Séance du
vendredi 6 avril 2001 à
17h
54e
législature -
4e
année -
7e
session -
19e
séance
PL 8455-A
Le projet de loi 8455 a été traité durant les séances des mercredis 7 février et 14 mars 2001 sous la présidence de M. Hausser Dominique à l'occasion de ces travaux. La commission a reçu Mme Calmy-Rey Micheline, présidente/DF, M. Cramer Robert, président/DIAE, M. Pangallo Jean-Paul, directeur du budget, M. Torracinta Claude.
Mme Monnin Eliane, procès-verbaliste, a assisté la commission et nous la remercions de son aide précieuse.
Le projet de loi s'inscrit dans le prolongement de la motion 1124 dont le Grand Conseil a été saisi le 2 mai 1997. L'objet de ladite motion était de demander au Conseil d'Etat de faire le nécessaire pour rendre le plus accessible possible la mémoire de l'accueil des réfugiés durant la Deuxième Guerre mondiale et de l'axer plus particulièrement sur ce qui s'est passé à la frontière genevoise. Genève est en effet le seul lieu de Suisse à avoir gardé la mémoire de cette histoire à travers les archives de l'arrondissement territorial. Dans les autres cantons suisses, les fiches qui rendaient compte du passage à la frontière ont été détruites. Cette préservation quasi miraculeuse à Genève a permis de dépouiller un fichier, de mener à un certain nombre de publications et de rendre public sur Internet, comme le demandaient les motionnaires, le nom des personnes qui ont traversé la frontière. De tout cela, le Conseil d'Etat a rendu compte dans son rapport du 29 septembre 2000. Le Grand Conseil en a pris acte après un échange de propos qui montraient que les intervenants considéraient que le Conseil d'Etat avait répondu de manière satisfaisante à la motion.
Au plan des archives, un travail se fait dans toute la Suisse, à travers l'association « Archimob » qui s'est donné pour mission de recueillir le témoignage des survivants et de les interroger sur cette période de leur vie. Des moyens supplémentaires ont été accordés par le canton à « Archimob » pour que la part de son travail consacrée à la frontière genevoise soit plus étendue. Toutefois, ce travail d'archives, réalisé avec un plan fixe et de longs interrogatoires portant sur les mêmes questions, est peu accessible au grand public mais davantage destiné aux historiens. Au sein du Conseil d'Etat, la discussion s'est poursuivie de savoir si, en plus de tout ce qui avait été fait mais destiné, en somme, à des scientifiques ou aux personnes directement concernées par la consultation des archives, il n'y avait pas une réelle nécessité de faire un film destiné à un plus grand public, film que l'on pourrait voir à la télévision ou qui pourrait être projeté dans les écoles.
Le Conseil d'Etat a estimé qu'il était difficile que l'Etat lui-même prenne la responsabilité de commander un film, en d'autres termes, qu'il prenne la responsabilité de se faire d'une façon ou d'une autre producteur dudit film. En revanche, il a décidé collégialement qu'il était prêt à financer un film si on lui en faisait la demande. La nuance sur ce point est importante. Le Conseil d'Etat ne voulait pas être dans la situation de devoir choisir un groupe qui réalise le film et, de ce fait, de se prononcer quant au contenu mais il souhaitait uniquement se montrer disposé à mettre les moyens nécessaires pour qu'un tel film puisse être réalisé. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les annexes au projet de loi du jour, porté par une équipe animée par M. Torracinta d'une part et, d'autre part, par le professeur Favez, de manière à fournir les garanties scientifiques. Le projet a semblé intéressant au Conseil d'Etat à deux égards. En premier lieu, la télévision est associée, ce qui donne la garantie que le financement ne sera pas investi à fonds perdus dans la mesure où le film va rencontrer une large audience. D'autre part, de par la qualité des personnes qui portent le projet, il devrait aboutir à un produit final qui pourra être utilisé dans les écoles comme matériel pédagogique.
Se posait la question technique du financement et la manière de la résoudre. La première possibilité, soit la demande d'un crédit supplémentaire, a fait l'objet d'une interpellation auprès de Mme Calmy-Rey et il semble que la Commission l'ait jugée inadéquate. La seconde possibilité est celle du projet de loi mais le souci essentiel est de pouvoir agir rapidement dans la mesure où des témoignages doivent être recueillis pour la réalisation du film. Si le Grand Conseil estime que ladite réalisation est une mauvaise idée, le Conseil d'Etat est prêt à y renoncer. Indépendamment de la transparence financière, la transparence politique est également souhaitable. Il est nettement préférable de savoir que le projet rencontre l'assentiment de l'ensemble du Grand Conseil plutôt que de se lancer dans une entreprise sur une période très délicate et être exposé à diverses critiques pour l'avoir fait.
En conclusion, le Conseil d'Etat est unanime à considérer qu'il est souhaitable d'utiliser tout le travail qui a d'ores et déjà été fait autour des archives, pour en faire un document destiné au grand public. Dans le même temps, il est très réservé sur l'idée qu'un tel projet émane de l'Etat. En conséquence, il se montre satisfait de pouvoir présenter un projet qui a été conçu en dehors de l'Etat.
Dans un premier temps, une étude de faisabilité d'un tel film sur le plan historique a été réalisée l'année dernière, pour savoir s'il existait suffisamment de recherches et de travaux historiques qui permettent de faire un travail rigoureux. Il est apparu d'emblée qu'il y avait, d'une part, un fonds d'archives extrêmement précieux puisque tous les dossiers des personnes qui se sont présentées à la frontière de 1942 à 1945 ont été conservés, soit 23'800 personnes. D'autre part, il y a eu ces dernières années des travaux historiques extrêmement importants, notamment dans le cadre des archives elles-mêmes. Il convient en particulier de signaler le Mémoire de Pierre Flückiger, collaborateur des Archives de l'Etat. Une deuxième question s'est posée, à savoir s'il existait encore des témoins. Pour tenter d'y répondre, une recherche a été lancée, dans le courant de l'année dernière, par des sources extrêmement diverses, dans plusieurs pays. Une soixantaine de témoins encore vivants ont été retrouvés dont on peut penser que le témoignage est relativement crédible dans la mesure où ils avaient à l'époque des événements douze à quinze ans au minimum. Ces témoins ont été soit accueillis, soit refoulés, l'un d'entre eux a été déporté ensuite à Auschwitz. Ils vivent actuellement en Suisse, en Israël, aux Etats-Unis, en France, en Belgique et en Hollande. Par ailleurs, un certain nombre de passeurs ont été retrouvés. S'agissant des témoignages, il a donc été possible de faire un certain nombre de choix de situations révélatrices. Au plan financier, la télévision a accepté de participer à la coproduction du projet, voire de le diffuser sur TV5. Quant à savoir s'il existait des documents iconographiques, textes, photos, etc., la première recherche a démontré que tel était effectivement le cas.
En conclusion, l'étude de faisabilité a démontré qu'il était possible de réaliser un film sur la manière dont Genève a appliqué la politique fédérale pendant la période 1939 à 1945.
A ce stade, un groupe de travail a été constitué. Le professeur Favez, auteur d'une publication récente sur l'analyse de personnes qui ont été refoulées et dont on a retrouvé la trace, et M. Torracinta, en tant que journaliste, en assument la responsabilité. Le groupe est formé de Mmes Ruth Fivaz-Silbermann et Joëlle Droux, historiennes. Mme Droux a notamment fait un travail de recherche sur cette période et elle a analysé le Mémorial du Grand Conseil pendant la guerre. Le groupe s'est également adjoint la présence du professeur Mauro Cerruti, de l'Université de Genève, et de M. André Gazut, réalisateur. Avec l'accord du Département, il souhaite s'adjoindre la participation de MM. Pierre Flückiger et Roger Rosset, collaborateurs des Archives de l'Etat.
