Séance du jeudi 27 février 2003 à 20h45
55e législature - 2e année - 5e session - 22e séance

PL 8746
Projet de loi de MM. Mark Muller, Christian Luscher, Jean-Michel Gros, Alain Meylan, Pierre-Louis Portier, Patrick Schmied, Pascal Pétroz, Hugues Hiltpold modifiant la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites (L 4 05)

Préconsultation

M. Mark Muller (L). Mesdames et Messieurs les députés, les associations ont traditionnellement deux types de prérogatives en matière d'aménagement du territoire.

Le premier type, bien connu - notamment sur le plan fédéral et dans quasiment dans tous les cantons - concerne le droit de recours. Ce droit de recours fait d'ailleurs actuellement l'objet d'une remise en question par certaines formations aux Chambres fédérales. Je tiens à préciser en guise de préambule que ce droit n'est pas remis en question sur le plan cantonal.

Le deuxième type de prérogative reconnu aux associations - et cela constitue une particularité genevoise - a trait au droit d'initiative. (Brouhaha.)A Genève, les associations d'importance cantonale possèdent en effet la faculté de demander, non pas l'adoption de plans d'aménagement, mais bien des mesures de protection du patrimoine, et ceci par le biais de demandes de mise à l'inventaire de bâtiments, de classement ou d'adoption de plans de site. A cet égard, les associations - qui sont des organismes de droit privé - jouissent des mêmes prérogatives que les collectivités publiques, en particulier les communes.

Comme vous le savez, nous nous efforçons, depuis le début de cette législature, d'alléger les procédures, de les simplifier et de les accélérer. Or, nous estimons que le droit d'initiative des associations en matière de protection du patrimoine constitue un facteur de blocage - comme nous avons pu le constater à de multiples reprises lors du traitement de certains dossiers par le passé. C'est pourquoi nous vous proposons, par le biais de ce projet de loi, de supprimer le droit d'initiative des associations en matière d'aménagement du territoire, de protection de l'environnement ou de protection du patrimoine - tout en leur conservant leur droit de recours qui, je le répète, n'est nullement remis en question. Nous souhaitons en effet que ce droit soit réservé aux collectivités publiques et non à des privés.

Ce projet de loi comporte un deuxième volet. Il touche certes le droit de recours, mais ne vise pas à sa suppression. Il s'agit simplement de le limiter à des associations d'importance cantonale. Je vous rappelle que la loi actuelle octroie ce droit de recours à toute association constituée depuis trois ans. De petites associations de quartiers ou d'habitants peuvent donc, en l'état, recourir dans un certain nombre de cas. C'est précisément ce que nous avons pu observer lors de l'aménagement du secteur de Sécheron: une association telle que la FAQH (Fédération des associations de quartiers et d'habitants) s'est vu dénier la qualité de recourir précisément parce qu'elle ne possédait pas la qualité d'association d'importance cantonale. Or, cette association pourrait, dans le cadre de la loi actuelle sur la protection du patrimoine, se voir reconnaître un droit de recours. Nous souhaitons donc limiter ce droit de recours à des associations véritablement d'importance cantonale telles que la Société d'art public.

M. Alain Etienne (S). Le projet de loi qui nous est proposé reflète bien l'esprit de la majorité actuelle de ce parlement, à savoir la restriction des droits démocratiques. M. Muller vient à l'instant d'exprimer une nouvelle fois cet esprit.

Ce projet de loi fait partie de l'ensemble de ceux déposés pour démanteler toutes les avancées que l'Alternative avait proposées durant la dernière législature. (Protestations.) (Le président agite la cloche.)

Que cachent les modifications proposées ? Il s'agit tout simplement d'enlever aux associations actives depuis trois ans, ayant pour but idéal de défendre le patrimoine la possibilité de faire une demande d'inscription à l'inventaire, une demande de classement ou l'élaboration d'un plan de site au même titre qu'une commune. Cette proposition nous semble inacceptable !

Si le parti socialiste reconnaît le besoin actuel en logements, nous pensons aussi que notre développement ne doit pas se faire n'importe comment. Le procès soulevé par ce projet aux plans de site n'est pas admissible. Ces plans assurent la garantie d'un développement harmonieux nécessaire à la préservation de notre cadre de vie.

