Séance du
vendredi 11 mai 2001 à
17h
54e
législature -
4e
année -
8e
session -
22e
séance
PL 8215-B
RAPPORT DE LA MAJORITÉ
Rapporteur: M. Jean-Pierre Gardiol
La Commission des travaux a examiné le projet de loi 8215 lors de ses séances des 9 janvier et 23 janvier 2001 sous la présidence de M. Claude Blanc.
M. Christian Goumaz, directeur des affaires juridiques du Département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures, a assisté la commission dans ses travaux du 9 janvier, tandis que M. le conseiller d'Etat Laurent Moutinot ainsi que Mme Pascale Vuillod, juriste du Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, ont assisté la commission dans ses travaux du 23 janvier.
Les procès-verbaux ont été assurés par Mme Jacqueline Meyer, qu'elle en soit ici remerciée.
Ce rapport fait suite au Grand Conseil du 1er décembre 2000, qui après un long débat avait décidé de renvoyer le rapport de M. Olivier Vaucher(PL 8215-A) à la Commission des travaux afin d'obtenir des compléments d'informations au sujet de ce projet de loi.
Il n'est d'ailleurs pas certain que ce travail complémentaire ait apporté des réponses à toutes les questions que se posaient les députés, mais cela a permis d'éclaircir des interrogations et de mieux comprendre les enjeux d'un tel concordat.
Etant donné qu'il s'agit d'un deuxième rapport sur le même projet de loi, je ne présenterai pas les éléments déjà développés par le précédent rapporteur, mais m'attacherai uniquement à répéter des informations que je trouve importantes ou pouvant répondre à certaines interrogations.
Il est important de se souvenir que nous ne pouvons pas amender ce projet de loi, puisqu'il fait l'objet d'un accord intercantonal, et que nous avons uniquement la possibilité de l'accepter ou le refuser. Il faut également savoir qu'à fin janvier 11 cantons ont déjà accepté cet accord (voir annexe B).
Il faut également prendre en compte que cet accord intercantonal émane de la volonté des cantons de trouver entre eux des solutions constructives afin d'éviter de se les voir imposer par la Confédération.
Enfin, et il faut bien le comprendre, adhérer à un tel accord, c'est accepter de travailler, avec les autres représentants désignés par les cantons, dans une autorité qui va harmoniser les législations cantonales en la matière. En adhérant à ce groupe, on accepte les décisions prises à la majorité de 18 cantons, mais on ne se lie pas les mains à tout jamais, car il est toujours possible de dénoncer le concordat en tout temps avec un préavis de 3 ans. Quoi qu'il en soit, la volonté politique d'arriver à une harmonisation dans ce domaine est très présente, tant au niveau de la Confédération que de la Conférence des gouvernements cantonaux. L'accord intercantonal est ainsi une chance pour les cantons d'atteindre cet objectif par eux-mêmes. A défaut, il est très vraisemblable que la Confédération cherchera à s'attribuer cette compétence et c'est en définitive du droit fédéral qui s'imposera aux cantons.
La commission a tout d'abord auditionné M. Christian Goumaz, qui a rappelé que cet accord s'inscrivait dans le cadre des accords bilatéraux, notamment un accord sur les entraves techniques au commerce qui ne touche pas le domaine de la construction, car le droit suisse n'est pas harmonisé en la matière ; par ailleurs, ce concordat s'inscrit en parallèle avec la loi fédérale sur les produits de construction qui vient d'entrer en vigueur le 1er janvier 2001.
Comme indiqué précédemment, la Confédération a bien essayé de prétendre qu'elle avait le pouvoir d'harmoniser, mais les cantons ne l'ont pas entendu de cette oreille. D'où ce projet, car ceux-ci ont reconnu qu'il y avait un besoin d'harmonisation.
Le principe de cet accord est de déléguer une compétence des cantons à une autorité intercantonale, composée d'un représentant par canton, représentant, il faut bien le reconnaître, une perte de compétence pour celui-ci.
A cet égard, et comme relevé lors du premier débat au Grand Conseil sur ce projet de loi, le Conseil d'Etat avait pris une position critique vis-à-vis de cet accord, car il aurait souhaité que les lignes directrices soient plus précises et que le mandat soit mieux cerné avec la mention des directives existantes sur le plan européen. Le Conseil d'Etat a donc bien fait son travail afin de mieux définir la base de travail de l'autorité intercantonale et de trouver un dénominateur commun de départ. Mais Genève a été minorisée par rapport à cette demande. Si la commission n'est pas insensible à ces interrogations qui pourraient dans certains cas revoir notre législation cantonale à la baisse, la politique de la chaise vide serait certainement encore plus dommageable puisque tout nous sera alors imposé sans que nous ayons eu la moindre chance de faire valoir et défendre nos dispositions genevoises.
