Séance du
vendredi 16 mai 2003 à
17h
55e
législature -
2e
année -
8e
session -
48e
séance
PL 8297-A
Premier débat
Mme Loly Bolay (S), rapporteuse de majorité. Tout d'abord, j'aimerais, au nom de la majorité de la commission législative, remercier les auteurs du projet de loi 8297, car même si nous avons refusé l'entrée en matière après moult auditions, nous reconnaissons que ce projet de loi a au moins eu le mérite d'ouvrir les débats sur le fonctionnement de la justice. Je dois dire que ce fut un débat assez passionnant.
J'aimerais maintenant vous exposer les raisons qui nous ont poussés à refuser cette entrée en matière. Tout d'abord, ce projet de loi est anticonstitutionnel. Il est contraire à l'article 132 de la constitution genevoise, qui stipule que les juges sont élus tous les six ans. Ensuite, par son article 60D, ce projet de loi est contraire à la loi sur la libre circulation des avocats.
Les auteurs de ce projet de loi disent, dans leur exposé des motifs, que les objectifs poursuivis par ce projet sont, d'une part, d'améliorer la qualité des prestations du pouvoir judiciaire. Pour ce faire, ils considèrent qu'une mise à l'épreuve pendant deux années probatoires est une des pistes à mettre sur pied. D'autre part, ils évoquent ensuite des mesures à prendre pour améliorer le recrutement. Ils considèrent que les juges doivent être meilleurs et veulent dans ce but introduire l'exigence de la pratique du Barreau de Genève.
Je l'ai dit tout à l'heure, ce projet de loi est anticonstitutionnel, contraire à l'article 132, ce qui signifie que l'élection ponctuée par une confirmation au bout de deux ans remettrait en question le choix du peuple et, par là, la légitimation du juge. De plus, cette mesure rendrait l'indépendance du juge très vulnérable. Cette mesure est contraire aux recommandations du Conseil des ministres de l'Europe sur l'indépendance du juge. Cette recommandation stipule que les principes d'irrévocabilité et d'inamovibilité doivent être garantis. Enfin, la teneur de l'article 62 est trop restrictive et contraire à la loi sur la libre circulation des avocats, qui stipule que les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne ou de l'Association européenne de libre-échange peuvent pratiquer la représentation en justice.
Enfin, ce même article est trop restrictif, car il mettrait en danger les filières aujourd'hui existantes, tels les greffiers-juristes du Palais ou du Tribunal fédéral, ou encore des hauts-fonctionnaires qui ne pourraient plus pratiquer. Il faut rappeler, comme cela nous a été dit en commission, qu'aujourd'hui 70% des magistrats ne répondraient pas aux critères imposés par le projet de loi 8297.
C'est pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs les députés, que la majorité de la commission législative a refusé l'entrée en matière du projet de loi 8297. Nous reviendrons peut-être tout à l'heure sur le fond de la question. Je vous remercie.
Présidence de M. Pascal Pétroz, premier vice-président
M. Michel Halpérin (L), rapporteur de minorité. Parce qu'elle est exquise et parce qu'elle est intellectuellement honnête, Mme Loly Bolay, notre collègue rapporteur de majorité, vous a expliqué avec une certaine modestie son triomphe à la commission législative, lorsqu'elle a obtenu qu'une majorité rejette le projet de loi qui lui avait été soumis. Quand je dis une majorité, je fais à mon tour preuve d'une très belle honnêteté intellectuelle, puisqu'en réalité le vote de refus d'entrée en matière était de quatre contre quatre, ce qui fait une majorité par la vertu du règlement du Grand Conseil, mais pas par celle de l'arithmétique.