Une première proposition de réalisation d'un film figure dans le projet de loi et essaie de montrer la complexité de la situation qui a existé à l'époque. L'exemple de Genève est extrêmement intéressant à plusieurs titres. Outre le fait que le canton possède les dossiers des personnes qui se sont présentées à la frontière, la ligne de démarcation passait à Genève, soit au Nord, la zone occupée par les Allemands et au Sud, la région d'Annemasse, lieu plus ouvert aux réfugiés et qui a vu un afflux énorme à partir de 1942. La présence des Italiens jusqu'en 1943 et leur attitude témoignent également de la situation particulière de Genève par rapport au reste de la Suisse. En outre, les autorités genevoises étaient liées à la police française par un accord pour lui remettre des réfugiés, ceci dans le contexte socio-économique de l'époque, dans une grande dépendance vis-à-vis de l'extérieur suite aux effets de la crise des années trente.
Sur la base des thèmes présentés dans le document actualisé, des choix devront être faits, l'idée étant de ne pas trop tarder à préparer le scénario. Quant à la réalisation du film, dans un premier temps, une fois la base thématique fondée, une série d'interviews auraient lieu d'ici l'été. Le montage pourrait être terminé en automne pour que le film puisse sortir à la fin de l'année. Dans les thèmes abordés, certains seront traités au titre de rappels, par exemple le contexte politique en 1939, alors que d'autres seront travaillés davantage en profondeur.
Une part a été occultée dans l'ensemble des documents présentés jusqu'à présent, soit le rôle qu'a joué la Genève officielle dans cette période.
Il est frappant de voir, en lisant les documents qu'ont publiés les archives sur cette période, que l'administration cantonale n'a pas du tout été innocente dans cette affaire, notamment le secrétaire général d'alors du Département de justice et police qui a joué un rôle très important puisqu'il était, dans le même temps, pendant une certaine période, commandant de l'arrondissement territorial. Il avait donc une fonction militaire qui était celle de commander la police frontière et, en même temps, la fonction civile de commander la police genevoise. On voit très bien, au travers des archives, qu'il avait des rapports directs avec le conseiller fédéral en charge du dossier et avec les responsables de l'Office fédéral de la justice et de la politique de l'immigration. La mise en évidence très claire du rôle de cette personnalité, qu'on retrouve également dans le rapport dressé dans le canton de Vaud, apporte un éclairage nouveau pour le grand public. De même, il convient de relever ce qui est indiqué sous le chiffre 3 de la lettre J), « L'attitude de la population genevoise », soit le rôle particulier des oeuvres d'entraide, rôle remarquable, notamment ce qui a été organisé par les Eglises chrétiennes.
Il faudrait rappeler l'interdiction du parti communiste pendant toute cette période, dès 1941, la clandestinité à laquelle il a été contraint et les réseaux mis en place par la Résistance, également à Genève, avec tout ce qu'ils ont impliqué, notamment l'enfermement en prison. Pratiquement, tous ceux qui étaient dans les rangs de ce groupe sont passés à Saint-Antoine parce qu'ils avaient aidé des gens à passer la frontière. Or, tout ceci est complètement occulté, comme si rien n'existait et il n'est pas concevable qu'on puisse réellement faire l'histoire de Genève à cette époque sans en parler. Il est vrai que le recours au Tribunal fédéral qu'a fait un quarteron de réactionnaires pour s'opposer à quasiment cinquante ans de silence, en attaquant une oeuvre où on a commencé à dire certaines choses à la télévision, a obtenu gain de cause mais toujours est-il que dans la présentation qui vient d'être faite, une bonne partie des activités politiques genevoises de cette période est occultée : le rôle des autorités, le rôle du Grand Conseil, l'enfermement et le rôle qu'ont joué les anciens du parti exclu et qui ont témoigné de leur vécu. S'il est certainement intéressant que le film fasse l'historique de cette période, il est tout aussi important d'aller jusqu'au bout des choses et de dire ce qui s'est réellement passé à Genève. Toutefois, les explications qui viennent d'être données restent lacunaires sur ce point.
Cette demande est légitime mais comme l'a précisément relevé M. Cramer, le chapitre « Les acteurs genevois » énumère clairement l'attitude des autorités politiques et civiles, de l'administration, en particulier le rôle-clé dévolu à Arthur Guillermet, officier de police et secrétaire général du DJP, des organes de police et de l'armée. Toutefois, il faut bien reconnaître que tout ne pourra pas être dit sur le contexte politique de l'époque. En revanche, il est bien clair que le film entend montrer les acteurs politiques de l'époque mais il faut aussi admettre qu'il y a peu de traces lorsqu'on lit le Mémorial de l'époque.
Il existe pourtant une liste de 200 éligibles mais interdits de faire de la politique et interdits de Parlement. Il ne faut donc pas s'étonner que le Parlement ait peu évoqué le contexte de l'époque dans ce qui est rapporté au travers du Mémorial.
Le rôle de la Commission n'est pas de se pencher sur le scénario du film mais de laisser la responsabilité aux auteurs de choisir ce qu'ils jugent exemplaire ou non. Mais il est juste de soulever certaines lacunes. On pourrait aussi parler de l'accueil de Mendès-France qui est beaucoup trop occulté dans toute cette affaire et qui a vécu chez Charles Rosselet pendant plusieurs mois durant la guerre, alors qu'il était déjà député. Il est toujours possible de suggérer des idées aux responsables du projet, directement ou en privé, tout en admettant que ce point n'est pas du ressort de la Commission. En revanche, le nom de l'association « Archimob» ne figure à aucune reprise dans le projet de loi.
La composition de l'équipe chargée de la réalisation du film, qui compte peu de femmes, a une touche quelque peu monocolore. A titre d'exemple, on ne cite pas, dans les travaux, ceux de M. Spira qui est pourtant Juif, qui a connu cette période et qui a constaté que certains documents manquaient à Genève, comme ailleurs. Sa présence dans le groupe serait utile. C'est la raison pour laquelle on peut s'interroger de savoir si ledit groupe est ouvert à des gens qui ont des sources contemporaines et comment il a été constitué. Or, si cette appréciation se justifie au plan politique, elle l'est moins du point de vue historique. Tout en étant conscient qu'un film n'est pas une recherche historique, on peut se demander si M. Torracinta, en tant que promoteur dudit groupe, n'aurait pas intérêt à y associer une ou deux autres personnes dès l'instant où seul M. Rosset, archiviste adjoint, se distingue dans la liste par sa formation d'égyptologue. Il est vraiment heureux qu'on puisse faire quelque chose pour le grand public dès l'instant où la lecture du rapport des archives est restée très confidentielle. Par contre, l'ouverture du groupe ou du moins l'assurance qu'il n'y aura pas une seule vision de l'histoire présentée est d'autant plus importante que des tensions peuvent encore exister actuellement, certains députés se demandant même s'il valait la peine de remuer tout cela. Il s'agit également de se montrer sensible aux observations qui ont été faites de gauche ou de droite, en s'interrogeant sur la composition de l'équipe à qui la réalisation du film est confiée.
M. Torracinta entend bien la question de savoir la manière dont les contacts ont été pris pour que l'histoire de la période concernée soit totale et objective. C'est précisément la raison de la demande à M. Cramer de pouvoir bénéficier de l'appui de M. Pierre Flückiger, considéré comme étant le seul élément dans le groupe pouvant apporter une rigueur historique. Ce critère a été déterminant dans le choix des personnes qui figurent déjà sur la liste, soit le fait que l'on peut penser que leur apport contribue à éclairer la période de l'histoire concernée. Mme Fivaz, par exemple, possède des archives personnelles extrêmement complètes et c'est certainement la personne qui connaît le mieux les destins et les trajectoires des réfugiés à la frontière. Dans le choix des personnes entre également le critère de la confiance et des rapports entretenus avec eux. C'est le cas en particulier du professeur Favez dont l'apport et la réflexion sont bien connus du co-responsable du projet. Toutefois, même si le professeur Favez a un regard plus critique que celui qui transparaît dans le rapport Bergier, il est difficile d'atteindre une totale objectivité. En d'autres termes, il est possible de faire un film grand public mais avec toutes les limites d'un film destiné à passer à la télévision où il y a des exigences liées au langage cinématographique. Il aura cependant l'avantage d'atteindre précisément un plus grand public qu'une étude, fût-elle sortie des Archives de l'Etat.
