Séance du jeudi 30 août 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 10e session - 39e séance

M 1412
7. Proposition de motion de Mmes et MM. Nelly Guichard, Luc Barthassat, Claude Blanc, Hubert Dethurens, Henri Duvillard, Pierre Marti, Etienne Membrez, Michel Parrat, Catherine Passaplan, Pierre-Louis Portier et Stéphanie Ruegsegger demandant la création d'un fonds cantonal destiné à faciliter (sous conditions) la reconversion des exploitations agricoles conventionnelles désireuses de passer à un mode de culture biologique. ( )M1412

Si la politique agricole fait partie des thèmes récurrents traités par la classe politique, la maladie de la vache folle - et plus récemment la fièvre aphteuse - ont hélas largement contribué à l'installer sur le devant de la scène dans le long terme.

Toujours présente, mais jamais immobile, l'agriculture a vécu en constante évolution tout au long de son histoire. Le rythme de ses mutations s'est toutefois singulièrement accéléré depuis quelques années. C'est notamment le cas en Suisse, où ce domaine d'activité a passé d'un statut subventionné et très protégé à celui d'un secteur soumis lui aussi aux conditions de l'offre et de la demande, bref à l'économie de marché.

La transition ne s'est pas faite sans douleurs, tant les conditions-cadres se sont drastiquement modifiées. Les agriculteurs d'aujourd'hui sont confrontés à une problématique qui n'a plus grand-chose à voir avec celle de leurs prédécesseurs.

Ils doivent en effet relever de nombreux défis, dont certains revêtent une importance cruciale pour l'avenir de leur profession : d'une part, les exploitations doivent s'engager à respecter tant l'environnement que les animaux, tout en étant économiquement rentables. D'autre part, elles doivent produire de façon à répondre aux désirs des consommateurs soucieux de trouver des aliments simultanément bon marché et de qualité.

La stratégie appliquée par l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) en matière d'environnement trouve son origine dans l'article constitutionnel adopté par le peuple suisse le 9 juin 1999 (art. 104 Cst fédérale).

Ce texte, qui consacre la multifonctionnalité de l'agriculture, donne également un signal clair pour que celle-ci soit dorénavant plus orientée vers l'écologie et donc plus soucieuse de l'environnement au sens large du terme.

Les compétences de la Confédération en la matière sont les suivantes :

compléter le revenu paysan par des paiements directs pour rémunérer les prestations fournies, selon des critères écologiques spécifiés ;

encourager les formes d'exploitations respectueuses de la nature, de l'environnement et des animaux, au moyen d'incitations économiquement rentables ;

protéger l'environnement contre les atteintes liées à l'utilisation abusive de produits chimiques et auxiliaires divers.

Les agriculteurs satisfaisant aux conditions édictées dans l'Ordonnance sur les paiements directs peuvent ainsi obtenir le versement de ceux-ci, en échange de la fourniture d'un certain nombre de prestations, comme par exemple :

assurer l'approvisionnement de la population ;

conserver et/ou utiliser les ressources naturelles dans la perspective d'un développement durable ;

entretenir les paysages ruraux et occuper le territoire de manière décentralisée ;

élever des animaux selon un mode de garde respectueux de l'espèce ;

instaurer des compensations écologiques ;

sélectionner et/ou utiliser de manière ciblée les produits de traitements nécessaires à la production des plantes.

D'une manière générale, l'introduction de paiements directs liés à des prestations écologiques semble avoir entraîné une augmentation générale de l'efficacité dans les exploitations... même si elle a aussi eu pour corollaire une inflation du travail administratif et de la paperasserie.

Les terres productives occupent 68 % du territoire suisse. En 1998, approximativement 80 % des surfaces agricoles utiles étaient exploitées en production intégrée « contre » 8 % selon les méthodes de l'agriculture biologique.

Rappelons brièvement les principales différences existant entre ces deux écoles.

La PI se situe dans une voie médiane entre l'agriculture conventionnelle et l'agriculture biologique. Globalement, elle cherche à agir selon le principe suivant : utiliser aussi peu d'agents de production que possible, mais autant que nécessaire.

Lorsqu'un apport extérieur s'avère indispensable, l'agriculteur n'aura ainsi recours qu'à des produits qui se dégradent rapidement, et le plus parcimonieusement possible.

Signalons au passage qu'avec l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'agriculture (1999), la PI est d'ailleurs devenue une norme agricole standard, norme dont le respect est essentiel pour obtenir les contributions et paiements directs évoqués plus haut.

