Séance du
jeudi 15 mai 2003 à
20h45
55e
législature -
2e
année -
8e
session -
46e
séance
PL 8197-A et objet(s) lié(s)
Premier débat
M. Pascal Pétroz (PDC), rapporteur de majorité. Je me réfère pour l'essentiel à mon rapport. Je sais qu'il est tard et que de nombreux députés veulent aller se coucher - en particulier un député qui doit prendre le train, nous savons tous de qui il s'agit - mais j'aimerais tout de même vous dire quelques mots au sujet de la problématique qui nous concerne ce soir.
Il faut être conscient que nous nous préoccupons ici, dans tous les partis politiques, de la problématique de ces personnes qui n'ont pas les moyens de payer leur loyer ou qui se trouvent dans un état de désordre social tel qu'il engendre toute une série de difficultés, parmi lesquelles il peut y avoir une éventuelle procédure d'évacuation diligentée à notre encontre. Nous sommes particulièrement conscients de cette réalité, mais nous estimons qu'elle doit être réglée par d'autres moyens que sous l'angle du projet de loi et de la motion qui vous sont soumis ce soir. Un des moyens envisagés est un projet qui viserait à renforcer le rôle de la commission de conciliation en matière de baux et loyers lorsqu'elle fonctionne comme commission sociale. Vous savez que cette commission peut être appelée à traiter de dossiers d'évacuation dans une composition particulière où les partenaires sociaux sont présents, ce qui permettrait, au début d'une procédure d'évacuation, de trouver des solutions pour des locataires en difficulté. En réalité, le projet de loi et la motion qui vous sont soumis ne vont pas dans ce sens, puisqu'ils proposent de très mauvaises solutions.
Qu'énonce la motion? Elle dit en gros que, pendant l'hiver, elle invite le Grand Conseil - premier pouvoir - à demander au Conseil d'Etat - deuxième pouvoir - de demander au pouvoir judiciaire représenté par le Procureur général - troisième pouvoir - de surseoir à l'exécution d'évacuations pendant la période hivernale. Montesquieu se retournerait dans sa tombe s'il entendait cela! C'est une violation flagrante de la séparation des pouvoirs. Lorsqu'on a dit cela, on a tout dit, la discussion s'arrête ici.
Considérons le projet de loi qui propose sensiblement la même chose, à savoir une suspension de l'exécution des évacuations pendant la période hivernale. Il résulte des auditions que nous avons effectuées qu'une pratique est ancrée dans notre République, selon laquelle nous ne procédons pas à des évacuations pendant l'hiver. Cela est admis et nous paraît juste, sans pour autant qu'il faille le codifier dans la loi de manière aussi stricte que le propose ce projet de loi. Parce que cela voudrait dire qu'un locataire devant être évacué le 15 décembre, alors que son prochain appartement est libre au 1er décembre, ne pourrait pas être évacué si, pour une raison ou une autre, il décide de ne pas quitter son logement. Cela nous paraît totalement insensé. Faire preuve d'humanité, c'est bien, mais faire preuve de rigidité en stipulant qu'aucune évacuation ne peut intervenir pendant l'hiver nous paraît excessif!
Pour le surplus, les autres propositions contenues dans le projet de loi constituent un tir groupé contre les huissiers. Nous avons vu en commission que les huissiers judiciaires ont un rôle justifié et éminemment utile à jouer, puisqu'ils interviennent entre locataires et bailleurs.
Ce projet propose en outre une série de mesures qui existent déjà: demander aux représentants d'institutions sociales et aux mandataires d'assister aux séances, alors qu'ils y assistent déjà, est inutile. Par conséquent, ce projet de loi est superflu.