La question est donc simple : voulons-nous participer à l'effort commun d'harmoniser, sachant que si nous n'y participons pas nous serons contraints, d'une manière ou d'une autre, de devoir harmoniser nos normes techniques pour tenir compte des décisions de l'autorité intercantonale ou fédérale ?
M. M. C. Goumaz précise à plusieurs reprises que le but de l'accord est de viser à une harmonisation intercantonale et que bien entendu il serait souhaitable que cette autorité, dans ses travaux, s'inspire de ce qui se fait en Europe, car l'objectif à terme est d'avoir une législation uniformisée pour l'ensemble de la Suisse en la matière afin de pouvoir discuter avec l'Union européenne d'un élargissement de l'accord bilatéral sur l'élimination des entraves techniques au commerce. Il rappelle également que beaucoup ont souhaité que le DAEL établisse une liste des pertes et des gains en cas de vote de ce projet de loi. Mais il est difficile d'aller dans ce sens, avant que l'autorité intercantonale n'ait précisément accompli sa mission d'harmonisation, sauf à préjuger des résultats de ses travaux dont on rappellera qu'ils devront recevoir l'aval d'au moins 18 cantons pour être approuvés. Par contre, il est possible de faire un survol des exigences essentielles en matière d'ouvrage selon l'annexe 1 de la directive européenne sur les produits de construction, avec appréciation sommaire des effets prévisibles sur la législation genevoise en matière de construction (voir annexe A sur ce sujet, remise par Mme Pascale Vuillod).
Mme Pascale Vuillod a également participé aux travaux de la commission, elle répète globalement ce qu'elle a déjà indiqué à la Commission de l'économie et qui est relaté dans le rapport de M. O. Vaucher (PL 8215-A). Elle réexplique, selon l'annexe susmentionnée, les conséquences que pourrait avoir pour notre canton d'adhérer à cet accord, et précise bien que si les cantons ne font pas cette harmonisation, c'est la Confédération qui l'imposera. Elle précise enfin que pour qu'il y ait problème, il faudra que les normes du canton provoquent une entrave à la concurrence.
La discussion en commission n'a pas été facile du fait de la matière qui n'est pas si simple et des conséquences encore virtuelles que peut avoir l'adhésion à l'AIETC.
Les réserves émises par certains députés peuvent être compréhensibles, car dans certains cas il a été difficile de répondre concrètement à certaines questions.
Il est également regrettable que les réserves émises par le canton n'aient pas été prises en considération.
Et malgré la discussion supplémentaire voulue par le Grand Conseil avec ce renvoi à la Commission des travaux, ceci n'a pas changé les avis des différents partis.
Au final, la majorité de la commission a accepté ce projet de loi, car elle a estimé que les avantages d'aller dans cette voie étaient supérieurs aux inconvénients. En effet, on ne peut pas vouloir aller dans la direction de l'adhésion à l'Europe et refuser un tel accord, qui n'est rien d'autre que la création d'une autorité intercantonale formée de représentants des gouvernements cantonaux qui essayeront, dans la mesure du possible, de défendre leur législation cantonale afin si possible de la faire adopter par les autres. La majorité estime faire confiance à celui qui sera son représentant pour Genève afin de défendre la législation que nous avons élaborée et les lois ou règlements qui nous sont chers.
Ne pas voter oui à ce projet de loi sous prétexte qu'il n'est pas convenable ou qu'il risque de nous faire perdre des droits populaires, c'est adopter un profil bas, c'est renoncer à défendre nos lois et règlements auxquels nous sommes attachés, c'est laisser aux autres le soin de décider à notre place sans avoir eu la possibilité de nous exprimer.
La politique de la chaise vide, telle que le propose la minorité, est une mauvaise politique, car si elle exprime à court terme un choix politique que l'on peut comprendre, les conséquences à moyen terme seront bien plus dommageables pour notre canton.
En acceptant le système de l'AIETC, l'harmonisation sera le fruit d'une concertation entre les cantons, elle ne sera pas imposée par la Confédération. C'est pour défendre nos domaines de compétences que la majorité souhaite conclure cet accord intercantonal.
Pour terminer il faut également rappeler qu'il sera possible de dénoncer le concordat en tout temps avec un préavis de 3 ans, même s'il est vrai que cette possibilité est un peu fantaisiste, car alors la Confédération nous imposera certainement ses propres règles du jeu... ou l'Europe, si nous avons adhéré d'ici là.
C'est pour ces différentes raisons que la commission a accepté ce projet de loi 8215 par :
et vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à ce projet de loi.
