Séance du
vendredi 29 juin 2001 à
17h
54e
législature -
4e
année -
10e
session -
36e
séance
PL 7875-A
C'est lors de la séance du Grand Conseil du 24 septembre 1998 que le projet de loi 7875 modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (B 1 01) est renvoyé à la Commission judiciaire sans débat de préconsultation.
La Commission judiciaire, présidée par M. Rémy Pagani, député, étudie ce projet de loi lors de sa séance du 29 mars 2001. M. Bernard Duport, secrétaire adjoint au Département de justice, police et transports (DJPT) assiste aux travaux de la commission. M. Duport mérite nos chaleureux remerciements pour sa participation active aux travaux et pour ses réponses précises aux questions des commissaires. Quant à la procès-verbaliste, Mme Pauline Schaefer, elle mérite également notre gratitude pour la bonne tenue du procès-verbal de la séance.
Ce projet de loi concerne le droit de grâce institué par la Constitution genevoise et dont les modalités sont fixées aux articles 203 à 211 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 septembre 1985. Rappelons que cette loi donne un très large pouvoir au Grand Conseil qui peut aller jusqu'à accorder la remise totale d'une peine prononcée par un tribunal genevois.
Le projet de loi, qui comporte un seul article, vise à modifier la teneur de l'alinéa 1, lettre c de l'article 208 de la loi précitée. L'amendement propose de donner au Grand Conseil ou à sa Commission des grâces le droit de modifier les modalités des peines et « d'admettre une peine différente à celle prononcée dans la sentence judiciaire, pour autant qu'elle soit applicable, par exemple en commuant une peine de réclusion en emprisonnement, ou en accordant une semi-liberté sans attendre que la moitié de la peine n'ait été purgée » (cf. exposé des motifs : page 4715 du mémorial, séance du 24 septembre 1998).
L'idée de cette proposition est d'offrir la possibilité de commuer une peine de détention en une semi-liberté plus tôt que ne le prévoit le droit fédéral, ce qui constituerait une mesure favorisant la réinsertion sociale des condamnés. Cette proposition s'inspire du principe de « qui peut le plus, peut le moins » et devrait offrir la possibilité de modifier la nature de la peine. Se référant à un recours en grâce traité lors de la dernière législature, le présent projet de loi propose de préciser la législation genevoise en complétant l'article 208 du règlement du Grand Conseil, de sorte qu'il n'y ait plus de doutes quant à la possibilité de modifier la nature de la peine dans le cadre du droit de grâce confié au Grand Conseil.
Enfin, au début des travaux, M. Duport rappelle aux commissaires que son ex-collègue Alexandre Agad, secrétaire adjoint au DJPT, avait rédigé, le 2 septembre 1998, une note à l'attention de M. Gérard Ramseyer, Conseiller d'Etat chargé du DJPT. Cette note, annexée à ce rapport, indique que la modification proposée par ce projet de loi paraît contraire au droit fédéral - je cite : « si elle signifie que la grâce peut déployer ses effets non seulement sur l'exécution d'une peine, mais aussi sur les modalités d'exécution d'une peine. En effet, selon l'article 396, al. 1 du Code pénal suisse, la grâce peut avoir pour effet de commuer une peine en une peine plus douce. Il s'agit donc de convertir une peine prononcée en une autre peine de nature différente qui soit moins rigoureuse, mais il faut que ce soit une peine au sens du code pénal et non une mesure d'allégement de la peine. »
Le procureur général précise que les compétences de l'autorité de grâce sont définies par le droit fédéral, soit l'article 396 du Code pénal suisse. M. Bertossa en rappelle la teneur :
« 1 Par l'effet de la grâce, toutes les peines prononcées par un jugement passé en force peuvent être remises, totalement ou partiellement, ou commuées en des peines plus douces.
2 L'étendue de la grâce est déterminée par l'acte qui l'accorde. »
M. Bertossa souligne donc que le Grand Conseil ne peut en l'occurrence pas intervenir sur les modalités d'exécution des peines. Il concède toutefois que l'exposé des motifs du projet de loi, par sa formulation, pourrait faire croire le contraire.
Pour lui, ce projet de loi est soit utile, soit contraire au droit fédéral. A son avis, si l'on voulait absolument modifier le texte, il serait judicieux de reprendre les termes du Code pénal, qui parle de commutation en une peine plus douce. Le texte fédéral ne parle ni de diminution de la peine ni de nature différente.
Le procureur général rappelle également que l'objectif du projet de loi, à savoir de commuer une peine de détention en une semi-liberté plus tôt que prévu, peut parfaitement être atteint en accordant des grâces partielles, en diminuant la sanction prononcée. L'article 37, ch. 3 du Code pénal suisse prévoit les conditions auxquelles la semi-liberté peut être accordée. Cette précision se trouve également dans la lettre de M. Agad (déjà citée).
A la question de savoir si l'article actuel est compatible avec la transformation d'une peine de réclusion en une peine d'emprisonnement, M. Bertossa précise que dans ce cas on change la nature de la peine. Il cite la peine plus douce à laquelle fait allusion l'article 396 du Code pénal - transformation de la réclusion en arrêt -, en précisant qu'une telle mesure peut s'appliquer à l'intégralité du catalogue des peines prévues par la législation. Le procureur souligne qu'il est possible d'anticiper les modalités d'exécution telles que prévues par la loi en réduisant partiellement une peine.
C'est pourquoi M. Bertossa confirme que l'on peut atteindre l'objectif du projet de loi sans avoir à modifier la loi actuelle. En revanche, le procureur pense que dans la mesure où le Grand Conseil est saisi de ce projet de loi, il serait peut-être plus judicieux de faire coller le texte actuel au droit fédéral et parler de peine plus douce plutôt qu'inférieure.
