Séance du jeudi 28 juin 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 10e session - 32e séance

PL 8541
34. Projet de loi cantonale de Mme et MM. Christian Brunier, Antonio Hodgers, Etienne Membrez, Marie-Paule Blanchard-Queloz, Dominique Hausser et Thomas Büchi sur le service civil. ( )PL8541

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Art. 1  Généralités

Dans le respect du droit fédéral, le canton met en oeuvre et soutient activement le service civil, tel qu'instauré par la loi fédérale sur le service civil (LSC), du 6 octobre 1995.

Art. 2  Devoir d'information

1 Le canton informe clairement et objectivement chaque personne appelée à effectuer son service militaire de l'existence du service civil, de ses conditions d'admission et de ses modalités de mise en oeuvre.

2 Le canton informe les associations et autres mouvements oeuvrant dans le champ d'activité de l'art. 4 LSC de la possibilité de pouvoir recourir à des civilistes et des conditions à remplir.

Art. 3  Soutien aux établissements d'affectation

Chaque année, le Grand Conseil alloue dans le cadre du budget une subvention pour soutenir l'engagement de civilistes par des établissements d'affectation disposant de faibles moyens financiers.

Art. 4 Affectations à l'Etat et auprès des entités subventionnées

Le canton veille à ce que des affectations de civilistes au sein de l'administration et des entités subventionnées puissent se faire.

Art. 5 Mise en oeuvre

Le Conseil d'Etat est chargé de l'application de la présente loi.

En mai 1992, le peuple (à 82,5 % de oui) et les cantons (à l'unanimité) acceptaient d'introduire dans la Constitution fédérale le principe du service civil. A côté de l'obligation de servir, la Constitution fédérale énonce ainsi que « la loi organise un service civil de remplacement » (art. 59, al. 1 Cst.).

L'Assemblée fédérale s'est ainsi penchée sur l'élaboration d'une loi fédérale sur le service civil (LSC). Celle-ci est entrée en vigueur le 1er octobre 1996. Elle permet aux personnes astreintes au service militaire, qui démontrent de manière crédible qu'elles ne peuvent concilier le service militaire avec leur conscience, d'accomplir un service civil de remplacement.

Ce service est d'une durée égale à 1,5 fois la durée du service militaire que le civiliste devrait effectuer.

Concrètement, le civiliste doit déposer une demande d'admission au service civil. Son dossier est traité par la Division du service civil, rattachée au Seco (Département fédéral de l'économie). Le candidat au service civil doit tout d'abord établir un dossier par lequel il expose les motifs l'empêchant d'effectuer son service militaire. Il est ensuite auditionné, à Thoune, par la Commission d'admission, chargée de déterminer si la conscience du candidat lui interdit vraiment d'effectuer son service militaire.

Dans l'affirmative, le candidat est admis au service civil. Celui-ci doit être effectué, en plusieurs tranches, auprès d'organismes d'intérêt public reconnus comme tels par la Confédération. Les domaines d'activité sont les suivants : santé, social, protection de l'environnement, conservation des biens culturels, recherche, entretien des forêts, agriculture, coopération au développement, aide en cas de catastrophe.

Le statut du civiliste est, dans les grandes lignes, assimilé à celui du soldat. On soulignera que son objection de conscience étant consacrée par la loi, le service civil ne relève plus du tout du droit pénal. Le service civil est aujourd'hui une alternative légale et reconnue au service militaire, raison pour laquelle le civiliste bénéficie également des prestations de l'assurance perte de gains et qu'il est traité, dans la loi, comme une personne accomplissant une obligation de servir. De ce fait, il ne paie par exemple pas la taxe dont les personnes exemptées de service doivent s'acquitter.

De l'entrée en vigueur de la loi en octobre 1996 jusqu'au 31 décembre 2000, 6357 demandes d'admission ont été déposées (1612 en l'an 2000). Après audition, les requêtes ont abouti à une décision d'admission dans 89 % des cas (92 % en l'an 2000).

Actuellement, près d'un millier d'établissements d'affectation sont reconnus comme pouvant recourir aux services des quelque 6'000 personnes astreintes au service civil.

L'application de la LSC a pour l'heure révélé certaines grosses lacunes de la loi. Plusieurs critiques peuvent en effet lui être adressées. Nombre d'entre elles impliquent toutefois des mesures que la Confédération seule devrait adopter. Il n'y a donc pas lieu de s'y arrêter ici.