Projet de loi(8215)
autorisant le Conseil d'Etat à adhérer à l'accord intercantonal sur l'élimination des entraves techniques au commerce (L 5 07.0)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève,
décrète ce qui suit :
Art. 1 Adhésion
Le Conseil d'Etat est autorisé à adhérer, au nom de la République et canton de Genève, à l'accord intercantonal sur l'élimination des entraves techniques au commerce (ci-après : l'accord intercantonal), adopté le 23 octobre 1998 par la Conférence suisse des gouvernements cantonaux. Le texte de l'accord est annexé à la présente loi.
Art. 2 Publication
La publication des directives d'exécution et prescriptions obligatoires, conformément à l'article 11 de l'accord intercantonal, est régie par la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels, du 8 décembre 1956 et son règlement d'exécution, du 15 janvier 1957.
Art. 3 Entrée en vigueur
L'entrée en vigueur pour le canton de Genève de l'accord intercantonal est fixée conformément à l'article 13 dudit accord.
Art. 2 Définitions
Art. 3a, lit. a, de la loi fédérale sur les entraves techniques au commerce (LETC) du 6 octobre 1995, en vigueur depuis le 1er juillet 1996; RS 946.51
Art. 3b, lit. b, LETC
Art. 3a, lit. c, LETC
Art. 3 Organisation
Art. 4 Tâches et compétences
Art. 5 Prise de décisions
Art. 6 Principes
Art. 7 Principes
Art. 8 Directives dans le domaine de la mise sur le marché des produits de construction
Art. 4 (5) de la Directive sur les produits de construction (Directive 89/106/CEE relative au rapprochement des prescriptions juridiques et administratives des Etats membres de l'UE sur les produits de construction; JOCE no L 40 du 12.2.1989, p. 12, modifiée par la directive 93/68/CE du Conseil du 22.7.1993 (JOCE no L 220 du 30.8.1993, p. 1); cette directive peut être obtenue auprès de l'Office central fédéral des imprimés et du matériel, 3003 Berne ou auprès du Centre suisse d'informations pour les règles techniques (switec), Mühlebachstrasse 54, 8008 Zurich)
Déclaration no 2 au procès-verbal de la directive sur les produits de construction
Art. 9 Principes
Art. 10 Répartition des coûts
Art. 11 Publication des prescriptions et des directives
Art. 12 Adhésion et dénonciation
Art. 13 Entrée en vigueur
13
14RAPPORT DE LA MINORITÉ
Rapporteur: M. Pierre Vanek
Le projet de loi émanant du Conseil d'Etat et que nous sommes appelés à traiter ne comporte « que » trois articles, qui nous proposent d'adhérer à un texte dont l'intitulé officiel est « Accord intercantonal sur l'élimination des entraves techniques au commerce » dit AIETC, accord qui est annexé au projet de loi.
Rappelons à ce propos et au passage que l'accord en question, s'il est « à prendre ou à laisser », doit cependant être voté (ou refusé) article par article
En effet, on se souviendra utilement qu'en son Chapitre VII - à la section 1 « Loi comportant une annexe » - notre Loi portant règlement du Grand Conseil comporte un art. 136 dont le premier alinéa « Approbation » indique que « Lorsqu'un projet de loi porte approbation d'un texte annexé, l'assemblée vote séparément sur chacun des articles de ce texte avant de statuer sur l'article approuvant l'annexe ». Ainsi, et eu égard au caractère de « paquet ficelé » de cet accord, il faudra - sauf à ne pas entrer en matière sur la loi - rejeter l'art.1 de la loi au cas où les 13 articles de l'accord annexé n'étaient pas tous agréés un par un par notre Parlement. Ceci sauf à se réfugier derrière l'argumentation, évidemment spécieuse, selon laquelle cet accord serait soustrait à l'approbation du Grand Conseil et que nous n'aurions à nous prononcer « que » sur une délégation au Conseil d'Etat l'autorisant à adhérer à un accord que nous n'aurions pas approuvé !
Lors du débat du 1er décembre 2000, portant sur l'adoption - avortée - de ce projet de loi, un certain nombre de députés, dont le soussigné, étaient intervenus pour mettre en évidence, s'il en était besoin, que sous le vocable apparemment neutre et « technique » d'« élimination des entraves au commerce » on retrouvait une politique s'inscrivant dans la droite ligne des accords de l'OMC, avec ce que ceux-ci comportent de démontage de toute une série de mesures de protection de la santé, de protection de l'environnement et de protections sociales, avec ce qu'ils comportent aussi de perte de souveraineté populaire et démocratique.
Lors de ce débat j'avais eu l'occasion de remercier notre collègue, le rapporteur libéral M. Olivier Vaucher, d'avoir transcrit très précisément les propos de Mme Vuillod, juriste du DAEL, qui avait indiqué ce qui suit lors des travaux préparatoires en commission
Rapport PL 8215-A de M. Olivier Vaucher in Mémorial du 1er décembre 2000, p.10465 et suivantes.