Cela vous intéressera peut-être de savoir que le refus d'entrée en matière est l'oeuvre des socialistes, des Verts et de l'UDC réunis dans un même combat, contre quatre voix libérales, radicales et démocrates-chrétiennes. Les arguments pour lesquels ce projet a été refusé sont bien ceux qui vous ont été donnés par le rapporteur de majorité, c'est-à-dire une fixation sur le caractère prétendument inconstitutionnel de la proposition qui vous avait été faite. Elle aurait été inconstitutionnelle dans le fait que notre proposition de soumettre à validation, deux ans après sa nomination, l'élection d'un juge contredisait le sens clair de l'article 132 de la constitution, qui prévoit que les juges sont élus par le Conseil général pour six ans. Je pense qu'il y avait en effet un problème de constitutionnalité de la norme, mais pas nécessairement. On aurait pu trouver une formule, voire amender la constitution - ce qui nous arrive de temps en temps, quand nous pensons que le sujet le justifie.
La deuxième remarque, qui porte sur le caractère attentatoire à l'indépendance des magistrats d'une disposition par laquelle nous voulons qu'à chacune de leurs réélections, d'une façon ou d'une autre, avec ou sans période probatoire, nous puissions nous assurer qu'ils n'ont pas démérité dans l'exercice de leur fonction, est évidemment un peu plus problématique. Soutenir que des juges - comme on voudrait le comprendre à la lecture de la circulaire européenne - doivent être nécessairement inamovibles pour avoir l'indépendance nécessaire par rapport aux autres pouvoirs, pose un vrai problème ! C'est vrai que des juges qui, comme en France par exemple, sont désignés par le pouvoir politique, n'ont pas toujours ou pas tous les jours l'indépendance souhaitable vis-à-vis de ce pouvoir politique. De la même manière, on peut se demander si des juges, qui sont en réalité - comme c'est le cas chez nous - élus par le Grand Conseil, ont toute l'indépendance voulue par rapport au législatif, même si notre constitution veut, en théorie, que le pouvoir législatif ne représente dans ce contexte-là qu'une délégation du souverain qui élit les juges dans une stricte application de la séparation des pouvoirs. Mais enfin, nous avons un système à l'intérieur duquel nous voulons que de loin en loin, ceux qu'on réélit - quel que soit l'électeur - soient réélus en connaissance de cause ! C'est vrai des politiques, et il n'y a pas de raison que ce ne le soit pas du pouvoir judiciaire. Par conséquent, il faut que ceux qui élisent ou qui réélisent aient connaissance du parcours de ceux qu'ils élisent ou réélisent.
A partir de ce moment-là, le problème de l'indépendance est posé de toute manière. Et puisqu'il est posé de toute manière, nous avons essayé, nous les auteurs du projet, de le faire de telle sorte que soit renforcé le pouvoir judiciaire dans son autonomie, au détriment des pouvoirs politiques. L'un des objectifs du projet de loi précédent - le 8296, qui vous a été rapporté par le député Luscher - était de renforcer la position du Palais de justice, donc du conseil supérieur de la magistrature, dans le mode d'élection ou de réélection. Or, nous avons vu que ce système a été finalement abandonné, d'une part, parce que le conseil de la magistrature ne souhaitait pas voir ses tâches s'alourdir par l'examen attentif et circonstancié du parcours de chacun des membres du Palais, et, d'autre part, parce que les magistrats ne désiraient pas que cette espèce d'examen attentif se produise à leur détriment. De même, il est vrai que nous ne sommes en réalité pas plus scrutés par nos électeurs lorsqu'ils nous élisent: ils le font sur nos apparences, c'est-à-dire, peut-être, sur la réalité telle que nous voulons la montrer.
