Séance du
vendredi 30 novembre 2001 à
17h
55e
législature -
1re
année -
2e
session -
6e
séance
RD 433 et objet(s) lié(s)
Le président. Veuillez reprendre vos places, s'il vous plaît !
Mesdames et Messieurs, il m'appartient de prendre congé, de remercier, de témoigner de la reconnaissance de Genève à deux magistrats sortants qui ont consacré une partie de leur vie au bien de nos concitoyennes et nos concitoyens. Gageure que cet exercice ! En effet, comment dire tout ce que l'on ressent en quelques minutes, alors que la rétrospective porte sur des années? Que l'un et l'autre relativisent donc mes propos et qu'ils soient assurés de ma sincère reconnaissance et de celle du parlement.
Tout d'abord, M. Guy-Olivier Segond. Permettez, Mesdames et Messieurs, un petit préambule sur Guy-Olivier Segond. Ce préambule, je l'ai repris des auteurs de la revue 2001, MM. Monnet et Sand. Il s'agit de la confession de M. Segond, jouée par Jo-Johnny, certainement beaucoup mieux que je ne pourrais le faire ! Tant pis, je me lance, accrochez vos ceintures ! Je cite: «Voilà, c'est fini pour moi. Je suis dégoûté, fatigué de tout ça. Plus personne ne veut m'écouter ! On ne me croit plus, mais je sais que j'ai raison ! J'ai toujours eu raison ! Je ne me suis jamais trompé, ah, sauf une fois. C'est quand je suis entré au parti radical !» Plus loin, il poursuit: «Si mon parti m'avait écouté, il n'en serait pas là. Et Genève non plus, d'ailleurs. Genève s'appellerait Smart Geneva, l'Hôpital s'appellerait le Rhuso, l'expo nationale «Le cerveau» et, avec moi, le parti radical aurait eu un vrai conseiller fédéral.»
M. Segond, conseiller administratif de la Ville de Genève de 1979 à 1989, en a été le maire en 1983 et 1988. Durant une législature, 1987-1990, il a été conseiller national. Enfin, conseiller d'Etat de 1989 à ce jour, chargé du département de l'action sociale et de la santé, il a été président du Conseil d'Etat en 1996 et en l'an 2000. D'aucuns le classent dans la catégorie des dinosaures de la politique. Ce qui est certain, c'est qu'il a consacré toutes ces années au seul service de la collectivité.
Vous aimiez dire, Monsieur le président, que la politique doit mettre l'homme avant toute chose. Durant douze ans, vous avez tenté de le faire dans un élan humaniste, remarqué et remarquable. Mais vous disiez également que la fin pouvait justifier les moyens. Ce qui n'était pas toujours apprécié par tout le monde. Quel que soit le jugement que portent les uns et les autres sur votre action gouvernementale, s'il est un domaine où vous excelliez, c'est bien celui de la santé, car vous saviez de quoi vous parliez. Le professeur qui vous a rendu hommage lors de vos adieux aux Forces-Motrices, celui qui doit certainement le mieux vous connaître, n'a laissé personne indifférent.
L'histoire locale reviendra certainement sur votre bilan politique et, comme dans tout bilan, figureront des éléments positifs et d'autres un peu moins. Il est fort à parier que les Genevois retiendront cette capacité que vous avez toujours eue d'être un serviteur de l'Etat en mettant tout votre poids en faveur des plus défavorisés, peut-être au détriment des autres, mais toujours dans l'intérêt général.
En nous quittant aujourd'hui, quelles que soient nos sensibilités politiques, quels que soient les agacements que vous avez pu susciter ici ou là, vous laisserez, dans tous les sens du terme, un grand vide politique d'un grand homme politique. Je souhaite, Monsieur le président, cher Guy-Olivier Segond, que votre nouvelle orientation vous apporte toute la satisfaction que vous pouvez désirer. Bonne chance pour le futur, bonne chance pour votre futur ! (L'assemblée, debout, applaudit longuement.)
Quant à M. Gérard Ramseyer, sa carrière a commencé dans la commune de Versoix comme conseiller municipal, puis conseiller administratif de 1979 à 1993. Il en a été le maire en 1983, 1988, 1991 et 1993. Il a été député au Grand Conseil de 1989 à 1993. Elu au Conseil d'Etat en novembre 1993, il en devient le président en 1998. La liste du bilan de ses deux législatures est véritablement remarquable, tant en ce qui concerne la sécurité, en développant la police de proximité, en traitant du délicat problème des dérives sectaires, qu'en ce qui concerne les transports, avec la mise en place du développement des lignes 16, 13 et de la troisième voie CFF entre autres.