Ce qui nous oppose aujourd'hui est une position idéologique entre l'Entente et l'Alternative: M. Bernard Bertossa, ancien Procureur général socialiste, s'est déclaré comme étant vivement opposé à ce projet de loi. Il a notamment indiqué que les buts visés par le projet de loi ne seraient pas atteints, que la force publique intervenait relativement peu, que l'Office cantonal du logement, l'OCPA et l'Hospice général étaient présents lors des procédures d'évacuation, et il a terminé en soulignant que la proposition de suspendre la procédure d'évacuation pendant cinq mois était contraire à la garantie de la propriété prévue par la Constitution fédérale.
Je vous propose de suivre l'ancien Procureur général - socialiste - Bernard Bertossa qui a fait preuve de bon sens, et je vous recommande de rejeter ce projet de loi.
Mme Loly Bolay (S), rapporteuse de minorité. Malgré l'heure tardive, je me permets de prendre quelques minutes pour développer l'opinion de la minorité de la commission législative.
J'aimerais d'abord dire que le projet de loi 8197 et la motion 1457 poursuivent les mêmes buts tout en ayant des objectifs différents. La crise du logement n'est pas un leurre: la perspective de trouver de quoi se loger à Genève relève du parcours du combattant, cela devient «mission impossible» pour les gens se trouvant dans des situations financières extrêmement difficiles, voire en grave détresse sociale. Considérons les chiffres donnés par l'Asloca: en 2002, 1500 familles se sont retrouvées sous le coup de mesures d'évacuation forcée. Comme l'a relevé le rapporteur de majorité, il existe une pratique, initiée par l'ancien Procureur général, interdisant à Genève toute évacuation pendant la période du 15 décembre à début janvier.
Cette pratique existe, c'est vrai, elle a d'ailleurs été reprise par l'actuel Procureur général, M. Zappelli, mais elle ne se fonde sur aucune base légale. Nous pensons que cette injonction dans la loi renforcerait manifestement la position du Procureur général. En 2002, par exemple, on pouvait compter 104 logements d'urgence proposés aux personnes se trouvant dans des situations difficiles. A l'heure actuelle cependant, ces logements d'urgence sont totalement pleins. En outre, lorsqu'un appartement est libéré, comme l'Asloca nous l'a confirmé lors d'une audition, il subit une majoration d'environ 40%. l'Hospice général nous l'a affirmé: la situation à Genève est préoccupante, il y de plus en plus de familles qui se trouvent dans une détresse terrible, des familles évacuées qui doivent trouver un appartement pour lequel elles doivent débourser, au minimum, l'équivalent de trois mois de loyer.
Nous sommes peut-être le seul pays en Europe à ne pas avoir de loi instaurant une pratique interdisant toute évacuation pendant l'hiver. Tous les pays de la Communauté européenne se sont dotés de lois - et même le Canada - qui interdisent toute évacuation en pleine période hivernale. Cette adjonction à la loi serait bienvenue dans un des pays les plus riches du monde où, en même temps, on trouve de plus en plus de personnes se trouvant en situation catastrophique.
J'aimerais rappeler à ce stade de mon intervention, l'article 10 de notre Constitution, selon lequel: «Le besoin de logement est un besoin essentiel de l'homme et la collectivité tout entière est intéressée à la solution du problème du logement».
Pour terminer, j'aimerais faire état de la problématique des locaux commerciaux qui touche des petits commerçants et artisans se trouvant, par les aléas de la vie, en manque de liquidités les empêchant de payer leur loyer; ils se voient alors évacués et privés par la même occasion de leur outil de travail.
Pour toutes ces raisons, au nom de la minorité de la commission législative, je vous propose d'accepter l'entrée en matière du projet de loi 8197, d'accepter les amendements qui se trouvent en dernière page de mon rapport, et d'accepter la motion 1457 telle qu'elle vous a été proposée. Je vous remercie.
Mme Esther Alder (Ve). Depuis de nombreuses années sont mises en oeuvres partout dans l'Union européenne des politiques publiques qui visent la protection des plus défavorisés dans les domaines du maintien dans le logement et de la prévention des expulsions. C'est dans ce sens qu'allaient les deux objets qui vous sont présentés. Pourtant, la majorité de la commission a refusé l'entrée en matière. Pour les Verts, cette attitude est plus que choquante, car il s'agissait d'apporter des améliorations dans la procédure d'évacuation et d'observer une trêve hivernale pour les expulsions. Cette trêve est un droit respecté par les pays qui nous entourent et il aurait été formidable qu'elle le soit ici aussi.
