Séance du vendredi 14 juin 2002 à 17h
55e législature - 1re année - 9e session - 45e séance

R 420-A
Rapport de la commission législative chargée d'étudier la proposition de résolution de Mmes et M. Christian Brunier, Laurence Fehlmann Rielle, Françoise Schenk-Gottret en faveur d'une TVA réduite pour les transports publics (initiative cantonale)
Rapport de M. Christian Grobet (AdG)
Proposition de résolution: Mémorial 2000, p. 2480

Débat

M. Jean-Michel Gros (L). Le groupe libéral n'est pas persuadé qu'il faille donner suite à cette proposition d'initiative cantonale. Bien sûr, il pourrait paraître opportun d'exonérer les transports publics de la TVA, tant il est vrai que de telles prestations largement subventionnées n'auraient pas, en toute logique, à restituer les subventions sous forme d'impôt. On pourra dire en quelque sorte que l'Etat reprend de la main gauche ce qu'il donne de la main droite. De plus, en ce qui concerne en particulier les TPG, le canton s'acquitte d'un impôt en faveur de la Confédération.

Une telle démarche est-elle opportune ? Demander à l'Assemblée fédérale de réviser une loi entrée en vigueur aussi récemment semble aléatoire. Ce d'autant que cette loi a demandé plus de trois ans d'intenses travaux au parlement. En outre, la question de l'exonération des transports publics a déjà fait l'objet de débats acharnés. Je crois même me souvenir, et M. Grobet pourra me le confirmer, que cette question a constitué une des dernières divergences entre le Conseil national et le Conseil des Etats. C'est dire si le pour et le contre ont été pesés. On voit donc mal les Chambres y revenir. M. Grobet lui-même l'admet dans son rapport succinct, lorsqu'il dit que le texte original de la proposition de résolution n'avait guère de chance d'être adopté à Berne.

Je me permets de douter que cette nouvelle mouture proposée par la commission ait davantage de chance. Soumettre les transports publics à un taux réduit, comme le proposait le texte original, ou geler dans la loi le taux actuel de 7,6%, comme le demande le nouveau texte: les deux propositions me semblent également vouées à l'échec pour les motifs suivants. Les Chambres ne voudront pas modifier une loi aussi récente. Par ailleurs, je vous rappelle que, s'il devait y avoir une augmentation du taux de la TVA, une modification de la constitution devrait être effectuée, et une telle modification requiert l'accord du peuple et des cantons. Je peux vous assurer, Mesdames et Messieurs les députés, que si une telle augmentation devait être proposée, elle ferait l'objet de mesures d'accompagnement, notamment en ce qui concerne les transports publics mais aussi le tourisme, voire même les biens de première nécessité.

J'ajouterai que la crainte de voir le taux de TVA grimper jusqu'au minimum de 15% imposé par l'Union européenne s'est largement estompée depuis le vote du 4 mars 2001 sur l'initiative «Oui à l'Europe». Or, l'actuelle modestie du taux suisse a été un des arguments aux Chambres fédérales contre la multiplication des taux spéciaux. Le tableau qui est joint en annexe au rapport nous montre bien que les réductions de taux accordées aux transports publics dans les pays de l'Union européenne concernent des taux variant de 15% à 25%. Rappelons enfin que la dernière hausse de la TVA de 0,1%, entrée en vigueur le 1er janvier 2001, est uniquement là pour favoriser les transports publics puisqu'elle est affectée à la construction des transversales alpines.

Je suis donc d'avis de ne pas envoyer cette initiative à Berne. Je suis conscient qu'elle est destinée à ne pas se concrétiser mais je sais aussi qu'en cas de hausse de la TVA décidée par le souverain, cette question des transports publics refera alors surface. Je vous demande par conséquent de refuser cette résolution.

Mme Françoise Schenk-Gottret (S). Mon avis est forcément différent de celui de M. Gros : qui ne tente rien n'a rien.

Nous avions une grande ambition dans notre première proposition de résolution. Nous invitions les autorités fédérales à revoir la législation relative à la taxe sur la valeur ajoutée afin que les prestations des transports publics soient soumises à un taux de TVA réduit.

Il n'est pas inutile de rappeler les motivations de notre démarche. Elle se fonde sur la nécessité de développer les transports publics pour améliorer la qualité de vie, lutter contre la pollution de l'air et les nuisances sonores en milieu urbain. J'ajoute que l'application en Suisse d'un taux de TVA intégral sur les prestations de transport public, la probable augmentation du taux de la TVA suisse afin de le rapprocher des taux européens, l'exonération qui se pratique déjà dans plusieurs pays européens, dont l'Irlande, la Norvège ou le Danemark, ainsi que la réduction du taux pratiquée dans les autres pays de l'Union, tous ces éléments nous légitimaient dans notre démarche. A contrecoeur, il faut l'avouer, nous avons donc revu notre ambition à la baisse. Il ne s'agit plus désormais que de demander aux autorités fédérales de geler le taux actuel de la TVA pour les transports publics. Cette proposition aurait dû recueillir l'unanimité de vos suffrages, comme cela a été le cas en commission législative.