Vous disiez, Monsieur le président, et vous le dites toujours, que les questions de circulation sont infernales à Genève. Ce n'est pas la Fédération des taxis qui vous démentira, ni bien sûr les associations défendant les transports privés. La leçon que vous retiendrez très certainement de l'ardue question de la complémentarité des transports, c'est que la critique est aisée, mais l'art est difficile. Vous avez également dû résoudre les problèmes délicats, mais néanmoins majeurs de la politique d'asile. Je crois que vous avez su maîtriser cette épineuse question de manière diplomatique et pragmatique.
Cher Gérard, tu quittes aujourd'hui tes fonctions certainement pas comme tu l'aurais souhaité. La vie politique est parfois impitoyable et peut ne laisser aucun droit à l'erreur. Tu me donnes l'impression d'être l'entraîneur de foot sur lequel on s'acharne dans le seul but d'obtenir sa démission et à peine a-t-il démissionné qu'on le regrette déjà. Tes ennemis, alors que nous ne devrions avoir que des adversaires, ne t'ont pas ménagé et certains ne doivent pas se sentir à l'aise dans leurs baskets.
Je suis de ceux qui croient à la destinée. La tienne était de rester huit ans au Conseil d'Etat. Cela se termine, mais ton action politique reste. Surtout celle à laquelle tu tenais et qui sera incontestablement reconnue un jour. Ta personnalité restera pour nous un exemple de droiture, de fidélité, de solidarité et surtout d'amitié. Mon cher Gérard, devant l'adversité, tu nous a donné une immense leçon de courage et de dignité tout à fait remarquable. Je suis fier de faire partie de tes amis. Le parlement reste et restera fier de toi ! Bonne chance pour l'avenir et surtout merci Gérard ! (L'assemblée, debout, applaudit longuement.)
M. Bernard Lescaze (R). Il m'appartient, au nom du groupe radical, d'adresser quelques mots à M. le conseiller d'Etat Guy-Olivier Segond. Après ce que vous venez d'entendre, je ne vais pas retracer ni sa vie, ni ses oeuvres. Chacun peut avoir en mémoire telle ou telle anecdote. M. Guy-Olivier Segond est probablement l'un des rares Genevois, par exemple, à avoir dormi dans la tête du bouddha de Bamian, chose devenue hélas, depuis quelques mois, définitivement impossible. Je vais en rester au domaine politique, où notre magistrat a eu un maître d'apprentissage truculent qui explique parfois sans doute certaines de ses orientations. Je veux parler du conseiller d'Etat André Chavanne. M. Guy-Olivier Segond a été ensuite élu conseiller administratif sans jamais avoir été conseiller municipal, puis conseiller d'Etat sans jamais avoir été député. Il ne connaît donc pas les délices de la vie parlementaire, du moins au niveau cantonal ou municipal, et c'est une expérience qui lui fera toujours cruellement défaut, mais dont je crois qu'il pourra aisément se passer.
En tant que conseiller d'Etat, M. Segond a connu trois législatures contrastées. Une législature que je ne saurais qualifier d'ordinaire, puisque plusieurs des gens qui y ont siégé, en tout cas deux, sont encore ici dans cette salle, entre 1989 et 1993. Une législature du siècle dernier, du XXe siècle donc. Puis une législature qui a été comme un objet volant non identifié dans le paysage politique genevois, celle du gouvernement homogène. Enfin, il a dû connaître une troisième législature encore plus étrange, car faisant une figure politique inédite jusqu'alors, celle où le gouvernement avait une certaine majorité et le parlement une autre majorité. Dans ces trois configurations, M. Guy-Olivier Segond a su déployer les traits de sa personnalité politique. Des traits que vous connaissez bien. La clarté de l'expression, très importante en politique, même si le discours y est la partie la plus facile. En politique, elle reste une partie nécessaire, même si elle n'est pas suffisante. La netteté de la vision, la force de la personnalité, et dans plusieurs domaines où s'est exercée au département de l'action sociale et de la santé son activité, on a pu voir ces qualités. Clarté de l'expression dans une analyse politique toujours limpide, précise et parfois un peu sèche, claquant parfois comme des coups de fouet. Netteté de la vision, il suffit de songer à l'Expo.01 sur le cerveau, qui malheureusement, vous le savez, a échoué, voire au Réseau hospitalo-universitaire de Suisse occidentale, dont la faculté de médecine, notamment, n'a pas voulu, mais que beaucoup de gens regrettent aujourd'hui, car c'eût été un véritable progrès. Force de la personnalité enfin, lorsque Guy-Olivier Segond a imposé la trithérapie à l'Hôpital cantonal universitaire de Genève.