Si l'on veut vouloir construire, il faut savoir où l'on met les pieds. (Brouhaha.)Des études sont nécessaires pour connaître la substance de notre patrimoine. Plus les connaissances sont bonnes, plus il est facile d'éviter les blocages évoqués par M. Muller. Plus on joue la transparence, plus on consulte en amont et permet au monde associatif d'intervenir, plus on évite les recours!

L'intervention des associations permet souvent d'améliorer les projets, car ces dernières bénéficient des connaissances que l'Etat n'a pas toujours. Renforcer le rôles des associations, c'est aussi dynamiser l'engagement de la société civile. Le développement durable passe aussi par ce processus de participation.

Votre projet de loi est donc dangereux. Les socialistes s'y opposeront par respect pour toutes celles et ceux qui s'engagent jour après jour dans le monde associatif.

M. Gabriel Barrillier (R). Le groupe radical soutient bien évidemment ce projet de loi. Pourquoi cela ? Parce qu'il vise à rétablir un ordre logique et démocratique entre les institutions et les associations habilitées à intervenir pour protéger le patrimoine bâti! L'ancienne majorité, la vôtre...

Une voix. Plus pour longtemps !

M. Gabriel Barrillier. ...avait accordé les mêmes droits aux associations de défense du patrimoine et aux communes. Or, les autorités communales bénéficient d'une légitimité: elles sont élues! Alors que les associations de protection du patrimoine, si importantes soient-elles, ne sont pas élues démocratiquement.

Nous souhaitons dès lors rétablir la hiérarchie normale en rendant aux autorités communales légitimement élues leur prééminence en matière d'aménagement du territoire.

C'est pourquoi nous soutenons ce projet de loi. (Applaudissements.)

M. Pierre-Louis Portier (PDC). Mesdames et Messieurs, permettez-moi d'intervenir brièvement et au risque de me répéter, car j'interviendrai dans le même sens que M. Barrillier. M. Etienne ne sera pas étonné que le groupe démocrate-chrétien se trouve fort heureux d'être associé à un projet de loi qui vise à démanteler quelque peu le carcan fabriqué par l'Alternative au fil des années. Notre groupe estime en effet qu'il est grand temps de redonner le pouvoir aux politiques locaux.

Une voix. Bravo !

M. Pierre-Louis Portier. Le système mis en place par l'Alternative est en train de figer notre démocratie. Nous n'arrivons plus à avancer dans les projets. Toute une série d'objets se trouvent complètement bloqués parce qu'on associe une multitude d'acteurs à des décisions parfois complexes; or plus le nombre de personnes impliquées est important, plus les décisions sont difficiles et longues à prendre! Il est important de ne plus figer ce système démocratique, mais de parvenir à des décisions plus promptes permettant de déboucher rapidement sur des projets de logements ou, encore, sur des projets prévoyant le développement d'activités économiques.

Voilà ce que je souhaitais brièvement vous communiquer. J'exprime une nouvelle fois la satisfaction du groupe démocrate-chrétien de voir ce projet renvoyé en commission de l'aménagement. (Applaudissements.)

Mme Michèle Künzler (Ve). J'aimerais en préambule dire ma tristesse devant la joie manifestée par certains à démanteler des droits démocratiques. (Protestations.) Je vous invite à imaginer la ville de Genève sans les murailles, sans la Tour-de-l'Ile, sans les immeubles fazystes, sans l'hôtel Métropole, et j'en passe! Notre ville ne serait plus Genève, c'est vrai ! Or comment avons-nous préservé ces bâtiments ? Précisément parce que des citoyens ont pris les choses en main et se sont décidés à fonder des sociétés. C'était il y a un certain nombre d'années! Ce sont ces sociétés qui ont préservé cette ville que nous aimons tous ! (L'oratrice est interpellée.)

Et ce projet de loi vise à supprimer ces droits - car c'est la suppression des droits d'associations telles que la Société d'art public que vous visez! Cette dernière ne pourra plus déposer de demandes de classement, de demandes de mise à l'inventaire ou encore de plans de site, alors qu'elle est composée de citoyens très compétents.

Ce démantèlement des droits démocratiques se fait, qui plus est, au nom de la crise du logement, qui a bon dos! Soyons sérieux: M. Muller prétend que tous les projets ont été bloqués par les associations. Or en dix ans, à peine 2% des projets ont été bloqués par les recours d'associations. 2% ! Ce sont les propriétaires privés et les voisins qui font opposition, pas les associations! Ce sont donc vos milieux qui font opposition! Les associations ont, elles, des recours fondés. Je vous rappelle à titre d'exemple que les deux recours qui sont arrivés jusqu'au Tribunal fédéral ont été acceptés; il s'agissait donc de recours justifiés.