« Les normes adoptées en matière d'ouvrages publics ne pourront continuer à exister que pour autant qu'elles soient justifiées par des particularités locales, comme le prévoit l'art. 6, al. 2 AIETC. Pour bénéficier de l'application de cette disposition, il faudra pouvoir justifier d'éléments particuliers de protection du patrimoine. »
et qui avait surtout :
« signalé en outre que la loi sur les constructions contient des dispositions relatives aux économies d'énergie, dispositions qui sont devenues de véritables normes constructives. Si l'autorité intercantonale est amenée à légiférer en la matière et à adopter des normes moins sévères que les dispositions genevoises, le canton de Genève devra s'aligner sur ces normes. »
Et c'est, en effet, sur ce plan que l'accord en question est particulièrement inquiétant et en contradiction notamment avec les préoccupations de notre Conseil, ainsi qu'avec celles exprimées par le Conseil d'Etat, qui a - à juste titre - entrepris récemment de clarifier et de préciser les normes légales en matière de mesures de politique énergétique par le dépôt d'un projet de loi, d'ailleurs inscrit à notre ordre du jour et dont notre Commission de l'énergie a, d'ores et déjà, empoigné l'examen préliminaire dans un esprit fort constructif.
Il s'agit du projet de loi 8426 modifiant la loi sur l'énergie (L 2 30) dont le Conseil d'Etat nous dit d'ailleurs, dans son exposé des motifs à l'appui du projet, qu'il précède une éventuelle « révision plus ambitieuse » dont il « importera d'examiner l'opportunité et les modalités dans un second temps ».
Lors de la séance du 1er décembre 2000 de notre Conseil, il a également été mis en lumière un fait que le rapport de M. Vaucher avait - par contre - escamoté, mais peut être était-ce par inadvertance.
Il s'agissait du fait, pourtant public, que le Conseil d'Etat - lui-même - avait, en son temps, carrément préconisé le refus de cet accord, et ce en l'état où il est aujourd'hui proposé à notre approbation.
En effet, dans le communiqué issu du point de presse du gouvernement cantonal du 14 octobre 1998, concernant l'accord qui nous est proposé et qui allait être adopté moins de dix jours plus tard, sous le titre éloquent ci-après : « Le Conseil d'Etat déplore que ses remarques n'aient pas été prises en compte », on lit ce qui suit :
« Les remarques formulées par les cantons, dont Genève, n'ont pas été prises en compte par la Conférence des gouvernements cantonaux dans le compte rendu des résultats de la procédure de consultation relative à l'accord intercantonal sur l'élimination des entraves techniques au commerce, dues aux disparités entre les systèmes de prescriptions et de normes cantonaux.
Cet accord se traduit en fait par la création d'un organisme appelé « Autorité intercantonale » chargé d'effectuer ce travail à la place des collectivités parties à l'accord.
Le gouvernement genevois dans sa réponse du 6 mai dernier, avait déploré que ce projet ne contienne aucune règle de droit commune aux cantons signataires et se contente d'instituer une pure délégation de compétences en faveur de cette autorité intercantonale.
Le Conseil d'Etat souhaite connaître les tenants et les aboutissants de son engagement et non pas seulement conférer un mandat d'agir à une autorité intercantonale. Il informe donc la Conférence des gouvernements cantonaux que son adhésion sera subordonnée à la prise en compte de ses remarques fondamentales. » (C'est votre rapporteur qui souligne)
M. Goumaz, de la direction des affaires juridiques du DEEE, a précisé en Commission des travaux ce qui suit concernant la négociation de cet accord: « Genève a été minorisé car il n'a pas approuvé le texte négocié » ! (PV No 102 du 9.1.01 p.4)
Au-delà donc des réticences d'ordre plus général sur le souffle néolibéral - issu d'une OMC largement contestée aujourd'hui aux quatre coins du globe - ayant manifestement inspiré cet accord, c'est donc bien ce préavis - fort pertinent et raisonnable - du Conseil d'Etat que nous vous proposons de suivre aujourd'hui en refusant d'approuver le dit accord.
En effet, l'accord en question - aussi surprenant que cela puisse sembler pour le commun des mortels - ne comprend aucune espèce de mesure concrète, à laquelle nous pourrions le cas échéant nous rallier ou nous opposer, concernant des « entraves » réelles ou supposées au commerce.
Son titre est donc, chacun-e en conviendra je l'espère, parfaitement abusif ! L'accord devrait, plus justement, être intitulé :
« Accord sur la délégation de compétences législatives cantonales (à géométrie indéfinie) à une autorité intercantonale ad hoc émanant d'un certain nombre d'exécutifs cantonaux et chargée de « légiférer » en lieu et place des Parlements cantonaux, ceci en soustrayant ces décisions tant au contrôle parlementaire qu'à la procédure référendaire normalement en vigueur ».
