Séance du
vendredi 28 mars 2003 à
17h
55e
législature -
2e
année -
6e
session -
32e
séance
IU 1374 et objet(s) lié(s)
M. Charles Beer, conseiller d'Etat. Je propose de traiter l'interpellation urgente de M. Vanek en même temps que celle de Mme Roth-Bernasconi, puisque celui-ci voulait - je reprends ses termes - «taper sur le clou» en traitant le même sujet.
Je répondrai globalement à ces deux interpellations urgentes. J'essaierai même d'anticiper l'interpellation de la semaine prochaine à propos des manifestations et de la manière dont elles ont pu être vécues dans certaines écoles, y compris à l'Ecole des Eaux-Vives...
Mesdames et Messieurs les députés, le jeudi 20 mars dernier était un jour marquant, non en raison de la prestation de serment d'un conseiller d'Etat mais en raison de l'entrée en guerre d'une partie de la planète contre l'Irak et du fait que cette agression est contraire au droit international. Aujourd'hui, la quasi-unanimité - l'unanimité totale, devrais-je dire, pour enfoncer une porte ouverte et commettre un pléonasme - de tous les partis en Suisse s'est faite contre la déclaration de guerre de ce jeudi 20 mars. Il en est de même pour toutes les églises de Suisse, qu'elles soient officielles ou non. Nous pouvons constater une belle unanimité dans notre pays pour s'indigner contre cette guerre.
Dès lors, est-il étonnant que cette déclaration de guerre ait été suivie par un flux important de collégiens et élèves du Cycle d'orientation - presque dix mille - manifestant dans les rues, entre 10h30 et 14h ? La réponse du département est : non! D'abord, en termes de comparaison, je relève que ce fut le cas dans presque toutes les grandes villes de Suisse, mais aussi en Europe et dans le monde. Cette indignation a été pratiquement unanime, et le fait que la jeunesse ait réagi en dépassant le cliché dont elle est affublée, selon lequel elle serait égoïste et repliée sur elle-même, devrait nous pousser à mettre en avant sa capacité responsable et citoyenne, comme le relèvent les deux interpellations urgentes de Mme Roth-Bernasconi et de M. Vanek.
Pour ma part, je tiens simplement à relever, de même que le département qui a, sous la plume de son secrétaire général, mis les choses au point, le caractère légitime de cette démarche. Quel enseignement en tirer ? Par la circulaire du secrétaire général du département de l'instruction publique, en accord avec son président, il a été rappelé aux directions générales du cycle d'orientation et de l'enseignement post-obligatoire qu'il ne convenait en aucun cas de sanctionner les élèves qui avaient manqué les cours du jeudi après-midi, en raison de la manifestation ou pour toute autre manifestation directement périphérique qui aurait pu avoir lieu juste avant ou juste après. En effet, il y a encore eu une manifestation le vendredi matin.
Nous avons donc considéré l'esprit plutôt que le règlement.
Mais vous m'avez interpellé, Madame Roth-Bernasconi, sur le soutien du département à cette opération... Je rappelle, puisque cela va dans le même sens que la préoccupation de M. Vanek par rapport à la circulaire de Mme Extermann - je me permets de la citer, puisque cela a déjà été fait - que le département de l'instruction publique fonctionne en vertu d'un certain nombre de règlements. Alors, que l'autorité scolaire rappelle les obligations des uns et des autres, il n'y a pas, à mon avis, à s'en émouvoir ! Cette autorité ne doit d'ailleurs pas forcément encourager le développement de telles manifestations. Il ne faut pas confondre la transgression avec la volonté de faire transgresser. C'est un point que je vais être amené à développer davantage tout à l'heure.
La circulaire de Mme Extermann du début mars faisait référence non pas à la manifestation du 20 mars, Monsieur Vanek, mais bel et bien aux manifestations du 31 janvier et du 5 mars - si je ne me trompe - qui avaient donné lieu à un certain nombre d'informations à l'intérieur des établissements scolaires. Cette circulaire prend appui sur le règlement du cycle d'orientation qui stipule que lorsqu'un élève ne se présente pas à une épreuve il est sanctionné par la note 1. Cette circulaire rappelle le règlement, et elle n'a donc pas à être retirée.