Vous valorisez habituellement l'initiative privée. Et dans ce cas précis vous vous efforcez de transférer toutes ces compétences aux communes! Mais seules les grandes communes en ont les moyens: la Ville de Genève ou la Ville de Carouge peuvent investir et engager un historien de l'art ou d'autres spécialistes. Les petites communes ne pourront pas, pour leur part, engager de professionnels pour traiter de ce domaine! Vous privilégiez dès lors les grandes communes bénéficiant des moyens nécessaires pour se défendre, alors que les autres communes ne disposeront pas cette possibilité!

Je vous invite donc à retirer ce projet qui est inique face à des associations comme la Société d'art public qui a grandement oeuvré pour cette République et dont je reconnais le travail. (Applaudissements.)

M. Christian Grobet (AdG). Je souhaite m'associer aux propos tenus à l'instant par Mme Künzler. En effet, sans l'action des associations de protection du patrimoine, je m'interroge sur ce qui resterait du patrimoine genevois. Certains quartiers, comme celui des Grottes, auraient été totalement rasés... ( Rire d'un député.)Vous riez, mais c'est la réalité! Le projet des années soixante était de démolir intégralement ce quartier et de construire deux grandes barres d'immeubles s'entrecroisant. On peut citer d'autres quartiers, comme celui de Villereuse, qui auraient aujourd'hui disparu sans l'action des associations de protection du patrimoine. La population se pâme aujourd'hui d'admiration devant ces quartiers conviviaux sans se rendre compte que, sans l'action des associations de protection du patrimoine, tous ces quartiers n'existeraient tout simplement plus. La liste des bâtiments ainsi sauvés est extrêmement longue; elle va de la villa Edelstein - qui a malheureusement été abîmée - à toutes sortes d'autres bâtiments. Mme Künzler a d'ailleurs bien fait de rappeler la Tour-de-l'Ile.

Je me souviens de la bataille menée en son temps pour sauver l'hôtel Métropole : la plupart des partis souhaitaient la démolition de ce bâtiment; quelques années plus tard, tout le monde reconnaissait de façon unanime que la restauration du bâtiment était fantastique et se réjouissait que ledit bâtiment n'ait pas été démoli. Il ne suffit pas de se réjouir de la sauvegarde de tels bâtiments! A Genève, la liste des immeubles démolis aurait été extrêmement longue sans l'intervention d'un certain nombre d'associations de protection du patrimoine!

Par ailleurs, les interventions de ces associations de protection du patrimoine n'ont, comme Mme Künzler l'a relevé, nullement bloqué la construction de logements à Genève... (Protestations.) Et je trouve, Monsieur Muller, que vous avez un sacré culot! Ce sont en effet vos milieux et vous qui bloquez aujourd'hui les déclassements de terrain pour construire des logements sociaux, que ce soit à la Gradelle ou en d'autres endroits ! C'est vous qui bloquez la construction de logements actuellement ! (Vives protestations.) (Le président agite la cloche.)Pour avoir travaillé pendant douze ans au département des travaux publics, je peux vous affirmer que les principales oppositions émanent des propriétaires de villas - ce que vous savez fort bien. Alors, les associations de protection du patrimoine ont bon dos! On sait pertinemment que, si l'on ne peut pas construire de logements dans un certain nombre d'endroits, c'est parce que les dossiers sont bloqués.

Je souhaite demander à M. le conseiller d'Etat Moutinot quand serons-nous saisis ici d'un seul projet qui permette de construire mille logements? C'est celui de la Gradelle! Nous avons déposé un projet de loi reprenant celui du Conseil d'Etat! Evidemment, le bureau trouve un Professeur d'université pour dire que...

Une voix. Qu'as-tu contre les professeurs d'université ?

M. Christian Grobet. Je n'ai rien contre eux. (Rires.)Je constate simplement qu'ils savent aussi être partiaux. En effet, tout en admettant lui-même qu'aucun article de la Constitution ne limite le droit d'initiative des députés en matière de projet de loi, ce professeur dit implicitement que les députés n'auraient pas le droit de déposer un projet reprenant un projet de loi du Conseil d'Etat.

