Séance du
vendredi 2 novembre 2001 à
20h30
55e
législature -
1re
année -
1re
session -
3e
séance
M 1431
Débat
M. Albert Rodrik (S). Mesdames et Messieurs les députés, la commission sociale unanime vous envoie cette motion. En effet, pendant quasiment deux années, nous avons pu mesurer notre douleur ! Vous vous en souvenez, à la fin 2000, ce Grand Conseil a procédé à une augmentation des allocations familiales de base, c'est-à-dire, pour simplifier, celles des mineurs. Lorsque nous avons voulu entamer nos travaux sur la deuxième partie de cet édifice, qui concerne les adultes de plus de 18 ans, et que nous avons essayé d'aborder le dispositif mis en place par la révision du 1er mars 1996, nous avons commencé à souffrir... En effet, un greffon dans deux lois gérées par l'instruction publique, dont l'économie générale et l'ambition de base n'avaient rien à faire avec les allocations familiales, mais bien avec l'encouragement aux études et l'apprentissage, nous montrait les limites de ce que nous pouvions faire, dans la douleur encore une fois. Il n'était pourtant pas naturel de nous occuper seulement des allocations familiales pour mineurs et d'oublier les majeurs. Nous nous sommes ainsi trouvés devant deux projets de lois émanant d'un parti, projets contestés et discutés comme tout ce qui vient des partis, et en train de faire chavirer un bateau qui n'était pas conçu pour ces exercices.
En fin de législature, la commission unanime a décidé de donner une chance à la nouvelle législature de travailler autrement, c'est-à-dire plus intelligemment, en demandant au Conseil d'Etat de mettre sur pied un petit groupe de connaisseurs - pour ne pas dire d'experts, puisque le terme est galvaudé - afin d'arriver, d'ici le mois de septembre de l'année prochaine, à un projet de loi qui nous permette de réfléchir à des modes de financement nouveaux, à un système simple, transparent, permettant peut-être d'éviter les conséquences socialement discutables que la révision de 1996 a eues pour la partie concernant les adultes.
J'espère, Mesdames et Messieurs, que vous ferez bon accueil à cette motion, que vous serez unanimes à accepter cette demande. Il y a en ce moment des préoccupations convergentes d'un côté à propos du financement, de l'autre à propos des ambitions sociales, et il est temps de faire coïncider ces ambitions diverses dans un exercice qui, nous l'espérons, nous amènera à ce qui est probable - même si nous ne sommes pas Madame Soleil - c'est-à-dire un système fédéral pour lequel nous pourrions peut-être servir de modèle.
Nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de soutenir à l'unanimité cette demande; nous espérons entamer l'année prochaine un travail de commission qui soit constructif et qui nous permette de sortir de la difficulté dans laquelle nous nous trouvons en ce moment.
Enfin, une réflexion de modestie: dans l'immense bagarre qui s'est déroulée dans cette salle le 1er mars 1996 de 17h à 0h45, aucun des enjeux, aucun des affrontements ne portait sur les difficultés très réelles et très concrètes que nous avons éprouvées à bouger tout simplement l'écheveau que nous avions mis en place !
Mme Marie-Françoise De Tassigny (R). Je n'ai pas grand-chose à ajouter à l'historique de M. Rodrik, mais je voudrais quand même dire qu'il faut reconsidérer le système, même si les allocations familiales ne constituent pas le principal pilier d'une politique familiale. Il faut reconsidérer le système, car les caisses d'allocations familiales, qu'elles soient privées ou publiques, sont actuellement à la limite de leurs charges en matière de gestion et de financement. Il faut donc étudier à fond ce dossier. Pour une fois, la commission vraiment unanime a demandé au Conseil d'Etat de procéder à une étude, mais avec l'appui d'experts qui pourraient nous faire des propositions concrètes pour offrir aux familles de Genève des allocations dignes des enfants du canton.
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG). Nous saluons la proposition de la commission des affaires sociales. En effet, comme il est très bien dit dans la proposition de motion, il faut que «les ambitions sociales des uns rejoignent les soucis de financement des autres», soucis de financement que je partage, parce qu'il faut effectivement changer le financement des assurances sociales.