C'est véritablement l'occasion de regarder comment Genève a géré la situation pendant ces années difficiles, situation beaucoup plus complexe qu'on ne l'imagine puisque la frontière n'était pas un monde complètement fermé. En témoigne notamment l'entretien Rothmund Von Steiger au mois d'août 1942 avec Arthur Guillermet face à un certain nombre de décisions prises par le Conseil fédéral de l'époque.
La participation de la TSR se situe à hauteur de 30'000 F, somme qui paraît bien dérisoire au regard des droits sur le film qu'elle pourrait avoir. Par ailleurs, y aura-t-il une convention ?
M. Torracinta a été directeur de l'information à la télévision pendant plusieurs années. Dans ce domaine, la télévision met très peu d'argent parce qu'elle concentre ses moyens sur ses propres productions. Elle peut acheter un documentaire sur le marché, actuellement, au prix de 10'000 F. Lorsqu'elle met 30'000 F dans une coproduction, elle met ainsi le prix de quatre ou cinq achats qu'elle pourrait faire. S'agissant du film consacré à l'accueil des réfugiés, elle mettra à disposition un documentaliste et un chargé de production, élément important pour la gestion administrative et financière. Le seul droit que lui donne une coproduction est celui de la diffusion, une, deux, voire trois, mais elle n'est pas propriétaire. Dans le cadre de la convention qui sera signée avec la télévision, il sera précisé ce qu'elle met à disposition. S'agissant de la diffusion dans un pays extérieur à la Suisse, la minute coûte entre 2'000 F et 8'000 F au niveau des droits d'image. Ensuite, si quelqu'un souhaite acheter le film, c'est à l'Etat qui a fourni les moyens financiers qu'il l'achètera.
Une partie des interviews ne sera certainement pas utilisée pour des questions de montage liées au scénario du film. Il paraîtrait intéressant que la totalité des documents visuels soient archivés pour qu'ils puissent être accessibles ultérieurement à des fins d'autres recherches.
Le choix des intervenants sera fait en fonction de critères individuels. A titre d'exemple, un dossier présente le cas d'une personne censée être réfugiée dans le canton de Vaud, figurant sur une liste de personnes non refoulables mais sous un nom mal orthographié. Trois mois après un premier refoulement, elle se présente en Suisse et elle est acceptée. Dans ce cas, ce sont les conditions de refoulement qui sont intéressantes. Dans d'autres cas, c'est l'attitude de passeurs qui est relevante dans la mesure où certains exigent davantage d'argent, peu de temps avant d'arriver à la frontière. Pour chacune des personnes interviewées, c'est donc l'intérêt de son histoire individuelle qui prime, soit l'ensemble du parcours, soit la situation dans un camp de refoulement. Toutes les interviews seront effectivement archivées mais elles ne portent que sur une partie de l'histoire du réfugié, contrairement au travail de l'association « Archimob » qui recueille les témoignages de manière brute, sans aucune intervention de la part des personnes qui interviewent. Ces témoignages peuvent durer des heures et ils sont établis à l'intention des chercheurs de la même manière qu'ils utiliseraient des documents d'histoire.
Le travail de l'Association « Archimob » a été soutenu à Genève en lui fournissant des moyens supplémentaires, destinés à recueillir les témoignages sur le passage à la frontière.
Chaque année, l'Etat subventionne des dizaines de projets, fêtes, manifestations ou autres pour lesquels les députés ne réclament ni projet de loi, ni détail du contenu. Ils ne s'inquiètent pas non plus de la formation des comités d'organisation. La Commission n'est donc pas en train de remplir son rôle, à savoir de poser deux questions essentielles. La première consiste à se demander si le projet doit être soutenu en tant que projet de service public. L'Etat doit contribuer à apporter un éclairage particulier sur ce moment de l'histoire. C'est le moment ou jamais, après cinquante ans d'attente, et il ne faut pas que la mémoire s'éteigne à ce niveau. Ce n'est pas le rôle du Grand Conseil de régler des problèmes de scénario. Les commissaires ne sont pas là non plus pour décider qui va faire partie de l'équipe, tenir la caméra ou écrire le scénario. Mais pour déterminer si le financement est adéquat ou non.
Les commissaires sont sensibles au contexte politique et au problème des 200 exclus et il paraît important de rappeler cet élément. S'agissant du coût du projet, la Commission se prononce sur des crédits de 40 millions avec moins de débat.
Il y aura des tournages, notamment en France, en Allemagne et aux USA. Un montant de 8'000 F est prévu pour la partie du film qui sera réalisée aux USA. Or, on croit savoir qu'il est obligatoire de prendre les techniciens sur place.
Le montant de 8'000 F représente surtout les frais de transport. Les seuls autres frais supplémentaires à prévoir sur place sont de type invitation à déjeuner, remise d'un cadeau ou autre, aux personnes interviewées. Par contre, les techniciens sont « locaux ». Dès l'instant où il faut prévoir des tournages en plusieurs endroits, il est important que le personnel technique suive la production du film, du début à la fin.
M. Torracinta tient à attirer l'attention des députés sur les problèmes de planification et de disponibilité du personnel technique. Pour que le film puisse être terminé à la fin de l'année, il faudrait que la première partie du tournage puisse intervenir à fin mars/début avril, la seconde à fin avril et la troisième à fin mai/début juin. D'autre part, les personnes qui seront interviewées sont âgées, l'une étant déjà décédée, après le premier contact l'été dernier.
Il est suggéré une réflexion sur les moyens à adopter pour faire en sorte que le projet de loi soit rapidement à l'ordre du jour du Grand Conseil. Pour répondre concrètement à certaines interrogations, le film ne sera pas diffusé pendant la campagne électorale. Il serait en effet malsain de commencer une campagne électorale sur le passage de la frontière et, de surcroît, la réalisation du film intervient dans le prolongement des travaux du Conseil d'Etat.
Il est troublant que la personne en charge du film soit aussi celle qui ait été chargée de l'étude de la faisabilité de ce projet.
Dans un premier temps, l'idée a surgi au sein du Conseil d'Etat de faire un film sur ce sujet. Il s'est donc adressé à la personne du monde cinématographique la plus proche et lui a demandé un rapport de faisabilité. Le Conseil d'Etat a décidé ensuite de ne pas mandater qui que ce soit pour la réalisation mais plutôt de se montrer disposé à soutenir un tel projet. En d'autres termes, il a préféré être dans la situation d'autorité sur la base d'un projet que les auteurs assument, ce qui a amené M. Torracinta à réfléchir dans ces termes. Cette situation est loin d'être évidente et il eût été plus confortable pour lui que le Conseil d'Etat le choisisse dans la perspective de présenter un projet. Dans le même temps, il lui a été dit que le Conseil d'Etat restait ouvert à ce que quelqu'un d'autre présente un projet et à l'accepter s'il le jugeait intéressant. La Commission pourrait suggérer de mettre une annonce dans la presse mais il faudrait ensuite constituer une commission pour opérer un choix. Les formules ont donc chacune leurs avantages et inconvénients. Celle que le Conseil d'Etat a choisie est la situation régulière de demande de subvention. Il est prêt à aider et il s'agit de dire oui ou non au projet.