D'après les statistiques, près de 5'300 exploitations agricoles étaient converties au « bio » en 1999 (soit un peu moins de 10 % au total ), dont environ 500 en Suisse romande.

Ces exploitations obéissent à trois principes fondamentaux :

un cycle fermé des éléments nutritifs ;

des techniques de traitement douces contre les parasites, champignons et mauvaises herbes, afin de ménager autant que faire se peut les ressources naturelles impliquées dans l'exploitation ;

un élevage le plus naturel possible.

Né en 1981, le Bourgeon est l'emblème créé par l'Association suisse des organisations agricoles biologiques (ASOAB) ; celle-ci regroupe aujourd'hui plus de 30 organisations bio sur le plan national, soit près de 5'300 exploitations.

Pour pouvoir se prévaloir de ce label bio, les exploitations doivent respecter un cahier des charges extrêmement strict et des exigences très sévères.  En principe, le Bourgeon garantit aux consommateurs une biodiversité naturelle dans les fermes bio, un élevage respectueux des animaux, l'abandon de traitements chimiques, ainsi que la transformation soigneuse des denrées alimentaires.

Le rendement des cultures bio est inférieur à celui de l'agriculture conventionnelle de 20 à 40 %, mais leur qualité justifie, selon les consommateurs, un niveau de prix pouvant aller de 15 à 50 % au-delà des prix du marché. A titre d'information, le chiffre d'affaires du bio a atteint 656 mios en 1999 !

Née avec la maladie de la vache folle - puis encore accentuée par la récente épidémie de fièvre aphteuse - la fracture est profonde entre producteurs et consommateurs. Ces derniers marquent désormais une nette préférence pour les produits bio, avec pour conséquence une inflation considérable de la demande en la matière.

Cette nette croissance incite de plus en plus d'exploitations à franchir le pas et à s'engager dans la voie de l'agriculture biologique. Mais la conversion est loin d'être aisée.

Le principal écueil demeure le volet financier. Il faut en effet savoir qu'une exploitation qui veut se convertir à la culture biologique doit observer un délai « de latence » de deux ans. Pendant ce laps de temps, elle devra produire selon les normes bio, sans pouvoir pour autant faire usage de ce label pour vendre les marchandises. Le manque à gagner qui résulte de cette période transitoire est tel qu'il peut constituer un frein sérieux, voire dissuader les agriculteurs intéressés d'entreprendre la démarche.

Lors d'un récent débat, le Grand Conseil a fait inscrire dans le Concept cantonal de la protection de l'environnement une formule consistant à « promouvoir une agriculture plus respectueuse de l'environnement », renonçant au passage à lui adjoindre la notion de compétitivité.

Aujourd'hui, il convient de prendre toutes les mesures nécessaires afin d'appliquer les principes contenus dans ce concept. C'est bien là le but de la présente motion : en créant un fonds cantonal destiné à faciliter la reconversion des exploitations agricoles, il serait ainsi possible d'apporter une aide ponctuelle - sous conditions bien entendu - aux exploitations pendant leur statut « intermédiaire », leur permettant ainsi de limiter le manque occasionné par le changement de régime.

La réorganisation sur le plan pratique ne va pas non plus sans peine, dans la mesure où il est très compliqué - pour ne pas dire tout simplement impossible - de transformer en une fois une exploitation afin de la mettre en conformité avec les prescriptions de l'agriculture biologique. La tâche s'avère particulièrement difficile lorsque l'exploitation comporte plusieurs types de culture différents, par exemple des vignes et des grandes cultures ou de l'élevage et des fruitiers.

La loi fédérale sur l'agriculture a bien édicté quelques principes sur la possibilité de créer des désignations pour les produits agricoles - selon leur origine ou leur mode de culture - mais ceux-ci restent peu précis. C'est donc dans l'ordonnance sur l'agriculture biologique et la désignation des produits et des denrées alimentaires biologiques (Ordonnance sur l'agriculture biologique du 22 septembre 1997) que l'on trouve des indications plus précises sur le sujet qui nous occupe, en particulier en ses articles 6 et 7.

Pour être complet, il faut encore citer l'article 9 de la même ordonnance:

L'OFAG peut donc, sous certaines conditions, autoriser une reconversion par étape pour certaines exploitations. Celles-ci doivent cependant démontrer auparavant que la reconversion complète et immédiate ne peut être raisonnablement exigée.