Dites-nous donc, Monsieur Muller, quand vous et vos amis politiques accepterez de...

Le président. Il vous reste une minute, Monsieur le député.

M. Christian Grobet. C'est vous, Monsieur Muller, qui bloquez actuellement la construction de logements. Quand discuterons-nous donc du déclassement des terrains de la Gradelle qui permettront la construction de mille logements ?

Lorsque vous abordez la question des communes, vous oubliez par ailleurs que ce sont les projets de lois de l'Alternative qui ont introduit le droit d'intervention et de recours des communes ! Lors de l'introduction des articles que vous voulez modifier aujourd'hui, c'est nous qui avons introduit le droit d'intervention et de recours des communes...

Le président. Il vous faut conclure !

M. Christian Grobet. Et encore, je me souviens qu'en un endroit où nous avions oublié de mentionner les communes et que nous voulions le rétablir par la suite, vous n'en avez pas voulu !

Vous tenez un double langage tout à fait incroyable: d'une part, vous prétendez aujourd'hui défendre les droits des communes dont vous n'avez pas voulu jadis, d'autre part vous voulez leur retirer le modeste droit de motion qui leur a été accordé et qui a effectivement été utilisé par un certain nombre d'entre elles.

Le président. Votre temps de parole est dépassé !

M. Christian Grobet. Je trouve la duplicité de votre langage tout à fait intolérable ! (Applaudissements.)

M. Laurent Moutinot, président du Conseil d'Etat. Mesdames et Messieurs, vous êtes entrés dans plusieurs sessions dévolues à l'aménagement. Les articles du projet que vous êtes en train d'examiner ont été adoptés il y a plus d'une année à peine. Je vous informe en outre que votre commission a voté le 28 novembre des modifications sur ces mêmes articles. Il conviendra donc de stabiliser ces articles au fil des années, ne serait-ce que pour une question de sécurité du droit.

L'objectif de ce projet de loi a été clairement exprimé: il s'agit de retirer aux associations la possibilité d'initier des procédures de protection du patrimoine. Or, il est important, comme vous l'avez souvent répété, d'agir en amont. La compétence que possèdent précisément les associations permet, par l'identification des bâtiments ou des périmètres à protéger, d'intervenir avant le début du processus d'aménagement ou de construction, et non par recours au dernier stade de la procédure.

Sachant que la plupart des demandes nous sont faites par des associations telles que la Société d'art public - associations auxquelles je rends hommage pour leur travail - sont des requêtes fondées, je ne vois dès lors aucune raison de les priver aujourd'hui de cette faculté.

Les auteurs du projet de loi invoquent des dérapages. Après vérification dans les dossiers du département, je peux leur affirmer qu'au maximum trois ou quatre cas de dérapages ont été décelés durant les quinze dernières années. Oui, c'est trop dans ce sens-là! Mais c'est trop risqué dans l'autre, que trois ou quatre cas de démolition regrettables se produisent en dépit de la vigilance de mon département.

Je crains que ce projet n'aboutisse à l'inverse de son objectif. Son but est d'accélérer les processus en évitant les embrouilles de procédures et les complications. Les associations se vouent aujourd'hui à rechercher ce qui doit être protégé; si elles se trouvent privées de cette faculté, elle mettront leur énergie à surveiller d'autant plus attentivement ce qui est autorisé et à déposer d'autant plus de recours. Il me semble donc irréaliste d'imaginer le moindre bénéfice d'une telle procédure qui accroîtra à terme toute une série de difficultés puisque les pétitions, les recours et les initiatives se multiplieront.

Nous avons toujours soutenu qu'il était préférable, en matière d'aménagement et de police des constructions, de détecter les problèmes le plus tôt possible en amont, pour éviter qu'un processus ne se trouve bloqué par un recours. Je crains vivement, Mesdames et Messieurs les auteurs du projet, que le dispositif que vous proposez aille à l'encontre du but visé et crée de surcroît des dommages collatéraux à l'égard du patrimoine genevois. (Applaudissements.)

Le président. Je constate que M. le député Iselin a demandé la parole en dernière minute...

M. Robert Iselin. Je renonce.

Le président. Vous renoncez ? Les débats sont donc clos.

Ce projet de loi est renvoyé à la commission d'aménagement du canton.