Séance du vendredi 15 novembre 2002 à 14h
55e législature - 2e année - 1re session - 3e séance

RD 456
Rapport annuel de la Commission des droits de l'Homme (droits de la personne) sur son activité de novembre 2001 à octobre 2002
Rapport de Mme Maria Roth-Bernasconi (S)

Débat

Mme Maria Roth-Bernasconi (S), rapporteuse. Pendant cette année, nous avons élaboré une fois de plus une certaine ligne de travail à la commission des droits de l'Homme (droits de la personne) et, grâce au climat très agréable qui règne dans cette commission, notre travail a été, à mon avis, très constructif. J'aimerais juste rappeler ici quel est le rôle de cette commission, avant de vous faire une petite recommandation.

Premièrement, la commission des droits humains n'est pas un tribunal, elle est une instance politique. C'est important que la population le sache, même si elle s'adresse par exemple par des requêtes individuelles à cette commission. Celle-ci n'investigue pas, elle surveille, elle peut déplorer, elle constate et éventuellement elle recommande, mais elle n'est pas composée de juges, et donc elle ne juge pas.

Deuxièmement, même si c'est une instance politique, la commission travaille dans un esprit non partisan - ce qui est parfois assez reposant. Par ailleurs, la commission examine chaque sujet sous l'angle des droits humains et seulement sous cet angle-là. Cela est apparu notamment lorsque nous avons dû traiter de personnes sans-papiers. Dans ces dossiers-là, il peut y avoir un problème de droits humains, mais le problème majeur est probablement plutôt de l'ordre de la politique fédérale ou d'ordre économique.

Ce qui est également très important de l'avis des membres de la commission, c'est qu'elle doit faire preuve de rigueur juridique, se référer toujours à des bases légales ratifiées par les pays concernés ou au droit coutumier, établi comme étant des règles de droit impératives. De ce fait, la commission pèse souvent chaque mot qu'elle inscrit ensuite dans ses textes. Nous sommes obligés de le faire de cette manière-là pour rester crédibles.

Il existe un socle de droits humains pour la commission, le jus cogens ,le noyau dur auquel on ne peut déroger sous aucun prétexte, comme par exemple le droit à la vie, le droit à l'intégrité physique, le droit à ne pas être torturé, etc. Nous avons pu définir ce socle de droits humains lorsque nous avons traité des droits humains en Chine.

Enfin, il me semble tout de même important d'affirmer encore aujourd'hui qu'en dépit des différences culturelles, religieuses ou autres, les droits humains sont à notre avis universels et s'appliquent partout, pour tout être humain.

Aux députés qui s'offusquent parfois que l'on traite de sujets qui ne concernent pas directement Genève, j'aimerais rappeler que Genève est la capitale mondiale des droits humains - M. Halpérin le disait il y a une année - et que, de ce fait, notre Grand Conseil doit s'intéresser au respect des droits humains à Genève et dans le monde, et être attentif et à l'écoute de toute plainte ou dénonciation, d'où qu'elle vienne. Genève doit être irréprochable en la matière, notamment sur son territoire.

La commission a parfois pris beaucoup de temps pour traiter certains sujets, notamment parce que les textes de base étaient imprécis dans le sens où l'unité de matière n'était pas toujours respectée, ou parce qu'ils se basaient seulement sur des affirmations de principes sans énoncer clairement les droits humains violés ou les textes qui s'y réfèrent. Au nom de la commission, je vous invite, chers et chères collègues députés, à faire oeuvre d'un peu plus de rigueur lorsque vous voulez déposer un texte au sujet des droits humains. Le travail de la commission des droits de l'Homme en serait grandement facilité. Je vous remercie.

M. Antoine Droin (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'aurais juste deux choses à relever concernant le rapport de Mme Roth-Bernasconi. La première chose qui est peut-être étonnante et pourrait relever d'un problème de communication est le fait que, comme l'a relevé Mme Bernasconi dans son rapport, nous n'avons jamais été interpellés jusqu'à ce jour par des personnes qui auraient été victimes ou se sentiraient victimes d'une violation des droits de l'Homme. On pourrait imaginer deux explications à cela: soit il n'y a pas de problèmes dans notre République, soit les gens ne savent pas forcément qu'ils peuvent s'adresser à notre commission en cas de problèmes de cet ordre. C'était là ma première remarque.