A ce propos, nous sommes, quant à nous, de l'avis - somme tout fort peu révolutionnaire - que l'activité législative doit être le fait de nos Parlements élus, qu'ils soient cantonaux ou qu'il s'agisse des Chambres fédérales, et que le respect des droits populaires découlant de notre régime de démocratie semi-directe, notamment le droit de référendum, est essentiel et devrait tenir à coeur à chacun-e d'entre nous dans cette enceinte.
Or, l'accord en question - pour être précis sur son contenu - porte création d'une « autorité intercantonale », constituée de membres des exécutifs cantonaux, un par canton (art. 3, al. 2), qui adoptera son propre règlement qu'on ne connaît donc pas à ce jour (art. 3, al. 1) et qui pourra, selon son bon plaisir, se doter par exemple d'un « secrétariat permanent » ou d'ailleurs créer des « commissions d'experts permanents » (art. 3, al. 3 b et c).
Les coûts, que l'on ne connaît évidemment pas, liés à l'activité de cette autorité intercantonale seraient d'office couverts et répartis entre les cantons au prorata de leurs populations (art. 10).
Cette autorité pourrait notamment « édicter des prescriptions concernant les exigences en matière d'ouvrages » (art. 4, lettre a). Signalons que « ces prescriptions sont obligatoires pour les cantons » (art. 6, al. 3) et primeraient donc automatiquement sur les législations cantonales.
Les seules dérogations éventuellement admises concerneraient « la protection du patrimoine et des monuments » (art. 6, al. 4) et en aucun cas la politique énergétique par exemple, ou des mesures élémentaires de sécurité, comme celles que nous avons évoquées dans le débat précédent concernant par exemple... les ascenseurs, et les dispositions pour limiter leur dangerosité, instituées par la loi genevoise suite à des accidents graves qui les avaient motivées.
En matière d'harmonisation intercantonale dans ces domaines, on aurait sans aucun doute pu et dû suivre la voie plus normale consistant à négocier un accord, portant concrètement sur les prescriptions visées, accord qui serait adopté ensuite - ou le cas échéant refusé - par les divers cantons.
Cette voie « normale » n'a pas été suivie et l'on se trouve donc face à un accord sans contenu matériel, autre que celui des pleins pouvoirs donnés à une sorte de « club » ad hoc, regroupant des représentants d'exécutifs cantonaux, qui n'auront aucune espèce de compte à rendre en la matière, ni aux Parlements, ni aux citoyen-ne-s de leurs cantons.
Les partisans de l'adhésion à cet accord se sont plu à évoquer l'hypothétique danger d'une « politique de la chaise vide ». Or, ce qui sera surtout vide de contenu, si on acceptait cet accord, ce sont les prérogatives élémentaires des élu-e-s des législatifs cantonaux. Ils auront beau chauffer les chaises du Grand Conseil en y posant leurs augustes arrière-trains, en la matière, ces chaises-là seront de facto vides ou ce sera tout comme !
Lors du débat de décembre sur le projet qui nous occupe, certains député-e-s ont plaidé, et on peut les comprendre, non pas le refus immédiat de l'accord, mais son renvoi en commission, pour un examen sérieux et exhaustif de la portée de celui-ci, de ses implications par rapport à nos dispositions légales et réglementaires cantonales, etc. D'aucuns se sont plaints que l'examen initial en commission n'avait pas apporté de réponses dans ce sens.
On peut citer à ce propos l'intervention de notre collègue Charles Beer qui disait « Et moi je prétends que nous ne savons pas clairement sur quoi nous avons voté en commission... J'estime ne pas avoir des réponses claires aux questions que j'ai posées, qui me permettraient de me déterminer positivement ou négativement sur cet objet... » in Mémorial du 1er décembre 2000, pp. 10483-4
Or, la Commission des travaux a re-traité rapidement de cet objet, en deux demi-séances, sans pouvoir, pas plus aujourd'hui qu'en décembre dernier, vous rapporter le résultat d'un tel examen.
Et ceci est normal. En effet, personne ne peut dire sérieusement aujourd'hui quelles seront les prescriptions qu'édictera - ou pas - à l'avenir cette autorité ! Mais par contre - au moment où ces prescriptions seront prises, elles auront, qu'on le veuille ou non, force de loi dans notre canton, sans que nous ne puissions avoir la prétention ni de les examiner dans ce Parlement, ni encore moins de les remettre en cause, sauf à démissionner (avec un « délai de congé » particulièrement long de trois ans) de cette machine qu'on nous propose aujourd'hui d'instituer.