Quoi qu'il en soit, ce projet a été rejeté pour ces motifs. Je ne vous cache pas que les auteurs du projet en sont déçus, non pas parce que l'échec les frustre - ça, c'est notre lot habituel - mais parce que le projet qui vous était soumis ne visait pas à régler une fois pour toute et d'une seule manière le problème du bon fonctionnement de la magistrature. Notre ambition était d'ouvrir la discussion. Et nous l'avons dit ici même en préconsultation, puis en commission, puis aux différents représentants du pouvoir judiciaire que nous avons auditionnés. Certes, les problèmes qui nous sont présentés comme relevant du Palais de justice sont nombreux: on nous dit qu'il est difficile de trouver des candidats à cette vocation; on dit que les vexations que nous, pouvoir législatif, avons infligées régulièrement au pouvoir judiciaire entraînent des départs prématurés à la retraite; on nous explique que la magistrature n'est pas très heureuse de son statut. Et nous sommes tous témoins que le public n'est pas très heureux de sa magistrature, qu'il trouve parfois trop lente, parfois trop superficielle. Et donc, nous avons essayé d'ouvrir le débat en nous demandant comment recruter de meilleurs juges, plus compétents, plus expérimentés, plus formés aux habitudes du Palais de justice. Comment assurer un suivi de leur formation qui soit satisfaisant ? Comment assurer une procédure de réélection qui convienne à tous ? C'étaient des propositions. Elles ont déplu, mais nous étions prêts à en examiner d'autres ! Nous avons même - figurez-vous ! - poussé l'outrecuidance jusqu'à inviter les magistrats du pouvoir judiciaire à nous dire si modifier les conditions cadres de fonctionnement - en transformant l'élection en cooptation par exemple, comme en Angleterre - ou revoir leurs conditions de traitement seraient de nature à susciter des motivations nouvelles. A notre grande surprise, la seule proposition qui nous ait été faite à ce jour consistait à assurer une formation comme à l'école, c'est-à-dire comme aux maîtres d'école: ceux qui feraient de la formation supplémentaire devraient bénéficier des conditions de congés supplémentaires que cela accompagnerait. Cela était pour le moins inattendu, venant de magistrats.
Bref, la déception a été générale et universelle. Il n'était pas étonnant, dans ces conditions, que le projet soit rejeté. Seulement, rejeter le projet signifie qu'on se satisfait de la situation telle qu'elle est - ce qui n'est pas mon cas. Raison pour laquelle je conclus, Mesdames et Messieurs, en vous proposant, au bénéfice de ce match nul arithmétique - même si le charme de Mme Bolay l'emporte définitivement sur le mien - de renvoyer ce projet 8297 à la commission législative.
M. Christian Bavarel (Ve). Je voulais revenir sur le fond de ce projet de loi. Dans notre système démocratique, nous avons - comme tout le monde le sait - ces trois pouvoirs que sont l'exécutif, le législatif et le judiciaire, celui-ci se devant d'être indépendant des deux autres. Comme nous l'a dit M. Halpérin tout à l'heure, il existe différents modes de désignation des juges: la cooptation, pratiquée en Angleterre, comporte un risque bien évident de voir plusieurs avocats sortis d'un même moule, issus d'un même lieu, atteindre la magistrature; la nomination, tel qu'elle est pratiquée en France, peut entraîner un manque d'indépendance des juges, liés à l'exécutif. En Suisse - à Genève - notre mode d'élection comporte aussi des risques, puisque les juges sont obligés de faire des campagnes électorales, et qu'il y a là un risque de dérive populiste. Nous nous sommes prémunis contre ce risque en faisant fonctionner les partis politiques, qui présentent des candidats. Une majorité de ces élections se fait effectivement tacitement, mais en cas de conflit, le peuple peut trancher.
Nous sommes donc bel et bien sur un projet de loi qui pose la question du contrôle des juges et de l'amélioration de la magistrature. Toutes les décisions des juges peuvent faire l'objet d'un recours. Il y a donc toujours une instance supérieure qui peut casser une décision et, de plus, tous les six ans, les postes de juges sont remis sur la sellette, puisque de nouvelles élections générales sont organisées.
Ce projet de loi propose un temps d'essai de deux ans pour les juges qui, jusqu'à présent, étaient élus par le peuple. Au bout de deux ans, le Grand Conseil déciderait de faire quelque chose de différent de ce qu'a décidé le peuple. C'est là la première chose qui nous a semblé extrêmement surprenante et pas tout à fait admissible. De plus, on exige dans ce projet que l'avocat ait une expérience de trois ans au Barreau de Genève, ce qui exclut ceux qui auraient eu d'autres expériences, que ce soit dans le milieu bancaire, dans l'administration ou dans d'autres endroits qui pourraient leur permettre d'acquérir cette expérience nécessaire au juge pour pratiquer sa fonction.
