Séance du vendredi 25 janvier 2002 à 8h
55e législature - 1re année - 4e session - 17e séance

R 453
Proposition de résolution de Mmes et MM. Charles Beer, Marie-Paule Blanchard-Queloz, Loly Bolay, Thomas Büchi, Christian Brunier, Jeannine De Haller, John Dupraz, Alain Etienne, Laurence Fehlmann Rielle, Alexandra Gobet Winiger, Mireille Gossauer-Zurcher, Christian Grobet, Mariane Grobet-Wellner, Janine Hagmann, Dominique Hausser, Antonio Hodgers, Bernard Lescaze, Véronique Pürro, Albert Rodrik, Françoise Schenk-Gottret, Jean Spielmann, Olivier Vaucher, Alberto Velasco, Stéphanie Ruegsegger, David Hiler, Guy Mettan, Sylvia Leuenberger, Maria Roth-Bernasconi, Carlo Sommaruga, Philippe Glatz, Pascal Pétroz, Pierre-Louis Portier, Alain Charbonnier, Patrice Plojoux, Jacques Follonier, Renaud Gautier, Blaise Bourrit, Jacques Jeannerat, Thierry Apothéloz, Sami Kanaan, Hugues Hiltpold, Anne-Marie von Arx-Vernon, Claude Aubert, Gabriel Barrillier, Christian Bavarel, Antoine Droin, Anne Mahrer, Patrick Schmied, Ariane Wisard sur la votation "Pour l'adhésion de la Suisse à l'Organisation des Nations Unies (ONU)"

Débat

M. Carlo Lamprecht, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat salue ce projet de résolution du Grand Conseil. En effet, le 3 mars prochain, le peuple suisse décidera s'il veut se joindre à la communauté des nations au sein de l'assemblée générale des Nations Unies.

De nombreuses raisons militent en faveur d'un oui convaincu. Notre quotidien n'en sera pas changé, et ni nos institutions ni les caractéristiques multiculturelles de notre pays ne seront menacées. Mais le fait est là : il nous est plus difficile aujourd'hui de faire entendre nos préoccupations et notre compassion sur le plan de la diplomatie multilatérale. Nos actions se limitent, la plupart du temps, à offrir des moyens ou du savoir-faire.

Depuis la fin de la Guerre froide, le rôle des Nations Unies est allé croissant : d'une part, le Conseil de sécurité n'est plus bloqué par l'affrontement des deux grands, d'autre part, la désagrégation des blocs a entraîné une recrudescence des conflits régionaux.

L'intervention internationale dans ces conflits a deux dimensions : une dimension humanitaire et une dimension politique.

Par son statut d'Etat hôte et son affiliation à presque toutes les agences spécialisées de l'ONU, la Suisse tient son rang dans le traitement humanitaire des crises internationales, mais cela ne suffit pas... S'agissant du bien contre le mal au profit des plus démunis de notre planète, les actions de l'ONU se sont faites sans la Suisse.

Notre neutralité, quelle que soit la définition que l'on en donne, n'est pas une vertu immanente étrangère à l'évolution du monde. Le refus de s'aligner sur l'un des deux blocs durant la Guerre froide n'a jamais été synonyme d'indifférence. Aujourd'hui, dans un monde en changement, refuser de rejoindre la communauté des nations, refuser de débattre des règles qui façonneront notre avenir commun au prétexte que nous nous suffisons à nous-mêmes est certainement un manquement.

L'ONU a été créée par les humains : pour certains, elle est trop faible; pour d'autres, elle est hégémonique; pour certains, elle est inféodée; pour d'autres, elle légifère trop; pour d'autres encore, pas assez. Pour certains, l'organisation est trop lourde; pour d'autres, elle manque de moyens.

S'agissant des actions de terrain, rien ni personne ne pourra nous contraindre à participer au volet armé d'opérations de maintien de la paix.

Lorsque nous regardons la place de notre pays dans le concert des nations, nous devons constater que nous ne sommes plus seuls à offrir nos bons offices à la communauté internationale. Or, que l'on fasse une lecture unipolaire ou multipolaire du monde, l'ONU a aujourd'hui plus que jamais sa raison d'être. Son rôle de création de règles et de normes juridiques internationales est essentiel et ira croissant.

Cent quatre-vingt-neuf des cent nonante-deux Etats de la planète l'ont compris et en sont membres. Il ne tient qu'à nous qu'ils soient cent nonante !

Le Conseil d'Etat, conscient de la place particulière qu'occupe Genève dans la vie internationale, cité de refuge et capitale des efforts de paix dans l'entre-deux-guerres, siège du Haut Commissariat et de la Commission des droits de l'homme, du Haut Commissariat des réfugiés, estime que notre pays se doit d'apporter sa contribution à la lutte engagée contre les nouveaux fléaux qui frappent la planète : pauvreté, dégradation de l'environnement, terrorisme, racisme et corruption.

C'est finalement pour être cohérents avec nous-mêmes que nous devons voter oui à l'ONU. Je salue, au nom du Conseil d'Etat, la résolution qui est présentée aujourd'hui. (Applaudissements.)

Mme Janine Hagmann (L). Dans quelques semaines, la Suisse se prononcera pour la troisième fois sur son appartenance aux Nations Unies.

En 1946, le Conseil fédéral décidait de ne pas y adhérer, faute de pouvoir faire reconnaître un statut spécial à la Suisse en raison de sa neutralité. Quarante ans plus tard, en 1986, le souverain rejetait l'entrée aux Nations Unies. Quid pour cette année ?

Je vais vous avouer - peut-être est-ce le cas de quelques députés au sein de cette enceinte ? - que je faisais partie des citoyens qui ont dit non à l'adhésion en 1986. Alors, pourquoi avoir, en seize ans, changé d'avis ? Il est évident qu'en seize ans beaucoup de choses ont changé, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts, le monde a évolué et j'ai évolué aussi. Seize ans, c'est un tout petit laps de temps par rapport à l'Histoire avec un grand H et, pourtant, il s'en est passé des événements en seize ans.