Je tiens ici à saluer ce radical humaniste, ce représentant de Genève, ce Genevois, protestant, cultivé, dans la lignée de James Fazy, de Georges Favon, toujours soucieux de cette vieille devise inventée par Georges Favon, liberté humaine et justice sociale. A n'en pas douter, Guy-Olivier Segond aura marqué l'histoire de notre République et, au nom de notre groupe, et je pense en votre nom à tous, je tiens à vous dire, Monsieur le conseiller d'Etat: merci ! (Applaudissements.)
M. Thomas Büchi (R). C'est un honneur et en même temps une grande responsabilité qui m'incombent ce soir que de faire, au nom du groupe radical, l'éloge et l'hommage de Gérard Ramseyer. Je vais donc parler avec mon coeur. Je vais vous parler de l'homme au-delà de toute considération, c'est ce qui doit supplanter tout le reste.
Quelques mots d'abord sur sa trajectoire assez exceptionnelle. Gérard Ramseyer est né le 9 novembre 1941 sous le signe astrologique du Scorpion. De ce signe, dès le début, il en incarne quelques traits de caractère fondamentaux: une volonté inflexible lorsqu'il entreprend quelque chose, le sens de la responsabilité et un dévouement indéfectible au service des autres. En résumé, Gérard Ramseyer est le type même d'homme qui sacrifierait sa vie pour l'amour qu'il porte à son pays. Il est originaire de Schlosswill dans le canton de Berne, et de Versoix ensuite. Il est marié et père de deux enfants. En dehors de sa vie familiale, trois parcours de vie le personnalisent avec, au bout, toujours la même volonté, inaliénable, d'aller jusqu'au bout et de servir les autres. D'abord son parcours professionnel. Il a travaillé dans le domaine des assurances. Il est d'ailleurs titulaire d'une maîtrise fédérale en assurance. Celles et ceux qui m'entendent ce soir et qui sont titulaires d'une maîtrise fédérale savent ce que cela représente comme somme de travail et comme sacrifice pour l'obtenir. On ne peut pas parler de Gérard Ramseyer sans parler de son parcours militaire tellement sa stature de commandeur et de leader se lit à travers son physique. Son grade est lieutenant-colonel d'infanterie. Il a commandé le bataillon chargé de la sécurité de l'aéroport de Genève, et ce jusqu'à son élection au Conseil d'Etat en 1993. Ceux qui ont fait du service militaire savent que cela représente plusieurs milliers de jours de service, et ce à nouveau pour son pays.
Avant d'aborder son parcours politique, je ne peux m'empêcher d'approfondir la lecture de son caractère pour qu'on le reconnaisse encore un peu mieux. Sa stature de rugbyman nous impose de suite une idée de solidité monolithique. On pourrait penser qu'il serait même insensible au petit vent facétieux qui agiterait un rameau fragile au moindre souffle. Quand on le côtoie, on ressent une impression de sécurité presque empreinte de paternalisme. On aurait même envie de dire que le slogan de force tranquille lui convient. Si parfois ses idées sont arrêtées et presque une certaine absence de mobilité, c'est parce qu'il y a une profonde répugnance chez Gérard Ramseyer à se mobiliser et à modifier des choses qui fonctionnent déjà correctement. C'est un pragmatique qui n'a jamais brassé des théories pour le plaisir. Pas de hâte intempestive, un bon sens presque paysan qui donne du poids aux décisions prises. Tout ceci au service de l'objectif à atteindre. Le sens des responsabilités, la confiance qu'il témoigne à ceux qui l'entourent, le poids même à vouloir endosser les fautes des autres ne font malheureusement pas toujours bon ménage dans le monde impitoyable de la politique. Ce qui est sûr, c'est que sur le plan humain, l'honnêteté et l'équité priment toute autre considération.