Si nous sommes très contents que les auteurs du projet nous aient donné l'occasion d'auditionner passablement de gens du pouvoir judiciaire et d'ouvrir la discussion, nous tenons cependant à leur dire que, s'ils veulent rédiger un projet de loi qui soit plus ouvert, qui soit plus consensuel, nous serons prêts à discuter avec eux, mais ailleurs qu'à la commission législative. Nous nous réunirons autour d'une table, à un autre endroit, et nous pourrons très bien rédiger quelque chose de plus consensuel, quelque chose qui convienne mieux. Mais ce projet de loi est, comme je vous l'ai expliqué précédemment, non acceptable. C'est pourquoi nous vous demandons de refuser l'entrée en matière.
Présidence de M. Bernard Lescaze, président
M. Jacques Pagan (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, je dois vous dire que si je me suis opposé à ce projet de loi et si j'en ai refusé l'entrée en matière, ce n'est pas véritablement pour les raisons indiquées tout à l'heure par Mme Loly Bolay. En fait, en cours de discussion, nous nous sommes aperçus que, dans le fond, sur la base de ce projet de loi qui visait la modification de deux articles spécifiques de la loi d'organisation judiciaire, il s'agissait en réalité de revoir l'ensemble du fonctionnement de la justice. Quelle tâche immense à accomplir ! Je m'excuse, mais il m'est apparu que les articles 60D et 60E de la loi sur l'organisation judiciaire n'étaient pas nécessairement un bon prétexte pour procéder de la sorte.
Je crois qu'il faut être sérieux: ce n'est pas parce qu'on m'offre un kit avec un boulon et un écrou que je suis à même de reconstruire la Tour Eiffel. C'est un peu la tâche à laquelle Me Halpérin nous a demandé de nous livrer. Or, on ne peut pas partir ainsi d'un texte pareillement précis, limité: dans ces conditions-là, les débats en commission vont se perdre, on va interviewer de nombreuses personnes, mais on ne sera pas d'accord sur la finalité de notre démarche. C'est pour cela qu'il m'est apparu que ce projet était en réalité mort-né, qu'il valait mieux le reprendre depuis le début et qu'il y ait une concertation au sein des partis de l'Entente - éventuellement avec l'UDC, puisqu'on nous accepte. Je crois cependant que l'ambition de Me Halpérin est tout à fait légitime, c'est pourquoi je peux difficilement accepter ses critiques tendant à dire que les propositions qu'il a émises ont déplu. Ce n'est pas le cas. C'était le mode de procéder qui ne jouait pas.
Maître Halpérin, je suis d'accord de remettre l'ouvrage sur le métier. Pour ma part, je suis d'avis qu'il faut d'ores et déjà repenser l'élaboration d'un texte qui envisage toute la problématique du fonctionnement de la justice. Nous avons déjà pu obtenir certains renseignements des magistrats, avocats et autres représentants de la justice que nous avons interrogés. Renvoyer ce projet en commission, recevoir le texte et puis se demander ce qu'on pourrait bien faire me semble être une mauvaise démarche. Mieux vaut réfléchir dès maintenant à la chose, sérieusement, établir les points de convergences, et envoyer le nouveau projet de loi ainsi établi en commission. Cela permettra alors une discussion et une élaboration beaucoup plus sûres que de partir sur ces deux dispositions. C'est à mon avis une ossature trop faible pour construire un squelette entier.
Le président. Monsieur le député, j'avoue n'avoir pas très bien compris si vous vouliez vraiment le renvoi en commission. Nous n'allons pas établir des principes généraux maintenant. Etes-vous pour ou contre le renvoi en commission ? (Remarques.)
Très bien, je vois que vous êtes même d'accord entre vous... Une chose me rassure, c'est que je n'étais pas le seul à ne pas avoir tout à fait bien compris. Monsieur Pagan, précisez.
M. Jacques Pagan. En l'état, la question n'a pas été soulevée, semble-t-il. En ce qui concerne le renvoi en commission, à mon avis, non ! Je vous l'ai dit: il y a un travail préalable d'étude à fournir, d'entente entre les partis concernés. Ce travail est absolument indispensable pour qu'au moins les travaux en commission puissent se faire rapidement. Mais il faudra un nouveau projet de loi, c'est ce que je me tue à vous expliquer !