Il est faux d'affirmer qu'il n'y a pas d'expulsions forcées pendant la période hivernale et nombreuses sont les personnes expulsées sans que le Procureur soit saisi. La peur, l'ignorance de leurs droits, le cumul des difficultés les empêchent de réagir, et, face à un avis d'expulsion, elles baissent les bras et se retrouvent à la rue.
Le droit au logement est un droit fondamental, inscrit dans la Constitution, mais la réalité est tout autre. Ces projets n'avaient pour intention que d'aménager les conditions d'expulsion, à l'instar de ce qui se passe en Islande où toute expulsion est interdite et où des médiateurs sont mandatés afin de trouver des solutions. Ou encore en Pologne, pays qui rejoindra bientôt l'Union européenne et dans lequel toute expulsion est impossible si un relogement n'est pas prévu.
Il est clair qu'un équilibre doit être trouvé entre propriétaires et locataires; seulement, on constate une fois encore que le droit de pouvoir disposer de son bien prime sur le droit au logement pour soi et sa famille. Et selon nous, ce droit-là est tout aussi digne de protection, sinon plus.
Pour ces raisons, nous vous demandons d'accepter le projet de loi avec ses amendements, ainsi que la motion. Merci. (Applaudissements.)
M. Carlo Sommaruga (S). Monsieur le président, après ce brillant plaidoyer de Mme Esther Alder, j'ai peu de choses à ajouter puisque l'essentiel a été dit. Je tiens toutefois à préciser que ce projet de loi vise à inscrire dans la loi un instrument qui a été mis en place effectivement par M. Bertossa, ex-Procureur général, socialiste, dont M. le rapporteur a dit tant de bien tout à l'heure.
Je ne comprends pas quelle est la difficulté d'inscrire dans la loi que, dans le cadre des évacuations, les représentants de l'Hospice général, de l'Office cantonal des personnes âgées et de l'Office cantonal du logement soient présents, c'est-à-dire les personnes qui entourent le Procureur au moment de juger s'il est opportun d'envoyer ou non la force publique pour évacuer quelqu'un. Il s'agit d'une innovation introduite par le Procureur général de l'époque et qui a le mérite de répondre efficacement à des problèmes sociaux. Il est donc opportun de l'inscrire dans la loi. J'avoue que la volonté de la majorité de droite de ne pas entrer en matière m'interpelle et me laisse penser qu'on pourrait, à terme, assister à l'effritement de cette institution qui n'a pas de base légale. Il me paraît justifié de donner un signe dans ce sens, et je juge qu'il est bon.
Pourquoi y a-t-il dans ce projet de loi, dont je ne suis ni auteur ni coauteur dès lors qu'il a été déposé sous l'ancienne législature, l'exigence d'un représentant des défenseurs de locataires ? Parce que, comme cela ressort des statistiques, 75% des personnes qui se présentent devant le Procureur général ne sont pas assistées par des avocats, qu'elles soient défenseurs ou non des locataires. Or il serait opportun d'avoir une personne à disposition qui, par son activité et sa fonction, puisse conseiller la personne au mieux sur des questions juridiques dans ces moments de grande difficulté. Ce qui revient à donner une chance supplémentaire de résoudre les problèmes à ceux qui sont dans le besoin. Cela concernait l'aspect du projet de loi qui vise à inscrire la composition des personnes de la commission qui entourent le Procureur général en cas d'évacuation.
