Séance du
vendredi 31 mai 2002 à
17h
55e
législature -
1re
année -
8e
session -
41e
séance
Discours du président du Grand Conseil
Discours du président du Grand Conseil
(Un huissier du Grand Conseil accompagne le président au micro et se tient à côté de lui pendant l'allocution.)
M. Bernard Annen, président.
Madame la présidente du Conseil national,
Madame la présidente du Conseil d'Etat,
Monsieur le procureur général,
Mesdames et Messieurs les présidents des juridictions,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires,
Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat,
Madame et Messieurs les députés genevois aux Chambres fédérales,
Messieurs les juges fédéraux,
Monsieur le maire de Genève,
Monsieur le chancelier d'Etat,
Mesdames et Messieurs les députés,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités fédérales et communales,
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités militaires, ecclésiastiques et universitaires,
Mesdames et Messieurs les représentants des corps diplomatique et consulaire,
Mesdames et Messieurs,
Chères concitoyennes, chers concitoyens,
Nous vivons une période instable où les équilibres internationaux se cherchent. Dans cette période de turbulences internationales, les certitudes qui nous paraissaient acquises sont remises en cause et nécessitent une quête de nouvelles références à tous les échelons de la société.
Tout un chacun a un besoin viscéral de sécurité, de savoir que la protection des personnes et des biens est pleinement assurée. Une société humaine a besoin de références solides, de certitudes, d'un Etat de droit sans faille sur lesquels elle peut s'appuyer.
Nos concitoyens ont tendance à oublier qu'ils ont la chance de vivre dans un tel Etat de droit. Ils usent et même, parfois, peuvent avoir propension à abuser de la critique envers leurs institutions. Il est vrai, certes, que cela corrobore le fait que nous sommes en régime de liberté, ce dont chacun, ici présent, se félicite. Mais prenons garde cependant à ne pas succomber aux sirènes du populisme. Le système démocratique est imparfait, sans doute. C'est pourtant le moins mauvais de tous et nombre d'habitants de par le monde aimeraient bien jouir des lois de notre République.
Il faut après tout du temps pour parachever une oeuvre, quelle qu'elle soit. Cette conception de la séparation des pouvoirs, inventée par l'Anglais Locke, puis améliorée, avec l'apparition d'un troisième pouvoir, le judiciaire, par le Français Montesquieu n'est pas - au regard de l'historien - si ancienne. Sachons donc donner du temps au temps.
De plus, chacun a constaté, dans de grands pays européens passant pour des modèles de démocratie, que cette distinction entre les trois pouvoirs relevait, à certains moments, plus de la recherche théorique et intellectuelle que de la réalité quotidienne.
A nous de faire en sorte que cela ne se produise pas à Genève et que nos trois pouvoirs - base de notre démocratie - demeurent pleinement indépendants les uns des autres.
Mesdames, Messieurs, vous venez de prêter serment. Dans toute société civilisée et, par conséquent, dans la nôtre, cela engage vraiment. Ce ne sont pas de simples paroles. Désormais, vous, et vous seuls, êtes les garants de la stricte application des lois. Cela implique donc le respect absolu de certaines règles d'éthique, écrites ou non. Ainsi convient-il, par exemple, que la présomption d'innocence soit strictement respectée.
J'admets volontiers que, dans certains cas limites, avec la pression des medias - ce quatrième pouvoir, si décrié, mais auquel on succombe si facilement - ce respect de la présomption d'innocence soit difficile à maintenir.
Un Etat serait-il encore «de droit» s'il acceptait la loi du plus fort, s'il cédait aux pressions des uns et des autres, si ses élus faisaient passer leurs sentiments ou leurs intérêts avant la loi, avant la justice, si cette dernière était rendue selon des modes passagères, sans respect des droits fondamentaux ?
Rendre la justice, instruire une affaire, punir les coupables n'a pas à devenir le tremplin d'une carrière médiatique. Genève est une place financière enviée dans le monde entier. Une raison de plus pour respecter le devoir de réserve, même si la criminalité économique est potentiellement plus importante dans un canton comme le nôtre. Ne ternissons pas l'image d'un secteur économique genevois par des déclarations qui pourraient être intempestives. Même si nous sommes proches de nos voisins et amis français, il me semble que certains de leurs juges - tant de droite que de gauche - ne donnent pas l'exemple d'une justice sereine.