Deuxièmement, je voulais relever que le climat qui règne dans la commission est très intéressant, même passionnant devrais-je dire, car de réels débats y ont lieu, des débats qui vont au fond des choses et où on peut s'apercevoir que les clivages politiques sont relativement bien nivelés. C'était un aspect que je jugeais important de relever.

M. Pierre Vanek (AdG). Monsieur le président, je remercie la rapporteuse pour la qualité de son travail. J'ai un mot quand même à rajouter. Il a été dit qu'il n'y avait pas de contradictions politiques et que ces débats se plaçaient au-delà du type de contradictions politiques qui prévalent habituellement dans ce parlement. Je tiens tout de même à rappeler qu'au moment de la fondation et de la mise en place de la commission, il y a eu une contradiction - qui est bien politique - qui faisait débat et portait sur la question des droits de l'Homme. Nous avons échangé nos points de vue l'an dernier avec Michel Halpérin, un des inspirateurs de la création de cette commission, sur l'idée que vous avez évoquée, Mme la rapporteuse, d'un prétendu «socle minimum», d'un «noyau dur» des droits de l'Homme. Au-delà, les droits économiques et sociaux - quelle que soit leur importance, quelle que soit la reconnaissance du fait qu'ils sont effectivement inscrits dans la déclaration universelle des droits de l'Homme - seraient en quelque sorte des droits de deuxième zone. J'ai combattu ce point de vue-là dès le début, et nous avons été un certain nombre - ce n'est donc pas une question étroitement politique ou personnelle - à défendre l'idée que les droits de l'Homme forment un tout, que notamment les droits économiques et sociaux sont parmi ceux qui sont, à l'échelle de ce monde, le plus souvent violés, et qu'ils ont une importance, qu'ils doivent être défendus tout autant que les autres droits politiques, individuels et autres qui sont inscrits dans les textes sur les droits de l'Homme.

Ce point-là fait effectivement l'objet d'appréciations différentes, d'un côté et de l'autre de cette enceinte. C'est une appréciation politique sur ces questions, c'est un débat de bonne tenue que nous avons eu dans cette salle, et je ne crois pas qu'il faille, au nom du consensus ou de la prudence, éluder cette contradiction qui continuera évidemment à traverser les travaux de ce parlement, mais aussi bien sûr de la commission des droits de l'Homme.

Mme Anne-Marie Von Arx-Vernon (PDC). Si le parti démocrate-chrétien ne peut que vous recommander d'accepter l'excellent rapport de Mme Roth-Bernasconi, c'est qu'effectivement, y apparaissent à la fois la qualité de notre travail et la qualité de nos échanges. Nos limites y sont également mentionnées, et nous pouvons désormais continuer nos travaux en osant aborder cette question des limites de la commission. Je crois tout simplement qu'au-delà des clivages politiques, nous pouvons travailler au sein de cette commission avec la meilleure partie de nous-mêmes, ce qui nous est très utile.

Mme Maria Roth-Bernasconi (S), rapporteuse. J'aimerais juste rappeler ce qu'on entend en général par le terme de jus cogens.Il s'agit des droits fondamentaux auxquels il ne peut en aucun cas être dérogé. Il n'y a pas de droits humains de première, deuxième, voire troisième classe ! Tous les droits humains ont probablement le même niveau. Ce que je voulais dire par mon énoncé, c'est qu'il y a certains droits tels que le droit à la vie, le droit de ne pas être torturé, auxquels on ne peut sous aucun cas déroger. Je prends un autre exemple, concernant la liberté d'opinion et la liberté d'association. Si le principe de la proportionnalité et le principe de la légalité sont respectés, on a le droit de déroger à ces libertés-là. Par contre, on n'a pas le droit de tuer quelqu'un, même si le droit de proportionnalité ou de légalité était respecté. C'était juste cet aspect-là que je voulais mentionner, Monsieur Vanek, mais je ne dirai jamais qu'il y a des droits de première, deuxième ou troisième classe; il a y suffisamment de classifications de ce genre ailleurs.

M. Antoine Droin (S). J'aimerais revenir sur les propos de M. Vanek. Si sur le fond je peux adhérer à certains de vos propos, Monsieur Vanek, je déplore simplement une chose: vous parlez de l'année précédente, et non de celle qui vient de se dérouler. En effet, je ne vois pas très bien comment vous auriez pu émettre un jugement sur ce qui s'est passé dans cette commission et sur la qualité des débats, puisqu'on ne vous y a vu qu'une fois...