Considérons maintenant l'aspect de la trêve d'évacuation hivernale. Il n'existe pas, à Genève, de trêve d'évacuation, contrairement à ce qu'a dit le rapporteur majoritaire. Toutefois, dans les faits, elle existe seulement entre Noël et Nouvel An, parce qu'il y a des féries judiciaires et qu'il n'y a pas d'audiences convoquées. C'est ainsi que cette trêve se vérifie. Au mois de décembre, janvier et février, les expulsions peuvent avoir lieu. D'ailleurs, M. Bertossa, Procureur général en charge lorsqu'il a été entendu, n'a pas dit qu'il n'y avait pas d'évacuations en période hivernale, il a dit: «Il n'y en a presque pas». Mais la simple hypothèse qu'il y en ait une seule qui intervienne me paraît extrêmement choquante! Je trouve inadmissible que l'on puisse même l'envisager à Genève, au début du XXIe siècle. Il faut trouver une solution qui permette d'éviter l'évacuation d'une personne ou d'une famille en difficulté financière, ce d'autant plus lorsqu'il n'y a pas de solutions de relogement, même en matière de logements d'urgence, comme cela a déjà été mentionné auparavant.
Je m'étonne d'entendre le rapporteur de la majorité, issu du PDC et qui se dit grand défenseur des familles, mettre la propriété d'un bien avant le bien de la famille, de celui des enfants, d'un couple ou d'une personne seule. Ceci est grave! Aujourd'hui, on remarque que ce qui prime est la défense de la propriété et de la rentabilité au détriment de l'individu et de l'humain.
Il y a aujourd'hui 1500 foyers qui subissent ces procédures en expulsion et il y en a 300 qui arrivent devant le Procureur général et qui font l'objet de décisions d'évacuation. Il est donc nécessaire qu'on ne puisse pas les évacuer pendant l'hiver.
En ce qui concerne les huissiers judiciaires, vous avez dit, Monsieur le rapporteur de la majorité, que les huissiers judiciaires étaient des médiateurs ou qu'ils intervenaient entre le locataire et le propriétaire; je vous rappelle que l'huissier judiciaire est mandaté par le propriétaire pour procéder à l'exécution d'un jugement. Il n'est aucunement un médiateur! Au contraire, de par sa fonction, il impressionne certains locataires par son intervention! Comme cela arrive lorsque l'huissier frappe à votre porte et vous apporte un acte de sommation, en vous disant de quitter immédiatement les lieux. Il vaut mieux, de notre point de vue, passer par l'intermédiaire de la force publique qui, elle, agit sur ordre du Procureur général.
Je rappelle que les personnes en difficulté se voient réclamer, à la fin de la procédure d'évacuation, un certain nombre de frais. Ces frais, et pas des moindres, constituent les notes d'honoraires des huissiers judiciaires! Dans l'exercice de ma profession, j'ai vu passer des notes de frais et honoraires s'élevant jusqu'à 5 000 ou 6 000 francs, sommes qui étaient ensuite demandées en paiement aux locataires expulsés, notamment à ceux qui l'étaient pour des raisons de non-paiement. En fait, on introduit une charge financière supplémentaire qui grève la famille ou la personne en difficulté financière. Ceci n'est socialement pas acceptable, aujourd'hui!
Si c'est la police qui assume sa fonction d'autorité et sa fonction sociale de médiation sous les ordres du Procureur général, on évite des situations pénalisant encore davantage les locataires.
Dès lors, je ne peux que vous inviter à entrer en matière sur ce projet de loi, quitte, s'il le faut, à modifier certaines dispositions pour qu'elles aillent dans le sens d'une protection sociale accrue des personnes en difficulté. Merci.
M. Michel Halpérin (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, il me paraît utile de rappeler que la commission s'est penchée sur ce projet de loi et sur cette proposition de motion de façon très approfondie. Nous avons siégé à cinq reprises autour de ces textes et nous avons pris en considération tout ce que le problème de détresse sociale sous-jacent à ce texte présentait pour les commissaires, qui ne se sont pas du tout défilés: on vous présente ce refus d'entrée en matière comme une façon superficielle de traiter les choses, ce n'est pas ce qui s'est passé, nous les avons approfondies.
