Séance du vendredi 13 juin 2003 à 14h
55e législature - 2e année - 9e session - 52e séance

M 1531
Proposition de motion de Mme et MM. Guy Mettan, Anne-Marie Von Arx-Vernon, Pascal Pétroz, Pierre-Louis Portier, Patrick Schmied pour la création d'un Samu social à Genève

Débat

Mme Esther Alder (Ve). Les Verts sont d'accord d'entrer en matière sur le principe d'une assistance sociale et médicale d'urgence accessible vingt-quatre heures sur vingt-quatre par la population, mais, en parallèle, il nous apparaît indispensable que tous les services clés de l'action sociale aient une permanence accessible et mobilisable. En effet, pour la cohérence du système, il nous paraît essentiel que des relais immédiats puissent être établis. En revanche, il ne nous semble pas judicieux que ce service s'inspire du SAMU social parisien, car, selon nous, on ne peut pas comparer les problèmes d'une métropole de plusieurs millions d'habitants à la réalité genevoise.

En résumé, ce nouveau dispositif devra décharger, entre autres, la police de tâches manifestement sociales et apporter des réponses concrètes, en cas de détresse, de violence ou de crise, jour et nuit, sept jours sur sept.

Pour terminer, nous sommes d'accord de renvoyer cette motion en commission sociale pour examen.

Mme Jocelyne Haller (AdG). Les signataires de cette motion mettent en lumière une réelle problématique. Toutefois, ils se fondent sur ce qu'ils qualifient de «besoins en aide sociale urgente» ou «d'urgences sociales» pour inviter le Conseil d'Etat à étudier la création d'un SAMU social. Ils nomment également quelques-uns des partenaires qu'ils leur sembleraient pertinents d'associer à la mise en place d'un tel dispositif.

Ce faisant, ils anticipent sur la réponse à donner à cette invitation et profilent la structure à créer en s'inspirant du modèle parisien. Cela est regrettable, car cela revient à ne pas prendre en considération la spécificité de la situation genevoise et, surtout, à négliger ce qui existe déjà à Genève en matière d'urgence. Nous pensons là plus particulièrement au 144, à la DUMC, à la police, à SOS Médecins, à la permanence du service de protection de la jeunesse et tant d'autres... Car il s'agit moins là de créer de nouveaux services que de se préoccuper de mieux faire fonctionner ce qui existe déjà, après avoir clairement cerné les besoins.

Et il nous faut en la matière être attentifs aux mots et aux réalités qu'ils recouvrent. En effet, si nous évoquons les besoins en aide sociale urgente ou les urgences sociales, nous ne parlons pas encore des urgences psycho-sociales, car chacune de ces situations requiert des réponses et des outils différents. Alors, soyons attentifs à ne pas créer un grand fourre-tout qui laisserait accroire que nous avons fait le nécessaire pour qu'une réponse véritablement appropriée soit apportée à cette problématique. Nous pensons que seule une approche pluridisciplinaire permet d'appréhender tous les aspects des urgences dites sociales. Lorsqu'elles se posent dans toute leur accuité, ce ne sont plus seulement des travailleurs sociaux dont on a besoin, mais de médecins, de psychiatres et souvent des forces de l'ordre. Car bien souvent la crise, jusqu'alors latente, se révèle sous un jour paroxystique avec son lot de manifestations de désespoir, d'agressivité et de violence.

Enfin, si nous estimons avec les motionnaires, mais d'une autre manière, qu'il est indispensable de s'interroger sur la façon de mieux répondre à Genève aux besoins induits par les urgences sociales et psychosociales, nous estimons incontournable de se questionner sur les facteurs qui, en amont de ces crises, y conduisent. Cette motion évoque des situations d'exclusion et de précarité. Une autre, lors d'une de nos récentes sessions parlait de violence sociale. La dégradation de notre contexte économique et social n'est donc exempte de responsabilité dans la souffrance que révèlent ces urgences psychosociales. Il conviendrait, par conséquent, d'identifier et de favoriser la mise en place de mesures propres à éviter l'émergence des crises psychosociales.