On peut ainsi en déduire qu'il est possible, d'un point de vue légal, de pratiquer aujourd'hui la PI sur les grandes cultures et le bio sur la vigne (jusqu'en 2006) ou l'inverse.

Un problème majeur demeure toutefois : les labels bio porteurs actuellement - le Bourgeon en particulier - exigent la production biologique sur l'ensemble de l'exploitation. En d'autres termes, la loi autorise bel et bien l'utilisation du terme biologique pour la production citée plus haut, il n'y a pas pas pour autant de marchés pour ces produits non labelisables... C'est la quadrature du cercle !

Avant de conclure, il convient encore d'attirer l'attention sur un autre phénomène, qui contribue lui aussi à la complexité régnant dans le domaine de l'agriculture biologique.

Les produits « bio » importés sont-ils vraiment compatibles avec les normes édictées en Suisse, par exemple avec l'exigence d'une exploitation 100 % biologique ? On peut très sérieusement en douter, dans la mesure où des professionnels de l'agriculture tels que les membres de l'AGCETA confirment que, en Europe, le bio parcellaire est autorisé et certifié ! En d'autres termes, un produit certifié « Nature & Progrès » ou « Ecocert » français est un produit issu d'une entreprise qui n'a pas forcément toutes ses cultures en culture biologique.

L'Association des organisations agricoles biologiques mentionnée plus haut assure apposer son label sur les produits importés et commercialisés en Suisse uniquement si leurs conditions de production répondent aux mêmes exigences que son propre cahier des charges pour la Suisse.

Sans mettre en doute la bonne foi de cette association, on peut toutefois sérieusement s'interroger sur l'efficacité de cette politique, en particulier lorsque les produits viennent de régions éloignées d'Europe, où les contrôles sont pour le moins rares, voire franchement inexistants.

Cette différence de traitement manifeste place l'agriculteur bio suisse dans une position inéquitable, en faussant les conditions de concurrence.

Afin de mettre tous les producteurs sur un pied d'égalité, le Conseil d'Etat pourrait intervenir auprès du Conseil fédéral, pour l'inciter à établir un cahier des charges de la production bio qui soit compatible à celui en vigueur au sein de l'Union européenne.

Au vu de l'importance que revêt aujourd'hui l'agriculture biologique pour les consommateurs - c'est-à-dire, vous, nous, tous les citoyens - et de l'enjeu que représente la transition plus généralisée vers une agriculture biologique sur le plan de la santé publique, nous vous remercions de faire bon accueil à notre projet de motion et de la renvoyer au Conseil d'Etat.

Débat

M. Hubert Dethurens (PDC). Cette motion n'a pas la prétention de vouloir régler le problème de la malbouffe même si ce dernier est aujourd'hui ressenti comme crucial par la population. Les épisodes tels que la crise de la vache folle, le poulet aux hormones ou la fièvre aphteuse ont encore contribué à accroître cette tendance. Si cette inquiétude est tout à fait naturelle et compréhensible, il faut cependant savoir qu'en Suisse l'agriculture est déjà soumise à des règles très strictes, certainement parmi les plus contraignantes au monde. De plus, une large partie de la production agricole suisse obéit aux conditions prévues par la production intégrée. Comparée aux méthodes qui étaient celles de l'agriculture traditionnelle il y a peu de temps encore la production intégrée produit aujourd'hui des biens d'une qualité très proche, voire supérieure pour certains produits, à celle prônée par l'agriculture biologique. Néanmoins, une partie non négligeable de la population s'est dirigée, ces dernières années, vers des produits bio. Pour répondre à cette demande toujours croissante, les agriculteurs s'interrogent sur l'opportunité de convertir leur exploitation au biologique. Parmi eux, on trouve notamment ceux dont les domaines ne sont plus assez grands pour perdurer.

Mais, car il y a un mais, la conversion à l'agriculture bio ressemble fort à un parcours du combattant. Outre un nombre incalculable de solutions à trouver sur le plan de l'organisation, il faut aussi se rendre compte que le virage est très délicat à négocier sur le plan financier. Lorsqu'il se convertit au bio, l'agriculteur doit attendre deux ans avant de pouvoir écouler ses produits sous un label. Vous imaginez aisément l'impact de cette mesure pour la trésorerie de l'exploitation. Les frais augmentent, mais les prix attendent deux ans pour s'adapter. La première invite de cette motion vise donc à faciliter cette transition. La seconde invite pose le problème de la traçabilité des produits qui doit assurer que tous les produits bio vendus en Suisse, quelle que soit leur origine, correspondent à leur étiquetage.