Si, en fonction d'évènements particuliers - comme cette déclaration de guerre qui a ému une bonne partie de la planète - l'autorité, qu'elle soit administrative ou politique, est amenée à reconsidérer la situation, c'est possible. Cela a du reste été le cas, puisque nous avons considéré qu'il n'y aurait pas de sanctions pour les manifestations contre la guerre en Irak, ces dernières ayant été jugées comme un engagement citoyen positif. Ne confondons pas ce qui est de l'ordre de la capacité des élèves à transgresser une règle avec l'encouragement de l'autorité et des enseignants à la transgresser!
Cela m'amène à l'interpellation urgente que j'anticipe. Je ne sais donc pas encore à qui je réponds. Mais je tiens à mettre d'ores et déjà les choses au point pour ce qui est de l'Ecole des Eaux-Vives... (Le président est interpellé.)Pas de problème, Monsieur Weiss, vous l'avez pensé très fort, cela me suffit !
Concernant cette école, il s'est passé ceci : les élèves ont été accueillis le jour de la déclaration de guerre, comme tous les enfants de toutes les écoles primaires, et ils se sont trouvés, avec les enseignants, dans une situation où régnait une préoccupation par rapport à la guerre. Les enfants de cette école n'ont pas fait exception. Les enseignants ont lu un certain nombre de textes, pas sur la guerre, pas sur les Etats-Unis d'Amérique ou l'Irak, mais sur la paix - comme Flon-Flon, pour être précis - en harmonie avec ce qui se passait ailleurs. Et ce point doit être relevé.
Lorsque les enfants sont sortis dans le préau à 10h30, ils ont fait des dessins, des collages, des banderoles, toujours relatifs à la paix - jamais par rapport à la guerre et sans jamais citer le moindre slogan - donc de manière à donner un cadre permettant un minimum de discussions, mais aussi d'interactions entre les adultes, censés rassurer, et des enfants parfois angoissés en raison de certaines déclarations - ce qui ne veut pas dire que les adultes ne le sont pas, vous l'aurez certainement remarqué.
L'ensemble de la mission pédagogique a dès lors été remplie, parce que s'il n'y avait pas eu de communication - et je vais revenir sur ce point - il n'y aurait eu aucun souci, aucun émoi et aucun article de presse en la matière.
Mais une énorme maladresse a été commise: en effet, une lettre, disons plutôt un tract, a circulé pour annoncer très clairement qu'une manifestation aurait lieu dans le préau à cette heure-là. Or il n'y a pas eu de manifestation. Les enseignants concernés que nous avons contactés nous ont montré que tout a été assuré sur le plan pédagogique: l'encadrement, les activités et la discussion. En revanche, ils ont reconnu que la lettre-tract avait largement dépassé leur pensée, que c'était une erreur qu'ils regrettaient... Je trouve donc dommage que cette affaire ait pris une telle proportion et jette le discrédit sur leurs activités pédagogiques qui ne le méritent pas.
En fonction de cela, et notamment pour faire le lien avec les deux interpellations urgentes concernant les collégiens et le cycle d'orientation, nous ne devons jamais oublier que l'article 4 de la loi sur l'instruction publique, plus particulièrement sa lettre d), invoque la nécessité que les enfants puissent acquérir une liberté de jugement, une indépendance d'esprit. C'est la leur! Et il n'appartient pas aux adultes de la commanditer, même si, par ailleurs, elle repose sur une unanimité politique ou religieuse. Que les élèves transgressent un règlement, telle est leur liberté! Quand les salariés, qu'ils soient organisés ou non, décident de faire grève, ils font également usage de leur liberté constitutionnelle, mais le mélange de l'un et l'autre nous amène très exactement aux confins de la violation de l'article 6 duquel le département doit également être garant.
Je terminerai donc ma réponse à ces deux interpellations urgentes en disant qu'il est difficile de marier la force de conviction et la liberté de conscience d'autrui. Le département doit en être le garant dans le cadre scolaire, et j'ai entière confiance dans le corps enseignant pour assumer cette mission avec perspicacité, clairvoyance et lucidité, et je le remercie de son action. (Applaudissements.)
Ces interpellations urgentes sont closes.
Le président. Je me permets respectueusement de rappeler au Conseil d'Etat qu'en principe le temps imparti pour répondre aux interpellations urgentes est de trois minutes, soit six minutes pour deux interpellations, et non neuf minutes. De plus, il faut répondre aux interpellations déposées urgentes et non aux interpellations qui risquent de l'être, sinon notre ordre du jour sera véritablement impossible à tenir!
Nous passons maintenant à l'interpellation urgente suivante. Je vous donne la parole, Madame Spoerri!