Pour ces motifs, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette motion à la commission des affaires sociales.

Mme Véronique Pürro (S). Sans vouloir répéter les propos tenus par mes deux préopinantes, j'aimerais également faire remarquer qu'en dépit de l'intérêt de ce modèle, nous ne pouvons pas faire un «copier-coller» du SAMU social parisien. L'année dernière, la Ville et le Canton de Genève ont invité M. Xavier Emmanuelli à venir présenter son action sur la Ville de Paris. Or, comme l'a relevé Mme Alder, on ne peut pas comparer la Ville de Paris, qui compte plusieurs millions d'habitants, à notre petite République et canton de Genève !

Nous pourrons nous appuyer sur la base des mesures existantes à Paris, notamment sur le fait qu'il s'agisse d'équipes pluridisciplinaires. En effet, comme l'a signalé Mme Haller, la frontière entre les problématiques sociales et les problématiques psychosociales est souvent très difficile à établir, tant les problèmes sociaux dépendent souvent de problèmes psychiques - et inversement. L'idée de disposer d'équipes pluridisciplinaires parvenant à couvrir des horaires qui ne sont aujourd'hui, il faut le reconnaître, couverts quasiment que par la police - laquelle, en dépit du travail extraordinaire qu'elle accomplit, ne possède pas forcément les outils pour ce faire - est intéressante. J'évoque la police en ce qui concerne la dimension sociale car il est vrai que, sur le plan médical des urgences, le vingt-quatre heures sur vingt-quatre est davantage couvert par des services déjà existants. Mais il faut reconnaître que, sur le plan strictement social, il n'existe actuellement quasiment aucune structure pour couvrir la demande. S'appuyer sur les services existants, oui. Il me semble d'ailleurs que les motionnaires l'ont indiqué dans leur invite et que Mmes Haller et Alder sont d'accord sur ce point. Pour notre part, nous nous rallions également à l'idée qu'avant de mettre sur pied un nouveau service, il convient de s'appuyer sur les services existants et sur les compétences différentes de ces derniers.

Je conclurai mon intervention en annonçant que les services de l'administration cantonale ainsi que certaines communes ont été associées, depuis déjà plusieurs mois - voire davantage, et en tout cas bien avant le dépôt de cette motion - dans réflexion sur la mise en place d'un tel service. Je ne pense pas là trahir un secret de fonction et suppose que M. le magistrat Unger nous fournira probablement quelques renseignements à ce sujet.

Je vous remercie de renvoyer cette motion en commission, en espérant que la réflexion menée par le Canton puisse également être intégrée aux travaux de la commission.

M. Jacques Pagan (UDC). Notre groupe appuiera cette proposition de motion et conclura à son renvoi devant le Conseil d'Etat. Les questions qui y sont posées sont pertinentes. Les réponses à apporter doivent bien entendu passer par l'établissement de l'inventaire des instruments déjà à disposition pour lutter contre l'indigence et la détresse humaine dans nos rues.

Comme le disait Mme Pürro, il faudra déterminer, à partir des instruments déjà existants, ce qu'il y a lieu de faire avant de songer à créer une nouvelle entité. Il faudra également s'interroger sur le coût de cette opération et déterminer les moyens financiers à mettre en oeuvre pour la réaliser.

M. Guy Mettan (PDC). Je tiens en premier lieu, en qualité de motionnaire, à remercier toutes celles et tous ceux qui ont pris la parole pour soutenir cette motion. Il me semble que tout a été dit sur les besoins auxquels cette motion tentait de répondre. Cette dernière permettrait de répondre à une détresse visible quotidiennement dans notre ville.

J'aimerais ajouter un point qui me semble particulièrement important aujourd'hui. L'un des buts de cette motion tend à décharger la police de tâches qu'elle ne peut assumer en l'état. Après les événements qui se sont récemment produits, c'est un point qu'il convient de rappeler.