La procédure s'est déroulée en plusieurs étapes. Le Conseil d'Etat a demandé l'avis d'une personne sur la faisabilité d'un tel projet. Sur la base d'une réponse positive, il s'est dit prêt à accueillir des projets. Sur ce point, le Conseil d'Etat est catégorique. Lorsqu'il a demandé à M. Torracinta de faire l'étude de faisabilité, il n'avait pas dans l'idée de lui confier la réalisation du projet. En outre, jusqu'à ce stade, rien n'a été confié à personne et la Commission peut toujours proposer quelqu'un d'autre.
Le Conseil d'Etat a présenté un bon rapport qui répond à la motion et clôt ainsi le moment de l'histoire. C'est la raison pour laquelle un député se demande pourquoi le Conseil d'Etat revient maintenant à la charge. Dans la chronologie des événements, le Conseil d'Etat s'était réservé la possibilité de revenir ultérieurement sur ce sujet. Or, il ne l'a pas fait au mois de février de l'année dernière alors que M. Torracinta vient de dire qu'il avait interviewé des gens au cours de l'été passé. Il y a là quelque chose qui ne joue pas. Ou bien le Conseil d'Etat savait qu'il n'allait pas simplement publier un rapport mais faire quelque chose d'autre au niveau visuel et, dans ce cas, il aurait été possible d'en discuter dans le cadre du budget 2001. Ou alors, le montage du projet est déjà fait ce qui justifie le système ultra-rapide du crédit supplémentaire présenté la semaine dernière. Le Conseil d'Etat propose actuellement une autre formule, celle du projet de loi. Il est donc difficile de comprendre la démarche exacte du Conseil d'Etat et il est souhaitable que la vérité soit dite, indépendamment de la teinte rouge ou rose du groupe chargé de la réalisation du film.
Il paraît difficile de se faire une opinion pour l'instant mais il est certain que la réalisation du film attisera des passions qui risquent de se rallumer. Les événements de la période concernée sont encore à fleur de peau chez certaines personnes. Chacun se souvient de tout ce qui a été déclenché, suite aux rapports qui ont été demandés, une votation populaire pour bientôt au niveau fédéral, le film de la BBC, etc. A un moment donné, la question ne se situe plus au niveau du demi-million pour la réalisation du projet. Par contre, c'est l'implication politique qui apparaît comme étant une responsabilité extraordinairement importante. C'est pourquoi il y a nécessité d'un projet de loi pour éviter des conséquences non maîtrisables.
Il est vrai que le téléspectateur est souvent confronté, dans les reportages, au fait que l'on peut faire dire aux personnes interviewées ce que l'on veut. Le panel des gens qui travaillent sur le projet n'est pas nécessairement suffisant pour ne pas tomber dans la critique qui réveillerait quelques passions. Il serait souhaitable qu'on puisse dire, après avoir vu le film, que la vérité a été dite. D'autre part, un historien pourrait faire un excellent livre sans avoir besoin de faire un film qui apparaît comme un risque considérable.
Il ne faut pas faire de ce film une vérité officielle mais il semble souhaitable qu'une mémoire vivante puisse être portée à la connaissance du public. Le Conseil d'Etat ne vient pas devant la Commission des finances, en amenant toute la transparence sur une somme relativement modeste eu égard aux milliards que représente le budget de l'Etat, pour commencer à faire des cachotteries. Les choses se sont passées telles qu'elles ont été relatées plus haut. La réponse à la motion 1124 fait suite à un long processus au cours duquel le Conseil d'Etat a eu des discussions, à plusieurs reprises. Chacun sait le temps qu'il faut pour consulter les archives et il n'était pas évident de publier les noms des personnes qui avaient traversé la frontière sur Internet. La réponse à la motion a donc pris du temps. C'est dans ce contexte qu'a surgi l'idée d'utiliser le matériel récolté, de faire un film destiné au grand public et de demander si ce projet était faisable. Dans le cadre de l'étude de faisabilité, M. Torracinta a envoyé des gens voir et s'est rendu lui-même sur le terrain, pour voir s'il y avait des témoins de cette époque. Il a ensuite fait rapport au Conseil d'Etat que le projet était faisable et qu'il y avait des choses intéressantes à montrer. Les discussions ont repris au sein du Conseil d'Etat et il a fallu encore attendre deux à quatre mois avant que M. Torracinta ne vienne faire une proposition de réalisation. Ensuite s'est posée la question concrète du financement. Il n'y a donc pas lieu de chercher des complots mais de voir dans la démarche du Conseil d'Etat une volonté de transparence pour avoir la réponse, d'une part, sur un montage financier quelconque et, d'autre part, sur l'opportunité de réaliser un tel projet.
Le Conseil d'Etat, très concrètement, s'il avait voulu cacher l'essentiel, aurait pu passer par des mandats à des tiers. Il a eu au contraire la volonté de passer devant la Commission mais il l'a peut-être mal aiguillée, dans un premier temps, avec la formule du crédit supplémentaire. Toutefois, les documents qui figurent en annexe du projet de loi sont exactement les mêmes que ceux qui étaient joints à la demande de crédit supplémentaire. Il n'y a donc aucune manifestation de complot ou de cachotterie. Par contre, comme l'a relevé M. Torracinta, il ne faut plus attendre des années. D'autre part, dans la mesure où un certain nombre de documents existent, il est apparu nécessaire de faire autre chose qu'un ouvrage destiné à des scientifiques, pour que la population y ait plus facilement accès. La diffusion d'un film procède de cette volonté de dire les choses, d'une façon ou d'une autre. Dès l'instant où il n'y aura jamais la même vision, la Commission est placée devant le choix d'accorder une subvention ou non. Le Conseil d'Etat a connu cette situation mais, à un moment donné, il a dû aussi restreindre sa propre vision.
Un film est une bonne méthode de diffusion, pour permettre à une large partie de la population d'assimiler le rapport Bergier, le rapport sur les archives et les travaux des historiens nommés qui restent assez confidentiels. De ce point de vue, si l'argent de l'Etat est utilisé à cela, l'objectif est atteint. Cela étant dit, se posent deux problèmes, l'un de fond, celui de l'opportunité politique en ce moment, le second problème touche à la forme du projet de loi. Lorsqu'il est dit à l'article 1 « Crédit de fonctionnement » qu'une subvention est accordée au groupe assurant la réalisation d'un film, il paraîtrait préférable que ledit groupe se constitue en association. Ceci permettrait de savoir qui a des droits, qui conclut les conventions avec la télévision, etc. D'autre part, l'état de santé du professeur Favez n'étant pas très bon, cette petite exigence a tout son sens.
Il faut donner l'entière liberté aux gens qui font le scénario dans la mesure où il n'appartient pas aux politiques de faire l'histoire. Par contre, ceux qui ont réalisé ce qui s'est dit dans le premier rapport fourni et qui ont vu l'émission « Temps Présent », ne peuvent que constater des manquements terriblement choquants sur cette période. Personne n'a jamais fait appel, par exemple, au témoignage de militants communistes qui se sont battus pendant ces années. On continue ainsi d'occulter des événements importants en essayant de rapatrier tous les documents. Ce n'est pas un hasard, après l'interdiction des droits politiques à deux cents personnes, s'il y a eu une attitude servile par rapport à ceux qui dominaient à l'époque, avec comme résultat une bataille clandestine à Genève. Des gens ont travaillé dans la Résistance, ont aidé à faire passer des réfugiés, mis en place des réseaux. Certains d'entre eux, dramatiquement, en croyant choisir le bon camp, ont fini dans les camps de Treblinka, d'autres ont été assassinés ailleurs. Il y a donc l'histoire et les « interdits » de cette période. Ce n'est pas non plus un hasard si, à la sortie de la guerre, une partie de ces « interdits » est devenue un parti avec 44 députés d'un seul coup au Grand Conseil. Occulter cette période c'est précisément ce qui a été fait dans l'émission « Temps Présent » et c'est ce qui va être fait, dans le cadre de la réalisation du film, de la manière dont les renseignements sont pris. A partir de ce constat, sans être fondamentalement opposé au projet, des doutes subsistent sur les critères d'objectivité dans une Suisse officielle qui continue à nier, qui continue à taire une partie de son histoire.