Je voudrais rappeler à M. Sommaruga, qui connaît bien le déroulement de nos travaux, que le Procureur général Bertossa nous a expliqué que les buts visés par le projet de loi ne seraient pas atteints par ces mesures. Il l'a expliqué parce que l'appareil législatif actuel lui permettait déjà de tenir compte des cas particuliers, notamment de la clause dite humanitaire qui était déjà en ses mains. Il n'avait par conséquent pas besoin de la renforcer de quelque manière que ce soit. Les autres auditions auxquelles nous avons procédé, comme celle du Procureur général, ont permis de réduire à néant l'affirmation selon laquelle il y avait des gens qui étaient évacués parce que des notes d'honoraires d'huissiers n'étaient pas payées, ce qui est tout simplement faux. Cela a été confirmé de toutes parts et je ne comprends pas qu'on y revienne aujourd'hui.
Pas plus qu'on ne peut revenir sérieusement sur le fait qu'il y a de factoun moratoire des évacuations pendant la période du froid le plus intense, puisque nous avons eu confirmation que ce n'est pas entre Noël et Nouvel an que l'on n'évacue pas mais du début décembre à la fin janvier, en tout cas.
Je voudrais encore signaler que les procédures en évacuation devant le Procureur général sont suivies avec le plus grand soin - c'était le cas avec le Procureur général Bertossa, et le Procureur général Zappelli, qui a été entendu à son tour, consacre deux fois plus de temps que son prédécesseur à l'audition des personnes susceptibles d'être évacuées, et elles sont assistées.
D'ailleurs, M. Sommaruga, qui vient de prendre la parole, oublie de vous dire que l'OCPA et l'Hospice général étaient présents lors des audiences d'évacuation et que les locataires pouvaient être assistés d'un mandataire à cette occasion. C'est pourquoi les choses que l'on vous demande de voter aujourd'hui sont déjà dans les faits tout à fait suivies.
De même que l'Hospice général a confirmé la présence de ses représentants lors des audiences d'évacuation, il a été dit que l'inscription d'une norme rigide dans la loi, sur une période pendant laquelle les évacuations n'auraient pas lieu, serait tout simplement déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal fédéral le jour où elle serait entreprise, n'étant pas conforme au principe de garantie de propriété.
C'est l'ensemble de ces raisons, et non pas une attitude superficielle vis-à-vis de ce problème, qui a amené la commission à décider d'écarter et le projet de loi et le projet de motion qui nous étaient soumis. Je tiens à le rappeler pour que, lorsque nous voterons tout à l'heure - je le pense - dans le sens des propositions du rapport de majorité, nous sachions que nous ne le faisons pas avec désinvolture mais après un examen sérieux du problème.
M. Pascal Pétroz (PDC), rapporteur de majorité. Monsieur le président, je suis étonné par certaines choses que j'ai entendues durant ce débat. Mme Alder a dit que nombreuses étaient les personnes expulsées sans que le Procureur général n'intervienne. C'est illégal et ce n'est pas en changeant la loi de procédure civile qu'on changera quelque chose à cette illégalité. Pour que quelqu'un soit évacué, il faut une décision d'évacuation en bonne et due forme du Procureur général. Et si, par impossible, des personnes sont évacuées sans le concours du Procureur général, ceci se fait en toute illégalité, ce qu'il est essentiel de savoir.
M. Sommaruga allègue: «M. Bertossa a dit ceci ou n'a pas dit cela en commission...». Permettez-moi de vous dire, Monsieur Sommaruga, que, lorsque M. Bertossa a été auditionné par la commission législative, le 8 juin 2001, vous n'étiez pas encore député. Je ne vois donc pas très bien comment vous auriez pu assister à son audition. (Remarques.)