Tous les propos qui ont été tenus sont tellement exacts que le Conseil d'Etat est désormais prêt à réaliser les buts de cette motion. Nous vous invitons donc, comme l'a fait M. Pagan, à renvoyer ladite motion directement auprès du Conseil d'Etat, de manière que nous puissions aller vite ne besogne. Je vous remercie une nouvelle fois de votre attention.

M. Claude Aubert (L). J'aimerais brièvement vous retracer la fin du grand poète Euripide. Euripide était un Grec qui, ayant connu des problèmes dans sa patrie, s'était rendu en Sicile. Pour comprendre cette histoire, il faut savoir qu'Euripide était chauve. (Rires.)Celui-ci déambulait donc, un soir, le long du rivage lorsqu'un aigle cherchant de quoi se nourrir trouva une tortue. Ayant fondu sur l'animal et l'ayant pris dans ses griffes, l'oiseau se mit à chercher un caillou. En effet, comme vous le savez, les aigles lâchent les tortues sur les cailloux pour les ouvrir. Ayant vu un beau caillou au bord de la mer, il lâcha la tortue. Comme il s'agissait en réalité du crâne d'Euripide, ce dernier mourut d'un coup de tortue sur le crâne...

De cette histoire, je retire qu'il était intelligent de la part d'Euripide de se promener au bord de la mer; que l'aigle était intelligent de chercher de quoi se nourrir, et que la tortue était probablement intelligente en pensant qu'elle ne courait pas trop de risque au début de la soirée. Plusieurs acteurs ont donc agi de manière très intelligente... mais le seul problème, c'est que l'histoire s'est soldée par un mort !

Par ce récit, je voulais vous faire comprendre la chose suivante: l'on peut toujours émettre des idées très intelligentes et proposer toute une série de mesures dans le domaine psychosocial, mais il faut absolument tenir compte des effets pervers de la multiplication des services dont Genève a connu un exemple dramatique ! Par conséquent, une fois que l'on aura renvoyé cette motion à la commission sociale, il faudra examiner la manière dont s'articulent les différents services, car des morts ont été dues à des dysfonctionnements de services. Je ne prétends pas que les gens sont méchants, mais simplement que les dysfonctionnements engendrent des effets pervers.

Je vous rappellerai en dernier lieu qu'à Genève, dans les années 1960 et 1970, les trois secteurs psychosociaux fonctionnant dans le cadre des services du Professeur Garrone assumaient un service à la population d'une très grande qualité et que de divers professionnels y qui travaillaient fort bien ensemble. Ces secteurs ont ensuite, pour des raisons politiques, été détruits. En ce qui me concerne, ce qui me manque beaucoup, c'est que l'on ne trouve jamais, dans ces serpents de mer de services que l'on crée et que l'on supprime, un historique qui nous permettrait de déterminer si la progression de ces propositions répond à une idée précise ou si elles se font par les hasards du jour ! (Applaudissements.)

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). On sait bien que les interventions pertinentes arrivent souvent, comme Mme Haller l'a relevé, lorsque la crise est paroxystique. Or, lorsque des réponses, mêmes adéquates, surviennent une fois que des personnes ont été réduites à connaître des besoins médicaux ou psychiatriques, voire à nécessiter des interventions de police, l'on peut légitimement penser que nous aurions dû intervenir plus tôt ! La création d'un SAMU social a donc du sens, et c'est là que réside l'intérêt de cette motion. Jouissant personnellement d'une vingtaine d'années d'expérience dans le domaine psychosocial, je crois pouvoir me permettre de renforcer cette explicitation en assurant que, si l'on parvient à intervenir avant d'en être arrivé à faire appel à des interventions médicales, psychiatriques ou policières, nous aurons parcouru un immense chemin.

Il est vrai qu'il y a lieu de coordonner et de travailler avec les structures déjà existantes. C'est pourquoi le PDC vous demande de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.