Par contre, si nous n'adhérons pas à l'accord, conformément à ce que vous propose mon rapport dans ses conclusions, et si l'autorité intercantonale était en effet mise en place - ce qui n'est à ce jour pas certain
A ce jour, ce n'est qu'une minorité de cantons ou demi-cantons, soit 11 sur 26, qui ont approuvé cet accord selon les renseignements qui nous ont été fournis.
A ce propos, M. Goumaz, de la direction des affaires juridiques du DEEE, a été très clair. Il a précisé en commission le 9 janvier (v. PV No 102 de la Commission des travaux) que « si on n'est pas partie à l'accord, on fait ce que l'on veut à l'intérieur du canton... »
En matière de contenu, on peut cependant quand même tenter de préciser un tant soi peu, grâce aux indications, apportées encore une fois en commission par Mme Vuillod, juriste du DAEL, les domaines possibles où s'exercerait, selon elle, l'autorité intercantonale en question en matière d'ouvrages. Pour ce faire, cette juriste s'est référée à l'Annexe 1 de la Directive européenne sur les produits de construction que M. Vaucher avait d'ailleurs, on s'en souviendra, déjà annexée au rapport précédent.
Ce document européen, qu'on nous a présenté comme base du champ d'intervention en la matière de l'autorité intercantonale, comporte six têtes de chapitre.
La première porte sur les questions de « Résistance mécanique et stabilité ». Or, ce serait un domaine non-régi par la législation genevoise, dans lequel s'appliquent les normes SIA qui sont harmonisées pour toute la Suisse et eurocompatibles. Ainsi, dans ce domaine, l'autorité n'apporterait rien, selon le département lui-même.
Le deuxième chapitre traite de la « Sécurité en cas d'incendie ». Dans ce domaine, I'harmonisation aurait déjà été faite, du moins à Genève : l'article 121, alinéa 2 de la LCI renvoyant, pour tous les aspects techniques, aux directives de l'AEAI.
AEAI = Association des établissments cantonaux d'assurance incendie
En troisième viennent les questions placées sous le chapeau d'« Hygiène, santé et environnement ». Ces aspects sont traités par le droit fédéral (LPE, Opair, Osol, Osites ..), les cantons ayant - toujours selon Mme Vuillod - des compétences d'exécution seulement. Il n'y aurait donc pas de modification à attendre, l'harmonisation résultant des compétences de la Confédération. Ainsi dans ce domaine aussi, l'autorité n'apporterait rien !
Quatrièmement, on trouve la problématique de la « Sécurité d'utilisation ». Domaine régi - nous a-t-on dit - par le droit privé, notamment l'article 68 du Code des Obligations « visant à responsabiliser » le propriétaire d'ouvrage. Les articles 49 et suivants RALCI pourraient éventuellement être concernés, mais on ne voit pas - nous indique Mme Vuillod - en quoi ces prescriptions (barres de retenue, garde-corps,escaliers...) constitueraient une entrave technique au commerce. Là encore, l'adhésion à l'accord n'apporterait rien !
En cinquième, on a la protection contre le bruit qui fait l'objet de l'ordonnance fédérale... sur la protection contre le bruit. Là aussi, on est logé à la même enseigne.
Ainsi, de l'aveu - ou de l'avis - même de la spécialiste du département - qu'on peut bien sûr ne pas partager - dans la plupart des domaines évoqués l'autorité intercantonale n'aurait pas à intervenir et serait donc... inutile ! L'argument en faveur de celle-ci consistant à agiter le spectre d'une intervention de la Confédération, qu'il s'agirait de tenter d'éviter par le bricolage intercantonal envisagé, serait donc elle aussi sans fondement.
Ainsi, on en vient au sixième chapitre : « Economie d'énergie et isolation thermique ». Comme on nous l'avait déjà indiqué, dans ce domaine-là, le droit genevois contient en effet des « normes constructives » qui risquent fort d'être remises en cause. Selon les directives adoptées par l'autorité intercantonale, nos dispositions en matière d'économie d'énergie et d'isolation thermique, par exemple, devraient le cas échéant être adaptées, si elles étaient considérées par l'autorité intercantonale comme une entrave au commerce.
Au bénéfice de ces explications, je me permets donc de conclure en vous invitant, Mesdames et Messieurs les député-e-s, à refuser d'entrer en matière sur ce projet de loi malvenu qui nous fait accepter, par avance et la tête dans le sac, des prescriptions dont nous ne connaissons pas la teneur et que nous n'aurions plus le droit de remettre en cause par la suite, un projet de loi qui restreint les droits de notre conseil, ainsi que ceux de nos concitoyen-ne-s et qui ne saurait fonder une saine politique d'harmonisation intercantonale, dont la transparence et la démocratie ne sauraient être absente, quel qu'en soit l'objet.