Plus sérieusement, je n'apprécie pas tellement les remarques que vous avez faites au sujet du PDC qui défend la famille... Qu'il défend tant et si bien qu'il a pris bonne note de ce que la loi actuelle de procédure civile permet au Procureur général de surseoir à une évacuation pour des motifs humanitaires. Si la loi permet déjà de surseoir à une évacuation ces motifs, on ne voit pas où se situe le problème. Cela permet au Procureur général de ne pas prononcer d'évacuation, que ce soit le 1er janvier, le 1er juin ou le 18 août! Ce ne sont pas les conditions climatiques qui comptent, c'est que le locataire soit dans la détresse!
Parce que cela est déjà prévu par la loi de procédure civile et je ne vois pas à quoi sert ce projet de loi. Je crois qu'il ne sert strictement à rien, parce que la garantie de la dignité humaine est actuellement déjà prévue. Tout ce qu'on nous propose relève de l'électoralisme de bas étage... (Exclamations.)Raison pour laquelle je vous invite encore une fois à refuser tant la motion que le projet de loi. (Applaudissements.)
M. Christian Grobet (AdG). Monsieur Pétroz, je dois dire que j'ai été un peu étonné des propos que vous venez de tenir. Vous n'avez peut-être pas encore l'expérience, pardonnez-moi de vous le dire... (Exclamations.)
Vous n'avez pas encore l'expérience de ces questions... (Remarque de M. Blanc.)Ou si vous le préférez, Monsieur Blanc, je peux dire que M. Pétroz, ayant été élu sur la base d'une liste de la Chambre immobilière, n'a pas l'occasion de s'occuper de la défense des locataires. Mais il s'occupait tellement de celle des propriétaires qu'il ne connaît pas du tout les réalités de ce canton! Et j'aimerais juste vous dire une chose, Monsieur Blanc, puisque vous faites de la morale mal placée: si vous aviez eu à vous occuper de gens qui ont vécu une évacuation, vous vous comporteriez autrement ce soir!
Moi, j'ai vécu pendant treize ans les problèmes d'évacuation des locataires dans ce canton et j'aimerais qu'aucun d'entre vous ne subisse cette épreuve - parce que perdre son logement, devoir quitter l'endroit où l'on vit, avoir la déménageuse devant la porte de l'immeuble, avec l'évacuation de vos meubles devant les autres locataires, devant les passants... Eh bien, cela, il faut l'avoir vécu pour savoir ce que c'est! (Le président agite la cloche.)
Sans parler encore - parce que je l'ai vécu aussi, et le père d'un député, ici, sait de quoi je parle - de l'ambulance qui est là pour conduire des locataires à la clinique psychiatrique de Bel Air! J'ai vécu cela et j'en suis fier! J'ai même, à la rue Rousseau, empêché deux dames d'être emmenées à Bel Air. Et, Monsieur Halpérin, votre père, qui était président d'une communauté, sait de quoi je parle! Ce sont des faits que j'ai vécus. Et lorsque vous banalisez, comme vous venez de le faire, ce problème auquel certaines personnes sont confrontées, je trouve que c'est indigne de l'attitude que nous nous devons d'avoir en tant que parlementaires à l'égard des citoyens qui vivent cette épreuve.
Vous tenez un double langage qui commence à devenir intolérable! Vous dites que cette loi ne sert à rien, qu'on applique déjà cela, et vous invoquez un article qui n'a rien à voir avec le problème de la loi de procédure civile! Dans ce cas, si tout ce que nous proposons correspond à la réalité des faits, qu'attendez-vous pour le voter? Pourquoi cela vous dérange-t-il de concrétiser dans la loi la pratique qui existe selon vous ?
Mme Alder a raison: oui, des évacuations sont effectuées en hiver et, de par son engagement social, elle sait de quoi elle parle!
Quant à vous, Monsieur Pétroz, vous ne savez pas de quoi vous parlez car vous n'êtes pas au bénéfice de cette expérience - là, je suis au regret de vous le dire sur ce ton!