Je vous propose toujours, Mesdames et Messieurs les députés, de voter cette résolution telle qu'elle est issue des travaux de la commission.

M. Jean-Marc Odier (R). Je ne sais pas si cette résolution a beaucoup de chance d'aboutir devant le Parlement fédéral...

Une voix. Aucune !

Jean-Marc Odier. Je pense pour ma part que la formulation actuelle de cette résolution présente, outre ceux qui ont déjà été mentionnées, un inconvénient supplémentaire. Sur le principe, les auteurs entendent promouvoir un type de transport particulier : le transport collectif. Je suis d'accord avec ce principe, mais quand on écrit «transport public» comme le font les auteurs de cette résolution, on fait la distinction avec les transports collectifs privés. Les entreprises de transport privées s'occupent également de transport collectif et rejoignent ainsi les mêmes buts et les mêmes objectifs que les TPG, par exemple. C'est pourquoi je propose un amendement qui remplace dans l'invite à l'Assemblée fédérale le mot «publics» par le mot «collectifs». La formule devient donc: «...afin que les prestations des transports collectifs soient à tout le moins soumises à un taux de TVA gelé...»

Avec cet amendement, nous pourrons voter cette résolution, sinon le groupe radical s'y opposera.

M. Christian Brunier (S). Je ferai deux remarques sur les interventions que nous venons d'entendre sur les bancs d'en face. Premièrement, je note le fatalisme de M. Gros qui reconnaît qu'il existe un problème, mais qui estime qu'il n'est pas possible d'intervenir: la loi ayant été votée il y a moins de deux ans, on ne va pas y revenir. Quand on constate un problème, Monsieur le député, il faut le corriger d'urgence. Il y a toute une série de problèmes avec la TVA et comme n'importe quelle loi, lorsqu'elle est mauvaise, il faut l'adapter. Il faut le faire pour les transports publics parce qu'il est indispensable de réduire leurs coûts au minimum, mais il faudra certainement la revoir sur d'autres aspects, notamment sur la taxation des associations. Il y a en effet toute une série d'associations qui organisent des manifestations sportives ou culturelles et qui, alors qu'elles sont largement subventionnées, sont aujourd'hui en danger parce que la TVA veut les faire passer à la caisse. Arrêtons ce fatalisme ! S'il y a des dysfonctionnements causés par des lois, il faut les corriger et le canton doit faire pression dans ce sens. Peu importe si le canton a peu de chance, nous avons déjà vu des résolutions auxquelles on accordait peu de chance aboutir, ainsi que des résolutions considérées comme gagnées ne donner aucun effet. Les prévisions des parlementaires genevois dans la réussite ou l'échec des résolutions ne doivent donc pas être écoutées.

J'en viens à la proposition de M. Odier. Il n'est pas correct de comparer les transports publics aux transports collectifs, parce que, parmi les transporteurs collectifs, il y a toute une série de privés qui ont un but lucratif, ce qui n'est pas le cas des transports publics. (Brouhaha.)De ce fait, il n'y a aucune raison que ces personnes bénéficient d'avantages fiscaux. J'ajouterai, Monsieur Odier, que cette proposition ne devrait pas venir de vous. Vous êtes vous-même un transporteur collectif et vous êtes en train de vous accorder une baisse fiscale. Je trouve qu'il est incorrect que vous fassiez vous-même cette proposition. En tout cas, nous rejetterons cet amendement. (L'orateur est interpellé.)Non, Monsieur, je n'ai jamais voté sur l'énergie !

M. Christian Grobet (AdG), rapporteur. Comme M. Gros l'a annoncé, le texte initial qui avait été déposé par les députés à l'origine de cette résolution a été sensiblement modifié. En effet, entre le moment où la résolution a été déposée et le moment où elle a été traitée en commission, il y a eu un vote du Parlement fédéral qui a exclu ce que la résolution demandait à l'origine. Dès lors, tout le monde a été convaincu, même en étant d'accord avec le fond de la résolution, que proposer quelque chose qui venait d'être rejeté était peine perdue. Nous avons quand même demandé à M. Stucki, directeur général des TPG, s'il voyait quelque chose d'utile que nous aurions pu faire. En réalité, la proposition que nous traitons ce soir a été suggérée par M. Stucki, qui estimait qu'il serait bien, pour l'avenir, de pouvoir éviter des hausses de la TVA.