Premier débat
M. Olivier Vaucher (L), rapporteur de majorité ad interim. En introduction, je voudrais rappeler que, dès le départ, le Conseil d'Etat avait pris une position très critique vis-à-vis de cet accord intercantonal, qu'il avait souhaité que les lignes directrices soient plus précises et que le mandat soit mieux cerné, avec mention des directives existantes sur le plan européen. Le Conseil d'Etat avait particulièrement bien fait son travail, mais malheureusement Genève a été minorisé. Malgré cela, nous estimons qu'il est important de ne pas mener la politique de la chaise vide, car la question est simple : voulons-nous participer à l'effort commun d'harmonisation, sachant que, si nous n'y participons pas, nous serons contraints d'une manière ou d'une autre d'harmoniser nos normes techniques pour tenir compte des décisions de l'autorité intercantonale ou fédérale ?
J'aimerais d'autre part relever que le rapporteur de minorité, M. Vanek, a parlé d'un refus du Conseil d'Etat. En l'occurrence, il n'était pas question d'un refus : le Conseil d'Etat avait émis des réticences et je voulais corriger cette affirmation.
Enfin, le rapporteur de minorité dit, dans sa conclusion, que le projet de loi «restreint les droits de notre Conseil». Je ne pense pas que ce soit juste, car nos droits seront encore plus restreints si nous n'adhérons pas à cet accord. Nous nous verrons en effet imposer des directives prises, soit par d'autres cantons, soit in fine, si l'accord intercantonal ne passe pas, prises par la Confédération.
Je voulais juste rappeler ces quelques faits en introduction.
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur de minorité. M. Vaucher a tenu à corriger, a-t-il dit, des affirmations qui figurent dans mon rapport, dans lequel je me suis montré, d'après lui, un élément très gouvernemental, en reprenant ce qu'avait dit le Conseil d'Etat à l'époque. En l'occurrence, j'ai transcrit ses affirmations de manière très précise. Le Conseil d'Etat à l'époque - dans son point de presse du 14 octobre 1998 - indique que «les remarques formulées par les cantons, dont Genève, n'ont pas été prises en compte» dans l'élaboration de cet accord; que cet accord «se traduit en fait par la création d'un organisme appelé «Autorité intercantonale», chargé d'effectuer le travail d'harmonisation à la place des collectivités parties à l'accord» - je cite là le texte même du communiqué de presse du Conseil d'Etat. Le communiqué indique enfin que «le Conseil d'Etat souhaite connaître les tenants et les aboutissants de son engagement...», ce qui n'est toujours pas le cas aujourd'hui, puisque nous sommes dans la situation de voter le même accord, qui institue simplement une autorité à laquelle nous déléguerions des tâches indéfinies.
A l'époque, le Conseil d'Etat avait informé la Conférence des gouvernements cantonaux que «son adhésion serait subordonnée à la prise en compte de ses remarques fondamentales». M. Lamprecht, au nom du Conseil d'Etat, pourra nous confirmer que ces remarques fondamentales que je viens de citer n'ont pas du tout été prises en compte. Je traduis donc correctement la position du Conseil d'Etat, à l'époque en tout cas, en disant que celui-ci appelait à refuser cet accord s'il n'était pas modifié dans le sens de lui donner un contenu plus précis. Voilà pour la réponse à M. Vaucher.
Maintenant, quelques critiques sur le fond. D'abord, cet accord a un intitulé extrêmement trompeur. Il s'inspire de la terminologie de l'OMC et autres, en annonçant le projet qui paraît bénin, à savoir l'élimination des entraves techniques au commerce. Mais en fait, cet accord serait plus justement intitulé : «Accord sur la délégation de compétences législatives cantonales», car c'est bien de cela qu'il s'agit. Il institue une autorité qui va prendre des décisions - cela nous a été confirmé - qui auront force de loi dans ce canton, sans qu'elles passent dans cette enceinte et sans qu'elles soient soumises aux droits populaires. Cette autorité intercantonale ad hoc, émanant non pas des parlements mais bien des exécutifs cantonaux, sera chargée de «légiférer» - j'emploie le terme entre guillemets - en lieu et place des parlements cantonaux, ses décisions étant soustraites tant au contrôle parlementaire qu'à la procédure référendaire normalement en vigueur. Tout ceci est donc peu sérieux et surtout peu démocratique.
Nous avions évoqué ces réserves, nous avions pris en compte, Monsieur Vaucher, des éléments de votre premier rapport, où vous citiez très justement et très honnêtement - je vous en avais remercié - les propos d'une juriste du département, Mme Vuillod. Celle-ci indiquait que nous avions, à Genève, un dispositif de normes, notamment en matière d'économie d'énergie et en matière de construction - car il ne s'agit pas ici seulement du commerce de marchandises meubles, mais aussi de construction d'immeubles - qui correspondent à de véritables « normes constructives », que nous pouvons d'ailleurs être appelés à renforcer et à préciser le cas échéant. Or, avec cet accord, nous serions tenus d'exécuter les décisions de cette autorité et contraints de passer ces normes par pertes et profits, alors que notre législation se fonde sur une légitimité démocratique qui, en matière d'économies d'énergie, découle de l'article 160C de notre constitution.