Le président. Bien ! Vous êtes donc pour la non-entrée en matière. La parole est à M. le député Sommaruga.
M. Carlo Sommaruga (S). Je crois que tous les intervenants ont, à ce stade, exprimé qu'ils partageaient les deux objectifs de ce projet de loi, à savoir, d'une part, l'amélioration du fonctionnement de la justice et, d'autre part, l'amélioration de la qualité du recrutement des juges. Il y a effectivement unanimité sur ces préoccupations, et je pense qu'il ne s'agit pas d'une réflexion propre à l'Entente et à l'UDC, mais d'une réflexion générale qui concerne l'ensemble des groupes qui composent ce parlement.
La divergence existe uniquement sur les moyens. Après avoir entendu nombre de personnes en commission, la majorité - certes, non pas au niveau des votes, mais la majorité politique, qui est celle de ce soir - a jugé opportun de ne pas entrer en matière sur le type de moyens.
Avant de revenir sur les moyens proposés par ce projet de loi, je rappelle que ce dernier projet a été contesté par l'association des magistrats, qui a estimé qu'il n'y avait pas adéquation avec les objectifs. Il a été contesté par l'Ordre des avocats, qui a indiqué que ce n'était pas adapté. Il a été contesté par l'Association des juristes progressistes, qui a généralement des positions politiques et idéologiques divergentes de celles de l'Ordre des avocats, mais qui a eu là une position semblable. Et puis, il y a eu un professeur, issu de l'université, qui est venu exprimer aussi ses réticences à l'égard de ce projet de loi. En d'autres termes - et il faut le relever - il y a eu une unanimité des critiques sur les moyens proposés.
Le moyen proposé au niveau du recrutement est de limiter celui-ci aux avocats, avec quelques exceptions dont les professeurs d'université ou autres. Or, on sait qu'aujourd'hui les juristes qui peuvent accéder à la fonction de magistrats peuvent venir d'horizons différents, et non seulement de la profession d'avocat. Je crois que nous ne pouvons pas nous payer le luxe de nous fermer à ces autres filières professionnelles. Il ne s'agit pas de favoriser ou non la profession d'avocat ou l'avocature dans l'accession à la justice - ce n'est pas mon propos de critiquer le projet de loi sous cet angle. Mon intention est simplement de dire que nous pouvons trouver des femmes et des hommes de qualité pouvant assumer les fonctions de juge dans d'autres professions que celle d'avocat, pour autant que ces personnes aient eu une formation d'avocat au départ. Je tiens à souligner qu'un effort particulier est fait ici par la commission juridique interpartis, qui est celle qui procède aujourd'hui à une sélection des candidats dans chaque parti et retient finalement ceux et celles qui ont les compétences pour assumer cette fonction. Je crois donc qu'il y a là un système qui fonctionne, et ce n'est pas en rétrécissant les filières qu'on améliorera la situation.
Par ailleurs, en ce qui concerne les juges élus, il m'apparaît extrêmement difficile - et ce fut un élément moteur dans l'opposition de tous ceux qui ont été entendus - d'introduire un système de révocation. Je pense que les députés favorables à l'introduction d'un système de révocation devraient d'abord le proposer pour eux-mêmes, c'est-à-dire pour le pouvoir législatif, afin qu'on puisse procéder à une révocation si l'on estime que l'un ou l'autre député n'est pas à la hauteur. Vous verrez à ce moment-là que l'exercice est extrêmement difficile et peut relever non plus d'une appréciation de compétences, mais d'un choix politique et d'arbitraire. Le problème est là ! Et c'est pour cela que ce système n'est pas voulu et qu'on n'en veut pas dans le cadre de la magistrature. Par ailleurs, il faut savoir que les juges qui seraient élus à titre provisoire seraient des juges de deuxième catégorie, voire des juges sous surveillance et sous pression, qui perdraient l'indépendance que l'on veut justement leur garantir dans le cadre de cette proposition.