Alors, pour revenir à son parcours politique, Gérard Ramseyer n'est pas passé dans le ciel genevois comme une météorite. Non ! Comme sa vie, tout est profondément enraciné dans le terreau du pays. Il a tout d'abord été conseiller municipal dans sa chère commune de Versoix, de 1975 à 1979, puis conseiller administratif, de 1979 à 1993, sans oublier qu'il a été cinq fois maire de sa commune dans l'intervalle. Sa carrière cantonale suit la même trajectoire. Député au Grand Conseil de 1989 à 1993, il est ensuite élu conseiller d'Etat en 1993 et réélu en 1997. Pendant huit ans, il a été à la tête du département de justice et police et des transports, sans oublier qu'il a été président du Conseil d'Etat de décembre 1997 à décembre 1998.
Malgré la situation difficile qu'il vit aujourd'hui, Gérard Ramseyer n'a pas à rougir de son bilan. Son engagement inébranlable et sans faille au service de la collectivité lui a donné une énergie formidable. Sous son impulsion, Genève est devenue, après Vienne, la ville européenne la plus sûre. Il y a moins d'agressions de toutes sortes à Genève qu'il y a dix ans. Les transports publics ont été développés d'une façon remarquable. Les chantiers se sont ouverts. Nous pensons au tram 13 «Nations». Les négociations ont abouti avec la France de façon significative pour améliorer les liaisons TGV, et bien d'autres projets encore que je n'ai pas le temps de vous relater ici ce soir.
Face aux énergies contraires qui se sont levées contre lui depuis plusieurs mois, frisant parfois l'acharnement, il a su faire preuve d'une dignité qui aujourd'hui force l'admiration. Ce soir, Monsieur le conseiller d'Etat, vous allez prendre congé de nous avec peut-être un certain sentiment d'amertume. Mais je sais qu'il sera vite occulté par votre tempérament foncièrement optimiste et votre esprit de gagneur qui vous aideront à atteindre d'autres objectifs, que nous vous souhaitons pleins de promesses.
Gérard, d'une certaine manière, Genève prend congé de toi et n'oublie pas - que ceux qui ont des oreilles entendent - que la beauté intérieure sublime les apparences ! (Applaudissements.)
M. Guy-Olivier Segond, conseiller d'Etat. En prenant pour la dernière fois la parole dans cette enceinte, j'aimerais tout d'abord remercier le président, M. Bernard Annen, et le vice-président, M. Bernard Lescaze, de leurs aimables propos, marquant, au nom du Grand Conseil et au nom du groupe radical, mon départ du Conseil d'Etat après douze années d'activités. A vrai dire, je n'ai pas passé que douze ans au Conseil d'Etat: j'ai passé en réalité plus de trente ans, soit la majorité de ma vie active, dans le service public, à l'ombre de la tour Baudet, à l'Hôtel de Ville, ou dans cette salle du Parlement, à défendre, comme vous, l'intérêt général, mais en étant toujours du côté du gouvernement !
Au début, pendant les dix premières années, qui suivirent Mai 68, j'ai travaillé au département de l'instruction publique, aux côtés d'André Chavanne. J'étais chargé des affaires juridiques, politiques et parlementaires et je représentais déjà, souvent, le département dans les commissions du Grand Conseil pour les convaincre de voter les réformes pédagogiques et d'accorder les crédits nécessaires. Par la suite, j'ai passé dix années dans la magistrature communale, à la tête de la Ville de Genève. Et, maire de Genève, qui est la plus belle et la plus universelle des fonctions politiques, j'ai souvent goûté, dans cette même salle, face aux quatre-vingts élus des différents partis, le charme discret et complexe de la vie municipale ! Enfin, j'ai passé ces douze dernières années au Conseil d'Etat, à la tête du DASS et de ses 18000 collaborateurs et collaboratrices. Là, j'ai cherché à moderniser la politique sociale et la politique de la santé en veillant à préserver l'Etat social qui est finalement la traduction moderne, contemporaine de la vieille devise suisse : «Un pour tous, tous pour un».