Alors, quels arguments prépondérants faire valoir ? L'environnement politique mondial s'est complètement modifié et les implications de cet environnement touchent aussi la Suisse, qui ne peut plus se contenter de rester simple spectatrice ! Vous le savez bien ici: pour être entendu, il faut être à l'intérieur d'un groupe ! Mais comment défendre nos intérêts avec efficacité sans être membre à part entière ? Moi, j'ai toujours prisé ici la mise en réseau, la collaboration, l'ouverture sur les autres, la régionalisation... J'ai défendu les concordats... Comment aurais-je pu le faire sans être actrice, en me contentant d'être spectatrice ? Je respecte le point de vue de l'autre, mais, si j'ai signé cette résolution, c'est parce que j'aimerais convaincre qu'il faut que nous adhérions à l'ONU.

Je pense que notre devoir de députés est de donner un signe clair à la population, un signe d'appartenance à une entité, à une collectivité globale. Il n'existe qu'une seule organisation réunissant tous les pays du monde pour élaborer des réponses aux problèmes les plus divers qui nous concernent tous. Si l'abstention de la Suisse pouvait encore se concevoir il y a seize ans, à une époque où l'ONU ne pouvait pas encore prétendre à l'universalité, l'argument n'est plus valable aujourd'hui ! Le président Lamprecht l'a dit, des cent nonante-deux Etats recensés, cent quatre-vingt-neuf sont membres de l'ONU !

La Suisse et l'ONU défendent les mêmes valeurs. D'une certaine manière, l'ONU est un forum, un vivier d'idées et de références concrètes, qui lui ont permis de traverser les décennies sans rien perdre de la substance de ses travaux et de l'amélioration de son rendement.

Il n'est plus temps, Mesdames et Messieurs les députés, de montrer de la frilosité. En acceptant cette résolution, le signal est clair: nous quitterons notre strapontin d'où nous nous plaisons à observer le monde.

Et je terminerai en citant la maxime de La Rochefoucauld trouvée la semaine dernière dans un courrier de lecteurs: «C'est une grande folie que de vouloir être sage tout seul.»

M. Pierre Schifferli (UDC). Lorsque le Conseil fédéral prenait la neutralité suisse encore au sérieux, il a dit, je cite le message de celui-ci sur l'adhésion de la Suisse à l'ONU en 1981 : «Les mesures militaires que le Conseil de sécurité peut dicter, selon l'article 42 de la Charte des Nations Unies, n'entrent pas en considération pour un Etat neutre, et cela déjà pour la simple raison qu'elles seraient en contradiction avec le droit de neutralité.»

Lorsque le Conseil fédéral ne faisait pas encore de la propagande électorale payée avec l'argent du contribuable, il a dit et je cite le rapport du Conseil fédéral sur la neutralité de 1993 : «La Charte de l'ONU n'évoque nulle part la neutralité, car, dans un système de sécurité collectif permanent, il n'y a, par définition, plus de place pour le concept classique de neutralité.» Il y a seulement neuf ans de cela !

Lorsque le conseiller aux Etats Brändli, UDC Grison, est intervenu récemment auprès du Conseil fédéral pour demander que celui-ci formule dans sa demande d'adhésion une réserve formelle de neutralité, le Conseil fédéral, à la fin de l'année passée, a définitivement renoncé à la neutralité suisse. Il a en effet écrit pour justifier son refus de cette demande de réserve, je cite : «En formulant une réserve de neutralité à l'occasion de son adhésion à l'ONU, la Suisse exprimerait qu'en raison de sa neutralité elle ne souhaite ou ne peut pas assumer, en tant que futur membre de l'ONU, toutes les obligations figurant dans la Charte de l'ONU.»

Une telle réserve n'a donc pas été formulée dans le projet de lettre de candidature - document qui est connu - que le Conseil fédéral adresserait en cas de victoire du oui, le 3 mars prochain, au secrétaire général de l'ONU. La seule affirmation unilatérale, par le Conseil fédéral, de la neutralité suisse dans la demande d'adhésion ne délie évidemment pas la Suisse des obligations découlant de la Charte de l'ONU, soit particulièrement de celles qui sont le plus gravement contraires à notre politique et à notre droit de la neutralité.

Je rappelle qu'en 1919 Genève avait été choisie comme siège de la Société des nations, ancêtre de l'ONU, précisément à cause et grâce à la neutralité suisse. La Suisse avait pu adhérer à la Société des nations parce qu'elle avait été expressément dispensée de participer à d'éventuelles sanctions militaires contre des Etats coupables d'agressions. Et cela, justement, en raison de son statut de neutralité qui avait été ainsi confirmé.

La Charte de l'ONU ne reconnaît d'ailleurs pas ni même ne mentionne en tant que telle l'existence du principe de neutralité d'un Etat. Une adhésion de la Suisse à l'ONU violerait donc gravement notre neutralité. En effet, l'article 25 de la Charte de l'ONU dit expressément : «Les membres de l'organisation conviennent d'accepter d'appliquer les décisions du Conseil de sécurité, conformément à la présente charte.» La Suisse serait ainsi, selon la teneur expresse des articles 25 et 41 de la charte, contrainte de participer aux sanctions contre des Etats tiers mal aimés et à leur boycottage. Je cite à ce sujet l'article 41 : «Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions et peut inviter les membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre l'interruption complète ou partielle des relations économiques, des communications ou télécommunications, etc., ainsi que la rupture des relations diplomatiques.»

La Suisse serait également obligée d'y participer par l'article 43 dont la teneur est la suivante : «Tous les membres des Nations Unies, afin de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité internationale, s'engagent à mettre à la disposition du Conseil de sécurité, sur son invitation et conformément à un accord spécial, les forces armées, l'assistance et les facilités, y compris le droit de passage, nécessaires au maintien de la paix et de la sécurité internationale.»

En d'autres termes, la Suisse en adhérant à l'ONU s'engage, s'oblige - c'est le texte de la charte - à conclure un accord avec le Conseil de sécurité pour de telles opérations militaires, accord qui pourrait même entraîner sa participation à un conflit armé ou à laisser passer des troupes étrangères, ce qu'elle avait réussi à empêcher tout au long des deux derniers conflits mondiaux...

Lorsque les Nations Unies sont en conflit avec un Etat tiers ou un groupe d'Etats tiers accusés de ne pas respecter le droit international, la Suisse, Etat neutre, pourrait aujourd'hui encore être un recours pour une négociation entre une partie et une autre, un lieu pour la discussion.