Sinon, je partage l'avis de M. Brunier selon lequel on a étendu la TVA de manière exagérée à une série de prestations qui n'en sont pas. Je crois qu'à un moment on payait même la TVA sur des examens scolaires... Enfin, je ne sais pas où en est cette affaire. Je vous rappelle qu'il y a eu des demandes, qui ont d'ailleurs été appuyées par ce Grand Conseil, pour que les associations caritatives organisant des brocantes soient libérées de cette TVA qui ne se justifie pas. M. Brunier évoque à juste titre le problème des clubs sportifs et autres associations. Cela semble un peu contradictoire de vouloir promouvoir les transports publics en les subventionnant et, en même temps, de majorer le prix du billet à cause de la TVA. Sur le fond la démarche est bonne et le texte final est très modéré. Je pense que cette résolution peut donc être votée.

Vous êtes un peu pessimistes, Mesdames et Messieurs les députés de l'Entente, sur les chances que le Parlement fédéral change d'avis. C'est vrai que parfois - nous l'avons vu pour l'assurance-maternité - cela prend vingt ans. Dans d'autres circonstances, cela a pourtant été plus vite, précisément pour la TVA par exemple. Il y a déjà eu des adaptations un peu plus rapides. Actuellement, par exemple, on parle d'une nouvelle modification du droit du divorce. Je crois d'ailleurs que vous y êtes favorables, alors même qu'on a voté cette modification du code civil il y a à peine un an ou deux. Je ne veux pas dire que la résolution que nous traitons ce soir sera forcément acceptée dans l'enthousiasme à Berne. Je pense cependant que ça vaut la peine de poser le problème.

Maintenant, ce n'était peut-être pas à M. Odier de proposer cet amendement, mais, quitte à décevoir M. Brunier, je pense que cet amendement est juste, dans la mesure où, à Genève, on a toujours parlé dans la loi des transports collectifs et pas uniquement des transports publics. Il s'agit du terme retenu dans notre législation. Au niveau de la politique des transports, on a intérêt à avoir des transports collectifs, qu'ils soient assurés par des prestataires publics ou privés. Notez bien que la différence n'est d'ailleurs pas toujours aisée, puisque des compagnies privées de transports collectifs ont bénéficié de sous-traitances, notamment de la part des TPG. En Suisse, on appelle d'ailleurs souvent «privés» des chemins de fer qui appartiennent en fait à des cantons. Il n'est donc pas facile de distinguer entre les transports publics et les transports privés, pour employer le jargon suisse. C'est pourquoi je pense que le terme utilisé par M. Odier est le plus adéquat. A titre personnel, je m'y rallie.

M. John Dupraz (R). Il faut savoir que toutes les résolutions que nous avons votées à l'attention des Chambres fédérales n'ont jamais eu beaucoup de succès jusqu'à présent... (L'orateur est interpellé.)Non, ce n'est pas une initiative cantonale, Monsieur Grobet, il s'agit d'un amendement que j'ai proposé au parlement à titre individuel. C'est différent.

Je dois dire que je préfère utiliser les termes de transports collectifs parce que le but est quand même, dans le cadre d'une vision globale du développement durable avec une limitation de l'émission de CO2, d'éviter que les gens utilisent leur voiture. Il est vrai que les autocaristes privés, qui assurent un transport collectif parfois complémentaire aux transports publics, voire qui sous-traitent des tâches affectées à ces derniers, jouent aussi un rôle significatif dans l'amélioration de l'environnement et des conditions de circulation, notamment en milieu urbain.

Je dirai cependant qu'il est un peu utopique de croire que l'on va pouvoir, comme cela, réviser la loi sur la TVA, mais je pense qu'il faudrait effectivement que l'on évite, à l'avenir, d'augmenter la TVA sur les transports publics. En effet, augmenter la TVA, c'est augmenter les subventions publiques pour combler le manque à gagner, ou le coût qui ne peut pas être couvert, étant donné que le service public ne peut pas lui-même financer le coût réel de sa prestation. Sinon, il ne s'agit plus d'un transport public et les prix étant trop chers, les personnes retournent au transport privé.

Cette résolution me semble être plutôt un signal que nous donnons en disant qu'il faut faire attention avec les transports publics et arrêter de les taxer. Envoyer ce signal aux Chambres, c'est aussi une façon de soutenir les transports collectifs et dans ce sens le groupe radical acceptera cette résolution avec l'amendement qui est proposé par M. Odier, parce que nous croyons que les transports collectifs jouent un rôle significatif dans l'amélioration des conditions de vie dans notre pays.