J'aimerais ajouter maintenant quelque chose concernant le département de M. Cramer. Il semble que, lors du renouvellement du bail d'une ferme de l'Etat, un agriculteur s'est vu imposer, comme condition au renouvellement de son bail, la conversion à l'agriculture biologique. Or, le fonctionnaire qui lui a signifié cette condition s'est appuyé sur cette motion pour le faire. Eh bien, ce fonctionnaire n'a pas dû lire la motion, car celle-ci n'est en aucun cas contraignante, elle est incitative. En outre, il est inacceptable qu'un petit chef, j'ignore d'ailleurs si c'en est un, qui ne dépend même pas du service de l'agriculture, mais de celui de la faune, se permette d'écrire à un exploitant agricole que la condition de reconduction du bail est la conversion à l'agriculture bio. Monsieur Cramer, je pense que vous avez compris le sens de la motion, elle est incitative et non pas contraignante. Je crois que vous devez faire passer le message au service de l'agriculture qui n'a pas dû la lire. Cette situation m'étonne.

Cela dit, Mesdames et Messieurs, j'espère que vous réserverez un bon accueil à cette motion et je demande qu'elle soit renvoyée directement au Conseil d'Etat.

M. Jean-Claude Dessuet (L). Mesdames et Messieurs, cette motion voudrait faire oublier les efforts des agriculteurs genevois et suisses lors de la mise en place de la production intégrée. Dans les exigences PER, il y a des surfaces de compensations écologiques qui s'appellent SCE. Si l'on considère le cahier des charges qu'elle s'impose, on peut dire que l'agriculture genevoise et suisse est très en avance sur celle des autres pays en matière de protection de l'environnement.

En ce qui concerne la production bio, il ne faudrait pas faire croire que cette manière de produire va nourrir le monde, dont une partie n'a pas de quoi manger à sa faim. Vous faites allusion à la vache folle et à la fièvre aphteuse. Croyez-vous vraiment que ces épidémies ont fait baisser les prix de la viande ? Certes elles ont peut-être eu un rôle, mais elles ont surtout contribué à la baisse soutenue et voulue par la politique fédérale et mondiale. Donc, si cette motion a pour effet à court terme d'aider les agriculteurs à transformer leur production dans l'intérêt d'une certaine catégorie de consommateurs, elle permettra surtout au producteur de vendre ses produits 15% plus cher que son collègue. Il ne faut donc pas oublier que la volonté au niveau mondial de libéraliser le marché va mettre en concurrence tous les agriculteurs du monde avec des prix à la baisse.

J'ai personnellement étudié en 1995 la transformation de mon exploitation. Le cahier des charges ne me permettait pas de transformer qu'une partie de l'exploitation, alors qu'une conversion aurait été possible pour l'élevage, moyennant un investissement important. Néanmoins, je crois que cette motion revient à mettre la charrue devant les boeufs. Il y a actuellement un viticulteur bio qui a de gros problèmes - on en parle beaucoup dans les journaux d'ailleurs - et qui a dû liquider plusieurs milliers de litres à 80 centimes. On voit bien qu'il n'est pas facile pour un producteur de vendre sa production. C'est pourquoi je crois que l'on doit réellement étudier une telle motion. La question du financement est une chose : aider les agriculteurs à se transformer en est une autre. Pour toutes ces raisons, je crois que l'intérêt pour les agriculteurs n'est pas de savoir combien ils vont toucher pour se convertir, mais qu'on leur permette de trouver des solutions pour adapter le cahier des charges à leur exploitation. Je pense qu'il faut l'étudier en commission certes, mais en commission de l'environnement et de l'agriculture. C'est là que l'on parviendra à aider les agriculteurs à mettre en place une certaine production.

Je pense donc que cette motion doit être prise au sérieux et envoyée à la commission de l'environnement et de l'agriculture. Il faudra ensuite étudier le cahier des charges des exploitations bio, faire venir des responsables et des producteurs qui sont déjà passés au bio et ensuite seulement voter un crédit.