Dès lors, je pense qu'il convient de retenir les objectifs du projet de loi, mais d'oublier le projet lui-même et d'essayer de revenir, dans le cadre d'autres projets de lois qui sont déjà pendants en commission législative, sur une réflexion visant à l'amélioration du fonctionnement de la justice. Nous pourrions même élaborer, dans le cadre de rencontres préalables entre les groupes politiques, un texte de loi qui puisse aboutir sur de meilleures prestations aux usagers, c'est-à-dire aux justiciables, texte qui rencontre d'ores et déjà un certain assentiment au Palais de justice. Le parti socialiste n'entrera donc pas ce soir en matière sur ce projet de loi, mais retient par contre les objectifs de cette loi pour les aborder à d'autres moments, dans d'autres projets de lois.
M. Pascal Pétroz (PDC). Le parti démocrate-chrétien s'associe aux préoccupations de tous les groupes politiques au sujet du bon fonctionnement de la justice. S'agissant du projet de loi que nous avons à examiner ce soir, le parti démocrate-chrétien n'est pour le moins pas enthousiaste. Prévoir une espèce de période d'essai de deux ans ne nous paraît pas souhaitable. C'est selon nous une mauvaise mesure, qui pourrait être interprétée comme signifiant qu'il faut bien travailler pendant deux ans et qu'on peut se permettre ensuite de moins bien travailler. Le message doit être clair: nous attendons de nos magistrats qu'ils travaillent bien toute leur carrière, et non pas seulement deux ans. C'est ce qu'ils font jusqu'à présent, et je crois que nous pouvons les en remercier. Nous ne sommes donc pas enthousiastes envers le projet de loi tel qu'il vous est soumis ce soir.
Cela étant dit, dans le cadre des auditions faites par la commission législative, nous avons notamment entendu l'association des magistrats, venue avec toute une série de propositions d'amendements. «Réformette», diront certains, «proposition consensuelle et volonté d'ouverture», diront d'autres. Toujours est-il que ces propositions faites par les magistrats auraient parfaitement pu être intégrées dans ce projet de loi. En d'autres termes, selon nous, nous aurions dû voter l'entrée en matière de ce projet de loi en commission législative, pour ensuite poursuivre nos débats sur les amendements proposés par les magistrats. Mais nous ne l'avons pas fait, car la majorité - mathématique ou non - a décidé de ne pas voter cette entrée en matière, et c'est regrettable. Car que se passe-t-il maintenant ? Les amendements des juges et de l'association des magistrats ont été intégrés dans un nouveau projet de loi qui est le 8972, au point 84 de notre ordre du jour.
Mesdames et Messieurs les députés, vous savez que, à la vitesse où nos travaux se déroulent, le point 84 sera traité dans environ six mois. Si nous voulons réfléchir rapidement au fonctionnement de notre justice, essayer de l'améliorer et évoquer avec sérénité les amendements des magistrats, il convient de renvoyer ce projet en commission législative tout de suite, et ne pas attendre six mois avant de renvoyer le projet de loi 8972. C'est la raison pour laquelle, pour des motifs de pur bon sens et de logique, le groupe démocrate-chrétien vous recommande de renvoyer ce projet de loi en commission législative.
Le président. Le renvoi en commission étant formellement demandé, seule une personne par parti s'exprimera et exclusivement sur cette question. La parole est à M. le député Hiltpold.
M. Hugues Hiltpold (R). Le groupe radical a cédé au charme de la verve du rapporteur de minorité et soutiendra le renvoi en commission tel que proposé, car nous estimons que le sujet est d'importance et mérite un examen approfondi.
M. Christian Luscher (L). Monsieur le président, j'aimerais tout d'abord vous faire respectueusement remarquer que M. Halpérin a déjà, lors de son intervention de tout à l'heure, demandé formellement le renvoi en commission. Cela étant, c'est bien dans ce cadre...
Le président. Je n'étais malheureusement pas dans la salle à ce moment-là et mon vice-président ne me l'a pas signalé. (Huées.)Lorsqu'on a posé la question à M. Pagan, il ne savait pas. Il aurait suffi à ce moment-là de me dire que le renvoi avait été demandé.
M. Christian Luscher. Il y a quelques semaines, vous m'aviez fait le reproche, Monsieur le président, de ne pas être présent sous prétexte que je préférais aller gagner ma vie. Je ne vous retournerai pas ce reproche.