M. Pierre Weiss (L). Il se trouve que pour la deuxième fois cet après-midi je suis d'accord avec les propos tenus par M. Brunier, en qui je découvre un disciple du baron de Coubertin. Après tout, il n'est pas toujours nécessaire d'espérer pour entreprendre, Monsieur Brunier, et parfois on peut même se lancer tête baissée. Cela dit, dans cette opération, si la loi est mauvaise, on peut imaginer changer la loi, c'est le raisonnement développé hier soir à propos de la LIPP. En revanche, si le changement est mauvais, il faut le refuser. C'est, je crois, le raisonnement que certains avaient développé hier soir pour refuser le projet libéral. Je m'étonne donc que certains députés soutiennent cette résolution, dans la mesure où d'une part elle n'a que peu de chances d'aboutir et où, d'autre part, il est difficile de trouver de bons arguments en faveur de ce gel du taux de TVA pour les transports publics.

M. Jean Spielmann (AdG). Le problème de la TVA et de la taxation des transports publics pose aussi un problème au niveau de nos relations internationales. Il est tout à fait clair que si les transporteurs suisses ou les voyageurs transportés dans notre pays payent une TVA totalement différente de ce qu'elle est en France ou en Italie, il se pose un problème de concurrence, pas seulement pour les entreprises de transports mais aussi pour le passager lui-même. Or, les pays européens ont aujourd'hui des taux de TVA sur les transports publics très différents du taux suisse. Ces taux sont réduits parce que ces pays entendent favoriser les transports publics et que ce n'est pas particulièrement intelligent de subventionner un transport d'un côté et de le taxer de l'autre côté.

La TVA est un impôt particulier parce qu'il est centralisé. Il est versé dans les caisses fédérales et ne reste pas dans la région où le transport public est utilisé. Comme la Confédération a décidé récemment de transférer le coût des transports régionaux du niveau fédéral au niveau cantonal, il est assez difficile d'accepter que ces cantons qui financent les transports publics doivent prélever la TVA qui est ensuite reversée à la Confédération. Partant de là, l'argumentation en faveur d'un taux différent de TVA commence à devenir pertinente.

Imaginons un autocar qui traverse la Suisse de Bâle au Tessin ou de Genève à Zurich et retour: les passagers ne payeront pas de TVA si le transporteur est français, tandis qu'ils s'acquitteront de la TVA au plein tarif si le transporteur est suisse. Alors, il y a peut-être un certain nombre de divergences sur lesquelles il serait utile de discuter, d'autant plus que les bilatérales permettent aux entreprises françaises de venir faire du cabotage et de charger en Suisse. Je ne suis pas sûr, Monsieur Odier, que vous n'ayez pas intérêt à ce qu'on discute de ce problème à la lumière des changements de lois qui sont en train de s'opérer. Le transport public en tant que tel doit être pris en compte de manière sérieuse.

Je fais une dernière observation. Quand un canton décide de modifier le mode de financement du transport public en passant par exemple, comme nous l'avons fait, à un contrat de prestations et à une autonomie des entreprises, il est clair que ce n'est plus un service de l'Etat, mais une prestation que l'entreprise offre au canton. Et c'est pour cette raison que la TVA est prélevée sur le prix des billets, ce qui va fatalement faire augmenter ce dernier. Il me semble donc intelligent, compte tenu des nouvelles orientations de la Confédération dans le domaine du transport, compte tenu du transfert des charges du transport régional vers les cantons ainsi que des possibilités de cabotage offertes par les bilatérales, d'examiner si notre TVA est toujours adaptée et s'il ne vaudrait pas mieux prendre une mesure permettant de coordonner, avec nos voisins français, allemands et italiens, le mode de financement et de taxation des transports publics.

Nous entendons, ces prochaines années, développer les transports urbains en réalisant de nouvelles voies de chemin de fer et de bus; il ne serait donc pas vraiment judicieux que nous financions ce développement et que la Confédération encaisse la TVA issue des transports publics. Cette initiative nous semble par conséquent tout à fait intelligente et je ne suis pas sûr qu'il n'y aura pas quelques représentants des cantons et des régions à Berne qui seront intéressés à discuter d'un taux réduit de TVA pour les transports publics.

Le président. Je vais vous faire voter sur l'amendement présenté par M. Odier qui, dans l'invite à l'Assemblée fédérale, change le qualificatif de «publics» par celui de «collectifs», ce qui donne: «à réviser la loi fédérale régissant la taxe sur la valeur ajoutée (LTVA) afin que les prestations des transports collectifssoient à tout le moins soumises à un taux de TVA gelé...»

Mis aux voix, cet amendement est adopté.

Mise aux voix, la résolution 420 ainsi amendée est adoptée. Elle est renvoyée à l'Assemblée fédérale.