Pendant tout ce temps, la mondialisation de l'économie a commencé à prendre son plein développement et, mal acceptée par une partie de la population, elle a naturellement touché et la Suisse et Genève. Ainsi, notre canton a passé ces douze dernières années par une période de mutation forte et rapide. L'économie locale est de plus en plus axée sur les services, les travailleurs changent plus fréquemment d'activité, les femmes occupent de plus en plus souvent des fonctions de responsabilité et le travail à temps partiel se développe. Aujourd'hui, le nombre d'emplois est le plus élevé de l'histoire genevoise. Même si cela se sait peu et même si cela se dit peu, il est nettement supérieur au nombre d'emplois enregistrés au moment le plus favorable de la plus haute conjoncture. Les conséquences sont là, visibles: le nombre de chômeurs a diminué fortement, même si le nombre de chômeurs de longue durée est devenu très élevé. Le nombre de contribuables augmente aussi et, malgré une diminution des impôts de 12%, les recettes fiscales se portent bien, permettant à l'Etat de Genève de retrouver l'équilibre budgétaire et de commencer à rembourser une partie de la dette publique.
Ces circonstances favorables permettent de jeter un regard sur ce qui s'est passé dans notre ville et dans notre canton dans les dernières années du XXe siècle. Le constat est assez simple à résumer. Economiquement, Genève a quitté trente années de vaches grasses pour entrer dans dix années de vaches maigres, pendant lesquelles tout le monde a dû s'adapter aux changements économiques, techniques et sociaux, tout en cherchant parfois désespérément à préserver ses propres acquis.
Sur le plan politique et de l'action publique, le vocabulaire a changé. Pendant les trente années de vaches grasses, les nouvelles législations, les nouvelles pratiques administratives, les nouveaux services publics étaient considérés comme autant de progrès, ce qui était plutôt une notion de gauche. Mais pendant les dix années de vaches maigres, les nouvelles législations, les nouvelles pratiques administratives et les restructurations des services publics n'ont plus été considérées comme des progrès, mais comme des réformes, ce qui est plutôt une notion de droite.
Genève, qui est entrée dans l'histoire grâce à la seule vraie Réforme - celle qui a donné naissance à l'Eglise réformée - n'a pas échappé à la règle. Elle a, elle aussi, quitté l'ère des progrès pour entrer dans l'ère des réformes !
La politique de la santé et la politique sociale ont participé au mouvement général. Il y a eu beaucoup de réformes au DASS et dans les divers établissements publics qui en dépendent. Mais le destin de ces réformes a été variable. Les réformes qui ont été conduites dans un climat de concertation avec les syndicats ont abouti, mais, n'ayant pas suscité de polémiques, elles n'ont pas eu une grande visibilité. L'exemple le plus typique est celui de la réforme hospitalière et de la mise en place des Hôpitaux universitaires de Genève, qui représentent l'une des rares fusions réussies.
A l'inverse, les réformes qui ont été conduites dans un climat de confrontation avec les syndicats ont naturellement entraîné des polémiques, ont eu une grande visibilité, mais ont aussi régulièrement échoué ! Enfin, il faut relever que toutes les réformes qui cherchaient à privatiser une tâche de l'Etat ont été rejetées par le peuple. Malgré toutes les critiques faites, souvent de manière injuste, à la fonction publique, la majorité de la population sait bien que le service public est le seul garant de l'égalité de traitement de tous les habitants, quel que soit leur âge, leur sexe, leur nationalité, leur religion ou leur revenu.
Vous ne serez pas étonnés, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, par le fait que je termine par la Genève internationale.
Aujourd'hui, au début du XXIe siècle, Genève est un lieu où se rencontrent tous les courants qui portent l'aventure humaine et où se discute une bonne partie des problèmes qui agitent la planète. Ce destin exceptionnel de Genève, canton suisse et cité internationale, s'explique par le rayonnement des idées. Genève est en effet l'héritière de la pensée et de l'action d'hommes qui ont proclamé à la face du monde la primauté des valeurs spirituelles sur les intérêts matériels, que ce soit Jean Calvin, le réformateur, Jean-Jacques de Sellon, le fondateur de la première organisation internationale, la Société universelle de la paix, Jean-Jacques Rousseau, le citoyen de Genève, ou encore Henry Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge. Cette tradition de ville des idées se poursuit aujourd'hui par l'accueil des organisations internationales du système des Nations Unies. Souvent critiquées, mais, Mesdames et Messieurs les députés, uniques dans l'histoire de l'humanité, ces organisations internationales témoignent des efforts que l'être humain fait sur lui-même pour rechercher un avenir meilleur. Elles sont donc autant de signes d'espérance pour les hommes et les femmes les plus déshérités de notre planète. C'est pourquoi, au-delà de leur importance politique et économique, Genève et la Suisse doivent avoir avec elles les excellents rapports que commandent le coeur, l'intelligence et les lois de l'hospitalité. J'espère donc vivement que le peuple et les cantons, le 3 mars 2002, diront oui à l'ONU, montrant que si les problèmes de la Suisse ne sont pas ceux du monde, les problèmes du monde, eux, sont ceux de la Suisse !
