Séance du
jeudi 17 mai 2001 à
17h
54e
législature -
4e
année -
8e
session -
24e
séance
PL 8345-A
En date du 15 septembre 2000, le Conseil d'Etat déposait devant le Grand Conseil un projet visant à modifier le Code de procédure pénale en introduisant un article 25, alinéa 2 nouveau, en lien avec l'article 261bis du Code pénal suisse, concernant la discrimination raciale.
Renvoyé, sans débat, à la Commission judiciaire pour examen; celle-ci s'en est saisie lors de ses séances des 8 et 22 février 2001, sous la présidence de notre collègue Rémy Pagani et en présence de M. Bernard Duport, secrétaire adjoint du DJPT.
Cette modification du code de procédure pénale fait suite à une affaire judiciaire au sujet de laquelle la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) s'était portée partie civile. Après plusieurs recours, le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion - à l'instar de la Chambre pénale de la Cour de justice genevoise - que les associations concernées, de même que les descendants des victimes de l'holocauste, ne pouvaient se prévaloir de la qualité de partie civile dans le cadre de l'article 261bis, alinéa 4 (voir annexe). Il laissait toutefois la possibilité aux cantons de légiférer dans ce domaine, ajoutant que la teneur actuelle de l'article 25 du Code de procédure pénale genevois ne comportait pas cette possibilité
De son côté, Me Philippe Grumbach, conseil de la LICRA dans cette affaire, est intervenu, par courrier adressé au président du DJPT, le 30 août 2000, pour faire part de sa réaction à la décision du Tribunal fédéral « ...J'ai été choqué de constater que le Tribunal fédéral, suivant en cela la Cour de justice du canton de Genève, refusait de reconnaître à un rescapé des camps de concentration ainsi qu'aux familles victimes de la Shoah le droit de se constituer parties civiles contre ceux qui ont le cynisme de nier le génocide dont la population juive d'Europe a été victime pendant la Deuxième guerre mondiale. » et demander de proposer dans les plus brefs délais la modification de l'article 25, al. 2 du Code de procédure pénale genevois.(voir courrier de Me Grumbach, en annexe).
Sensible à cette question, le Conseil d'Etat a donc proposé de légiférer dans ce sens, mais en étendant la portée de l'article au-delà de la négation seule du génocide en introduisant également les notions de minimisation ou de justification prévues par le code pénal. Il a par ailleurs précisé les qualités et les caractéristiques des associations qui auraient désormais qualité pour se constituer partie civile.
Le texte proposé par le Conseil d'Etat est le suivant :
Le but visé par le projet de loi a d'emblée fait l'unanimité de la commission. La discussion a principalement porté sur le champ d'application de la modification. Fallait-il l'étendre à d'autres types de victimes (associations de défense des victimes de la route, de consommateurs, etc.) ou l'élargir à la lutte contre d'autres formes de discrimination (religieuses, appartenance ethnique, etc.) et également sur les qualités des associations qui pourraient se constituer partie civile. Le but étant de veiller à ne pas en exclure, tout en n'étant toutefois pas trop permissif à l'égard d'associations factices, ce qui pourrait amener à l'inverse du but recherché.
Le sujet était particulièrement délicat, puisque ne peut se constituer partie civile normalement que la personne directement lésée par l'acte dénoncé. Il s'agit là de permettre une intervention également au cas où il n'y aurait plus de survivants. Il est donc nécessaire d'offrir une faculté spécifique à des entités abstraites de pouvoir se substituer, le cas échéant, aux disparus.
La commission a donc travaillé sur les deux textes proposés, à savoir celui du Conseil d'Etat et celui de Me Grumbach, ainsi que sur les amendements présentés par les députés. Le texte finalement voté à l'unanimité des membres présents (2 AdG, 1 DC, 2 L, 3 S, 1 Ve) est le suivant :
L'introduction de cet article dans notre Code de procédure pénale cantonal permettra de mettre fin à une inégalité de traitement dans un domaine très sensible qui concerne la dignité humaine et permet la reconnaissance postérieure des drames qui ont marqué notre histoire. C'est le minimum que nous puissions faire pour les victimes de ces drames et je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à bien vouloir suivre la Commission judiciaire dans ses conclusions.
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Premier débat
Mme Fabienne Bugnon (Ve), rapporteuse. Au moment de présenter ce rapport de la commission judiciaire, j'aimerais en premier lieu relever la qualité du travail de la commission sur cet objet et sa rapidité d'exécution, ce projet ayant été voté moins d'un an après son dépôt par le Conseil d'Etat. J'aimerais souligner également la rapidité d'exécution du Conseil d'Etat qui avait été alerté par un avocat, Me Grumbach, ayant été «choqué de constater que le Tribunal fédéral, suivant en cela la Cour de justice du canton de Genève, refusait de reconnaître à un rescapé des camps de concentration ainsi qu'aux familles victimes de la Shoah, le droit de se constituer partie civile contre ceux qui ont le cynisme de nier le génocide dont la population juive d'Europe a été victime pendant la deuxième guerre mondiale».
Suite à cet arrêt du Tribunal fédéral, Me Grumbach a proposé au Conseil d'Etat de compléter la loi pour pallier cette injustice. Le Conseil d'Etat s'est montré sensible et enthousiaste puisque moins d'un mois plus tard il soumettait au Grand Conseil une proposition allant dans ce sens.
La commission judiciaire s'est particulièrement penchée sur le champ d'application de cette modification du code de procédure pénale et sur les qualités des associations qui pourraient se constituer partie civile. C'est un projet très légèrement modifié, ou plutôt précisé sur les points que je viens d'évoquer, qui vous est soumis aujourd'hui par l'unanimité de la commission judiciaire.
En l'acceptant à l'unanimité également, le Grand Conseil montrera qu'il n'y a pas d'impunité pour ceux qui tentent de nier les drames de l'histoire et, pour la première fois, il permettra à des entités abstraites de se substituer à des personnes disparues pour défendre leur mémoire. J'ajouterai, en conclusion, que notre canton aujourd'hui fera oeuvre de pionnier et que l'on peut espérer que les autres cantons souhaiteront légiférer dans ce sens et que l'on pourra bénéficier, dans les mois ou les années qui suivront, d'une loi fédérale à ce sujet.
M. Gérard Ramseyer. Je remercie Mme Bugnon des compliments qu'elle délivre au Conseil d'Etat et je m'associe bien entendu à ceux qu'elle délivre à la commission judiciaire, qui a effectivement traité dans un temps record un projet de loi qui, à mon sens, honore ce Grand Conseil.
Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
Loi(8345)
modifiant le code de procédure pénale (E 4 20)
(partie civile)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
Le code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, est modifié comme suit :
Art. 25, al. 2 (nouveau)
2 En matière de poursuites pénales pour négation, minimisation ou justification d'un génocide selon l'article 261 bis, alinéa 4, du Code pénal suisse, du 21 décembre 1937, les survivants d'un génocide et leurs proches au sens de l'article 110, chiffre 2 CPS ont qualité pour se constituer partie civile. Le même droit appartient aux associations, constituées depuis 3 ans au moins, qui ont pour but statutaire la lutte contre la discrimination raciale ou la représentation des victimes d'un génocide.