Cette manière de voir les choses commence à peser lourd et il faudrait avoir suffisamment de garanties pour que la transparence soit enfin faite. Or, le dossier qui vient d'être présenté ne contient qu'une infime partie de la réalité et surtout sur le rôle de la Suisse officielle. Quant aux témoignages, ceux de douaniers qui ont encore la mémoire exacte de ce qui s'est passé, ils ne semblent guère intéresser parce qu'ils proviennent d'un milieu de prolétaires qui se sont battus contre l'establishment en place. Tous ces exemples sont gênants et empêchent de participer à une telle opération.
Il est à craindre, si le crédit est refusé, que cela puisse être interprété comme une volonté de dissimulation. Si la discussion du jour n'avait pas eu lieu, un document aurait pu être publié par le Conseil d'Etat. Or, comme tel n'est pas le cas, c'est la Commission qui apparaît comme étant celle qui cherche à dissimuler.
Pourquoi n'y a-t-il pas eu appel d'offres ? Le Conseil d'Etat qui dit lui-même ne pas avoir qualité pour juger a décidé d'un seul projet, en l'occurrence celui qui est présenté ce jour. D'autre part, s'il est vrai que la qualité du produit fini est extrêmement importante, les professionnels présents dans le projet ont déjà réalisé beaucoup de choses et ils vont certainement donner un bon reflet de l'époque. Toutefois, il est à regretter que le Conseil d'Etat n'ait pas fait appel à de jeunes cinéastes, de jeunes historiens qui auraient fait des propositions un peu plus contemporaines. D'après la description du projet, ce sera le millième court métrage, comme tous les autres. Il aurait donc été judicieux d'impliquer la jeunesse et les jeunes créateurs d'autant plus que le cinéma est un domaine totalement sinistré à Genève.
Le titre du projet de loi parle « d'un film consacré à l'accueil des réfugiés civils à Genève durant la Seconde Guerre mondiale » alors que l'article 1 dit qu'une subvention est accordée à « un film consacré à la problématique des refoulements de réfugiés civils durant la Deuxième Guerre mondiale ». Il faudrait donc savoir si le projet entend traiter globalement d'une situation mais les textes sont déjà très équivoques
La terminologie du texte du projet de loi doit être effectivement reprise. Il ne faudrait parler, ni de l'accueil des réfugiés, ni du refoulement mais du passage de la frontière. Les remarques de la Commission seront transmises, la première étant que le groupe se constitue en association. Quant à la seconde, sans dicter le contenu du film, il sera rapporté qu'il y a eu des interventions pour ne pas occulter certains éléments.
Il va se constituer une association conformément au souhait de la Commission sous le nom « Mémoire de la frontière ». Un projet de statut a été rédigé dans le sens de l'article 60 et ss. du Code civil qui précise à son article 2 que l'association a pour objectif la réalisation et la diffusion d'un film consacré au passage de la frontière franco-genevoise et à l'accueil des réfugiés civils durant la Seconde Guerre mondiale. Ce projet est soumis cette semaine à une avocate pour s'assurer de sa pertinence. Il sera adopté en assemblée générale, en principe le 19 mai, dans les normes de l'association, à savoir les 8 personnes qui constituent le groupe de travail qui a élaboré ce projet. Tel que la Commission l'a demandé, ces statuts lui seront remis pour information ainsi qu'à M. Cramer, conseiller d'Etat. La Télévision suisse romande a confirmé par écrit sa participation à la production de ce film.
Il y a quelques interrogations bien évidemment sur la recherche d'une vérité et sur sa diffusion mais il n'y a pas d'opposition au projet, bien au contraire. Par contre, des doutes sérieux demeurent sur la manière dont il doit être réalisé, la participation publique que ledit projet implique et la « cantonalisation » qui est envisagée dans ce cadre. Le groupe libéral s'est renseigné sur ce qui existait déjà, en matière de recherche sur la période concernée, et entre autres sur l'association « Archimob » qui conduit des objectifs similaires au projet imaginé par le Conseil d'Etat. Selon la documentation en sa possession, l'objectif de l'opération « Archimob » vise à récolter des souvenirs d'environ 500 témoins pendant la période de la Seconde Guerre mondiale. Il est dit ensuite : « Nous nous intéressons autant à ceux qui ont été soldats, civils, paysans, avocats, ouvriers d'usine, qu'à ceux qui l'ont vécu comme enfant ou membres du SCF, ou encore comme réfugiés, puis prisonniers de guerre, et fonctionnaires. Par ces entretiens sous forme de vidéo nous colorierons les multiples facettes de l'image de la Suisse pendant la Deuxième Guerre mondiale afin de les mettre à disposition des générations futures ». Il y a donc un travail extrêmement important mené par ladite association. Ce n'est peut-être pas un produit qu'on peut diffuser en tant que tel au grand public à la télévision mais la démarche va dans le sens souhaité par les élus.
La seconde question que l'on peut se poser est celle de savoir si une réflexion uniquement genevoise est légitime par rapport à une problématique qui a touché l'ensemble des cantons suisses à des degrés différents. Toutefois, l'évaluation de ces différences dans les cantons et surtout les raisons pour lesquelles des traitements différenciés ont été appliqués sont liées en grande partie à des directives fédérales sans beaucoup de pouvoir d'appréciation. Dans la pratique, les choses ont été aussi différentes, l'exemple spectaculaire étant celui de l'officier de police, dans le canton de Saint-Gall, dont les actions en faveur de réfugiés ont récemment fait l'objet d'une réhabilitation.
Il est apparu qu'une commission scientifique de suivi représenterait un garde-fou de manière à ce qu'il y ait le moins de dérapages possible. Sans mettre en doute les qualités de l'ensemble des personnes chargées de la conception et de la réalisation du film, cette solution aurait le mérite d'éviter les débordements.
M. Torracinta s'est entouré de spécialistes de la période et ils ont à peu près tous la même opinion. Toutefois, il a entendu les remarques de la Commission et est capable d'en tenir compte. Il est donc difficile de s'opposer à un projet qui vise à montrer des situations d'accueil et de refoulement pendant la Seconde Guerre mondiale. L'idée originale est venue du Conseil d'Etat. C'est lui qui a sollicité M. Torracinta et non l'inverse. M. Torracinta a démontré ensuite que le projet était faisable. Pour des raisons politiques, il serait certainement mal perçu que le Grand Conseil refuse un tel crédit.
L'opération ressemble quand même à du chantage puisque la Commission est mise devant le fait accompli.
La méthode et la manière univoque de présenter les choses a quelque peu surpris certains députéEs, pour ne pas dire quelque peu décontenancé.
Maintien de la proposition d'avoir une commission scientifique de suivi. L'effort financier ne serait pas conséquent et elle aurait au moins l'avantage de tranquilliser un certain nombre de personnes. Ceci s'est déjà fait dans le passé.
10 Oui (2 AdG, 2 S, 1 L, 1 Ve, 2 R, 2 DC)
2 abstentions (2 L)
Le président propose de remplacer « Une subvention unique de 477'000 F est accordée au groupe assurant la réalisation d'un film » [……] par à l'association « Mémoire de la frontière »
Pas d'opposition, adopté
Pas d'opposition, adopté
Pas d'opposition, adopté
Suppression
Pas d'opposition, adopté
9 OUI (3 L, 2 DC, 2 R, 1 Ve, 1 S)
3 NON (2 AdG, 1 S)
Après discussion sur la place du nouvel article et la suppression de l'article 4, l'article 5 « Couverture financière » devient l'article 4.