Un dernier mot pour terminer. Pour être gouvernée, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, une République, même petite, doit avoir de fortes personnalités politiques. Mais pour être administrée, elle doit disposer de grands commis. Arrivé au terme de mes douze années d'activités au Conseil d'Etat, j'aimerais donc remercier les secrétaires généraux, les directeurs de cabinet, les directeurs généraux, les patrons des établissements publics avec qui j'ai travaillé. Ensemble, ils ont formé une superbe équipe de collaborateurs qui servira, avec la même intelligence et la même loyauté, mon successeur, Pierre-François Unger.
Merci aussi à tous ceux et à toutes celles qui m'ont soutenu, qu'ils siègent à droite, à gauche et surtout au centre, au sein de mon groupe préféré, celui des radicaux, qui ont forgé ce concept de l'abstention dynamique... (Rires.)Merci à mes collègues du Conseil d'Etat, merci au Chancelier d'Etat, merci à la Sautière ! Merci à chacun et à chacune d'entre vous de vous engager au service de notre République ! J'espère que vous trouverez dans vos fonctions, au Grand Conseil comme au Conseil d'Etat, le même intérêt et surtout le même plaisir que moi ! Aux uns et aux autres, merci, bonne soirée et bonne 55e législature ! (Applaudissements.)
M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Lorsqu'on voit les qualités qu'on nous prête le soir de nos funérailles, on se demande pourquoi on n'est pas mort plus tôt ! Et lorsqu'on lit les reniements tardifs et frileux d'une presse partiale et assassine, on se demande comment orthographier le mot déontologie pour qu'il paraisse d'expression contemporaine. Qu'importe ! La nuit est venue, il fait froid alentour. Il faut néanmoins reprendre le chemin. Le moment de jeter un dernier coup d'oeil par-dessus l'épaule pour voir se refermer la porte de cette salle, vaste scène où chaque intervenant est un acteur. Il faisait bon à l'intérieur. Les amis étaient chaleureux, ils discutaient ferme, s'entendant à défaut de s'écouter, se mesurant à défaut de se considérer, livrant le démocratique combat de la politique, préférant l'ombre à la proie, la forme au fond et se jurant à tout propos que la goutte d'eau qui met le feu aux poudres est au moins aussi scélérate que l'étincelle qui fait déborder le vase !
Je vous quitte pour nulle part, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, avec cependant une certitude. Il y a toujours une aube après le crépuscule. La nuit est affaire de durée. Je vous remercie sincèrement de votre sollicitude et de vos efforts à partager ou combattre mes convictions. J'ai toujours préféré n'importe quoi plutôt que l'indifférence. Mes doutes, je vous les offre. Ils étaient les bordures d'une action que j'ai voulu généreuse et honnête. Mes échecs, je les revendique. Ils étaient les écueils qui marquaient l'accès au port. Mes réussites, je vous les remets. Ce sont autant les vôtres que les miennes. Mais ma sincérité, je la garde. Je l'ai rangée dans mon bagage, enveloppée d'une étoffe que l'on nomme parfois sens de l'honneur, bien calée à côté d'un gros paquet de dignité. Ainsi, mon sac est plein. Plus aucune place pour la rancoeur, pas le plus petit cube disponible pour un zeste d'aigreur ou une touche de ressentiment. Je vous aimais beaucoup. Bonne chance à toutes et tous ! Et quand viendra pour vous le moment de prendre à votre tour le chemin de la fin de journée, faites-moi un signe ! Nous ferons un petit bout de route ensemble. Juste pour le plaisir, juste parce que les Genevois sont comme ça, comme dirait la «Tribune», mais c'est vrai que la «Tribune» a dit tellement de choses... Je vous salue cordialement, merci de votre attention, bonne chance à toutes et tous ! (Applaudissements.)