Si la Suisse s'aligne sur les décisions du Conseil de sécurité parce qu'elle y est obligée en vertu de l'engagement pris comme membre des Nations Unies, cette politique de la neutralité serait réduite à sa portion la plus congrue, dans un monde hégémonique, dominé par une superpuissance, selon le président de laquelle, d'ailleurs, on ne peut rester neutre entre le bien et le mal, étant entendu que, par définition, c'est lui et son pays qui dit et qui dicte le bien, fixe ou interprète à sa guise le droit international... Il l'a dit : pour lui, il n'y a pas de place pour la neutralité !

M. le conseiller fédéral Deiss, notre gentil et candide ministre des affaires étrangères, prétend que l'ONU est une institution démocratique... Et que chaque pays a le même droit de vote... Oui, je l'ai entendu dire cela à la radio ! Il s'agit d'une mauvaise plaisanterie !

Certes, à l'Assemblée générale de l'organisation politique de l'ONU, chaque pays peut s'exprimer et voter, mais ceux qui prennent les décisions contraignantes au niveau de la politique de sécurité, des sanctions et des interventions armées, sont les pays représentés au Conseil de sécurité, c'est-à-dire quinze nations dont dix sont là pour la décoration et cinq ont tous les pouvoirs pour imposer leurs décisions ou s'opposer aux décisions leur déplaisant grâce au droit de veto. En plus, ces cinq membres sont des membres permanents qui ne sont autres que les vainqueurs de la dernière Guerre mondiale. Et il s'agit aussi des cinq pays qui sont les plus gros exportateurs d'armes du monde ! Il n'y a évidemment pas de place, dans ce Conseil de sécurité, pour l'Allemagne, l'Italie, le Japon, voire l'Inde, le Brésil, ou d'autres grands pays du tiers monde. C'est à cette institution politique, manifestement partiale, antidémocratique, que certains champions de l'antimondialisation bien représentés dans ce Grand Conseil...

Une voix. Des noms !

M. Pierre Schifferli. ...veulent nous faire adhérer ! Je ne comprends pas la cohérence de leur raisonnement, de même que je ne comprends pas la cohérence du raisonnement de ceux qui se prétendent patriotes et attachés à la neutralité et qui préconisent d'adhérer à l'organisation politique de l'ONU.

Notre neutralité est historique. Elle est fondée sur les traités de Westphalie de 1648, sur le traité de Vienne de 1815, sur la Convention de La Haye sur la neutralité de 1907. Mais l'article 103 de la Charte des Nations Unies, que je vous invite à lire, stipule que les obligations figurant dans la charte priment sur toutes les obligations résultant d'autres conventions internationales. La neutralité permanente armée et intégrale est un instrument essentiel, décisif, de notre politique extérieure, qui a contribué à nous permettre de rester en dehors des conflits armés qui ont ensanglanté l'Europe depuis 1815, particulièrement au XXe siècle.

Notre neutralité est également constitutionnelle. Que fera le délégué suisse à l'Assemblée des nations? Quel que soit son vote, il soulèvera une tempête de protestations d'un camp ou de l'autre en Suisse, ou bien il devra s'abstenir systématiquement, ce qui ne peut guère justifier notre enthousiasme à adhérer à l'ONU. Nous voyons ici que la neutralité a été et reste un élément essentiel de notre politique intérieure, qui permet d'assurer la cohésion nationale ainsi que la paix interne.

Oui, le monde a changé, il n'est plus celui de 81 ou de 93. Mais toutes les promesses d'une paix éternelle, après la chute du Mur de Berlin et l'implosion de l'Union soviétique, n'ont, à l'évidence, pas été tenues. Le monde change tous les jours. Il a aussi changé le 11 septembre... Les guerres existent toujours, chaque puissance use de sa force pour défendre ses propres intérêts vitaux de la manière qu'il juge la plus appropriée. La force du droit ne s'impose pas partout et est, le plus souvent, remplacée par le droit de la force.

Les décisions du Conseil de sécurité de l'ONU, qui étaient auparavant bloquées en raison de l'opposition des deux blocs Est et Ouest, sont aujourd'hui des photocopies des décisions imposées par les Etats-Unis, qui considèrent l'ONU comme un organe, une chambre d'enregistrement destinée à ratifier leurs interventions armées, parfois déjà en cours, voire même achevées.

L'efficacité de l'ONU est discutable. Elle n'a pas pu empêcher les génocides au Cambodge ou au Rwanda. Elle n'a pas pu empêcher les bombardements sur l'Irak, après la fin de la guerre du Golfe, qui ont causé la mort de quatre à cinq cent mille enfants, les bombardements en Serbie qui - cela a été confirmé par tous les spécialistes du droit international - étaient illégaux, ou encore moins les crimes quotidiens qui durent depuis plus d'un demi-siècle en Palestine, souvent contre les populations civiles. Lorsque Genève et la Suisse ont refusé, respectivement à 69% et 75%, d'adhérer à l'ONU en 86, ni la Suisse ni Genève n'ont subi de conséquences fâcheuses ou de désavantages politiques, économiques ou même moraux.

Maintenons ce cap ! Comment expliquer le Cambodge, Srebrenica, le Rwanda, le regard affamé des enfants irakiens, le martyre de Grozny en Tchétchénie, l'absence du dalaï-lama à la rencontre onusienne des chefs religieux, l'éjection par l'ONU de la République de Chine de Taïwan, un pays démocratique et très prospère de vingt-cinq millions d'habitants, au profit de la Chine communiste? Comment oublier les pierres ensanglantées de Palestine ?

Le beau rêve de l'ONU n'est plus qu'une triste réalité... Il nous reste notre droit de veto comme peuple libre et souverain, pour ne pas adhérer à l'hypocrisie universelle !

Mesdames et Messieurs, je vous invite à rejeter cette proposition de résolution. (Applaudissements.)

Le président. Mesdames et Messieurs, nous avons un petit problème avec l'informatique... Je sais que quatre ou cinq députés ont demandé la parole. Je leur demande d'appuyer à nouveau sur le bouton prévu à cet effet... Pas trop fort, Mesdames et Messieurs !

Monsieur Brunier, vous avez la parole.