Quant à la décision du Procureur général, de quoi s'agit-il? Et, là, je rends hommage au nouveau Procureur général qui, effectivement, passe plus de temps que son prédécesseur sur les cas d'évacuation... Eh bien, du temps de M. Bertossa, la décision, c'était une audience et c'était le «Stämpel»! C'est vrai que la décision, c'est le jugement d'évacuation. Et que doit faire le Procureur? Simplement mettre son «Stämpel» en disant qu'on peut aller de l'avant...
Une voix. Vous ne pouvez pas parler français ?
Christian Grobet. Alors, le «sceau humide», si vous préférez! Mais j'emploie le terme de «Stämpel» parce que je pensais que, dans notre «partie latine» de la Suisse romande, on éviterait le «Stämpel» avec toute la consonnance qu'il implique, voyez-vous! Eh bien, le «Stämpel», il est là! C'est une réalité et il ne faut pas nous «mener en bateau» dans cette histoire!
Nous avons déposé un projet de loi qui, nous sommes prêts à l'admettre, n'est pas parfait et qui peut être discuté. Or vous avez refusé de discuter de quoi que ce soit le concernant!
Par exemple, le simple fait qu'il n'y ait pas, à côté du Procureur général, de représentant du milieu des locataires... Parce qu'il faut savoir, Mesdames et Messieurs les députés - et M. Bertossa l'a admis, pour ne pas dire avoué - que trois-quarts des locataires sont à ce point démunis qu'ils comparaissent devant le Procureur général sans la moindre assistance de qui que ce soit! Et je pense que la première règle qu'on pourrait fixer dans la loi devrait être qu'un avocat soit commis d'office à toute personne comparaissant devant le Procureur général en vue d'une évacuation! Il est intolérable que quelqu'un de totalement démuni, qui est un cas social incapable de se défendre, se trouve seul, confronté au Procureur général, avec tout ce que cela représente... (Brouhaha.)
Oui, je trouve abominable de devoir comparaître seul devant le Procureur général assisté de trois ou quatre personnes! Les gens n'osent alors plus rien dire, sortent complètement traumatisées de ces réunions, même si le nouveau Procureur se donne toute la peine du monde pour trouver des solutions!
Nous avons demandé des choses simples: que le locataire démuni puisse avoir au moins une personne! Une! Une seule! Pour l'aider dans ses négociations avec le Procureur! Et même cette chose, élémentaire, à savoir l'assistance à une personne démunie, vous l'avez refusée! C'est honteux! Vous ne voulez rien entendre sur ce problème. A propos de l'évacuation en hiver, nous avons dit que nous étions prêts à modifier le texte: que si l'on propose un autre appartement aux locataires et qu'ils le refusent, on peut les évacuer. Or vous n'avez entendu, ou voulu, parler d'aucune solution!
Et encore, Mesdames et Messieurs les députés, nous avons cette solution du XVIIIe siècle où c'est l'huissier privé, payé par le propriétaire... (Protestations.)Qui vient pour fermer les serrures, évacuer les gens! J'ai encore vécu cela récemment... J'ai entendu les huissiers prétendre que ce n'était pas le cas: c'est absolument faux! J'ai vu des gens être mis dehors par un huissier privé, payé par le propriétaire.
Il y a un service des évacuations qui fonctionne très bien à la police - je tiens à vous le dire, Madame Spoerri, vous avez un service des évacuations qui est humain et qui fait bien son travail - et nous demandons simplement que, dans une question d'intérêt public, ce soit le service des évacuations qui fasse le travail et pas des huissiers payés par le propriétaire.
Et j'affirme aussi, ce qui a été contesté par certains, que des factures d'huissiers de 2000 ou 3000 francs ont encore dû être payées par les gens qui ont été évacués!
Mesdames et Messieurs les députés, nous avons un système de protection de la propriété privée qui remonte non pas au siècle dernier mais au XIXe et vous devriez avoir la décence d'essayer d'améliorer ce système! (Applaudissements.)
Le président. Je donne encore la parole à M. Pétroz et à M. Luscher. Ensuite, nous clorons probablement là nos travaux car, vu la longue liste d'intervenants, nous n'y arriverons pas... Je le regrette!