M. Pierre-François Unger, conseiller d'Etat. Peut-être commencerai-je par paraphraser l'histoire d'Euripide relatée par le député Aubert: l'histoire actuelle de l'urgence sociale est une somme d'histoires d'Euripide. Ces histoires sont rythmées par un certain nombre de fractures du crâne puisqu'à l'heure actuelle la plupart des urgences psychosociales sont prises en charge soit dans les locaux de la police - laquelle a d'autres missions clairement prioritaires à assumer - soit dans un milieu tellement médicalisé qu'il est difficile d'éviter le scanner lorsqu'on se trouve face à un problème social urgent. Vous comprendrez donc qu'un juste milieu rétablirait à la tortue la mer, à Euripide la marche et à l'aigle le vol... C'est tout simplement ce que nous voulons faire.

Je remercie le groupe démocrate-chrétien de nous adresser cette motion. Cette dernière nous permettra, avec les moyens existants dans le budget 2003, de mettre en place un dispositif social d'urgence. Vous avez en effet, dans votre grande sagesse, voté à l'automne, puis à Noël 2002, une ligne budgétaire intitulée «urgences sociales» d'un montant de 350'000 francs. Cette somme nous permettra d'élargir les horaires de présence des acteurs de ce futur dispositif social d'urgence. Je préfère à cet égard utiliser le terme de «dispositif social d'urgence» plutôt que celui de «SAMU social» tant il est vrai qu'il n'y aura à l'évidence pas besoin d'un véhicule à feux bleus. La notion de SAMU social est une notion de mode, mais laissons la mode aux Parisiens...

Ce futur dispositif aura essentiellement pour but d'apporter l'aide sociale individuelle urgente dont les personnes auront besoin durant les plages horaires où il est difficile pour les institutions de le faire - soit la nuit et les week-ends. Nous avons déclaré qu'il s'agissait d'une aide sociale individuelle: nous dirons également qu'il s'agit d'une aide psychosociale individuelle. C'est la raison pour laquelle ce dispositif comprendra un binôme formé d'un travailleur social et d'un infirmier ou d'une infirmière travaillant soit en santé communautaire, soit en psychiatrie. Ces deux professionnels pourront s'occuper des personnes en détresse, établir leur bilan et les orienter sur les structures d'aide sociale communautaire. Je remercie au passage Mme Pürro et M. Tornare. Ces derniers ont en effet fait preuve, depuis six mois, d'une grande ouverture dans le cadre de la discussion portant sur les complémentarités à établir entre le travail d'aide social individuel - lequel est, d'après la loi sur les CASS, prioritairement attribuée à l'Etat - et l'aide sociale communautaire, laquelle est prioritairement attribuée aux communes. Tout ce dispositif se met actuellement en place. Vous l'imaginez bien, et M. le député Aubert a eu l'occasion de nous le dire en d'autres circonstances: ce n'est pas la rareté, mais c'est l'abondance qui fait la complication !

A l'heure actuelle, nous espérons que ce dispositif léger assurera une certaine coordination, ne serait-ce que par une connaissance de l'état des lieux qui devra être mené quotidiennement, des disponibilités de l'ensemble des institutions sociales, de leurs compétences du moment et, partant, du lieu le plus adapté dans lequel la prise en charge à un plus long cours pourra être entreprise - que la dominance psychologique s'affirme ou qu'au contraire la dominance sociale s'exprime définitivement. C'est donc un dispositif très léger que nous mettrons en oeuvre.

Nous acceptons volontiers cette motion. Nous pourrons, après une phase d'expérimentation de six mois, y répondre par le bilan de l'évaluation des six premiers mois d'activité sur lesquels, Mesdames et Messieurs les députés, vous pourrez vous prononcer.

Le président. Le renvoi en commission a été demandé. Comme j'imagine qu'il s'agit d'une demande de renvoi à la commission des affaires sociales - bien que j'aie auparavant entendu, mais non dans cette enceinte, une demande de renvoi à la commission judiciaire - je mets aux voix la demande de renvoi à la commission des affaires sociales.

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission des affaires sociales par 24 oui contre 17 non.