M. Christian Brunier (S). Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, disait il y a quelque temps: «Tout citoyen du monde, où qu'il réside, est aussi citoyen de Genève.» Ceci est un bel hommage à notre cité, symbole de paix et de solidarité, et ceci n'est pas un hasard. Qu'on le veuille ou non, Genève, la Suisse, les Nations Unies défendent des valeurs communes ! Qu'on le veuille ou non, Genève, la Suisse, l'ONU, ont un destin commun !

C'est pourquoi Genève et son parlement - son gouvernement l'a déjà fait - doivent se mobiliser pour que la Suisse adhère enfin à l'organisme des Nations Unies.

Vous dites, Monsieur Schifferli, que l'ONU n'est pas une structure très efficace... C'est vrai que l'on peut constater une certaine inefficacité, une certaine lourdeur, une certaine bureaucratie. Et, d'ailleurs, Kofi Annan travaille pour optimiser sensiblement le fonctionnement de cette institution. Mais c'est oublier, Monsieur Schifferli, que la plupart des programmes éducatifs, la plupart des actions de lutte contre la faim, la plupart des négociations de paix, sont menés aujourd'hui grâce à l'impulsion des Nations Unies !

Les adeptes du repli sur eux-mêmes, comme M. Schifferli, nous affirment et font croire à la population que l'adhésion à l'ONU signifierait la fin de notre neutralité... Mensonges ! Mensonges, car vous savez très bien que la Charte des Nations Unies accepte la neutralité ! Mensonges, car vous savez très bien que des nations neutres telles que l'Autriche, la Finlande, l'Irlande ou la Suède, peuvent très bien concilier leur neutralité et leur statut de membre des Nations Unies !

Du reste, notre non-appartenance à l'ONU est aujourd'hui un handicap majeur, y compris lorsqu'un Etat, une région, a besoin des bons offices d'une autre nation pour négocier. Au Moyen-Orient, aujourd'hui, on ne vient plus chercher la Suisse pour négocier, pour avoir un médiateur, un arbitre... On va chercher la Suède, pays neutre mais qui est aussi membre des Nations Unies !

La non-appartenance aux Nations Unies est aussi un handicap par rapport à Genève. Il faut voir les choses en face : il y a aujourd'hui un risque de délocalisation de certains services de l'ONU, il y a pression des membres pour que certains services de cette organisation soient situés dans leur pays. L'Allemagne l'a fait dernièrement, d'autres pays le feront. Le risque de délocalisation est donc bien réel.

Pour Genève, l'ONU et les organisations qui appartiennent à la famille onusienne présentent aussi un attrait économique important. Je vous rappelle les chiffres que vous ne connaissez peut-être pas ou que vous avez oubliés: on considère - cela fait partie d'une étude menée entre autres par l'université et dont les chiffres ont été ressortis dans le rapport du Conseil fédéral - que ces organisations dépensent chaque année dans notre canton 3 milliards de francs, ce qui n'est pas rien pour notre économie, pour l'emploi, pour la stabilité sociale ! L'ONU et les organisations apparentées sont un grand pourvoyeur d'emplois de notre canton, et la délocalisation de certains services pourrait créer un chômage important.

L'extrême droite cite souvent l'argument selon lequel l'adhésion va coûter très cher à la Suisse et, donc, aux contribuables. Cet argument n'a pas été évoqué dans ce parlement, mais c'est un argument qui pèse dans la campagne, et il faut le démentir.

En effet, il faut savoir que la Suisse paye déjà aujourd'hui 469 millions par an aux Nations Unies et que l'adhésion signifie une augmentation de 60 à 70 millions. C'est une somme qui peut affoler la population, parce que c'est une somme importante, mais il faut la ramener à la réalité : 60 à 70 millions, c'est 10 F par habitant, mais c'est aussi à peine plus de la moitié d'un F/A 18, et pourtant, à l'époque, l'UDC nous disait que les F/A 18 étaient des avions qui ne coûtaient pas cher... La moitié d'un F/A 18 pour adhérer à un organisme comme les Nations Unies ! 60 à 70 millions - je vous le rappelle, parce qu'il faut comparer cette somme à des éléments concrets - c'est moins de 1% du budget de notre tout petit canton ! Alors, l'argument selon lequel cette opération coûte trop cher pour ne pas adhérer à l'ONU ne tient pas plus la route que l'argument de la neutralité !

Mesdames et Messieurs les députés, je crois que la Suisse, si elle veut jouer un rôle sur la scène internationale, ne peut plus faire chambre à part avec le Vatican... (Exclamations et rires.)La Suisse doit donc adhérer au plus vite aux Nations Unies.

C'est pourquoi je vous appelle à voter cette résolution et à soutenir massivement la campagne pour que les Genevois et les Genevoises, et les Suisses d'une manière générale, soutiennent largement cette adhésion. (Applaudissements.)

M. Christian Grobet (AdG). J'aimerais prolonger l'argumentation de M. Brunier sur le problème de la neutralité de notre pays.

Monsieur Schifferli, notre groupe politique est tout aussi attaché que le vôtre à ce principe et peut-être davantage. En l'occurrence, on peut se demander si aujourd'hui et depuis un certain nombre d'années notre pays est véritablement neutre. En effet, sans qu'il fasse partie de l'ONU, nous constatons que la politique étrangère de notre pays s'est très souvent alignée sur celle d'un certain nombre de pays occidentaux et, plus particulièrement, d'un grand pays dont vous avez décrié la présence au sein du Conseil de sécurité de l'ONU. Et, comme M. Brunier l'a fort justement dit, la Suisse - il faudrait une fois pour toutes tenter d'être un peu modestes - est loin d'être le seul pays neutre dans le monde. Un certain nombre de pays européens me paraissent plus attachés au principe de la neutralité que le nôtre, d'autres pays d'autres continents sont attachés à ce principe, et ils font pourtant partie de l'ONU ! Vous pouvez interpréter la Charte de l'ONU comme vous voulez : il y aura bien sûr toujours des juristes qui vous diront que l'ONU consacre le principe de la neutralité ou, au contraire, ne le consacre pas, comme vous le dites... La réalité, Monsieur Schifferli - vous le savez bien - c'est qu'un certain nombre de pays neutres font partie de l'ONU sans y rencontrer le moindre des problèmes, et l'ONU a toujours respecté le statut de neutralité de ces pays.