M. Alain Etienne (S). Le PDC nous a habitués à ce genre de proposition de motion, notamment en cette période électorale... (L'orateur est interpellé.) J'aimerais cependant faire remarquer que le souci exprimé par le groupe PDC est déjà celui du Conseil d'Etat et de notre parlement. Nous avons déjà eu l'occasion de nous prononcer sur l'aide à l'agriculture biologique lors du vote sur le concept cantonal de protection de l'environnement, au chapitre «reconversion d'exploitations», précisément à la page 131 du document. Je me souviens aussi du débat que nous avons eu à ce sujet en commission de l'environnement, et de la position prise par le député John Dupraz qui considérait l'agriculture bio comme une forme de secte. Je ne sais pas si le groupe PDC a consulté John Dupraz pour la rédaction de cette motion, mais en tout cas les avis sont divergents au sein de l'Entente.

Par ailleurs, on peut se demander si la multiplication des fonds est une bonne chose pour une gestion efficace du budget de l'Etat. Il y a un fonds que nous aurions pu avoir, c'est celui sur les plus-values foncières qui aurait pu aider les jeunes agriculteurs au démarrage. Ce fonds, le PDC n'en a pas voulu à l'époque. Le groupe socialiste est donc plutôt favorable au renvoi de cette motion en commission, car nous voulons approfondir le sujet.

Mme Morgane Gauthier (Ve). Cette motion va dans le sens que les Verts ont toujours défendu. Nous nous sommes toujours prononcés en faveur d'une agriculture plus respectueuse de l'environnement et des animaux. Non seulement parce qu'aujourd'hui les consommateurs ne croient plus en l'agriculture traditionnelle, mais aussi parce que le mode de production bio ne se limite pas à une technique agricole : il s'agit aussi d'une philosophie. Ce mode de production permet de mieux respecter nos nappes phréatiques, notre air et notre sol qui est un des capitaux les plus précieux. Les invites nous semblent assez intéressantes car elles encouragent les agriculteurs à modifier leur mode de production. Quoi qu'il en soit, n'importe quel agriculteur doit être soutenu lors de son passage à la production biologique. Les Verts soutiennent donc cette motion et son renvoi au Conseil d'Etat.

Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). Je dirai tout de même quelques mots, car il est évident que si j'avais vu passer cette motion je l'aurais signée. Je suis membre des Jardins de Cocagne depuis maintenant quinze ans. Les Jardins de Cocagne sont une coopérative qui possède plusieurs terrains et qui produit selon le mode biologique. Ces terrains fonctionnent de la façon suivante : en fonction des parts que l'on possède, on participe aux travaux agricoles et à la distribution des produits. Nous consommons des produits bio au prix du marché non bio car les jardiniers ne sont pas trop exigeants et ont un tout petit salaire. Nous pouvons influencer la production et intervenir sur les choix. Une année par exemple on a eu des haricots assez filandreux : j'ai demandé qu'ils soient changés.

Je suis favorable à l'agriculture biologique depuis au moins vingt ou vingt-cinq ans. je consomme des produits bio depuis autant d'années. Bien sûr, à l'époque c'était plus difficile que maintenant parce que les produits bio sont vendus plus cher en raison de leur bref temps de conservation. Cela dit, ce serait un peu court que d'envoyer cette motion directement au Conseil d'Etat : elle mérite d'être étudiée en commission. Au point de vue financier, il est clair qu'une conversion à l'agriculture biologique ne va pas sans poser quelques problèmes. L'idée de soutenir les agriculteurs est donc intéressante.

Aujourd'hui, les gens se tournent effectivement vers l'agriculture biologique parce qu'ils n'ont plus confiance. Pourtant, à l'origine il était difficile de les persuader, en particulier pour des raisons esthétiques : lorsque les consommatrices - puisque nous les femmes, en cuisinant, sommes les garantes de la santé familiale - voyaient des pommes ridées, flétries ou des pommes golden toutes petites et d'un jaune très foncé, elles ne comprenaient pas pourquoi il aurait fallu payer plus cher et acheter des produits moins beaux, moins attirants.

S'agissant de la production de bétail dans des conditions plus vivables, je pense que c'est une bonne chose. Vous n'ignorez sans doute pas qu'autrefois on transportait des chevaux en leur cassant les pattes pour les empêcher de bouger, par exemple. Beaucoup de souffrances ont été infligées aux animaux. Je voudrais enfin attirer votre attention sur le fait qu'il faut seize kilos de céréales pour faire un kilo de viande. J'aime la viande, mais c'est donc pour des raisons philosophiques et parce que je pense que c'est meilleur pour la santé que je suis végétarienne. C'étaient là quelques réflexions que je voulais vous livrer.