Pas d'opposition, adopté
Pas d'opposition, adopté
Adopté à l'unanimité
Mesdames et Messieurs les députés, la Commission des finances vous invite à voter ce projet de loi tel qu'il ressort de la commission.
Projet de loi(8455)
ouvrant un crédit extraordinaire de fonctionnement au titre de subvention cantonale unique pour la réalisation d'un film consacré au passage de la frontière à Genève durant la Seconde Guerre mondiale
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Art. 1 Crédit de fonctionnement
Une subvention unique de 477 000 F est accordée à l'association « Mémoire de la frontière » assurant la réalisation d'un film consacré à la problématique du passage de la frontière à Genève durant la deuxième guerre mondiale, au titre de subvention cantonale de fonctionnement.
Art. 2 Budget de fonctionnement
Cette subvention émargera au budget de fonctionnement en 2001 sous la rubrique 64.06.00.365 (01).
Art. 3 But(s)
Cette subvention doit permettre la réalisation d'un film consacré au passage de la frontière à Genève durant le dernier conflit mondial.
Art. 4 Couverture financière
Elle est financée par l'excédent du budget de fonctionnement 2001.
Art. 5 Commission de suivi
Le Conseil d'Etat nomme une commission scientifique de suivi.
Art. 6 Loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat
La présente loi est soumise aux dispositions de la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat, du 7 octobre 1993.
Premier débat
La présidente. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais dire en préambule que, quels que soient les avis des uns et des autres sur ce projet, c'est un sujet grave, et je souhaiterais que le débat ne dérape pas.
M. Jean Spielmann (AdG). Dans le cadre des travaux de la commission, nous avons débattu des problèmes que posaient de précédentes réalisations concernant cette période. On nous a présenté le projet et je me suis permis à cette occasion de faire un certain nombre de critiques, assez vives d'ailleurs et qui, à mon avis, n'ont pas obtenu de réponse satisfaisante.
Malgré le fait qu'un quarteron de réactionnaires aient gagné au Tribunal fédéral contre le récent film fait par la même personne qui propose de faire celui-ci, il faut dire que, dans les récents documentaires concernant cette période, des réalités, des événements ont été occultés. Je pense notamment à tous ceux qui se sont battus à Genève pendant la guerre, dont beaucoup d'anciens camarades de mon parti, qui ont quasiment tous été emprisonnés, qui ont été interdits ou expulsés du parlement, et pour 200 d'entre eux déclarés inéligibles. Dans les films et documentaires qui ont déjà été réalisés, on a complètement passé sous silence ces faits, alors qu'il s'agit quand même d'événements importants, puisque c'est en grande partie à cause de ceux-ci que la situation politique a considérablement évolué à Genève. Je crois que si l'on veut rendre hommage, comme cela a été fait dans les films précédents, à la population, à ceux qui se sont battus, on ne peut pas le faire de manière unilatérale, sans donner la parole à tous les acteurs de cette période. On occulte trop volontiers une bonne partie de ces personnes, je l'ai dit haut et fort en commission et cela figure d'ailleurs dans le rapport de Mme Wenger en pages 6 et 7.
Cela étant dit, nous avons aussi beaucoup discuté du projet qui était présenté. On a discuté sur le fait de savoir, du moment que l'Etat commandait un tel film, quelles étaient les garanties qu'on aurait sur ce qui allait se faire. On s'est demandé si, à partir du moment où l'Etat lançait l'idée de faire un film, il n'aurait pas été possible d'ouvrir un concours et de donner à des jeunes la possibilité de s'exprimer sur ce sujet. En l'occurrence, des choix ont été faits et je pense qu'il appartient au parlement de les respecter. A aucun moment, et nous l'avons dit en commission quand cela a été proposé, il ne convient d'agir sur une production, quelle que soit sa nature : nous sommes d'avis de laisser la liberté à l'auteur de présenter les événements comme il l'entend. Une fois que le film est fait, on peut le critiquer, revenir sur les choses telles qu'elles ont été présentées, contester, débattre, mais la censure préalable, ou la garantie que le film se fasse dans la direction souhaitée par le parlement ou le Conseil d'Etat, est à mon avis tout à fait inacceptable.
Critiquer, débattre, oui. Mais mettre sous le boisseau les réalisateurs et les producteurs en leur demandant de rapporter tout ce qu'ils font ou ne font pas à une commission de suivi, comme c'est prévu à l'article 5 de la loi, serait à mon sens une erreur politique du Grand Conseil. Une fois la réalisation terminée par les auteurs en toute liberté, chacun est libre de donner ses appréciations sur ce qui a été fait. Mais instituer une censure préalable me semble une erreur. C'est pourquoi je présente un amendement qui vise à supprimer l'article 5 de la loi instaurant une commission de suivi. Nous avons voté contre cette proposition en commission - cela figure en page 18 du rapport - parce qu'il s'agit là de quelque chose totalement contraire à notre philosophie. La critique oui, mais après. Nous nous réservons le droit d'intervenir avec force, de participer au débat et de faire la critique si nécessaire, une fois que les auteurs auront terminé leur film, mais pour l'instant nous entendons leur laisser la liberté de faire leurs choix.
M. Alain-Dominique Mauris (L). J'ai envie de dire : enfin! Enfin un film qui va fouiller la mémoire historique genevoise à propos d'une période extrêmement troublée et entachée de points d'interrogations. Je suis né bien après la guerre, j'en sais donc ce que les gens m'en ont dit et ce que j'ai pu lire dans certains livres. J'aspire, comme tout le monde sans doute, à mieux connaître cette histoire, car cela ne pourra apporter que du bien à tous. Mais il s'agit de savoir comment on va connaître cette histoire. Aussi, je soutiens la création d'une commission scientifique de suivi qui sera, non pas une commission de censure, mais un gage de valeur historique.
Nous avons appris beaucoup de choses ces derniers temps. Tout le monde a voulu être un peu le censeur du siècle écoulé, chacun y allant de sa petite histoire et de son témoignage; certains étaient justes, certains étaient très forts émotionnellement, et d'autres étaient très exagérés. Je me souviens avoir vu à la télévision dernièrement, sur des chaînes anglaises, des films sur une partie de notre histoire qui ont fait mal, mal à ceux qui ont vécu ces événements parce qu'ils étaient relatés avec peut-être trop d'émotion et sous un angle qui n'était pas tout à fait celui de la rigueur historique.
Je connais M. Torracinta pour ses qualités de journaliste et je suis persuadé qu'il fera un excellent travail. A cet égard, cette commission ne fera que renforcer les qualités que tout le monde peut attendre d'un tel film. En tout cas, c'est dans ce sens que je perçois la création de cette commission de qualité scientifique. Nous aurons ainsi un film historique qui relatera les faits avec véracité et de façon irréprochable.
En conclusion, je soutiens totalement ce projet de loi tel qu'il est rédigé et j'attends impatiemment que ce film sorte pour apprendre à connaître une partie de mon histoire.
M. Bernard Lescaze (R). Il est évident que ce projet de loi, si intéressant soit-il, si nécessaire puisse-t-il même apparaître, n'est pas totalement innocent, encore qu'on en aurait probablement beaucoup moins parlé si, dès le départ, le Conseil d'Etat avait choisi la voie usuelle, habituelle, celle d'un projet de loi. Il faut reconnaître que la manière quelque peu oblique dont on a essayé de présenter ce crédit, à savoir une dépense supplémentaire qui ne relèverait que de la commission des finances et non du Grand Conseil, est quelque peu regrettable, car on ne pouvait de toute façon pas échapper au débat.