Je suis convaincu que l'ONU ne pourra pas imposer, comme vous le laissez entendre, à un Etat comme le nôtre de participer à des actions militaires ou à des actions tout court s'il n'a pas envie d'y participer. Et on constate que tel est le cas actuellement et que la Suisse - c'est un point sur lequel nous rejoignons votre formation politique - a participé à des actions du type que vous avez évoqué sans faire partie de l'ONU, alors qu'en ce qui nous concerne nous aurions souhaité qu'elle n'y participe pas !

Vous soulevez, à mon avis, un mauvais problème, comme c'est souvent le cas de celles et ceux qui ne veulent pas adhérer aux élans de générosité... Ils recherchent des arguments juridiques fallacieux pour tenter de justifier leur refus d'un certain nombre de principes de solidarité.

Le problème ne se pose pas au niveau de la neutralité et, en ce qui nous concerne, nous sommes bien entendu favorables également à l'adhésion de la Suisse à l'ONU ! Et Dieu sait si nous sommes convaincus que cette institution n'est pas parfaite ! Elle mène une politique, sur le plan international, que nous critiquons fortement et le rôle que jouent toujours davantage les Etats-Unis, qui se prennent pour les dirigeants du monde, nous déplaît souverainement.

Mais c'est précisément pour cette raison que nous estimons que notre pays doit participer à l'ONU : pour apporter sa contribution afin de mener une politique différente. Je ne voudrais pas présumer des forces de l'ONU, mais il est vrai - cela a été rappelé tout à l'heure - que notre pays jouit d'un certain crédit. Nous pourrons donc apporter notre petite pierre pour la construction d'un monde meilleur, plus solitaire... Plus solidaire, pardon! (Rires, exclamations et applaudissements.)Fâcheux lapsus qui démontre bien le rôle joué par la Suisse : le rôle du solitaire dans un monde entièrement regroupé dans l'ONU... Eh bien, cette solitude ne peut plus durer ! Elle est absolument injustifiée et totalement incomprise par les autres nations. C'est pourquoi nous voulons participer à la seule organisation qui permet de créer un monde plus juste sur le plan social, plus solidaire, et qui, surtout, oeuvre pour la construction de la paix.

Que se passerait-il aujourd'hui si l'ONU n'existait pas ? Avec le nombre de conflits dans le monde, on peut imaginer à quel point notre monde s'entre-déchirerait... C'est cette raison qui justifie notre adhésion à l'ONU !

Bien entendu, M. Brunier a raison de faire allusion à des considérations d'intérêt local... Quoi qu'il en soit, nous ne pensons pas que ces raisons économiques devraient justifier notre adhésion à l'ONU. Par contre, il est difficile de se vanter d'être la cité des organisations internationales, de s'en prévaloir, tout en ne faisant pas partie de l'organisation faîtière du monde international ! C'est non seulement saugrenu, mais c'est une attitude qui ne peut pas être comprise par les autres Etats qui font partie de ces institutions et qui, précisément, pensent que nous ne sommes intéressés que par les retombées économiques que procure la présence des organisations à Genève, et que nous refusons d'apporter la contrepartie élémentaire qu'implique leur présence à Genève.

Nous sommes de ceux qui pensent que notre Grand Conseil doit faire preuve de retenue par rapport aux recommandations à donner aux citoyennes et citoyens en matière de votations populaires - nous pensons que c'est le rôle des partis politiques. Mais le débat d'aujourd'hui sur l'ONU dépasse, et de loin, les questions ordinaires sur lesquelles nous nous prononçons : c'est une question fondamentale pour notre pays, et nous pensons juste que notre Grand Conseil donne sa position et montre sa volonté de participer à une institution qui est indispensable pour l'avenir de l'humanité.

M. Antonio Hodgers (Ve). Les arguments en faveur de cette résolution ont été donnés. Je me bornerai donc à évoquer quelques points qui ont été soulevés par l'UDC, vu que c'est la seule formation politique à être opposée à cette résolution.

C'est vrai, Monsieur Schifferli, l'ONU n'est pas une institution démocratique. Soyons clairs : dans son concept de sécurité collective, l'ONU ne peut fonctionner si l'un des cinq membres permanents de son Conseil de sécurité est impliqué. C'est la conséquence première, effectivement, de l'issue de la Deuxième Guerre mondiale et cela a passablement bloqué l'ONU, notamment durant toute la période de la Guerre froide où, d'une manière ou d'une autre, l'Union soviétique et les Etats-Unis étaient toujours impliqués dans un conflit à travers le monde. Cependant, il est faux de dire que l'ONU n'a rien fait en matière de sécurité, puisqu'un grand nombre de conflits, ou de situations de post-conflit, de «peace keeping», ont pu être résolus grâce aux opérations de maintien de la paix menées par l'ONU.

Par contre, Monsieur Schifferli, il est faux de dire que la Suisse serait obligée d'appliquer l'article 43 de la charte. Mais cela a déjà été dit par MM. Brunier et Grobet. Il est évident qu'en vertu de cette charte le Conseil de sécurité de l'ONU ne peut obliger un Etat membre à appliquer des sanctions militaires si celui-ci ne le souhaite pas. Cela est clair !

S'agissant de l'article 41 que vous avez évoqué, Monsieur Schifferli, et des sanctions économiques, soyons clairs sur ce point aussi ! Il est vrai que la Suisse aurait l'obligation de le suivre, mais que fait-elle aujourd'hui ? Et là, c'est le licencié en relations internationales qui vous parle : dans 90% des cas, la Suisse a appliqué d'elle-même les sanctions économiques prises par l'ONU. Dans 10% des cas où elle ne l'a pas fait, c'est parce que d'autres pays membres de l'ONU se sont permis de ne pas le faire... On se rend compte que la Suisse n'a jamais suivi une voie solitaire en matière de sanctions économiques internationales et, à ce niveau-là, sa politique en la matière ne changerait en rien si elle restait en dehors de l'ONU. Il va donc de soi que le fait d'y entrer impliquera de suivre cette politique de manière constante.