M. Pierre Vanek (AdG). Je regrette en effet de ne pas avoir pu participer autant que je l'aurais voulu aux travaux de cette commission, et vous avez raison de le relever, mais je ne me suis permis en aucune manière de commenter des travaux particuliers. Mon intervention ne portait ni sur cette année, ni sur la précédente, ni sur la suivante, mais sur des questions générales de principe. Vous devez reconnaître, Monsieur le député, qu'il y a eu contradiction, qu'elle était de nature politique, et qu'il y a une perception très différente - j'essaie d'être modéré dans mes propos - du rapport entre ce que certains appellent le «noyau dur», soit le droit individuel à la vie, à la liberté, etc., et les droits économiques et sociaux.

Or il y a aujourd'hui, à mon sens, une importance particulière à mener campagne et à se battre pour les droits économiques et sociaux, pour le droit à la santé, à l'éducation, à ce genre de choses parfaitement élémentaires, qui ont évidemment aussi des incidences très concrètes sur les individus. Comment peut-on exercer des droits politiques élémentaires si l'on n'a pas droit à l'éducation, si l'on ne sait pas lire ni écrire ? Même s'il ne s'agit peut-être pas d'exécution, comment peut-on parler de droit à la vie s'il l'on meurt de maladie endémique ou épidémique ? Ces choses-là sont articulées. Toutes les organisations qui s'occupent de ces questions et que nous avons entendues au début des travaux de la commission le disent. J'ai cité Oxfram dans le débat sur le secret bancaire que nous avons eu hier; or, Mary Robinson - dont nous connaissons l'attachement aux droits de l'Homme et qui a accédé à la présidence d'honneur de cette ONG - insistait précisément dans un communiqué du mois de novembre de cette année sur l'importance du combat pour les droits économiques et sociaux. Le sens de mon intervention n'était pas du tout de faire des commentaires particuliers sur les travaux de la commission, ni de remettre en cause tel ou tel aspect de ceux-ci, mais puisque c'est un rapport annuel et qu'il y est question de principes et d'orientations générales, je voulais insister sur cette question des droits économiques et sociaux comme s'articulant étroitement avec tous les autres droits humains et comme étant un objectif essentiel, central, d'une politique qui voudrait se battre réellement, sur le fond, pour le respect des droits de l'Homme dans cette République et dans le monde.

M. Albert Rodrik (S). Il y a lieu ici de rappeler qu'avant que l'on crée cette commission lors de la précédente législature, nous avons eu un débat au cours duquel une amicale passe d'armes entre M. Halpérin et moi-même a cerné ici les différences de perception en matière d'étendue de droits de l'homme - perception qui est normale et naturelle dans sa différence. Rien ne serait pire que de prétendre qu'il y a une doctrine dominante ou unique à ce sujet. Ceci dit, la gauche a affirmé ici que son socle de droits humains intouchables englobait non seulement les droits économiques et sociaux, mais également les droits culturels, parce que, de par le monde, l'agression à l'égard du patrimoine culturel des gens commence à prendre des proportions énormes. Il a été clairement dit et affirmé que de ce côté-ci de l'assemblée, nous voulions ce socle plus large et moins spécieux et casuistique que certains de nos collègues le voudraient. La commission et le Grand Conseil doivent être traversés par ces différences et, je le répète, rien ne serait plus stérilisant que de vouloir s'acheminer vers une doctrine unique ou même dominante à ce sujet. Nous perdrions le pari de cette commission.

Mme Maria Roth-Bernasconi (S), rapporteuse. Je souscris tout à fait à ce que M. Rodrik a dit, ainsi qu'à la dernière intervention de M. Vanek. Il s'agissait uniquement de rappeler ici qu'il y a des droits qui sont inviolables. J'ai fait un rapport annuel et nous en avons parlé notamment en lien avec la résolution sur le Falun Gong, où certaines personnes ont tout de même remis en cause la défense de ces droits de toute première importance et qui sont inviolables. Mais, je le redis, il ne s'agit pas de classifier les droits humains. Il y a peut-être des droits humains de première et de deuxième génération, mais il n'y a pas d'autre distinction à faire. Je vous prie donc de bien vouloir considérer les déclarations de mon rapport dans ce sens-là.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.