Séance du vendredi 21 septembre 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 11e session - 44e séance

R 446
16. Proposition de résolution de Mmes et MM. Michel Halpérin, Bernard Annen, Florian Barro, Jacques Béné, Janine Berberat, Pierre Ducrest, Jean-Pierre Gardiol, Janine Hagmann, Antonio Hodgers, René Koechlin, Geneviève Mottet-Durand, Olivier Vaucher, Pierre-Pascal Visseur, David Hiler, Jean Rémy Roulet, Jacques Fritz, Etienne Membrez et Myriam Lonfat pour exprimer à la population et au gouvernement des Etats-Unis d'Amérique la sympathie du Grand Conseil de la République et canton de Genève à l'occasion des attentats perpétrés le 11 septembre 2001. ( )R446

Les attaques perpétrées le 11 septembre contre les Etats-Unis d'Amérique ont bouleversé le monde entier par leur violence aveugle. On compte parmi les victimes de nombreuses personnes de différentes nationalités, y compris des Suisses. Les auteurs de l'attentat visaient cependant les Etats-Unis d'Amérique et en premier lieu les Américains eux-mêmes. Notre parlement se réunissant à quelques jours seulement de la survenance de ce drame peut, par l'adoption rapide de la résolution qui vous est ici proposée, marquer sa sensibilité et sa sympathie envers l'Amérique. C'est pourquoi les auteurs de cette proposition de résolution vous remercient de bien vouloir lui réserver, dans l'urgence, un accueil favorable.

Débat

La présidente. Monsieur Vanek, vous avez la parole...

M. Pierre Vanek (AdG). Madame la présidente, il me semblerait logique et conforme à nos usages que les auteurs de la résolution originale s'expriment en premier...

La présidente. Non, il a été prévu que les auteurs des amendements prennent la parole en premier...

M. Pierre Vanek. Bien, mais je regrette d'être forcé de brûler ainsi la politesse aux auteurs... Les députées et les députés qui ont présenté cette résolution ont eu raison de dire que nous sommes profondément émus par les attentats qui ont frappé New York et Washington le 11 septembre 2001 et qu'il convient que le Grand Conseil s'exprime sur cette question. Dans leur résolution, ces députés nous proposent d'exprimer collectivement notre sympathie à toutes les personnes que ces attentats ont touchées directement ou indirectement. En effet, il faut condamner sans équivoque cet acte de terrorisme aveugle, il faut exprimer sa sympathie et, plus clairement encore, «se solidariser avec les victimes de cette terreur aveugle» : c'est le premier amendement que je propose à cette assemblée.

Ensuite, les auteurs de la résolution disent qu'ils s'associent aux souffrances des personnes victimes ou touchées et adressent un message d'amicale solidarité à la population des Etats-Unis. J'appuie entièrement cette invite. Nous devons adresser un message de solidarité à la population, au peuple des Etats-Unis, qui a été profondément touché par un acte de guerre barbare et inacceptable, perpétré pour la première fois sur le territoire américain.

En revanche, là où nous divergeons complètement avec les auteurs de la résolution, c'est quand ils nous proposent d'étendre le message d'amicale solidarité aux autorités des USA, ce qui est tout autre chose. Aujourd'hui, les autorités des USA, le porte-parole des USA, c'est M. George Bush, qui s'exprime entre autres sur CNN dont le bandeau, ces jours, est : «America's new war». Or, nous ne pouvons pas accepter de nous aligner derrière un va-t-en-guerre comme Bush, qui est aujourd'hui en train de mener des préparatifs militaires et politiques pour une opération armée à grande échelle. On pourrait faire le bilan, mais je n'en ai pas le temps, des interventions militaires des Etats-Unis sur le plan international. Pour ne prendre qu'un exemple, je citerai cet acte de terrorisme d'Etat manifeste qu'a été le bombardement d'une usine de médicaments au Soudan en 1998. Je n'ouvrirai pas ce débat-là, mais je dirai simplement qu'au moment où je vous parle, alors que des bombes ou des missiles américains sont peut-être déjà en train de tomber et de tuer des civils innocents, nous ne pouvons pas nous solidariser avec les autorités des Etats-Unis et avec M. George Bush en particulier. Nous ne pouvons pas nous associer à ce type de réaction répressive, violente, belliciste, dont feront les frais, en dernière instance, non pas les responsables de l'attentat du 11 septembre, mais encore une fois des populations civiles innocentes, par exemple celles qui sont déjà sur les routes, par anticipation, fuyant Kaboul et autres régions d'Afghanistan, dans des conditions de misère et de détresse humaines effroyables.

