parents, qui souhaitent de l'école qu'elle assure les apprentissages de base, alors que les enseignants, de l'autre côté, mettent l'accent sur la socialisation, le développement de l'esprit, de solidarité et de coopération. Il y a donc une fracture entre les enseignants et entre les parents. Je ne me réjouis pas de cette fracture, mais elle est constatée scientifiquement.
Les radicaux, Mesdames et Messieurs les députés, savent bien que leur motion n'a pas plu dès le début; ni à droite, Madame Hagmann, ni à gauche, bien entendu. Pourquoi ? Parce qu'ils avaient mis le doigt sur toute une série d'interrogations au sujet du fonctionnement, des performances, et de l'avenir de cette institution, que se posent, nous l'avons vu, tous les acteurs. Je rends ici hommage à notre collègue Follonier. Notre collègue a dû batailler ferme, nous le savons, en commission, pour défendre notre travail d'analyse. Il lui a fallu du courage pour obtenir que nos objectifs ne soient pas fondamentalement écornés. Je lui rends hommage, parce que je sais que ce chemin était difficile et je ne veux pas critiquer nos cousins de droite mais, je l'ai dit tout à l'heure, ils étaient dans une position très inconfortable. D'ailleurs ils quittent la salle, maintenant, je les en remercie.
Rappelons que notre motion a pour buts principaux de marquer une pause dans les réformes: elle est voulue par les parents, de manière à permettre au Grand Conseil de reprendre le contrôle démocratique de l'institution scolaire, comme c'est son rôle.
Le débat, vous le savez, aura lieu; il va s'amplifier, puisqu'une initiative a été déposée. On ne pourra pas l'éviter et c'est tant mieux.
Notre motion, plus modestement, a eu le mérite de débroussailler le terrain - ça a été dit lors de nombreuses séances, d'ailleurs je suis un peu déçu, c'est vrai, du rapport de minorité, qui est un peu mince, au regard de la lourdeur des critiques que vous avez adressées au rapporteur de majorité - et de clarifier les défauts actuels du système. Je sais, Mesdames et Messieurs les députés, que beaucoup d'enseignantes et d'enseignants, notamment dans le primaire, n'en peuvent plus; beaucoup veulent jeter l'éponge, prendre leur retraite anticipée, parce qu'ils manquent de directives claires sur les objectifs à atteindre. Beaucoup se plaignent du manque de soutien de leur hiérarchie, face aux mutations de notre société - nous allons en parler tout à l'heure - et des attentes, souvent contradictoires, des parents souvent déboussolés.
Pour conclure, le groupe radical peut se rallier aux conclusions de la majorité de la commission et vous invite à suivre ces conclusions.
Mme Ariane Wisard-Blum (Ve). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, cette motion a occupé la commission de l'enseignement de longs mois. Les auditions furent particulièrement intéressantes, elles ont permis aux commissaires de travailler de manière constructive, dans un esprit de tolérance, malgré des opinions très divergentes. Le problème initial de cette motion consistait à préciser quelles étaient les réformes concernées par ce texte, les commissaires radicaux ne sachant pas très bien lesquels ils visaient, je vous le rappelle.
Un inventaire des réformes, dans les différents ordres d'enseignement, a été finalement élaboré par le département, et nous pouvions alors mesurer l'étendue des changements déjà entrepris, et en cours, dans l'enseignement. Certaines réformes sont administratives, d'autres sont beaucoup plus fondamentales. Alors quel moratoire pour quelles réformes ? Au terme de nos travaux, comprenant bien l'absurdité d'un moratoire, les radicaux nous ont proposé de nouvelles invites, bien plus consensuelles que les premières. Je ne reviendrai pas sur le titre, ni sur les considérants, que nous trouvons inconvenants, pour ne me concentrer que sur ces nouvelles invites.
Certaines mériteraient notre soutien, car elles reflètent ce que nous défendons: par exemple, les invites 3 et 4, qui reprennent nos préoccupations d'optimaliser la communication entre les différents partenaires de l'école, en la rendant, notamment, compréhensible pour tous. L'invite 7 est tout à fait en accord avec l'esprit écologiste: elle demande une répartition des ressources, selon les besoins spécifiques des écoles, en tenant compte des établissements plus particulièrement sollicités par l'intégration des enfants non francophones. Nous pouvons tout à fait soutenir l'invite demandant les mêmes objectifs d'apprentissage et plans d'études, pour toutes les écoles du canton, dans les degrés obligatoires.