M. Pascal Pétroz (PDC), rapporteur de majorité. Monsieur le président, après ce que je viens d'entendre, quelque chose me fait hésiter à propos du sort à réserver à ce projet de loi: c'est l'état de santé de M. Grobet. Lorsque je constate combien il s'emporte, je m'inquiète... (Exclamations.)Je vous le dis en toute amitié.
Je voulais préciser encore une chose concernant la durée de la procédure d'évacuation: pour que quelqu'un soit évacué, il faut que son bail ait été résilié. Cette résiliation doit non seulement être exécutée selon une certaine procédure, mais elle peut aussi être contestée. Une fois le bail résilié, pour que quelqu'un soit évacué de son logement, il faut diligenter une procédure en évacuation devant le Tribunal des baux et loyers - il y a une audience de conciliation, une audience devant le Tribunal, il est possible de faire appel auprès de la Cours de justice. Ensuite, il faut faire appel à un huissier judiciaire qui saisit le Procureur général, et ce dernier rend une décision d'évacuation exécutée, le cas échéant, par la police. C'est donc une procédure très étendue dans le temps, entre neuf mois et une année, et nous estimons que la durée de cette procédure peut être mise à profit pour trouver des solutions de relogement. La situation serait totalement différente si les gens pouvaient être évacués manu militarien deux temps trois mouvements, et tel n'est pas le cas à Genève où être évacué prend du temps, quasiment une année.
Puisque j'ai été mis en cause par M. Grobet, j'aimerais brièvement lui dire que, contrairement à ce qu'il pense - c'est vrai que je défends les propriétaires dans l'exercice de ma profession d'avocat - je trouve éminemment utile de défendre des locataires. Il y a des voyous parmi les locataires autant qu'il y a des voyous parmi les propriétaires, et il est important de défendre non pas les locataires ou les propriétaires par conviction idéologique mais les causes justes! J'ai défendu des locataires en proie à des procédures d'évacuation; j'ai réussi, comme vous, Mesdames et Messieurs qui êtes assis sur les bancs me faisant face, à trouver des solutions pragmatiques avec les huissiers et avec le Procureur général: nous avons réussi, avec la volonté et la compréhension de chacun des intervenants dans ce dossier, à trouver des solutions.
Alors, je ne comprends pas pourquoi vous venez nous donner des leçons. Je pense qu'avec des solutions pragmatiques et en faisant preuve de bonne volonté on peut arriver à des solutions adéquates. (Applaudissements.)
M. Christian Luscher (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés... (Remarque.)Je vous remercie mille fois de vos compliments, Monsieur Pagani!
Lorsque j'entends M. Grobet dire qu'un locataire se trouve seul à seul face au Procureur, je me dis que cela fait très longtemps qu'il ne s'est pas rendu chez le Procureur général. Et c'est vrai que, lorsqu'on a des clients comme M. Chevallaz, on n'est pas tous les jours chez le Procureur général!
Cela étant, Monsieur le président, je propose d'ajourner à demain la suite de ce débat...
M. Christian Grobet. Dis donc, tu veux que je parle de tes clients, moi aussi ?
Le président. Monsieur Grobet... (Le président agite la cloche.)
M. Christian Luscher. Parce que je pense que tout le monde est très fatigué ce soir, en particulier M. Grobet qui vocifère en face de moi!
Le président. Quoi qu'il en soit, Monsieur Luscher, j'ai dit que vous seriez le dernier orateur! (Remarque.)Monsieur Grobet, le débat est interrompu... (Brouhaha.)Messieurs, on va vous laisser vous invectiver... Je prie le service technique de bien vouloir couper le micro de M. Luscher. Merci!
Le débat est interrompu; nous avons soigneusement pris note des noms des orateurs inscrits... (Remarque.)Non, la liste n'est pas close! Nous reprendrons nos débats demain en fin d'après-midi.
La séance est levée à 23h30.