Encore une remarque concernant l'interpellation faite par un de vos collègues, M. Letellier, sur l'invasion programmée de la Suisse par des ressortissants de pays étrangers. Je livre cette remarque à l'UDC, pour ses réflexions internes...

Ne trouvez-vous pas qu'au lieu de mettre en place la barricade que vous évoquiez, Monsieur Letellier, la Suisse aurait tout avantage à participer, avec d'autres nations de ce monde, aux actions pour créer des conditions de vie décente dans les pays en difficulté, afin que les gens puissent rester chez eux, au lieu d'être contraints d'émigrer en raison de conditions économiques et politiques difficiles ? Peut-être que, ce faisant, vous obtiendriez ce que vous souhaitez de manière... Peut-être que, de cette manière, la politique... Décidément, les interventions du matin ne me réussissent pas ! Excusez-moi !

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, Antonio Hodgers a une panne ! Madame Ruegsegger, vous avez la parole.

Mme Stéphanie Ruegsegger (PDC). Le parti démocrate-chrétien réservera évidemment un accueil plus que chaleureux à cette résolution et invitera également les Genevois à glisser un oui clair et enthousiaste dans l'urne, en mars prochain.

Il existe selon nous toute une série de raisons qui nous incitent à dire oui à cette résolution et oui à l'adhésion de la Suisse à l'ONU.

Tout d'abord, la Suisse partage avec l'ONU un certain nombre de principes fondamentaux - cela a déjà été dit - comme la défense de la paix, la promotion de l'éducation, de la santé, de la culture. Dans tous ces domaines, l'ONU, même s'il est vrai qu'elle n'est pas parfaite, obtient des résultats concrets et déterminants.

Dans cette optique, il apparaît donc logique que notre pays participe enfin de plein droit au concert des nations et qu'il décline l'honneur d'être, avec le Vatican, le seul pays à ne pas en être. La Suisse fait déjà partie d'un grand nombre d'organisations qui gravitent autour de l'ONU. Elle participe financièrement à ces organisations d'une manière active, mais elle ne peut pas défendre devant l'ONU les décisions qui se préparent dans ces organisations. Il apparaît donc logique aujourd'hui que la Suisse aille au bout de son raisonnement et adhère à l'ONU pour pouvoir défendre, précisément, ses positions.

L'ONU a énormément changé depuis le vote de 86. En 1986, on mettait en avant ses lourdeurs. Je crois qu'elle a fait sa réforme et nous ne pouvons plus dire aujourd'hui que l'ONU est aussi inefficace que par le passé.

Monsieur Schifferli, vous l'apprendrez d'ici quelques mois : nous ne sommes pas particulièrement bien placés dans ce parlement pour donner des leçons d'efficacité aux autres... Je vous rappelle en effet que nous n'avons traité qu'un seul point à l'ordre du jour hier soir !

Notre neutralité sera préservée, même si nous adhérons à l'ONU. Je vous rappelle qu'un certain nombre de pays - M. Brunier l'a dit- sont neutres tout en étant membres de l'ONU, comme l'Autriche, l'Irlande ou la Suède. Et cela ne les empêche pas de participer activement à cette organisation.

La Suisse était par le passé souvent sollicitée pour des missions de bons offices, mais nous ne sommes aujourd'hui plus seuls sur les rangs. Notre neutralité et le fait que nous ne soyons pas membre de l'ONU ne jouent absolument plus aucun rôle aujourd'hui, au contraire ! Le fait d'être dans l'ONU pourra nous aider à conserver quelques conférences et quelques manifestations à Genève.

Permettez-moi peut-être, en guise de conclusion, de revenir sur une caricature de Mix et Remix : un des personnages constate que l'ONU a un siège en Suisse et l'autre lui répond qu'alors la Suisse doit avoir un siège à l'ONU...

Je vous remercie et je vous invite à voter oui le 3 mars prochain.

Le président. Monsieur Guy Mettan, nous tentons de vous donner la parole... Nous allons patienter quelques secondes...

M. Guy Mettan (PDC). Je voudrais juste revenir sur cette notion de neutralité qui me paraît très importante dans ce débat.

Je vous rappelle, Monsieur Schifferli, qu'historiquement la neutralité suisse nous a été imposée de l'extérieur au traité de Westphalie, en 1648, et au traité de Vienne, en 1814. Si vous aviez vécu à ces époques, vous auriez été le premier à vous insurger contre le diktat des puissances européennes qui nous imposaient cette neutralité...

Il est vrai que cette neutralité nous a rendu de précieux services en matière de politique étrangère, et nous lui en sommes reconnaissants à ce titre. Mais, depuis dix ans, il se trouve que la neutralité s'est vidée de son contenu, parce qu'avec les changements qui sont intervenus dans les relations internationales la position de la Suisse comme pays neutre a perdu de son importance. Or, c'est la reconnaissance par les autres de notre neutralité qui nous donne cette force, cet atout de neutre.

Je dirai, pour conclure, que nous devons adhérer à l'ONU précisément pour redonner du contenu à notre neutralité. C'est même le meilleur moyen pour y parvenir.

M. John Dupraz (R). En ma qualité de membre du comité de cette initiative, je suis très heureux que le Grand Conseil prenne position clairement, à la veille du vote, sur l'adhésion de la Suisse à l'ONU.

Bien sûr, les opposants se manifestent et font feu de tout bois, arguant de notre sacro-sainte neutralité... Je rappelle, comme les préopinants, que notre neutralité est un engagement qui empêche toute alliance militaire, toute participation à une guerre ou à une action pour imposer la paix... En fait, l'armée sert uniquement à défendre notre territoire et à préserver les habitants du pays. Mais les textes sont clairs. La charte de l'ONU est claire, l'article 43 est clair et, de plus, le peuple suisse, le 10 juin de l'année dernière, lors d'une votation populaire, a confirmé une loi empêchant toute action militaire de notre pays pour garantir la paix. C'est pourquoi je crois que seul un avocaillon de cinquième zone... (Rires.)...qui ne saurait lire ces textes peut prétendre que notre neutralité serait mise en cause si nous adhérions à l'ONU !

On invoque aussi notre perte de souveraineté. En effet, certains prétendent que l'adhésion à l'ONU nous empêcherait de conserver notre liberté d'agir. Or, c'est justement en adhérant à l'ONU que nous participerons aux décisions de l'assemblée générale, toutes ces décisions fondamentales qui conduisent l'action de l'ONU dans le monde !