En revanche, nous sommes défavorables à l'égard d'autres invites: si l'évaluation régulière des réformes, entreprises dans tous les ordres d'enseignement, est absolument nécessaire, si en informer le Grand Conseil s'avère pertinent, nous désapprouvons que le Grand Conseil soit l'organe de décision pour étendre ou poursuivre les réformes.
M. Barrillier a confirmé, dans son intervention, notre crainte. Nous sommes pour une évaluation des réformes faites par les professionnels de la pédagogie, afin que ceux-ci les adaptent, les réorientent le plus finement possible, et en accord avec les acteurs du terrain. Imaginez seulement une seconde que des députés interviennent de manière aussi dirigiste à l'hôpital cantonal: personne, dans cette assemblée, ne se permettrait de remettre en question les techniques opératoires ou les traitements choisis dans des institutions de santé. Nous laissons cette tâche à des professionnels, et c'est sage. Faisons de même avec la pédagogie.
Les réformes en cours, à l'école primaire, ont pour but principal de lutter contre l'échec scolaire. D'ailleurs, la plupart des pays européens s'engagent dans la même voie du changement: la Finlande, première au test PISA, a d'ailleurs déjà mis en place un système à peu près identique à celui que l'on vise. Malgré ces constats, paradoxalement, certains veulent combattre ces changements censés amener plus de réussite dans notre canton, comprenne qui pourra. A trop traîner les pieds, Genève, berceau de la pédagogie, prend malheureusement le risque de ne plus mériter ce titre.
Permettez-moi quand même d'aborder la question des notes, même s'il est désormais de bon ton de ne plus parler des notes, maintenant que ARLE a décidé de lancer son initiative - soutenue par de nombreux députés de droite. Précisons que les notes ont déjà été abolies de la première enfantine à la deuxième primaire. Il s'agirait aujourd'hui de les abandonner dans les quatre degrés suivants, c'est-à-dire jusqu'à la sixième primaire. L'invite 5 de cette motion suggère d'assortir des notes aux évaluations écrites: si cette proposition paraît, au premier abord, séduisante, elle n'est pas sans danger, car le chiffre, certes simple à comprendre, risque finalement de totalement occulter les mots, beaucoup plus nuancés et riches en enseignement pour les élèves et les parents. De toute manière, ARLE a mis un terme aux idées consensuelles et radicalise le ton avec son initiative.
Lors de leur assemblée générale, les Verts se sont prononcés contre l'initiative ARLE et en faveur d'une autre évaluation que celle chiffrée. Pour les Verts, l'école primaire doit rester généraliste et ne pas se focaliser sur la sélection des élèves.
Permettez-moi de conclure en citant le professeur Albert Jaccard qui, rêvant être ministre de l'éducation nationale, déclarait: «Moi ministre de l'éducation nationale, je n'ai qu'une obsession: que tous ceux qui me sont confiés apprennent à regarder les autres et leur environnement, à écouter, discuter, échanger, s'exprimer, s'émerveiller. A la société de s'arranger avec ceux qui sortent de l'école, aux entreprises d'organiser les évaluations, à la formation de leur personnel et à l'entrée des fonctions. Il faut que les rôles cessent d'être inversés, l'éducation nationale ne produira plus de chair à profit.» Et dans une loi fictive, dont je ne citerai que les deux premiers articles, Albert Jaccard ajoutait: «Article premier. Il faut supprimer tout esprit de compétition à l'école. Le moteur de la société occidentale est la compétition et c'est un moteur suicidaire. Il ne faut plus apprendre pour et être le premier» et «Article 2. L'évaluation notée est abandonnée. Apprécier une copie ou, pire encore, une intelligence, avec un nombre, c'est «unidimensionaliser» les capacités des élèves. Elle sera remplacée par l'émulation; ce principe, plus sain, permettra la comparaison pour progresser et non pour dépasser les camarades de classe. Mettre des mots, à la place des notes, sera plus approprié.»
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, les raisons fondamentales qui conduisent les Verts à refuser cette motion. (Applaudissements.)
Le président. Le Bureau, ou plus exactement les deux membres encore présents, vous propose, à l'unanimité, de clore la liste des intervenants.