Tout en étant conscients que le droit de grâce consiste avant tout à prendre une décision positive ou négative suite à un jugement et non pas à refaire le procès, les commissaires reviennent sur l'audition du procureur général.
En fait, il apparaît clairement que l'innovation en matière de grâce contenue dans l'amendement proposé par le projet de loi s'apparente à une modification des modalités d'exécution d'une peine. Or, le procureur général a bien rappelé que le droit fédéral ne permettait pas cette modification.
La discussion s'articule autour de la modification de la nature d'une peine. Il est rappelé que si l'on veut par exemple transformer un emprisonnement de trois ans en deux ou un emprisonnement en arrêt, voire en amende, cela reste conforme au droit en vigueur. En revanche, il n'est pas possible de commuer une peine en une mesure.
Finalement, les commissaires décident de s'aligner sur le droit fédéral. De la discussion, il ressort tout de même deux amendements légèrement différents. L'un propose « la commutation en une peine inférieure ou plus douce » (idée du projet de loi) alors que l'autre suggère « la commutation en une peine plus douce » (texte du droit fédéral).
Au vote, l'entrée en matière du projet de loi 7875 est acceptée à l'unanimité par 12 oui (2 AdG, 1 DC, 3 L, 2 R, 3 S, 1 Ve).
En revanche, l'amendement fidèle au projet de loi de « la commutation en une peine inférieure ou plus douce » est refusé par 11 non (1 AdG, 1 DC, 3 L, 2 R, 3 S, 1 Ve), contre 1 oui (1 AdG).
Au terme de ces discussions, l'amendement visant à aligner la lettre c), alinéa 1er de l'article 208 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (B 1 01) sur le droit fédéral, c'est-à-dire « la commutation en une peine plus douc » est accepté par 10 oui (2 AdG, 1 DC, 3 L, 1 R, 3 S) contre 1 non (1 Ve) et une abstention (1 R).
Au vote final, l'article unique du projet de loi 7875, tel qu'amendé par la commission, est accepté par 10 oui (2 AdG, 1 DC, 3 L, 1 R, 3 S) et 2 abstentions (1 R, 1 Ve).
En conséquence, je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à suivre l'avis de la Commission judiciaire et à accepter le projet de loi tel qu'amendé.
Projet de loi(7875)
modifiant la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève (B 1 01)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève, du 13 septembre 1985, est modifiée comme suit :
Art. 208, al. 1, lettre c (nouvelle teneur)
c) la commutation en une peine plus douce.
Annexe p.7
Premier débat
M. Jean-Marc Odier (R), rapporteur. Ce projet de loi s'inspire d'un recours en grâce traité lors de la dernière législature et vise à modifier le droit de grâce. Au cours de ses travaux, la commission s'est rapidement rendu compte qu'il n'était pas possible de moduler l'exécution d'une peine, qu'elle ne pouvait en fait que modifier la loi dans le sens de commuer une peine, conformément au droit fédéral. C'est ce qui vous est proposé, Mesdames et Messieurs les députés, dans ce projet de loi, qui a rencontré l'unanimité de la commission, moins deux abstentions.
Mme Fabienne Bugnon (Ve). Ce projet n'a en effet pas tout à fait rencontré l'unanimité, puisque je me suis abstenue au vote final, après avoir refusé la modification proposée.
Mesdames et Messieurs les députés, la compétence du Grand Conseil s'agissant de la grâce est une compétence tout à fait originale, qui ne ressemble à aucune de nos autres compétences. Plus qu'une compétence politique, je dirai que c'est une compétence philosophique : preuve en est que, lors des votes, on ne retrouve pas forcément, dans cette enceinte, les clivages politiques et que les gens votent selon leur conscience. Quant à moi, ce droit m'a toujours posé un certain problème, c'est pourquoi je l'exerce assez rarement; il est assez rare que je vote les rapports, à moins qu'il manque une voix pour départager. Autrement je préfère m'abstenir.
En 1993, j'avais présenté un projet de loi à ce sujet, car je trouvais extrêmement choquant que, lors des rapports de grâce, on étale la vie d'un détenu ou d'une détenue devant ce Grand Conseil et devant la population en général, et que nous avions un devoir de réserve que fort peu de rapporteurs respectaient. Nous avions obtenu alors quelque chose d'extrêmement modeste, c'est-à-dire qu'on ne fasse qu'un bref rapport à la séance du Grand Conseil, ce qui a quand même réduit le déballage auquel nous pouvions assister jusque-là.
Le présent projet de loi pose un problème nouveau, c'est-à-dire qu'il vise à intervenir sur une peine et cela me semble vraiment dangereux. Le droit de grâce doit rester le fait du prince et nous permettre, par exemple, d'éviter une double peine, comme nous l'avons fait hier soir pour quelqu'un qui avait subi une peine de prison et qui, après, aurait encore été frappé d'expulsion, ce qui est tout à fait injuste. En l'occurrence, le Grand Conseil a tranché en estimant que cette personne ne devait pas être expulsée et dans un tel cas je pense que le droit de grâce est juste. Intervenir en revanche sur la peine me semble dangereux et représenter une certaine dérive. Il y a là, à mon avis, confusion entre grâce et révision du procès. En vertu de la séparation des pouvoirs, nous ne pouvons pas accepter cela. Mon groupe a décidé de suivre mon vote en commission et les Verts s'opposeront donc à ce projet.
Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat.
(Contestations à l'annonce du résultat.)
La présidente. Non, Mesdames et Messieurs, vous n'allez pas me faire une scène! C'était très clair : la moitié des députés, si ce n'est les trois quarts, n'ont pas voté! Ce projet est bien rejeté!