Cela étant, c'est bien dans le cadre tracé du renvoi en commission que mon intervention se fera. Si ce projet se retrouve aujourd'hui devant ce Grand Conseil avec un refus d'entrée en matière, c'est tout simplement de ma faute. En effet, alors que je venais d'être élu député, peu rompu encore aux affaires législatives, j'ai demandé un vote formel sur l'entrée en matière à un moment où j'aurais mieux fait de compter sur mes doigts. Si je ne l'avais pas demandé, nous serions encore en train de discuter en législative. C'est la raison pour laquelle je voulais intervenir. Si ce projet est ici aujourd'hui, c'est de ma faute, parce que j'ai mal compté. Certains en ont profité ce jour-là, puis, étouffés par la honte, ils ont essayé de réparer l'abus qu'ils avaient fait de ma naïveté en présentant un autre projet de loi. Or celui-ci se trouve, comme l'a dit M. Pétroz, bien plus loin dans l'ordre du jour et, dans le meilleur des cas, ne sera analysé en préconsultation qu'en octobre ou en novembre, voire même en décembre. De toute évidence, un certain nombre de mois seraient perdus.
J'aimerais juste rappeler à ce Grand Conseil que cet après-midi, lors de la séance «verte», a été voté un projet de loi - le projet de loi 8433 - qui avait été présenté par l'Alliance de gauche et analysé en commission judiciaire. Il s'agissait d'améliorer l'accès à la justice à la partie la plus faible. Pour ce projet de loi également, nous avions entendu des magistrats qui s'étaient montrés très peu enthousiastes, et nous avions finalement tous considéré que ce projet de loi n'était pas adéquat et ne répondait pas aux problèmes légitimes qu'avait soulevés l'Alliance de gauche - et je le dis sans aucun partisanisme.
La commission judiciaire, unanime, a néanmoins considéré que ce projet de loi qui portait sur la loi de procédure civile était une excellente occasion de faire un toilettage de cette même loi. Nous avons alors fait un certain nombre d'amendements, amenés par la commission, nous avons entendu les juges sur ces amendements, et nous avons fini par proposer à ce Grand Conseil un projet de loi entièrement remanié, qui a été voté cet après-midi à l'unanimité. Il faisait en tout cas l'objet d'un rapport unanime de la commission judiciaire, alors même que pas une seule des dispositions du projet initial n'avait été retenue.
Je pense que nous aurions dû faire exactement la même chose dans le cadre de ce projet de loi qui - je le répète - se trouve ici par ma simple faute. Or, je constate, à entendre tout le monde dans ce parlement, que nous avons tous le même objectif: nous voulons tous une justice de qualité, nous avons tous envie d'en discuter en commission législative - qui est une commission qui, en général, travaille dans la sérénité et dans l'unanimité - et nous avons tous envie de trouver une solution pour améliorer le fonctionnement de la justice. C'est la raison pour laquelle je demande à tout le monde - j'allais dire: si vous ne le faites par pour le parlement, faites-le pour moi ! (Rires.)- de me faire l'amitié de voter ce renvoi en commission, pour laver l'erreur que j'ai commise il y a environ une année.
Le président. Je vous rappelle que nous devrions avoir fini bientôt le tour des partis sur le renvoi en commission, puisque M. Halpérin l'avait demandé précédemment. Il n'y a pas encore eu d'orateur socialiste à ce sujet. Monsieur Sommaruga, je vous cède la parole, sur la question du renvoi en commission exclusivement.
M. Carlo Sommaruga (S). Je pense que s'il faut laver un péché, il faut le faire d'abord pour soi-même, Monsieur Luscher. Ce n'est donc pas ce soir que nous viendrons à votre aide, mais à d'autres occasions peut-être. Cela dit, je pense que ce projet de loi a fait l'objet d'une discussion approfondie, des auditions nécessaires, et qu'il a montré ses limites dans le fait qu'il n'a pas trouvé d'écho favorable auprès de l'ensemble des institutions concernées. La chose est claire.