M. John Dupraz (R). Je dois dire que j'ai étudié cette motion avec une grande attention et tout d'abord je voudrais remercier M. Etienne de prêter autant d'attention à mes propos et à mes interventions. Vous devriez faire plus souvent référence aux radicaux, vous feriez sans doute moins de bêtises en politique... (L'orateur est interpellé.) Je ne parlais pas de M. Ramseyer, bien entendu.

Cela dit, il faut replacer dans son contexte la culture dite biologique. Les produits biologiques en Allemagne et en France représentent 2% du marché. En Suisse, ces produits occupent entre 5 et 7% du marché et on espère atteindre 10%. Cela signifie que c'est un marché très étroit qui restera une niche et je me demande si c'est vraiment une bonne idée que l'Etat, à coup de subventions ou d'aides, engage les agriculteurs à se convertir à ce mode de production. J'attends par exemple que les auteurs de cette motion se lancent eux-mêmes dans cette voie, comme je l'ai fait pour les énergies renouvelables en construisant une centrale photovoltaïque. Mesdames et Messieurs, nous ne nous opposerons pas à cette motion, mais un exemple récent nous montre qu'elle comporte quelques dangers. Vous avez pu voir les interventions fort à propos de M. Crettegny concernant la situation viticole. Or, précisément, cet agriculteur fait de la production biologique et il ne parvient pas à vendre son vin. Si le bio était vraiment la solution, lui aurait dû vendre son vin tandis que ses collègues non. C'est là un exemple concret.

Je voudrais ensuite émettre quelques réserves, pour ne pas dire plus, quant à la culture biologique. Le cahier des charges recommande l'utilisation de produits qui sont prohibés ou largement réglementés et limités en prestation écologique requise. Par exemple, les métaux lourds comme le cuivre... (L'orateur est interpellé par M. Blanc.) Bon, voilà le dinosaure qui arrive! Comme modèle bio, c'est le plus beau des modèles! (Rires.) Voilà soixante ans qu'il mange de la vache folle et vous voyez où il en est...

J'ai donc quelques réserves concernant cette motion, quant à l'opportunité de créer un fonds, quant aux conditions du marché qui reste très limité et quant à certaines méthodes préconisées par le bio qui sont contraires à ce que nous faisons en prestation écologique requise. Nous ne nous opposons donc pas au renvoi en commission, bien au contraire, nous serons heureux de participer au débat. Toutefois, s'il faut créer un fonds, nous souhaiterions que la commission des finances donne son avis.

M. Hubert Dethurens (PDC). Je souhaite seulement répondre à M. Dupraz. Je ne pense pas que le vin de M. Crettegny peine à trouver des acheteurs parce qu'il est bio. Il y a sans doute d'autres raisons. En matière de viticulture, s'il suffisait de ne pas être bio pour vendre, je crois qu'on n'aurait aucun problème en Suisse.

S'agissant du concept de l'environnement qu'a brièvement évoqué M. Etienne, je crois que nous nous étions achoppés sur un terme : la compétitivité. Je regrette que nous n'ayons pas pu adopter ce concept à l'unanimité à cause de ce terme. La compétitivité n'est pas inconciliable avec l'agriculture biologique. Une agriculture biologique doit être compétitive. Autrement, et sur ce point je rejoins M. Dupraz, si elle n'est pas compétitive, elle n'a plus lieu d'exister. Elle n'existera pas uniquement grâce à la philosophie.

Nous ne nous opposerons pas au renvoi de cette motion en commission : en commission ou au Conseil d'Etat, c'est équivalent pour nous.

Mme Myriam Sormanni-Lonfat (HP). J'ai oublié une petite chose dans mon intervention. S'agissant du développement durable auquel on attache beaucoup d'importance, il est évident que soit l'agriculture biologique, soit l'agriculture intégrée, soit l'agriculture biodynamique, qui consiste à planter les fruits et légumes en fonction des lunaisons, est un point positif. Malheureusement - j'y viens puisque quelqu'un y a fait allusion - en France, où il y a une loi anti-sectes, tout ce qui est médecines naturelles, traitements parallèles ainsi que l'agriculture biologique est bel et bien considéré comme pratiques sectaires.