En revanche, les cantons disposent d'une certaine marge de manoeuvre pour remédier à d'autres questions méritant assurément amélioration. Deux problèmes particuliers se posent qui peuvent trouver solution par l'intervention des autorités cantonales.

Le premier concerne le peu d'information dont disposent les civilistes potentiels. Aucune campagne d'information n'est en effet menée par les autorités. Le service civil est peu ancré dans le paysage médiatique et l'efficacité du travail accompli est malheureusement masquée par la discrétion qui l'entoure. Le grand public, et parfois même les médias, confondent fréquemment service civil et protection civile. Sur la question du manque d'information, la permanence service civil a envoyé, début 2000, un questionnaire aux futures recrues du canton de Genève. Sur plus de 200 réponses obtenues, 81 % des jeunes interrogés s'estimaient pas ou mal informés sur le service civil. Par ailleurs, 59 % de ces jeunes indiquaient être intéressés d'effectuer leur service à la communauté sous cette forme.

Face à ce manque d'information, ce sont les associations, avec leurs maigres moyens, qui doivent aller à la rencontre des civilistes potentiels, dans les lieux de formation, dans les paroisses ou même devant les casernes, pour rappeler qu'il existe une manière différente de servir la communauté. L'information distillée par l'autorité est très lacunaire. Nombreux sont les jeunes qui n'apprennent qu'après coup qu'ils auraient pu déposer une demande d'admission au service civil.

Une information objective, expliquant les conditions posées par la loi à l'admission au service civil, ainsi que les modalités pratiques de l'exécution du service civil, doit impérativement être distribuée à chaque future recrue, afin que tout jeune appelé à servir puisse faire un véritable choix, en adulte, sur la manière dont il entend, le cas échéant, résoudre un conflit de conscience entre armée et convictions personnelles.

De même, nombreux sont les institutions, mouvements ou associations qui pourraient recourir aux services d'un civiliste pour plusieurs mois, mais qui ignorent jusqu'à l'existence d'une telle possibilité. Il conviendrait également que ces groupements soient informés des démarches qu'ils doivent entreprendre s'ils souhaitent être reconnus par la Confédération comme établissements d'affectation pouvant engager des civilistes.

Le second problème se rapporte à la capacité des organismes d'intérêt public à « engager » des civilistes. La loi pose en effet que les établissements d'affectation qui souhaitent recourir à l'aide d'un civiliste doivent reverser à la Confédération une contribution financière pour la main-d'oeuvre ainsi fournie (art. 46 LSC). Cette contribution s'élève en principe à 50 % du salaire brut, usuel dans le lieu ou la profession, que l'établissement d'affectation devrait verser à un employé pour une activité identique (art. 95, al. 2 de l'ordonnance d'application - OSC). De plus, l'établissement d'affectation doit verser, cette fois directement au civiliste, une indemnité mensuelle d'environ 1000 F, censée couvrir les frais de nourriture, de déplacement et - en petite partie - de logement du civiliste.

Pour de nombreux organismes, de telles contributions rendent tout simplement l'engagement d'un civiliste impossible. Maintes associations ou mouvements ne peuvent en effet aucunement débourser des montants mensuels de trois ou quatre mille francs à cette fin. Ces contributions ne font que renforcer la capacité des grosses institutions (hôpitaux, homes pour personnes âgées notamment) à recourir à l'aide de civilistes, tandis que des associations moins riches, mais effectuant également un travail de qualité, sont exclues de cette possibilité.

Le Grand Conseil genevois, conscient de ce problème, a ainsi voté en 1998 une motion (M 1144-A) invitant le Conseil d'Etat « à prélever sur les crédits non dépensés en 1996 du Département militaire la somme de 100 000 F destinés à soutenir financièrement les associations qui souhaitent engager un civiliste ». Cette motion, votée à une très large majorité du Grand Conseil, a connu une application fort satisfaisante, ce que l'Office cantonal de l'emploi - chargé de sa mise en oeuvre - a relevé dans son rapport final. Le crédit a été entièrement utilisé et a permis à une vingtaine d'établissements d'affectation de recourir à des civilistes.

Le Grand Conseil, convaincu de la nécessité de poursuivre sur cette voie, a voté une nouvelle tranche de 100 000 F sur le budget 2001.

L'inscription d'un tel soutien dans une loi constituerait un engagement fort du canton en faveur du service civil, en permettant au riche tissu associatif genevois de contourner les obstacles financiers posés par la législation fédérale.

L'initiative cantonale 109, intitulée « Genève, République de paix » consacrait un alinéa à la promotion du service civil par les autorités cantonales.