Il ne sert à rien de renvoyer ce projet de loi en commission pour entendre la même chose et finalement aboutir à quelque chose de totalement différent. Nous avons, à l'ordre du jour d'aujourd'hui, un projet de loi qui a intégré les éléments de la discussion qui eut lieu en commission législative. Il ne tient qu'à l'ensemble des groupes politiques de renvoyer, sans débat, ce projet de loi en commission. Les libéraux pourraient le faire en premier. De cette manière-là, comme le veulent le pouvoir judiciaire et l'ensemble des intervenants, nous pourrons traiter cette question rapidement, résoudre une situation à la satisfaction de tout le monde, et répondre aux aspirations de l'ensemble des groupes au sujet du recrutement et de l'amélioration du fonctionnement de la justice.
Il n'y a donc aucune raison aujourd'hui de renvoyer le projet 8297 en commission: cela n'accélérera rien. L'honnêteté intellectuelle veut par contre que l'on renvoie le plus rapidement possible en commission le projet de loi qui se trouve au point 84 de notre ordre du jour, pour qu'on puisse aussitôt commencer à travailler sérieusement sur un projet qui, certes, pourra être encore amélioré, mais qui constitue un élément de solution essentiel à notre problème.
Dans ces conditions, le groupe socialiste ne vote pas le renvoi en commission, mais suggère que, dans le cadre des rencontres de chefs de groupe et du Bureau, on se mette d'accord pour le renvoi immédiat de l'autre projet de loi en commission.
Le président. Il faudra d'abord faire un sort à celui-là, Monsieur le député. La parole est à M. Bavarel.
M. Christian Bavarel (Ve). Je suis surpris de la proposition de renvoi en commission, étant donné que tout le monde est d'accord pour dire que ce projet de loi pose de grandes difficultés et semble ne convenir à personne en l'état. Quand on a un mauvais projet de loi et que tout le monde l'admet, il n'y a pas à entrer en matière, et si on veut faire un autre projet de loi, on le rédige ! J'ai vraiment l'impression d'enfoncer une porte ouverte...
Cela me semble être extrêmement simple au niveau de la procédure: un autre projet de loi nous est proposé, qui devra être traité en commission législative, alors que le projet de loi 8297 que nous sommes en train d'étudier n'est pas satisfaisant. Nous ne sommes pas entrés en matière en commission, et nous vous proposons ici de faire exactement la même chose. Ce n'est pas beaucoup plus compliqué que cela. Pour traiter la suite des projets, nous aurons tout le temps de nous mettre d'accord autour d'une table. Ne partons pas sur une base boiteuse, mais plutôt sur une base solide: étudions un projet de loi qui jouit au moins d'un consensus assez large, plutôt que de repartir avec un projet dont on sait d'avance qu'il n'aboutira pas.
Le président. Je vous rappelle que si le renvoi en commission est refusé, nous mettrons aux voix l'entrée en matière. Celle-ci peut aussi être refusée, et nous aurons alors une partie de la solution. (Le député Pagan réclame la parole.) Monsieur Pagan, vous avez déjà parlé tout à l'heure au nom de l'UDC, pour dire d'ailleurs que vous n'étiez pas favorable au renvoi en commission. Le dernier orateur par parti est M. Pagani, qui renonce. En conséquence, je mets aux voix par vote électronique le renvoi en commission du projet de loi 8297-A. Je le fais par vote électronique pour que les gens regagnent leur place et qu'il y ait un semblant de discipline avant notre pause. Le vote est lancé.
Mise aux voix, la proposition de renvoyer ce projet de loi à la commission législative est rejetée par 37 non contre 36 oui et 3 abstentions.
Le président. Je mets aux voix, toujours par vote électronique, la prise en considération et l'entrée en matière sur ce projet de loi. (Egalité des voix au vote électronique.)
Le président. Il y a égalité des votes. Je me prononce contre ce projet de loi. Cette proposition est rejetée et le projet abandonné.
Le projet de loi 8297 est donc rejeté.
Le président. J'ai du mérite, car j'étais signataire du projet ! (Applaudissements.)Mesdames et Messieurs les députés, nous reprenons nos travaux à 20h30.