M. François Thion (S). C'est avec beaucoup d'intérêt que nous avons pris connaissance de ce rapport, fruit des travaux de la commission de l'enseignement et de l'éducation. La motion a permis de faire un tour des réformes introduites, aussi bien au cycle d'orientation qu'à l'école primaire. De nombreuses personnalités ont été auditionnées, représentants du département de l'instruction publique, représentants des enseignants et représentants des associations de parents.
J'aimerais reprendre quelques points de cette motion, en premier lieu la première des huit invites adressées au Conseil d'Etat. Les motionnaires demandent, en effet, au Conseil d'Etat, de prendre toutes les mesures permettant de respecter les objectifs de l'école publique, et, plus particulièrement, la mission définie à la lettre a) de l'article 4 de la loi sur l'instruction publique, qui demande de: «Donner à chaque élève le moyen d'acquérir les meilleures connaissances dans la perspective de ses activités futures et de chercher à susciter, chez lui, le désir permanent d'apprendre et de se former.» Si cet alinéa de l'article 4 est évidemment d'une grande importance, il n'est pas le seul but de l'enseignement public à Genève.
L'école ne peut se résumer à une institution qui transmet des connaissances. Vous avez oublié la suite de l'article 4 de la loi sur l'instruction publique, permettez-moi de rafraîchir quelque peu vos connaissances. Cet article 4 dit, à la lettre b): «L'enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun, d'aider chaque élève à développer, de manière équilibrée, sa personnalité, sa créativité, ainsi que ses aptitudes manuelles, intellectuelles, physiques et artistiques.» La lettre c) dit de «veiller à respecter, dans la mesure des conditions requises, les choix de formation des élèves.» La lettre d) dit de «préparer chacun à participer à la vie sociale, culturelle, civique, politique et économique du pays, en affermissant les sens des responsabilités, la faculté de discernement et l'indépendance de jugement.» La lettre e), de «rendre chaque élève progressivement conscient du monde qui l'entoure, en éveillant en lui le respect d'autrui, l'esprit de solidarité et de coopération, et l'attachement aux objectifs du développement durable.» La lettre f), de «tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves, dès les premiers degrés, à l'école.»
Cela dit, revenons aux indispensables connaissances de base. Nous sommes tous d'accord pour dire que c'est un objectif essentiel. Comment avancer dans la vie sans savoir lire et écrire, savoir calculer, savoir s'exprimer ? Chacune des disciplines scolaires - le français, l'histoire, la géographie, la biologie, les mathématiques, la musique, le dessin, pour n'en citer que quelques-unes - apporte à nos élèves des connaissances essentielles, qui leur permettront de prendre leur place dans la société, d'en devenir des acteurs, des citoyennes et des citoyens. Ce que nous ne devons pas oublier, cependant, c'est que tout le monde n'apprend pas à la même vitesse: les élèves ont plus ou moins de difficultés devant certains apprentissages. Tous n'ont pas les mêmes facilités et tous n'apprennent pas de la même façon et au même rythme. Il faut donc différencier les approches pédagogiques. C'est pourquoi il est parfois nécessaire de mettre, sur place, un encadrement plus individualisé, d'avoir recours à des méthodes différenciées.
Mais cette motion a surtout pour objectif de réintroduire les notes à l'école primaire dans chacune des disciplines. Elle est donc directement liée à la rénovation de l'école primaire, réforme qui touche, à l'heure actuelle, 40% des écoles. En gros, la rénovation de l'école primaire tient compte des différents rythmes des élèves, qui passent par des cycles d'apprentissage qui peuvent prendre plus ou moins de temps mais qui, en aucun cas, ne remettent en question les priorités de l'école telles qu'elles sont définies dans l'article 4 de la loi sur l'instruction publique.
Dans les écoles en rénovation, les enseignantes et les enseignants ne sont pas seuls face aux élèves: des rencontres et des discussions entre collègues permettent d'évaluer régulièrement les progrès de chaque élève, au cours de différents cycles d'apprentissage. Les maîtres ne sont plus seuls, face aux élèves et à leurs parents, et les témoignages, que j'ai pu recueillir à ce sujet, sont tous positifs. Je dois dire, en passant, que les enseignantes et enseignants du primaire dans les écoles en rénovation, ont très mal ressenti la motion dont nous débattons; ce d'autant plus que les carences et les lacunes scolaires, à la sortie de l'enseignement obligatoire, décrites dans l'enquête PISA, touchent des élèves qui n'ont pas encore connu la rénovation.