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat, vous le savez - et le concept cantonal de l'environnement a été rappelé à cet égard - adhère aux propositions qui sont développées dans cette motion. C'est donc dire que nous y donnerons suite, soit que vous préfériez tout d'abord l'envoyer en commission pour en approfondir encore les termes, soit que vous décidiez maintenant de la renvoyer directement au Conseil d'Etat.

Je préciserai seulement, au cas où vous souhaiteriez renvoyer cette motion directement au Conseil d'Etat, que pour ma part je comprends les mots «créer un fonds cantonal» comme mettre en oeuvre des aides. C'est-à-dire que je n'entends pas cela comme étant, au point de vue technique, la création d'un nouveau fonds. Dans ce cas-là, j'aurais quelques difficultés avec ma collègue en charge du département des finances. Vous savez que les fonds ont plutôt mauvaise réputation auprès de ce département. Si M. Dethurens insiste pour que l'on crée effectivement un fonds, il faudrait peut-être qu'il intervienne à nouveau pour le dire. S'il n'intervient pas, je partirai de l'idée que ce qui est demandé, c'est de créer des aides, sous une forme ou sous une autre, et de vous faire rapport sur les aides qui pourraient être instituées.

Je tiens à ajouter que de telles aides évidemment impliquent, et cela est essentiel, le volontariat des agriculteurs ou des agricultrices qui souhaitent s'engager dans une perspective de production biologique. Il n'est pas possible de l'imposer. Et s'il est exact que, dans les discussions qui ont eu lieu récemment au sujet du renouvellement d'un contrat de bail pour une parcelle propriété de l'Etat, la question de la production biologique a été évoquée - peut-être de façon un peu maladroite - vous savez aussi que tout cela est rentré dans l'ordre, parce qu'encore une fois, et je tiens à le dire avec force, une telle démarche implique le volontariat. On ne fait pas de bonne agriculture biologique sous la contrainte puisque cela exige un très fort investissement des agriculteurs qui se lancent dans cette voie. C'est dans cet esprit que le Conseil d'Etat est prêt à donner suite à cette proposition de motion.

M. John Dupraz (R). Je me permets d'intervenir sur la réponse que M. Cramer a donnée à M. Dethurens concernant une question bien précise de ce dernier. En effet, un des collaborateurs du département, qui n'est pas du service de l'agriculture mais du service des paysages et de la protection de la nature, a voulu imposer la culture biologique aux exploitants. Et il ne s'agit pas d'une petite parcelle, Monsieur Cramer : il s'agit d'un bail à ferme pour une exploitation agricole entière sur plusieurs dizaines d'hectares. Or ce petit monsieur, car il n'y a pas d'autre terme pour le qualifier, ce petit monsieur a agi sans l'accord du service de l'agriculture. Que ce fonctionnaire, ce sous-chef de service, ait pu mettre comme condition au renouvellement du bail la conversion à l'agriculture biologique, c'est inacceptable. Monsieur Cramer, vous le reconnaissez, c'est bien. Mais comment des fonctionnaires peuvent-ils, de leur propre autorité, dans des négociations avec un tiers, imposer de telles dispositions, alors que je croyais pour ma part que les problèmes agricoles étaient réglés par le service de l'agriculture ? Je poserai donc une question corollaire : est-ce qu'à terme votre département entend mettre le service de l'agriculture sous la direction de la protection des paysages et de la nature ?

M. Robert Cramer, conseiller d'Etat. Je ne pense pas que le Grand Conseil ait une passion particulière à découvrir dans quels termes tel ou tel contrat de bail à ferme a été négocié. Ce que je dois dire simplement, c'est que les propos de M. Dupraz dépassent assurément sa pensée lorsque, non seulement il s'en prend à un fonctionnaire qui n'est pas là pour se défendre, mais surtout il s'en prend à ce fonctionnaire dans des termes qui, je crois, ne sont pas dignes de cette enceinte. Pour le reste, il est clair que dans un processus de discussion, quel qu'en soit l'objet, toutes sortes d'hypothèses peuvent être évoquées. Ce qui importe, c'est la conclusion et la façon dont les choses se font. Encore une fois, dès l'instant où j'ai été alerté sur des questions qui pouvaient se poser, vous le savez bien, elles se sont réglées de telle sorte que personne ne s'est senti contraint à quoi que ce soit. Je crois que, sur ce point, on peut en rester là. (Applaudissements.)

Mise aux voix, cette proposition de motion est renvoyée à la commission de l'environnement et de l'agriculture.