Pour moi, la justice n'a pas à faire de politique. Chacun y a droit, un droit personnel, indépendamment de toute considération économique ou sociale.
L'égalité de traitement doit être un dogme intangible. La justice doit être, impérativement, la même pour tous. Nos concitoyens doivent ressentir cette égalité. Ils doivent être convaincus de son existence, de sa réalité. Pour les petits comme pour les grands, pour les voleurs de sac à main comme pour les maffiosi à col blanc, pour les dealers comme pour les grands trafiquants de drogue : la justice doit être la même.
Ce serait grande erreur que de se concentrer uniquement sur une catégorie d'affaires, quelle que soit son importance.
L'expérience montre, est-il besoin désormais de le souligner, qu'être laxiste envers toute délinquance n'est pas, et ne peut pas être compris, ni admis par nos concitoyens. Sauf peut-être par certains théoriciens qui ont inclination à oublier la situation de la victime.
Enfin, instruire une affaire avec nuances et doigté, mais surtout avec le respect des Droits de l'Homme - comme tout juge doit savoir le faire - est primordial. On ne peut pas mettre par exemple sur le même plan l'escroc professionnel et le dirigeant qui a failli, ou qui s'est montré négligent, voire incompétent, peut-être pour avoir simplement mal apprécié les événements qu'il vivait.
Personne ne demande l'indulgence automatique, mais une application rigoureuse du principe de la présomption d'innocence. On ne peut que souhaiter que le pouvoir judiciaire évite des dérives qui ressembleraient à une certaine forme d'acharnement, et cela quel que soit le dossier à traiter.
Au reste, l'acharnement, qui est une variante du harcèlement, est de plus en plus puni dans notre société, et c'est tant mieux. Un dirigeant ne peut donc pas vivre en permanence sous une épée de Damoclès. Sinon, on risque fort de faire disparaître l'envie d'entreprendre au détriment du développement économique. Le mieux est l'ennemi du bien, ne l'oublions pas.
La population attend que la magistrature sache, par conséquent, juger équitablement, de la même manière pour tous, et en prenant en considération les distinctions qui s'imposent. D'aucuns seraient, peut-être, tentés de dire que je traite à la légère les lois établies par Montesquieu et que j'oublie vite le principe sacré de la séparation des pouvoirs. Nullement ! Simplement, le rôle du président du Grand Conseil est aussi de transmettre ce que ressent fortement une partie de la population genevoise.
Enfin, les relations entre le législatif et le judiciaire sont bonnes et nous devons nous en féliciter. Elles ne demandent qu'à se développer et à devenir meilleures encore.
Pour ne citer qu'un seul et unique exemple, le Bureau du Grand Conseil étudie la proposition de mettre en place une commission de relecture des textes votés par les commissions parlementaires. On pourra ainsi vérifier que les nouvelles lois sont applicables, concrètement, dans la réalité quotidienne. Et pas seulement le fruit de compromis complexes dont l'interprétation peut, parfois, réserver des surprises.
Car nul ne doit oublier, ni le Législatif, ni le Judiciaire, ni l'Exécutif, que les trois pouvoirs émanent du Peuple souverain. Et que les trois pouvoirs sont au service du Peuple souverain.
Il ne faut pas, Mesdames et Messieurs, j'insiste, prendre ces quelques propos pour une critique négative de notre pouvoir judiciaire. Il est de haute tenue et compte à son actif de très belles réussites. Il est composé d'éléments d'excellente qualité et nul doute qu'au cours des six prochaines années, il ne remplisse pleinement et efficacement sa tâche.
Comme toute institution humaine, certaines améliorations, quelques modernisations, des modifications - à partir d'un bilan, d'un état des lieux - sont indispensables, tout comme la mise à disposition de moyens adaptés.
Les personnes ici présentes et qui viennent de prêter serment sont, je le sais, parfaitement à la hauteur des attentes de la population genevoise.
Souhaitons-leur, par conséquent, le plus grand des courages et la meilleure des inspirations dans l'exercice de leur haute mission.
Et que cette cérémonie qui réunit nos trois pouvoirs soit le symbole vivant de leur engagement.
(M. Laurent Dami, ténor, interprète Dann werden die Gerechten leuchten, de l'oratorio Elias de Felix Mendelssohn.)