Voilà pourquoi, Mesdames et Messieurs, nous vous proposons une quatrième invite disant que ce Grand Conseil «condamne et refuse de s'associer à toute réaction violente et belliciste dont des populations innocentes payeraient encore une fois le prix» - car la liste de ce genre de cas est longue et nous n'avons aucune excuse pour ne pas nous prononcer pour la paix et contre les aventures guerrières.

Maintenant, et j'en conclus par là, nous proposons une troisième invite qui cherche - bien qu'en trois lignes ce soit difficile - à exprimer la chose suivante. Le problème de cette spirale de violence et de terreur qui s'étend au monde, de cette terreur mondialisée, n'a pas débuté le 11 septembre 2001 : ce problème prend racine à l'échelle planétaire dans un ordre mondial injuste et de plus en plus inégal et pour le résoudre, pour prendre ce mal à la racine, il faut, loin des solutions militaires, bellicistes, répressives, «lutter pour la justice globale» - c'est le texte de notre invite - «ce qui suppose la reconnaissance universelle du droit à l'alimentation, au logement, aux soins médicaux, à l'éducation et au travail pour toutes et tous, ainsi que le respect des libertés fondamentales et des grands équilibres écologiques», tous aspects dont nous avons déjà parlé dans cette enceinte et qu'il y a lieu de réaffirmer avec force aujourd'hui.

Voilà la position de fond que nous vous proposons d'exprimer. Si nous ne le faisons pas, si nous nous encolonnons simplement derrière le cow-boy Bush et ses discours d'appel à une nouvelle croisade sous ses ordres, que je ne commenterai même pas, nous fermons les yeux sur la réalité des causes de cette spirale de violence à l'échelle internationale, à laquelle nous pouvons et devons essayer, très modestement dans ce parlement, de contribuer à mettre un terme. Ces violences prennent leurs racines dans l'injustice à l'échelle mondiale et ce sont les droits de l'homme et la justice évoqués dans cette résolution pour lesquels nous devons voter.

Encore une fois, condamner les attentats, se solidariser avec les victimes, analyser, de manière même élémentaire, leurs causes et refuser les solutions militaires, voilà ce que propose notre amendement à cette résolution 446. Notre parlement et ses membres se déshonoreraient en suivant une autre voie !

M. Michel Halpérin (L). Mesdames et Messieurs les députés, il n'aura échappé à personne que la résolution qu'avec le député Koechlin, la députée Hagmann, Mme Berberat, M. Béné, M. Roulet, Mme Spoerri, M. Vaucher, M. Gardiol, mais aussi M. Hiler et M. Hodgers, nous avons soumise à vos suffrages est une résolution dont les termes ont été choisis pour être totalement dépolitisés. Nous avons pensé, en rédigeant ce texte, qu'il était nécessaire, alors que les Etats-Unis d'Amérique avaient été l'objet de cette attaque, massive, incroyablement destructrice et visant à la fois des institutions à caractère privé et des institutions à caractère étatique, qu'il était nécessaire, disais-je, que notre parlement, comme il l'a fait hier en se levant pour une minute de silence, exprime tout simplement sa sympathie avec les victimes. Victimes dont je rappelle d'ailleurs qu'elles ne sont pas qu'Américaines, puisqu'il y en a de Suisse, même de Genève, y compris tout près de nous, dans cette salle...

Je pensais que ce parlement n'aurait pas de difficulté à adopter ce texte tel qu'il était, sans débat. Je pensais que c'était une manière explicite de dire ce que nous avions dit hier en nous taisant, une façon d'adresser un message d'amitié et de sympathie aux Américains, à ceux qui ont été touchés directement, à ceux qui ont été touchés indirectement, à tous les autres qui, comme nous, sont hébétés par cette violence massive, incroyable, qui frappe ainsi un pays, mais aussi toute une civilisation. J'étais convaincu que ce texte était tellement simple, tellement dépourvu de toute incitation à une réflexion polémique qu'il serait adopté d'emblée, sans discussion.