Il y a juste un problème que je relève dans les moyens utilisés. On demande la création d'un groupe d'experts. Je me demande quand même si le Conseil d'Etat ne détient pas tous les éléments en main pour nous proposer des modèles, qui sont d'ailleurs étudiés au niveau fédéral par la commission fédérale pour les questions familiales, qui a fait des études très poussées sur les différents modèles dans les cantons suisses. Il me semble qu'il aurait là tous les éléments. Mais bon, puisqu'il faut parler d'experts, parlons d'experts ! En l'occurrence, les représentants de la Caisse cantonale d'allocations familiales, de la Caisse de compensation, de l'Union patronale, qui sont également les représentants des caisses d'allocations familiales, ainsi que les représentants syndicaux ne me paraissent pas être des experts. Ce sont des acteurs et j'ai le sentiment qu'ils défendent un peu, pardonnez-moi le terme, leur bout de gras ! Il y a par ailleurs des experts qui ont été oubliés, ce sont les familles elles-mêmes. S'il y a des personnes qui connaissent leur situation, ce sont bien les familles elles-mêmes.
J'ai donc rédigé un amendement que je vais déposer. A la place du premier paragraphe, je propose de parler d'un «groupe d'experts indépendants issus des milieux concernés», c'est-à-dire associations familiales, Pro Familia, Commission fédérale pour les questions familiales, experts en assurances sociales. Je n'ai pas pu mettre de noms, parce que je n'ai pas consulté ces personnes. Mais je pense au professeur Flückiger, par exemple, qui a fait des études très pointues sur le financement des assurances sociales et à qui le Conseil d'Etat pourrait s'adresser. Je dépose donc cette proposition d'amendement, car il me semble que ce sont là des experts plus indépendants que les acteurs qui risquent, comme je l'ai dit, de défendre leur bout de gras.
Enfin, j'aimerais que l'on n'oublie pas les associations familiales, qui se battent depuis cinquante ans pour obtenir un système cohérent d'allocations familiales. Il me semble qu'elles devraient faire partie de cette commission d'experts.
Le président. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs, que ce n'était pas un projet urgent et que nous l'avons quand même inscrit dans les urgences parce qu'il y avait unanimité. S'il commence à y avoir des amendements, je serai obligé de vous suggérer de renvoyer cette proposition en commission, de manière à revoir les problèmes.
Mme Janine Berberat (L). Je souhaite prendre la parole pour souligner que l'on peut parfois travailler ensemble, même sur des sujets qui ont tendance à nous diviser. Il est vrai que cette motion a réuni l'ensemble de la commission, parce qu'elle permet d'aborder le problème dans sa globalité. Mais il est un point où je ne vous rejoins pas vraiment, Madame Blanchard-Queloz: à mon avis, il est important de réunir autour de la table les payeurs et ceux qui reçoivent. Or, les payeurs, aujourd'hui, ce sont les patrons. Il faut qu'il y ait une discussion pour savoir si l'on ne peut pas introduire la parité dans le versement. C'est pour cela que l'on a pensé à un groupe d'experts relativement restreint, qui viendraient avec des propositions, nous permettant ensuite de rédiger un projet de loi et d'entendre toutes les personnes concernées.
Je voudrais aussi dire que nos travaux peuvent réserver certaines surprises. Nous avons voté dernièrement le taux unique. Je n'étais pas d'accord et j'avais alors présenté un rapport de minorité. Depuis, nous avons souscrit au vote démocratique de la majorité, mais il faut bien reconnaître que le règlement d'application édicté par le Conseil d'Etat présente bien des surprises, puisqu'il demande un taux administratif de 5%, ce qui est pratiquement impossible pour les associations qui travaillent dans ce domaine. C'est pourquoi il me paraît important que cette motion soit discutée d'abord dans un petit comité, qui fasse des propositions concrètes, et qu'en ressorte ensuite un projet de loi qui sera mis en consultation. Voilà pourquoi nous n'avons pas souhaité avoir tous les intervenants du terrain.
Cela dit, je félicite la commission pour son travail, car il n'était pas évident, dans la tourmente de la fin de législature, de trouver un consensus pour proposer quelque chose de concret, de constructif, les autres sujets traités étant plutôt réactifs et combatifs.