Un mot sur la réforme du cycle d'orientation. Elle est caractérisée, d'une part, par une redéfinition des objectifs d'apprentissage, pour chacune des disciplines, et, d'autre part, par l'introduction d'une nouvelle grille horaire. Une troisième nouveauté est la disparition des sections au profit des regroupements: regroupement A, dont faisaient autrefois partie les élèves de latine, de scientifique et de moderne; et le regroupement B, les autres élèves. La nouvelle grille horaire est déséquilibrée et les disciplines comme le dessin sont en voie de disparition. Ce déséquilibre pourrait bien augmenter les carences et les lacunes de nombreux élèves, en particulier ceux qui se trouvent dans les ghettos du regroupement B.
Reste l'affaire des notes, dont nous n'avons pas fini d'entendre parler. En 1910, les enseignants genevois calculaient dix moyennes mensuelles pour douze disciplines scolaires et pour la conduite. Cela donnait, à la fin de l'année, cent trente informations chiffrées. Il y a quelques années, les élèves genevois étaient classés du premier au vingt-sixième, vingt-septième ou au trentième rang, et le classement figurait dans le carnet scolaire. Les parents étaient-ils mieux informés sur le travail de leurs enfants ? Je n'en suis pas sûr.
En 1992, la pédagogie à évolué, le carnet de l'élève de l'école primaire genevoise comportait trois moyennes pour cinq disciplines, donc quinze informations, au total. Pour montrer les limites de la note, prenons un exemple concret: si nous mettions vingt «premiers de classe» dans la même classe, croyez-vous que tous auraient des 6 et des 5 ? La réponse est négative. Quel que soit le groupe à évaluer, vous retrouverez une partie de bons élèves, une majorité de moyens, et une partie d'élèves jugés insuffisants.
L'impérieuse nécessité sociale de distinguer les bons des mauvais amène les enseignants à attribuer des notes différentes aux élèves, en les répartissant sur différents points d'un axe, quelles que soient leurs prestations effectives. C'est un problème scientifique connu. Autre exemple: un 4 de mathématiques ne nous donne aucune information précise. L'élève a-t-il mal appris ses tables de multiplication ou confond-il le rectangle avec le triangle ? Comme vous le voyez, l'information chiffrée est très souvent lacunaire. A partir de là, vaut-il vraiment la peine de conserver un système de notes ? Pensez-vous que la note est toujours un moyen objectif d'évaluer le travail d'un élève ? Je n'en suis pas sûr.
L'école et son environnement changent...
Présidence de M. Bernard Lescaze, président
Le président. ...Il est temps de conclure, Monsieur Thion. Il y a encore douze orateurs inscrits, et vous avez parlé depuis six minutes quarante secondes.
M. François Thion. Eh bien, ça va très bien, j'ai juste le temps de terminer. L'école et son environnement changent, disais-je; la société évolue, l'école doit également évoluer. Après la suppression des classements, des prix donnés aux bons élèves, nous pouvons imaginer de passer à une nouvelle réforme, la suppression des notes. Mesdames et Messieurs les députés, cette motion est intéressante, car elle permet un débat sur l'école genevoise. Malheureusement, certaines des propositions, comme le retour des notes et la transmission comme unique objectif de l'école sont inacceptables, rétrogrades et ne font que baisser, de manière inquiétante, le niveau de l'école.
C'est pourquoi le groupe socialiste refuse de suivre la majorité de la commission.
Le président. Vous avez dépassé de vingt secondes le temps de parole. La parole est au député Schmied. (L'orateur est interpellé.)Non, mais, les manoeuvres d'obstruction, on les connaît, on essaie de terminer cet objet ce soir, si on n'y arrive pas, on terminera la fois prochaine, mais vous avez tort d'agir comme ça sur cette motion. Monsieur le député Schmied.
M. Patrick Schmied (PDC). C'est vrai que, comme le disait M. Barrillier - qui n'est plus ici, parce que maintenant, ça l'intéresse peut-être moins - c'est vrai que, quand cette motion est arrivée, nous l'avons trouvée assez peu intéressante, du fait qu'elle était rédigée de façon assez excessive. Surtout, et fondamentalement, elle mettait l'ensemble de tous les problèmes possibles et imaginables de l'école sur le dos des réformes.