La Suisse est un modèle de démocratie: quatre langues, quatre cultures, la cohésion nationale. De plus, ses diplomates sont expérimentés et performants. En adhérant à l'ONU, il me semble que la Suisse pourra beaucoup apporter de son expérience.

Il est vrai qu'anciennement, alors que le monde était divisé en deux blocs Est-Ouest, on faisait souvent appel à nos bons offices, parce que nous n'étions pas engagés: nous n'étions ni d'un bord ni d'un autre.

Or, nous vivons à l'heure actuelle la mondialisation et celle-ci exerce aussi son pouvoir en matière de politique, et les problèmes se traitent de façon multilatérale.

Mesdames et Messieurs les députés, les affaires régionales se traitent au niveau des communes et des cantons, les affaires du pays au niveau de la Confédération et les affaires mondiales au niveau de l'ONU. Et si nous voulons participer à ce débat, nous devons faire partie de cette organisation, véritable village planétaire où toutes les affaires du monde sont traitées.

Nous devons adhérer à l'ONU, car nous sommes le seul pays à ne pas en être membre. Rester en dehors, c'est rester en dehors du monde ! La Suisse dépend du monde, ce n'est pas le monde qui dépend de la Suisse ! Nous importons pratiquement 100% de nos matières premières et 80% de l'énergie consommée en Suisse. En outre, Genève doit être d'autant plus sensible à cet acte d'adhésion qu'elle héberge le principal siège européen de l'ONU. Peut-on imaginer, à l'heure de la concurrence, où de nombreuses villes et de nombreux Etats sont prêts à accueillir de nouvelles organisations ou des organisations internationales existantes, que le siège d'un club puisse se trouver dans notre ville sans que nous y participions ? C'est complètement aberrant ! C'est une raison de plus, pour nous Genevois, d'adhérer à l'ONU !

Mesdames et Messieurs les députés, le groupe radical invite ce Grand Conseil à voter cette résolution, invite le peuple de Genève et de Suisse à dire oui le 3 mars à l'initiative pour l'adhésion de la Suisse à l'ONU. (Applaudissements.)

Le président. Les débats durent depuis bientôt une heure. Le Bureau vous suggère de clore la liste des intervenants. Il en reste trois. Puisqu'il n'y a pas d'opposition, il en sera fait ainsi.

Monsieur Schifferli, vous avez la parole.

M. Pierre Schifferli (UDC). Je répondrai très brièvement aux quelques arguments qui ont été soulevés.

Monsieur Grobet, les autres pays, à ma connaissance, n'ont jamais reproché à la Suisse de ne pas être membre de l'ONU, et celle-ci a parfaitement survécu, et Genève aussi, à cet état de fait.

Quant au prétendu manque de solidarité de la Suisse, la Suisse participe à toutes les institutions spécialisées de l'ONU; elle est extrêmement active dans ces organisations et paye chaque année un demi-milliard de francs. Je pense donc que le reproche de manque de solidarité et d'égoïsme est infondé.

Et puis, il est un peu contradictoire de reprocher à la Suisse son manque de solidarité ou de générosité d'un côté et de prétendre, de l'autre, que l'adhésion ne coûterait rien... Il est vrai que, si les 60 ou 87 millions à payer chaque année ne sont rien, je ne vois pas en quoi le fait de refuser de payer cette somme pour des raisons de principe pourrait être taxé de manque de générosité ! On pourrait très bien augmenter la participation de la Suisse d'un montant équivalent dans les institutions spécialisées de l'ONU !

Il est vrai, Monsieur Grobet - vous avez malheureusement raison sur ce point - que la politique suisse s'est trop souvent alignée sur celle du Conseil de sécurité. Je rappelle qu'il y a quelques années, la Suisse appliquait, s'agissant des sanctions contre les Etats étrangers décrétées par l'ONU, ce qu'on appelait le gel au niveau des relations existantes. Et cette politique était largement approuvée par l'opinion publique et les partis politiques en Suisse. Malheureusement, à un certain moment, le gouvernement suisse a modifié cette politique. Et ce n'est pas parce que notre ministre des affaires étrangères mène une mauvaise politique à cet égard qu'il faut encore renforcer l'erreur en adhérant à l'ONU, pour nous trouver finalement obligés d'appliquer des sanctions injustes ou déplacées.

Monsieur Brunier, vous avez parlé de mensonges... Je réfute ce mot ! Si je me suis trompé, je m'en excuserai auprès de vous, mais je ne crois pas avoir lu dans la Charte de l'ONU que cette dernière reconnaissait le principe de la neutralité. Si vous montrez l'article en question, je ferai mon mea culpa publiquement, mais, en attendant, je souhaiterais que vous retiriez cette insulte, car il n'y a pas eu de mensonges. La Charte de l'ONU ne reconnaît pas, ne mentionne pas le principe de la neutralité !

Quant aux arguments de John Dubar, notre péouze... (Exclamations et protestations.)...qui déjà tôt le matin tient des propos insultants, nous pourrons en discuter en privé si vous voulez, Monsieur, mais je ne répondrai pas à ce type d'argumentation qui n'en est pas une.

M. Jean Spielmann (AdG). Je partage une bonne partie des arguments qui ont été donnés par M. Schifferli, qui a fait des affirmations tout à fait justes sur la manière avec laquelle le droit international est appliqué et sur la manière avec laquelle on règle les problèmes internationaux...

Premièrement, il est exact que, dans la fameuse opération «Tempête du désert» et l'intervention en Irak pour sauver la démocratie au Koweit, on a débordé très largement de ce droit international. Et, sous l'impulsion des Etats-Unis, non seulement on a débordé de ce droit mais on l'a violé ! Il en a été de même en Serbie, et vous avez bien fait de le signaler. En effet, de deux choses l'une : si le droit international peut s'appliquer, il faut respecter l'ONU et ses décisions, et vous avez eu raison de citer un certain nombre de dérapages. Pourquoi certaines décisions sont-elles appliquées très sévèrement et même au-delà du droit - vous l'avez évoqué avec les bombardements en Serbie qui ont continué après et qui ont eu lieu sans la reconnaissance du droit international et de l'ONU - alors que d'autres, comme la résolution 194 concernant le droit au retour des Palestiniens, ou la 242 concernant le retrait de l'occupation, ne font même pas l'objet d'une ébauche d'application, ce qui fait que certaines situations se compliquent à l'excès ?