Et j'ai été stupéfait du texte qui nous a été proposé par l'Alliance de gauche et qui vient d'être défendu à l'instant par M. Vanek, parce qu'il fait exactement le contraire. C'est-à-dire qu'au lieu de se taire dans le désespoir et l'incompréhension, voilà qu'on nous propose des amendements qui n'ont rien de bénin. On nous explique qu'il faut dire à la population américaine notre sympathie, mais qu'il ne faut pas l'exprimer aux autorités américaines. Quoi ? Le parlement de Genève ne peut pas s'adresser au parlement des Etats-Unis, à la Cour suprême des Etats-Unis, au gouvernement des Etats-Unis, qui sont visés - vous savez que le quatrième avion était destiné à la Maison Blanche ? On ne le peut pas parce que M. Vanek n'aime pas le président Bush ? Mais qui a besoin d'aimer le président Bush pour adresser aux autorités américaines un message de compassion et d'amitié ? Personne!

On nous dit aussi qu'il ne faut pas s'associer aux manifestations bellicistes : le texte de notre résolution propose-t-il de s'associer aux manifestations bellicistes ? On nous dit qu'il faut profiter de cette occasion pour affirmer... quoi au juste ? un de ces sempiternels programmes politiques sur la terreur mondialisée, une invite qui ouvre des horizons inouïs sur la justice globale, qui tient de l'évangile et du programme politique comme de nos aspirations à tous, me semble-t-il, et qui finit sur les libertés fondamentales et les équilibres écologiques... On a tout mis en une phrase, pour transformer un message de sympathie et de deuil, des condoléances, en un programme politique!

J'ajoute qu'on l'a fait à mauvais escient. En effet, s'il y a de nombreux attentats à travers le monde qui traduisent le désespoir de leurs auteurs, la misère, la détresse profonde dans laquelle ils se trouvent, nous savons, nous qui nous intéressons, semble-t-il, de plus près à l'actualité que les auteurs de l'amendement, nous savons que les responsables de cet attentat-là ne relèvent pas de cette catégorie. Ceux qui ont commis ces attentats sont des bourgeois disposant de moyens que nous savons considérables puisqu'ils ont pu les mettre en oeuvre à cette fin-là, des gens qui ont des vies confortables, qui ne sont pas acculés au désespoir et qui ne se sont pas engagés dans un combat du tiers monde contre les nantis, mais dans un débat où ils opposent leur culture - par excès, par explosion de la vision de leur propre culture - à celle d'une autre partie du monde.

Pour ma part, je n'ai pas voulu, dans mon projet de résolution, profiter de l'occasion ne serait-ce que pour condamner le fanatisme, alors que je suis bien convaincu que, dans cette salle, personne n'est favorable au fanatisme... J'ai pensé qu'il n'était pas nécessaire d'avoir de la culture politique, ou de la culture tout court, pour s'abstenir, au moment du chagrin et de la pitié, de transformer en une pitrerie ce qui était un mouvement de deuil collectif. Mesdames et Messieurs les députés, je vous demande avec humilité de voter le texte de la résolution telle qu'il est, dans sa simplicité amicale et sympathique, et de rejeter cet amendement qui déshonore ses auteurs comme il déshonorerait probablement ceux qui éprouveraient le besoin de le soutenir.

La présidente. Selon ce qui a été décidé, puisque des victimes sont encore sous les décombres et qu'il n'est pas l'heure de faire un débat politique - ce débat peut avoir lieu ultérieurement, mais pas aujourd'hui et à cette occasion - je mets aux voix les propositions d'amendement... (La présidente est interpellée.) Non, Madame la députée, nous avons dit que la résolution et l'amendement seraient développés par une seule personne et qu'ensuite nous passerions au vote...

Je mets aux voix l'amendement proposant de modifier la première invite comme suit :

«- se solidarise avec les victimes de la terreur aveugle aux Etats-Unis et exprime sa sympathie à toutes les personnes que ces attentats ont touchées directement ou indirectement;»

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Cet amendement est rejeté.

La présidente. A la deuxième invite, l'amendement propose de supprimer la mention «aux autorités» :

«- s'associe à leurs souffrances et adresse un message d'amicale solidarité à la population des Etats-Unis;»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

La présidente. L'amendement propose une troisième et nouvelle invite qui dit :

«- affirme que pour sortir de la terreur mondialisée et de la spirale de la violence, il faut lutter pour la justice globale, ce qui suppose la reconnaissance universelle du droit à l'alimentation, au logement, aux soins médicaux, à l'éducation et au travail pour toutes et tous, ainsi que le respect des libertés fondamentales et des équilibres écologiques;»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

La présidente. Enfin, la dernière proposition d'amendement consiste en une quatrième et nouvelle invite :

«- condamne et refuse de s'associer à toute réaction violente et belliciste dont des populations innocentes payeraient encore une fois le prix.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté.

Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée à l'ambassade des Etats-Unis à Berne.

Elle est ainsi conçue :

Résolution

(446)