Néanmoins, cette réforme a été l'occasion, au sein de la commission, d'un débat extrêmement intéressant qui a abouti de manière satisfaisante pour nous - et là aussi, comme M. Barrillier, j'adresserai un hommage, bien que peut-être pas aussi vibrant, au député Follonier, qui a su s'adapter et rendre la motion intéressante pour l'ensemble de la commission.
Ce qui est apparu intéressant dans les débats, c'est que, quand on parle de réforme, Mesdames et Messieurs les députés, on se rend compte que ni les motionnaires ni le département ne savent très bien de quoi on parle. Et ça a été assez frappant de voir les motionnaires dire «on ne sait pas très bien ce que sont les réformes, peut-être que le département pourrait nous le dire». Le département, bien embarrassé, au bout de quelques semaines, quelques mois, nous a fourni une ébauche de ce que pouvaient être les réformes, sans grande hiérarchie, il faut bien le dire.
Le résultat de cette motion, les invites, en tout cas, correspondent, pour nous, au bon sens. D'abord, on remet un peu de connaissances dans les exigences sur l'école - nous, démocrate-chrétiens, n'avons pas d'états d'âme sur la question des notes, à condition qu'elle ne soit pas considérée comme la panacée universelle, ce qui est malheureusement le cas de l'initiative d'ARLE.
L'introduction d'une culture de l'évaluation, dans ce département, nous paraît tout à fait nécessaire, parce que, quand on évalue des élèves à longueur d'année, il est normal qu'on accepte d'être soi-même évalué de temps en temps.
Une autre invite très importante concerne l'égalité entre les écoles. On a quand même un petit peu l'impression - et on espère que la réponse à cette motion nous rassurera - que, dans les écoles, chacun fait un peu ce qu'il veut et chacun met la barre un petit peu où il veut. Du coup, on n'a pas la garantie d'avoir l'égalité de l'offre par rapport aux élèves.
Enfin, le plus important, je dirais, c'est la communication. Tarte à la crème s'il en est, voilà un département qui a une peine absolument exceptionnelle à communiquer avec les parents et avec les enseignants. Le résultat, du côté des parents, c'est le succès extraordinaire de l'initiative ARLE. Pour moi, pour nous, il est très clair que si cette initiative a un tel succès, c'est parce qu'on a, en face, des parents totalement exaspérés par l'école. Cette dernière leur parle dans un langage totalement abscons et les exclut, en réalité, de sa communication, en se reposant, comme le disait Mme Wisard, sur ces fameux professionnels, qui sont tout sauf convaincants, à la vérité. Donc cette invite sur la communication du département est la plus importante à mes yeux. Le jour où les enseignants seront capables, dans une réunion de parents d'élèves, d'expliquer, en français, ce qu'ils font pendant l'année, et que les parents partiront et qu'ils auront compris, on aura fait un très grand pas en avant, Mesdames et Messieurs les députés.
Pour toutes ces raisons, nous vous demandons de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat, qui en fera certainement le meilleur usage.
Le président. Sage proposition, Monsieur le député. C'est une motion, en effet.
Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Tout à l'heure, Mme Hagmann a dit que nous avions toutes et tous la responsabilité de l'école. Personnellement, je fais un constat un peu triste: quand on parle d'une centaine de jeunes violents, mal élevés, tout le monde est là, tout le monde s'excite, la presse est présente. Quand on parle de la majorité des jeunes et des élèves de Genève, qui sont bien élevés, qui font bien leur travail, ça n'intéresse plus personne. Cela veut tout dire. (Applaudissements.)
Par ailleurs, je tiens à remercier les rapporteurs pour leurs rapports fort intéressants, j'ai eu beaucoup de plaisir à les lire, mais à mon avis, il y a une réflexion qui manque.
On oublie que c'est la question scolaire qui rejoint la question sociale. En effet, déjà Jean Jaurès, à l'aube du XXe siècle, disait ceci: «la politique de la formation est indissociable de la politique sociale.» De ce fait, je tiens à dire aux partis - qui veulent maintenant réformer l'école en revenant en arrière, en invoquant plus de discipline, des notes - qu'ils sont les mêmes à vouloir couper dans les prestations sociales et à vouloir vider le service public de son sens. Si des parents n'arrivent, aujourd'hui, plus à faire face aux nombreuses tâches qui leur incombent, pour élever leurs enfants, c'est qu'elles et ils n'arrivent plus à concilier une vie professionnelle de plus en plus stressante avec une vie de famille harmonieuse.
