Séance du
jeudi 20 mars 2003 à
20h30
55e
législature -
2e
année -
6e
session -
27e
séance
GR 353-A
M. Jacques Follonier (R), rapporteur. Ce soir... (Brouhaha.)Ce soir...
Le président. Monsieur le rapporteur, attendez un moment ! Ceux que les grâces n'intéressent pas sont priés de sortir ou de faire silence, pour laisser les rapporteurs s'exprimer tranquillement ! Monsieur Follonier, allez-y !
M. Jacques Follonier. Merci, Monsieur le président, surtout que le sujet est d'importance...
Ce soir, nous allons peut-être mettre fin à une injustice et quel sort, plus que celui-ci, peut-il servir de réflexion ?
Je vais vous parler de Monsieur S., originaire du Pakistan, qui est arrivé en Suisse en 1992. A cette époque, la vie lui souriait. Il rencontre une femme qui est binationale, suissesse et française. Il se marie, et tout paraît pour le mieux dans le meilleur des mondes...
Malheureusement, petit écart de conduite, il "deale" quelques grammes de "shit" et se fait arrêter, raison pour laquelle au bout de quelques mois il est condamné à une peine de trois ans et dix ans d'expulsion du territoire. Convaincu que cette peine lui était infligée à raison, il a donc purgé cette dernière et respecté le temps d'expulsion du territoire suisse, pensant, puisque cette période arrivait à son terme en 2003, pouvoir enfin revoir sa femme alors qu'il résidait toujours en France. Sa femme étant binationale, il avait pu obtenir la nationalité française.
Leur éloignement n'était donc pas trop important. Monsieur S. pouvait résider en France et voir tout de même son époux de temps en temps. Jusque là, rien d'exceptionnel, il a terminé sa peine, tout est rentré dans l'ordre...
Malheureusement, il s'est passé quelque chose ces dernières années: sa femme, gravement malade, devait régulièrement fréquenter l'hôpital cantonal. Cette dernière ne pouvant plus venir le voir en France en raison de sa maladie, Monsieur H. a décidé, à un certain moment, de franchir la frontière, et il l'a fait par amour. Des amendes lui ont donc été régulièrement infligées, qu'il réglait en effectuant des peines de dix à trente jours de prison. Il le faisait sciemment puisque c'était le prix à payer pour pouvoir voir son épouse... Cela s'est produit souvent. Mais une fois, en 1996, quand il s'est fait prendre alors qu'il passait la douane pour la énième fois, un juge a décidé de lui infliger une peine de quinze jours de prison, plus dix ans d'expulsion du territoire - qu'il n'a d'ailleurs pas vu passer en l'occurrence ! C'est pourquoi, alors qu'il croyait pouvoir revenir à Genève et vivre avec sa femme en 2003, il doit encore attendre quelques années pour la rejoindre.
La commission a certes rejeté ce recours, mais, personnellement, je vous demande d'accepter de le gracier des années d'expulsion qui lui ont été infligées. (Quelques exclamations.)
Le président. Monsieur le rapporteur, nous avons tout de même compris que la commission, contrairement à vous, rejetait le recours...
Plusieurs députés se sont inscrits: M. Luscher, M. Catelain, puis Mme Hagmann. Je vous prie, les uns et les autres, d'être relativement concis. Monsieur le député Luscher, membre de la commission de grâce, je vous donne la parole.
M. Christian Luscher (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je ne veux absolument pas m'en prendre à mon collègue Follonier, mais j'estime que, s'il présente le rapport qui a été voté par la commission, il doit exposer de manière loyale et fidèle ce qui s'est passé lors des travaux de ladite commission. S'il n'est pas d'accord avec ce rapport, il doit s'abstenir.
Monsieur Follonier, ce que vous faites aujourd'hui n'est pas correct parce que vous n'avez pas invoqué un seul des motifs pour lesquels la commission, dans sa majorité, a suggéré à ce parlement de rejeter le recours en grâce.
Alors, évidemment, il est difficile aujourd'hui, pour ceux qui ont voté le rejet du recours, de contrer votre argumentation pour la simple raison qu'ils ne pouvaient pas imaginer que vous pourriez aller à l'encontre des conclusions du rapport de la commission - le rejet du recours - qui ont été votées à la majorité! Nous n'avons pas pu nous préparer et avoir le dossier sous les yeux.
Ce dont je me souviens toutefois, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que l'ordonnance de condamnation du 8 août 1996 portait sur un trafic de drogue: il ne s'agit donc pas d'errements, mais d'un trafic de drogue ! Et puis, surtout, vous omettez de dire - ce qui n'avait pas échappé à la commission lorsqu'elle a proposé le rejet du recours en grâce - que cette condamnation n'était, de loin, pas la première... Et c'est probablement ce qui expliquait ce que vous avez estimé être une condamnation sévère, c'est-à-dire une peine d'emprisonnement de trente jours, assortie d'une expulsion de dix ans.
Je me souviens également, Monsieur le rapporteur, qu'il a d'abord été jugé pour trafic de drogue, ensuite pour rupture de ban consécutive à une expulsion, et puis - c'était le plus important - il s'agissait d'une condamnation en force contre laquelle cette personne n'avait pas recouru. Or, je vous le rappelle, lorsque quelqu'un reçoit une ordonnance de condamnation, il peut la contester devant le Tribunal de police, puis devant la Chambre d'appel de la Cour de justice et, enfin, devant le Tribunal fédéral, sans compter encore le recours complètement subsidiaire de la Cour européenne des droits de l'homme.
Votre rapport, Monsieur le rapporteur, nous surprend! Et nous n'avons pas eu le temps de préparer une argumentation qui soit conforme à ce que la commission a décidé dans sa majorité.
Je pense donc qu'il s'agit d'un erreur de votre part, qui n'est pas volontaire...
C'est la raison pour laquelle, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je demande le renvoi en commission de ce cas particulier, pour que celui qui présente le rapport devant le parlement soit en concordance avec ce qui a été décidé par la commission de grâce.
Une voix. Bravo !
Le président. Merci, Monsieur le député. Six orateurs sont inscrits... Nous ne devons nous exprimer que sur le renvoi en commission... Les choses sont claires. Je vais mettre tout de suite aux voix la proposition de M. Luscher, de renvoyer ce rapport en commission. Si ce renvoi n'est pas accepté, le débat se poursuivra. S'il est accepté, la commission de grâce devra faire elle-même le ménage dans ses affaires... Nous procédons donc au vote sur la proposition de renvoyer ce cas en commission de grâce.
Mise aux voix, cette proposition est adoptée.