C'est d'autant plus regrettable que jusqu'alors le département de l'intérieur avait mené ce dossier avec une certaine maestria. Suite à la découverte, fortuite, de documents inédits aux archives d'Etat - on n'a jamais véritablement su si les archives d'Etat savaient qu'elles détenaient ce fichier ou pas; en tout cas, il faut reconnaître que ce sont deux historiens extérieurs qui ont mis le doigt sur l'intérêt de ce fichier fédéral, unique en Suisse, de l'arrondissement territorial de Genève pendant la guerre - le Conseil d'Etat confiait aux archives d'Etat et à une équipe relevant de l'unité d'histoire contemporaine de la faculté des lettres, la mission d'établir un rapport. Ce rapport s'est avéré, à certains égards et bien qu'il ait coûté beaucoup moins cher que le rapport Bergier, tout aussi intéressant, évidemment sur un plan strictement local. Seulement, nous vivons, Mesdames et Messieurs, aujourd'hui dans une civilisation de l'image, de l'oral, et il est clair que, si nous voulons respecter le devoir de mémoire que nous pouvons avoir vis-à-vis des événements de la Seconde Guerre mondiale, le film est un moyen nettement privilégié par rapport au texte.
Donc, l'idée même de faire un film est assurément excellente. Fallait-il que ce soit la Télévision suisse romande qui le finance ou l'Etat de Genève ? Je suis pour ma part convaincu qu'il appartient bien à notre République de financer ce film. Ensuite se pose le problème de la réalisation. On ne saurait reprocher au Conseil d'Etat d'avoir choisi, pour diriger cette équipe, un journaliste connu, qui s'est intéressé au sujet et qui, même s'il n'est pas un grand spécialiste scientifique, est à l'évidence un spécialiste de la communication et de la communication populaire. Ce d'autant plus qu'il s'appuie sur un professeur d'histoire contemporaine réputé à cet égard. De ce point de vue là, on a donc toutes les garanties, scientifiques et techniques, que le produit auquel on aboutira sera de qualité.
Le problème, Mesdames et Messieurs les députés, c'est que nous avons tous trouvé que l'équipe formée autour de ces deux personnes, cette association était un peu monocolore. M. Spielmann, vous l'avez compris, ne la trouve pas assez rouge, elle est en effet très rose. Nous, de notre côté, nous avons tendance à penser qu'on occulte aussi un peu trop le rôle qu'ont joué certains partis de l'Entente au moment de ces événements, juste avant la Seconde Guerre mondiale ou pendant. Je tiens ainsi à rappeler que, lorsqu'il s'est agi d'interdire les francs-maçons, le parti radical... (Commentaires et rires.) ...était tout à fait du côté de ceux qui refusaient ce genre d'interdiction. Lorsqu'en 1942, à la suite d'une décision fédérale, il a fallu expulser les conseillers municipaux et les députés communistes des législatifs communaux et cantonaux, il y a eu - là, j'espère que les rires gras sur ma droite cesseront! - un conseiller municipal PDC de la commune de Lancy, M. Alphonse Bernasconi, qui s'est opposé avec vigueur à une mesure qu'il trouvait antidémocratique.
C'est dire que, finalement, on oublie que les gens avaient aussi, à l'époque même, un regard personnel et que, quel que soit leur itinéraire politique ultérieur, ils savaient parfois juger par eux-mêmes, et non sur simples indications politiques. Ce que je veux indiquer par là, c'est que nous ne pouvons pas, aujourd'hui, nous remettre exactement à la place des gens, des politiques, des fonctionnaires de cette époque et que le travail d'interview que va faire M. Torracinta et son équipe sera, quoi que l'on puisse penser du montage ultérieur du film, un document extraordinaire pour les générations futures. C'est pourquoi je souhaite que l'entier des interviews soit conservé et archivé : peu importe le montage qu'on en fera en 2001, ces documents existeront en 2020 ou en 2030. C'est dire que le groupe radical a confiance dans les personnes qui vont faire ce film, dans leur objectivité - si tant est qu'en histoire il existe un peu d'objectivité - et qu'il soutient ce projet de loi.
Reste le problème du comité de suivi. Là, il faut bien reconnaître que c'est par amitié envers les proposants que nous avons, en commission, suivi cette proposition. Il est vrai qu'en réalité ce n'est pas très raisonnable : les gens qui vont faire ce film sont compétents et nous ne pourrons de toute façon pas modifier leurs avis. Ce soir, nous n'allons pas nous déjuger complètement, mais, pour dire clairement les choses, si le comité de suivi est refusé, ce ne sera, à notre avis, pas un grand malheur et peut-être même un bien pour le projet. Dans tous les cas nous voterons ce projet de loi.
M. Christian Brunier (S). Dès le début des travaux en commission, les socialistes ont considéré ce film comme un projet éminemment important, relevant du devoir de mémoire. On peut bien sûr critiquer la procédure de commande de ce film, elle n'était peut-être pas idéale. Il n'y a pas eu ouverture de candidatures, il n'y a pas eu d'emblée dépôt d'un projet de loi, mais je rappelle quand même que c'est un crédit de 500 000 F et que la plupart du temps, pour de tels montants, le gouvernement ne passe pas par le parlement. En l'occurrence, passer par le parlement était faire preuve de transparence et c'est très bien.
Cela dit, durant les travaux en commission, nous avons quelquefois trouvé gênant de voir des gens prendre des positions un peu ambiguës. Certains disaient que ce n'était pas le moment de faire ce film. Mais cela fait cinquante-cinq ans que l'on nous dit que ce n'est pas le moment et je crois au contraire que c'est le dernier moment de le faire! M. Torracinta nous a dit que, depuis la première fois où on nous a présenté le projet, trois témoins étaient déjà décédés. Il faut donc vraiment faire ce film au plus vite. Les témoignages sont éminemment importants, or on sait que la plupart des témoins commencent à être très âgés.
Deuxième chose qui nous a gênés, c'est bien sûr la commission de suivi, qu'on a appelée scientifique, comme si l'histoire était scientifique... Cette proposition n'est pas acceptable par rapport à un concepteur qui a la réputation d'avoir une certaine éthique - je parle de M. Torracinta - par rapport aussi à d'éminents historiens qui ont travaillé sur ce sujet, qui le connaissent bien et qui l'appréhendent avec beaucoup de prudence. Le rôle de notre parlement n'est pas de jouer les censeurs. Pour ma part, j'ai été particulièrement choqué que quatre chefs de groupe sur six demandent le scénario avant de voter ce projet de loi. Nous ne sommes ni des réalisateurs ni des metteurs en scène et nous n'avons pas le droit de contrôler le scénario ou la mise en scène de ce film.
Enfin, des gens doutaient que la TSR soit la mieux placée pour réaliser le film. Certains disaient même qu'on aurait dû le confier à une société privée. Quant à moi, je crois qu'il est éminemment important que ce soit un service public qui assume un film de ce genre.
Comme M. Mauris, je fais partie d'une génération qui est née bien après la Seconde Guerre mondiale, mais je fais aussi partie d'une famille qui a subi la guerre et qui a souffert. Mon père a été un des enfants qui a passé clandestinement la frontière pour être adopté à Genève. Nous avons aujourd'hui le droit de savoir, nous avons besoin de savoir. Mesdames et Messieurs les députés, votez ce projet avec enthousiasme : je crois que c'est vraiment important pour l'ensemble de la population!
M. Charles Beer (S). Je serai extrêmement bref : je souhaite appuyer la proposition d'amendement de M. Spielmann. En effet, il apparaîtrait comme une grossièreté que d'affubler une telle réalisation d'une commission de suivi dite «scientifique», d'autant que le terme est particulièrement injurieux par rapport à l'équipe constituée autour de ce film. De surcroît, quand c'est une assemblée politique qui s'apprête à voter une telle commission et à en confier la nomination au gouvernement, il s'agit généralement d'un contrôle politique, dont nous n'avons nul besoin.