Les attentes face à l'école ont, aujourd'hui, également changé. L'extension de la logique du marché à des domaines qui en étaient jadis préservés touche aujourd'hui l'école. On peut voir trois processus qui se conjuguent pour accélérer ce mouvement.
Premièrement, s'il est vrai qu'il y a épuisement d'un certain modèle d'autorité scolaire, ce n'est que le reflet de notre société, que nous avons nous-mêmes construite, alors que nous sommes passés par un système scolaire à l'ancienne, autoritaire, à la discipline, telle que souhaitée par les auteurs de la motion. Regardez comment nous nous comportons, comment nous nous traitons entre nous, et vous aurez tout compris.
Deuxième chose. On assiste à la propagation d'une représentation de l'école comme un prestataire de services dont on exige qu'il aide les élèves à trouver un emploi futur. Est-ce vraiment l'unique rôle de l'école ? N'est-ce pas cette vision qui amène aujourd'hui des jeunes à ne plus voir la vie en rose et, de ce fait, à se comporter de manière violente et inadéquate ? Mesdames et Messieurs les députés, il faut vraiment se poser des questions.
Troisième paramètre. Il y a une difficulté croissante à prendre en charge l'hétérogénéité des populations scolaires. La mondialisation a une influence sur l'école, dans le sens que l'éducation devient un produit mondial, par le jeu de la mobilité et par internet, qui doit se vendre et répondre à une demande à la fois mondialisée et individualisée. Il y a décloisonnement de l'espace éducatif et déconnexion entre la source du savoir et le lieu où il est transmis.
Tous ces paramètres, Mesdames et Messieurs les députés, doivent être inclus dans une réflexion sur l'école, car nous ne pouvons changer l'école si nous ne sommes pas prêts à réfléchir sur le lien avec le changement de la société. Et tant que ces réflexions ne seront pas liées aux propositions sur l'école, nous ne ferons qu'ajouter des sparadraps sur des blessures beaucoup plus profondes. C'est la raison pour laquelle nous aimerions que la réflexion soit élargie et nous refusons donc les conclusions du rapport de majorité. Je vous remercie. (Applaudissements.)
Mme Caroline Bartl (UDC). Parler de rencentrer l'école publique, c'est admettre l'existence d'un problème. Comme nous pouvons le constater, le débat qui tourne autour de l'école publique genevoise divise deux camps, difficilement réconciliables. D'un côté, nous avons ceux qui pensent que l'école doit efficacement transmettre les connaissances, mais qui ne peuvent que prendre acte d'un échec patent, lors d'études comparatives. D'un autre côté, nous avons ceux qui ne jugent pas indispensable cette mission fixée dans la loi, et qui ne peuvent ni se montrer critiques face aux méthodes actuelles d'enseignement ni accepter l'existence d'une dérive. En plus, pour ces derniers, l'école aurait pour but la socialisation des élèves, champ perpétuellement mobile et ouvert à toutes sortes d'expérimentations pédagogiques.
Je pense que les performances des écoliers genevois, aussi mauvaises soient-elles, ne seront jamais un indicateur pertinent des réformes de l'école elle-même, même si cette dernière est la plus chère de Suisse romande. Cela fait trente ans que l'école est en réforme, il ne faudrait pas oublier que le but premier était cette volonté d'augmenter l'efficacité de transmission des connaissances jugées insatisfaisantes ou améliorables, et force est de constater que ce but a été mis de côté, et que la réforme perpétuelle des moyens est devenue un but en soi.
Je suis contente que cette motion soulève des problèmes importants, tant au niveau des notes qu'au niveau des cycles de quatre ans, parce que je pense que l'abandon des évaluations chiffrées et des cycles annuels diluent les repères, et cela finit par miner l'école.
Répudier les notes, c'est perdre un niveau de repères compréhensibles qui permettent des barèmes clairs et non arbitraires, des moyennes, des pondérations. Répudier les cycles annuels, c'est perdre le repère que consacre le passage annuel à un degré supérieur. Et il me semble que des cycles de quatre ans auraient de graves conséquences, surtout pour les plus faibles, qui se verraient distancés sur de plus longues périodes, et qui, au bout du compte, n'arriveraient plus à surmonter les obstacles.