M. Albert Rodrik (S). Ne nous laissons pas piéger, Mesdames et Messieurs, par les mots ! Le texte de la motion ne comporte pas le mot «expert». J'ai souligné exprès que le terme d'expert est peut-être «familier», mais il ne s'agit pas de cela. Il s'agit de ne pas recommencer, comme la dernière fois, un immense bateau de treize personnes, mais de réunir un petit groupe de gens qui, au jour le jour, savent en quoi consiste le fait de financer, de distribuer, d'avoir un système d'allocations familiales dont le financement est assuré et qui assure un certain progrès social. Un petit groupe de gens issus de ceux qui font ce travail au quotidien, parce que c'est toujours par les détails pratiques du quotidien que l'on se fait piéger. Deuxièmement, nous avons besoin d'un système que les protagonistes considèrent comme le leur, qui ne soit pas celui qu'un parlement anonyme et lointain leur a imposé. C'est de cela qu'il s'agit. Ce groupe de quatre ou cinq personnes, selon la volonté du Conseil d'Etat, peut entendre qui il veut, tous les milieux concernés. Mais il doit aboutir à quelque chose de juridiquement et pratiquement fiable, pour que nous ayons un débat politique tranquille, sans avoir peur de tout déglinguer avec nos affrontements politiques. J'adore l'affrontement politique si je suis sûr que la base de travail est factuellement, techniquement et juridiquement assurée. C'est de cela qu'il s'agit. Je vous demande donc instamment, au bout de dix-huit mois de travail, où nous nous sommes mis d'accord sur un texte, sur un ordre de mission au gouvernement, de ne pas proposer d'amendements ici, amendements qui, en réalité, ne concernent pas le texte qui vous est proposé. On peut entendre qui l'on veut, mais quatre ou cinq personnes qui ont l'expérience quotidienne de cette affaire doivent, via le Conseil d'Etat, nous envoyer un projet. C'est de cela qu'il s'agit.
Encore une fois, je demande instamment à mes amis de l'Alliance de gauche de ne pas amender le texte maintenant. Nous ferons le travail politique, nous réentendrons probablement toutes les personnes, en commission des affaires sociales, après les experts ou les gens de terrain, comme cela se fait d'habitude. Mais pour le moment, l'ordre de mission au Conseil d'Etat doit être clair, unanime. Je remercie d'avance Mme Blanchard-Queloz de ne pas entraver cette affaire.
Mme Martine Brunschwig Graf, conseillère d'Etat. J'assume ce soir la charge de suppléante de M. Segond, mais j'ai en même temps l'avantage d'avoir assisté à la dernière séance de la commission des affaires sociales qui traitait cette motion.
Lors de l'adoption de la loi sur les allocations familiales, je vous le rappelle, adoptée dans un grand mouvement de spontanéité par les députés, sans l'accord du Conseil d'Etat à l'époque, un certain nombre de dispositions ont été votées qui présentent aujourd'hui des effets pervers. C'est ainsi que le mélange entre les allocations familiales et les allocations de formation a malheureusement produit un certain nombre d'effets qui pèsent particulièrement sur les familles de la classe moyenne, ces familles sur lesquelles nombre de personnes s'appuient pour espérer que la politique familiale se développe. L'erreur de l'époque, vous avez bien voulu le reconnaître, Mesdames et Messieurs les députés, a été de ne pas écouter certaines personnes, y compris d'ailleurs le département de l'instruction publique qui n'a pas eu son mot à dire, mais qui a eu, en revanche, à appliquer la loi votée, non sans mal sur le plan technique et sur le plan des moyens.
Cette motion présente aujourd'hui un avantage important: elle essaye de régler des problèmes de nature technique, de les désenchevêtrer, comme il est dit dans les considérants. Ce travail doit être fait par les principaux intéressés. C'est la seule façon d'aboutir à un accord, à un consensus. Comme l'ont rappelé le député Rodrik et d'autres intervenants, vous pouvez auditionner qui vous voulez, mais l'important est d'arriver à quelque chose qui ne soit pas, vous excuserez le terme, l'usine à gaz qui s'est construite peu à peu et qui fait que nous n'avons pas, aujourd'hui, de vision claire, et qui produit des effets pervers qui pénalisent en fait les principales intéressées que sont les familles.
Je proposerais, Madame Blanchard-Queloz, que vous renonciez à cet amendement et que les experts s'inquiètent des principaux intéressés. En l'état, le Conseil d'Etat accepte bien volontiers cette motion, si vous êtes d'accord de la soutenir unanimement.
Mme Marie-Paule Blanchard-Queloz (AdG). Je retire volontiers cet amendement. Mais, dans mon enthousiasme, lorsque j'ai lu cette motion, je n'ai pas vraiment compris qu'il s'agissait de ce que M. Rodrik vient d'expliquer, c'est-à-dire un réaménagement interne d'allocations. Je me suis dit qu'il y avait enfin des gens qui voulaient un système cohérent, nouveau, excluant enfin les employeurs du financement, etc. Je retire donc volontiers mon amendement, mais je retire aussi mon enthousiasme !
Le président. L'amendement étant retiré, nous passons au vote de cette motion 1431.
Mise aux voix, la Motion 1431 est adoptée.