Ce constat est juste, mais est-il adéquat pour autant de ne pas adhérer à l'ONU ? En effet, si on donne la primauté au droit international, il faut l'appuyer de toutes nos forces pour qu'il soit appliqué, en dénonçant les situations de non-droit, l'imposition par la force, ou alors le laxisme total, quand ce n'est pas une utilisation unilatérale du droit international au profit de certains intérêts.

Toutefois, de ce même constat, j'arrive à une solution diamétralement opposée... La seule réponse au non-droit, la seule réponse à la force, c'est que les peuples de ce monde se donnent la possibilité d'intervenir, donnent la primauté au droit et non à la violence. Et pour cela, il faut participer à l'ONU ! La Charte de l'ONU permet de respecter ceux qui ne souhaitent pas s'engager dans un conflit, de respecter ceux qui souhaitent rester neutres dans un certain nombre de dossiers. Vous avez parlé tout à l'heure de lâcheté et d'abandon, mais, très souvent, être neutres, c'est aussi refuser de s'engager pour résoudre des conflits et c'est donc refuser d'aider des gens qui souffrent... Refuser le débat, refuser de participer avec toutes les autres nations, me semble être une mauvaise politique et une mauvaise réponse à l'analyse pertinente que vous avez faite. Et votre position conduirait à la négation même de ce que vous avez dit. En effet, si tous les pays renonçaient à participer à l'ONU et suivaient votre position, c'est ce qui se passerait : le plus puissant dominerait et les autres peuples ne pourraient plus intervenir et le droit international ne serait plus ! Donc, il faut participer à l'ONU pour favoriser la primauté du droit sur la violence et la domination que nous connaissons à l'heure actuelle.

M. Pierre Weiss (L). Le désavantage d'intervenir le dernier, c'est que chacun a probablement déjà dû se faire une opinion au cours des interventions précédentes. L'avantage, c'est, pour celui qui intervient, de prendre la mesure des arguments, en général d'une bonne teneur, qui ont été développés par les uns et les autres. Cela me forcera donc à aborder cette question sous un angle différent.

J'aimerais à cet égard rendre hommage aux intervenants de l'UDC pour deux raisons. La première, c'est d'avoir eu le courage de la vertu de l'exceptionnalité : on peut toujours louer cette volonté d'être différents et parfois même seuls. La deuxième, c'est que, contrairement à d'habitude, ils ont su se limiter dans le nombre de leurs interventions...

J'ai néanmoins de la peine à partager les opinions qu'ils ont exprimées. Sur différents points, on pourrait contredire certaines des affirmations qui ont été faites, comme, par exemple, sur le coût de l'adhésion de la Suisse à l'ONU, en tout cas d'un tiers plus bas que ce qui est allégué...

Savez-vous, par exemple, que le fait d'être observateurs nous amène déjà à payer un tiers de ce que nous payerons lorsque nous serons, si nous le sommes, membres à part entière ? De ce point de vue, l'augmentation n'est pas aussi importante - même si je ne la considère pas comme négligeable personnellement - que ce qui a été allégué par les opposants à l'entrée de la Suisse à l'ONU.

Un autre point peut être dérangeant - je le conçois sur le plan des principes - je veux parler du fait que les membres du Conseil de sécurité ont un droit de veto, qui rend certains Etats plus égaux que d'autres... Nous sommes, je crois, tous convaincus dans ce parlement de la valeur de l'égalité, mais, parfois, la nécessité de l'efficacité doit aussi être prise en considération. En effet, peut-être que cette inégalité a pu en éviter d'autres.

Maintenant, deux choses me forcent à penser que le raisonnement qui conduit à s'opposer à l'entrée de la Suisse dans l'Organisation des Nations Unies sur le plan politique est un raisonnement spécieux. Savez-vous que la Suisse participe déjà à des sanctions en votant au sein des organisations membres des Nations Unies et pas en s'y ralliant par la petite porte ou de façon autonome ? Par exemple, dans le cas de l'Organisation internationale du travail, lorsqu'il s'agit de sanctionner un pays comme le Myanmar. La Suisse n'a pas hésité, dans ce cas précis, à s'unir à ceux qui ont sanctionné ce pays pour sa politique de travail forcé. Faudrait-il, au titre du refus même du principe des sanctions, que la Suisse sorte de l'Organisation internationale du travail dont elle est un membre fondateur ? J'ai de la peine à croire que les opposants à l'entrée de la Suisse dans l'Organisation des Nations Unies veuillent, parce que dans certains cas on participe à des sanctions, que l'on sorte de l'organisation qui participe à des sanctions ! Alors, si on peut participer à des sanctions dans le cadre de l'OIT, on peut aussi participer à des sanctions dans le cadre de l'Organisation des Nations Unies !

Et puis, je voudrais aborder un dernier point qui me semble digne d'être pris en considération en raison de l'actualité de ces derniers mois. Qu'aurions-nous souhaité si les attentats barbares sur les tours de Manhattan dont les Etats-Unis ont été victimes s'étaient déroulés sur sol suisse? J'ai aussi de la peine à croire que les opposants à l'entrée de la Suisse dans l'Organisation des Nations Unies se seraient opposés à ce que l'ONU applique des sanctions contre ceux qui auraient attaqué notre pays !

Dans ce sens, je pense qu'ils proposent une politique contre-productive pour les intérêts mêmes de la Suisse. C'est à cet égard que je souhaiterais qu'ils réfléchissent encore profondément à la position qu'ils vont prendre. Une abstention de leur part serait certainement plus utile qu'une opposition.

La Résolution 453 est adoptée par 62 oui contre 7 non et 1 abstention.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, une heure de débat pour le premier point à traiter en urgence et il en reste dix-huit ! Je prie celles et ceux qui ont absolument besoin de faire passer un projet aujourd'hui de prendre langue avec ceux qui l'ont un peu trop pendue, de manière à ce que les interventions soient plus brèves ! (Exclamations.)

Une voix. Excellent! (Applaudissements.)