Je pense que refuser des évaluations claires et régulières, ce serait aussi prendre le risque de laisser croire que c'est l'école, et non plus les élèves, qui aurait peur d'être jugée sur ses résultats.
Pour terminer, j'estime qu'il est temps que l'école arrête de se substituer au rôle éducatif des parents, en inculquant aux élèves des normes sociales.
Par conséquent, mon groupe et moi-même soutiendrons la motion. (Applaudissements.)
M. Souhail Mouhanna (AdG). Depuis quelque temps, je suis impressionné par la fréquence des interventions du groupe radical, au niveau de l'école publique et par cette capacité de laisser croire que les radicaux n'ont aucune responsabilité dans la dégradation de l'école publique.
Vous parlez de ce qui se passe dans l'école publique depuis trente ans. Depuis plus de trente ans, je suis ce qui se passe à l'école publique, puisque j'y enseigne, je suis donc bien placé pour savoir - bien mieux que certains d'entre vous - ce qui s'y passe.
Vous parlez de la démotivation des enseignants. Mais vous oubliez, tous, les dénigrements que vous avez exprimés à leur égard pendant toute la période monocolore des années nonante. Vous oubliez la contribution que vous avez apportée à la dégradation des ressources nécessaires à l'amélioration du système éducatif. Passons. Je ne vais pas reprendre tous ces éléments, mais, puisque vous voulez recentrer les choses sur la transmission des savoirs, je vais me concentrer sur cette motion.
Vous prétendez que la mission essentielle de l'école publique est la transmission des savoirs. Eh bien, non. Ce n'est pas la mission mais unedes missions essentielles de l'école publique. Les missions essentielles sont articulées dans l'article 4 de la loi sur l'instruction publique, et je tiens à lire la totalité de cet article... (Manifestation dans la salle.)...parce que quand vous parlez de recentrer, vous semblez dire que le reste n'a pas d'importance. Or, justement, le reste vous gêne: voilà pourquoi vous ne voulez pas qu'on en parle ! Et j'en entends déjà quelques-uns qui voudraient que je n'en donne pas lecture; mais je vais vous décevoir.
L'article 4 dit ceci: «L'enseignement public a pour but, dans le respect de la personnalité de chacun :
a) de donner à chaque élève le moyen d'acquérir les meilleures connaissances dans la perspective de ses activités futures et de chercher à susciter chez lui le désir permanent d'apprendre et de se former;
b) d'aider chaque élève à développer de manière équilibrée sa personnalité, sa créativité ainsi que ses aptitudes intellectuelles, manuelles, physiques et artistiques;
c) de veiller à respecter, dans la mesure des conditions requises, les choix de formation des élèves;
d) de préparer chacun à participer à la vie sociale, culturelle, civique, politique et économique du pays, en affermissant le sens des responsabilités, la faculté de discernement et l'indépendance de jugement;
e) de rendre chaque élève progressivement conscient de son appartenance au monde qui l'entoure, en éveillant en lui le respect d'autrui, l'esprit de solidarité et de coopération et l'attachement aux objectifs du développement durable;
f) de tendre à corriger les inégalités de chance de réussite scolaire des élèves dès les premiers degrés de l'école.»
Toutes ces missions sont essentielles. Le savoir sans la conscience, que vaut-il ? Or c'est justement ce que vous voulez: le savoir sans conscience, pour pouvoir utiliser les gens comme vous voulez, comme ceux que vous défendez... (Manifestation dans la salle. Le président agite la cloche.)Oui, vous voulez que les meilleures connaissances soient acquises, pour pouvoir réaliser son projet professionnel et son projet humain. Vous savez, il y a beaucoup de gens qui ont beaucoup de connaissances. Par exemple, tous ces pilotes, de grande valeur, de Swissair. Et vous savez ce qui s'est passé: toutes ces suppressions d'emplois, qui mettent à la rue des dizaines, des centaines et des milliers de gens, qui sont parfaitement formés, mais qui, à cause de l'appât du gain et du culte du profit, sont mis à la rue par vous, qui faites fi de tout ce que l'école publique a fait pour former ces gens-là. Vous oubliez cela.