Lors de la campagne ayant précédé le vote du peuple, en mars 2000, plusieurs aspects de l'initiative 109 furent ardemment critiqués par les opposants. En revanche, la question de la promotion du service civil fit l'unanimité en sa faveur. Tant les partisans que les opposants à l'initiative 109 furent d'accord de considérer le service civil comme une tâche utile à la communauté, permettant aux personnes souhaitant servir différemment celle-ci d'effectuer un travail en lien avec les exigences de leur conscience.

Cette unanimité en faveur du service civil n'est pas nouvelle. On rappellera si nécessaire que lors de l'adoption de l'article constitutionnel consacrant le service civil, en 1992, l'ensemble des partis de l'échiquier politique genevois avait soutenu ce dernier. La population suivit d'ailleurs massivement ce mot d'ordre, plus de 87 % des Genevois se prononçant alors en faveur de l'introduction du service civil.

Aujourd'hui, le canton de Genève figure parmi les cantons (si ce n'est le canton, les statistiques fédérales étant lacunaires) où le service civil trouve le plus d'adeptes. Des centaines de personnes, pour la grande majorité des jeunes, y ont déjà été admis. Ce succès tient en grande partie au fait que des associations privées se sont fortement engagées, à travers des campagnes d'information (affichage, tractage, etc.) pour tenter, en partie, de pallier le manque d'information.

La possibilité pour les cantons d'intervenir dans l'application d'une législation qui, a priori, ne relève que de la Confédération, aurait pu porter à controverse.

Le Tribunal fédéral lui-même a toutefois expressément conclu à l'existence d'une réelle marge de manoeuvre des autorités cantonales dans certains domaines.

Les juges fédéraux ont en effet dû se prononcer sur la conformité de l'initiative « Genève, République de paix » avec le droit fédéral (dans un jugement publié : ATF 125 I 227). Celle-ci prévoyait textuellement que :

« Le canton oeuvre pour la prévention des conflits et le développement d'une culture de la paix, notamment par (…) la promotion du service civil, à travers la diffusion de toute information utile, et le développement de projets et d'activités permettant la réalisation de ce service. L'accès volontaire à ceux-ci est ouvert à toute personne établie dans le canton. »

Dans son arrêt d'avril 1999, le Tribunal fédéral confirme que cette disposition « est susceptible d'une interprétation conforme au droit fédéral » (ATF précité, consid. 10.c).

Concernant la possibilité pour les autorités cantonales de mener des campagnes d'information, notamment auprès des jeunes, sur l'existence du service civil et ses modalités d'application, les juges fédéraux indiquent que

« une information sur le service civil, portant sur les conditions et modalités du devoir de servir est ainsi admissible. Un devoir d'objectivité imposera toutefois à l'autorité cantonale de s'assurer que les campagnes d'information qu'elle mettra sur pied seront propres à promouvoir, de manière objective, les solutions retenues par le législateur, en évitant de favoriser unilatéralement le service de remplacement aux dépens de l'obligation primaire que constitue le service militaire » (ATF précité, consid. 10.c.bb).

Les juges de Lausanne poursuivent :

« La "promotion" voulue par l'initiative 109 ne vise pas seulement l'information relative aux conditions et aux modalités du service civil; elle tend également à la mise en oeuvre, par le canton, des "projets et activités permettant la réalisation de ce service", soit en particulier la recherche d'établissements d'affectation pour les personnes assujetties au service civil (…). L'information voulue par l'initiative peut aussi être destinée à ces institutions, et se rapporter aux conditions de reconnaissance et aux statuts des établissements d'affectation, dans le but de rendre matériellement possible l'exécution du service de remplacement » (ibid., consid. 10.c.cc).

Le Tribunal conclut très clairement que, en ce qui concerne la promotion et la mise en oeuvre du service civil par le canton, l'approche de l'initiative 109 « ne porte pas atteinte au système légal » et « ne consacre pas de violation du principe de fidélité confédérale » (ibid., consid. 10.c.dd).

Or, cette approche est essentiellement la même que celle visée par le présent projet de loi. On notera cependant que le point de l'initiative 109, visant à ouvrir le service civil à toute personne établie dans le canton n'est pas reprise dans la proposition ici présentée.

En conséquence, la constitutionnalité du présent projet de loi ne fait ainsi aucun doute.

C'est pourquoi nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de lui faire bon accueil.

Ce projet est renvoyé à la commission législative sans débat de préconsultation.