Ceci n'est pas acceptable en termes de démocratie. Nous sommes évidemment pour une concertation intercantonale, pour l'élaboration de normes communes les meilleures possibles. Mais, ici, il ne nous est rien proposé qu'une coquille vide de délégation de compétences, qui plus est de compétences indéfinies : personne n'a été en mesure de dire précisément quelles elles étaient. Et si cette affaire est revenue très vite de commission, c'est précisément parce qu'il n'y a pas de matière à analyser. Demain, cette autorité à laquelle on délègue des compétences pourrait prendre des décisions qui nous surprendraient aujourd'hui... Il est vrai qu'on peut se retirer de l'accord, mais moyennant un délai de trois ans, ce qui est évidemment extrêmement long. Pour notre part, nous sommes contre cette idée qui, au nom d'impératifs techniques, économiques, implique une restriction des droits démocratiques, et nous sommes résolument pour une procédure très différente en matière de concertation intercantonale.
A cet égard, il existe en effet un modèle différent. Ainsi, en matière de prescriptions énergétiques des cantons, un processus de concertation a eu lieu par le biais de la Conférence des directeurs cantonaux de l'énergie, qui s'est réunie et qui a élaboré un modèle de prescriptions énergétiques des cantons. La première différence avec le projet d'aujourd'hui, c'est que ce modèle a un contenu concret sur lequel on peut discuter. Il intègre un certain nombre de modules que les cantons, par les voies législatives et démocratiques qui leur sont propres, peuvent reprendre et intégrer dans leurs lois cantonales. C'est ce que nous sommes en train de faire, pour partie, dans le cadre de la révision de la loi sur l'énergie que nous a proposée le Conseil d'Etat et que nous appelions de nos voeux. En l'occurrence, nous avons trouvé effectivement de bonnes idées dans le modèle proposé, nous en discutons et nous les intégrerons dans la loi cantonale, qui reviendra devant notre parlement assortie d'un rapport, qui sera discuté par ce parlement en toute connaissance de cause et en connaissance de la situation du canton, puis votée par ce parlement et - le cas échéant, si d'aucuns estimaient que nous avons commis des erreurs - soumise à un vote populaire, par la voie référendaire normale.
En revanche, ce qui nous est proposé dans le présent accord est réellement quelque chose d'inacceptable. Vous parlez, Monsieur Vaucher, de politique de la chaise vide, mais ce sont nos chaises ici, autour de cette table des rapporteurs, dans cette salle du Grand Conseil, qui seront non pas vides mais échauffées par les postérieurs de députés qui n'auront rien à dire !
Selon un scénario optimiste, on nous dit que cette autorité va élaborer toutes sortes de normes intéressantes, utiles et positives. Fort bien, mais si tel était le cas rien, strictement rien ne nous empêche, nous parlement cantonal, d'être informé de ces normes, de les examiner, de les reprendre, le cas échéant, et de les intégrer dans notre dispositif législatif cantonal, ou alors, si elles sont inacceptables, de les refuser. La voix de la raison, c'est au minimum d'attendre, pour adhérer à un tel processus, que le moulin qu'on met en place ait moulu quelques grains et qu'on sache si nous voulons ou ne voulons pas de cette farine-là. De ce point de vue, il me semble absolument évident qu'on ne peut pas défendre l'adhésion à cet accord.
En l'état des informations que nous avons reçues et pour revenir à la soi-disant politique de la chaise vide, il n'y a qu'une minorité de cantons qui ont d'ores et déjà adhéré à cet accord. J'ai cité le chiffre dans mon rapport, on peut le retrouver...
La présidente. Monsieur Vanek, il vous faut conclure, s'il vous plaît!
M. Pierre Vanek, rapporteur de minorité. Je ne comprends donc pas l'empressement du Conseil d'Etat à s'engager dans cette voie, alors qu'il avait lui-même, de manière très pertinente, formulé des critiques et posé des conditions. Ces conditions n'ont pas été remplies, notre gouvernement a changé d'avis en catimini et c'est donc moi qui dois me faire le porte-parole ici - ce qui est effectivement un peu saugrenu de la part d'un représentant d'un parti non gouvernemental - de la position qu'avait prise le Conseil d'Etat, qui était raisonnable et qu'il n'a malheureusement pas eu le courage de défendre jusqu'au bout!
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, nous interrompons nos travaux. Nous les reprenons à 20 h 30, avec le projet de loi sur les professions de la santé.
La séance est levée à 19 h.