M. Barrillier a parlé tout à l'heure des 27 000 signatures que l'initiative d'ARLE a récoltées. Eh oui, Monsieur Barrillier, c'est vrai que c'est un score impressionnant - d'ailleurs comme tous les objets qui pourraient être concentrés sur quelque chose de parfaitement partiel.
Je vous donne un autre exemple. Un référendum, c'est 7000 signatures. J'ai fait partie, moi, d'un comité référendaire, qui défendait le maintien de la brigade sanitaire de la police que certains de ceux d'en face, qui se prétendent défendeurs de la police, ont combattu, parce qu'ils voulaient justement que la police reste un instrument de répression. Justement, il y a eu 20 000 signatures, mais on a vu qu'à l'arrivée - à cause de toutes les interventions, de la mobilisation, de tout l'argent qui ont été investis pour déposséder la police d'un instrument de proximité avec la population - le référendum a récolté 40% d'avis favorables, Monsieur Barrillier. Ne vendez pas la peau de l'ours avant de l'avoir abattu. Je vois que vous êtes maintenant extrêmement heureux de voir ARLE vous fournir un certain nombre d'arguments, mais, je vous le dis très franchement... (L'orateur est interpellé.)Ecoutez, parmi les gens d'ARLE, il y a des personnes que je connais et que je respecte énormément, mais elles n'ont pas que ce que vous croyez qu'elles défendent. Elles défendent bien d'autres choses, mais vous ne prenez que ce qui vous intéresse. Je vais vous dire, Monsieur Barrillier, Mesdames et Messieurs du parti radical - plutôt les messieurs, d'ailleurs, essentiellement - vous devriez être très reconnaissants à ARLE...
Le président. ...Il faut conclure, Monsieur Mouhanna.
M. Souhail Mouhanna. Je conclus, Monsieur le président du Grand Conseil. Je conclurai par ceci: vous devriez être très reconnaissants à ARLE de vous avoir fourni la feuille de vigne qui vous permet de cacher votre impuissance... (Rires.)...à améliorer l'école publique. (Applaudissements.)
M. Hugues Hiltpold (R). La motion radicale s'inscrit en plein dans la problématique des réformes et des rénovations scolaires. Beaucoup de personnes ont appelé ces dernières de leurs voeux, à en juger par l'actualité récente qui a vu l'aboutissement de l'initiative dont on a discuté précédemment - elle a récolté, je vous le rappelle, près de 28 000 signatures.
Ce soir, tout le monde s'accorde à dire que le débat est utile. Je tiens simplement à rappeler qu'en débat de préconsultation le groupe radical a fait l'objet d'un certain nombre de gausseries et de railleries de la part de députés se trouvant tant à ma gauche qu'à ma droite, et que nous étions accusés de profaner un certain nombre de billevesées. C'est pourquoi je suis très heureux, ce soir, de constater que tout le monde s'accorde à dire que le débat est utile: c'est déjà une bonne part du marché qui est remplie.
Deuxième élément. Les travaux qui ont eu lieu en commission se sont déroulés dans une certaine ouverture d'esprit, les débats ont été sereins et plus ou moins constructifs - quand je dis «plus ou moins», c'est que nous sommes arrivés à un certain nombre d'invites amendées et aussi consensuelles que l'on puisse l'être dans une commission. Le but, Mesdames et Messieurs les députés, était identique pour tous: c'était une école de qualité que nous voulions tous.
Je tiens à rappeler que le rapport de minorité, que je considère pour ma part comme faible, m'a personnellement étonné, parce que M. Apothéloz - que je considère comme quelqu'un de sensible et de censé - nous avait habitués à des arguments un peu plus constructifs. Cela m'amène à deux conclusions.
La première, c'est que si on dit «non» à une motion, simplement parce que son titre et ses considérants ne conviennent pas, c'est qu'on a une susceptibilité que je considère comme malvenue.
Deuxième conclusion: on n'a aucun autre argument à faire valoir.
C'est la raison pour laquelle je vous invite à voter les invites telles qu'amendées, et à ne pas rentrer en matière sur les amendements, parce je crois qu'il n'y a pas de raisons de refaire le débat qui a eu lieu en commission. (Applaudissements.)
Une voix. Bravo, t'as bien parlé.
Le président. Merci Monsieur le député, nous tâcherons de nous en souvenir pour quand nous reprendrons les travaux à ce sujet, c'est-à-dire probablement dans quinze jours.
La séance est levée à 19h.