S'agissant de lier histoire et politique, il convient d'être prudent. Si le politique peut quelquefois prolonger le travail des historiens en reconnaissant, par exemple, un génocide, il est en revanche extrêmement malvenu de vouloir écrire l'histoire, ou plutôt de faire en sorte qu'elle s'écrive de telle ou telle manière en faisant contrôler le travail des historiens, des réalisateurs TV en l'occurrence, par le pouvoir politique du moment, et ce quel qu'il soit. Cela fait plutôt partie des procédés totalitaires.
M. Claude Blanc (PDC). Si ce film suscite un débat aussi difficile, alors que tout le monde est d'accord sur le principe, c'est parce que beaucoup de choses ne se disent pas, sont un peu sous-jacentes. Et si cela se passe ainsi, c'est la responsabilité du Conseil d'Etat.
La commission des finances n'a pas apprécié du tout, mais pas du tout, que le Conseil d'Etat tente d'obtenir en tapinois un crédit supplémentaire de 500 000 F pour faire ce film, en le demandant directement à la commission. On peut demander un crédit supplémentaire quand, pour un projet qui est budgétisé, on n'a pas assez d'argent, ou bien quand arrive un imprévu auquel il faut faire face. Mais ce projet est tout de même important, c'est écrire l'histoire de Genève et, en commission, cela nous a tous mis un peu sur les pattes de derrière de voir que le Conseil d'Etat essayait par la tangente, soit par un crédit supplémentaire, d'obtenir ces 500 000 F.
C'est à partir de là que toute une série de questions se sont posées sur ce que le Conseil d'Etat avait vraiment derrière la tête et pourquoi il agissait en cachette. M. Brunier a dit qu'il était heureux que le Conseil d'Etat ait eu le courage de déposer un projet de loi : il n'a pas eu du courage, il a été obligé de déposer un projet de loi, parce qu'autrement la commission des finances ne lui votait pas son truc! Cela dit, nous avons reçu un projet de loi, nous savons de quoi il s'agit et nous allons donc voter ce projet.
S'agissant de la commission de suivi, il est vrai qu'elle est contestable. Elle est un peu le pendant de la commission de censure préalable, qui n'a pas été formellement proposée mais dont on sentait qu'on s'en inspirait : on aurait bien voulu voir le scénario, on aurait bien voulu savoir de quoi il s'agissait, on aurait voulu s'assurer que nos camarades de 1941 ne seraient pas maltraités ou ignorés, bref, on aurait aimé en savoir davantage. On n'a pas osé demander une censure préalable, alors on a demandé un contrôle postérieur. Mais il est vrai qu'un contrôle postérieur est ridicule en soi, parce que, une fois que les choses sont faites, vous avez beau les suivre, vous courez derrière! En l'occurrence, je crois qu'on est tous d'accord pour renoncer à cet article 5.
Alors voilà, censure a posteriori : non, censure préalable : non plus, courage du Conseil d'Etat : difficile à admettre!
M. René Koechlin (L). Comme enfant, j'ai traversé six fois la frontière genevoise pendant cette période critique sous l'égide de la Croix-Rouge, parmi les enfants que l'on envoyait temporairement en Suisse et qui, ensuite, rentraient en France. Puis je l'ai passée une dernière fois, c'était la septième, dans le sens France-Suisse, mais cette fois c'était définitif, parce que nous ne pouvions pas rester dans la France occupée en 44, ma mère ayant trempé dans la Résistance.
J'ai entendu beaucoup de témoignages sur cette période. Certains d'entre eux paraissaient presque surréalistes quand on connaît la tournure des événements, dont un était celui de feu Charly Peyrot. On a dit tout à l'heure que trois témoins étaient décédés : moi, je vous certifie qu'il y a quantité de témoins qui aujourd'hui sont décédés. Charly Peyrot, lui, a passé cette frontière une cinquantaine de fois. Il possédait une usine à Bellegarde tout en habitant Genève et, pendant cette période, il a traversé quantité de fois la frontière, sans aucun problème du reste. Pendant les premières années, il passait plutôt du côté italien, car c'était beaucoup plus facile.
Pour en venir au film, c'est une bonne initiative, car il y a certainement beaucoup à dire et à filmer. Mais je ne suis pas convaincu qu'il appartienne à l'Etat de commander un tel film; c'est plus le rôle de la télévision ou des professionnels du cinéma. On a d'ailleurs déjà réalisé bien des films sur la Deuxième Guerre mondiale. Beaucoup étaient bons, vous les connaissez comme moi, et les meilleurs étaient réalisés par les meilleurs cinéastes, à part peut-être les meilleurs des meilleurs, qui étaient des films réalisés sur le vif, par des militaires ou autres caméramans. Ainsi, vous vous souvenez certainement de ce film sur le débarquement et la guerre de Normandie, qui a été réalisé uniquement avec des documents d'époque et qui était extrêmement émouvant.
En l'occurrence, il faut faire confiance aux professionnels. C'est eux qui feront ce film, ils en porteront la totale responsabilité et il me semble tout à fait déplacé - là, je partage l'avis des préopinants, notamment de M. Charles Beer - de nommer une commission de suivi. Le film ne sera pas meilleur si l'on institue une telle commission, il ne sera pas plus fidèle ni plus valable historiquement. On a affaire ici à de vrais professionnels : j'ai personnellement tout à fait confiance en M. Torracinta, qui a déjà fait ses preuves. Nous avons tous vu des films dont il a présidé à la réalisation et qui sont pour certains tout à fait remarquables. Ces personnes porteront la responsabilité du film et s'il y a des choses contestables, des choses que l'on n'apprécie pas ou qui suscitent la critique, eh bien nous les critiquerons ! Nous demeurons toujours libres de critiquer un film que je sache!
Personnellement, je détacherais complètement l'opération de la responsabilité de l'Etat, parce qu'il est suspect qu'un tel film soit commandité par l'Etat. Je préférerais que ce soit fait par des personnes qui sentent bien le sujet, que M. Torracinta le réalise sous l'égide de la Télévision suisse romande, par exemple. Que l'Etat de Genève le finance, je n'en vois pas la nécessité. Mais enfin, si la majorité de ce Grand Conseil en décidait ainsi, il conviendrait alors, en tout cas, de ne pas retenir l'article 5 qui paraît vraiment déplacé.
M. John Dupraz (R). Je crois pouvoir dire que je suis un enfant de la guerre, puisque je suis né en juillet 45, ce qui explique parfois mon esprit vindicatif... J'aimerais simplement, à l'occasion de ce projet de loi, vous citer quelques souvenirs, puisque j'habite sur la frontière. Lorsque j'étais enfant, je me souviens avoir entendu des explosions : je pensais que c'était la guerre parce que j'entendais mes parents en parler, alors que c'étaient des paysans qui faisaient sauter des troncs à la dynamique... Mais voyez-vous, jamais mes parents ni d'autres qui avaient aidé de nombreuses personnes à passer la frontière ne parlaient de cela. Ni mes parents, ni mon oncle, ni des voisins, ni des gens du village. Pourtant, je peux vous dire que la génération des gens de 80 ans et plus ont beaucoup fait pour sauver des vies, mais jamais ces gens n'en parlent. J'en veux pour témoignage le film auquel a participé notre collègue M. Hiler, sur le 150e anniversaire des communes de Soral et de Laconnex : il a interviewé plusieurs personnes âgées et jamais ces gens n'ont voulu parler de ces événements. Alors, je veux bien qu'on fasse un film, mais il sera difficile de déterrer des souvenirs, de faire parler des personnes qui ont juste l'impression d'avoir accompli leur devoir, d'avoir fait ce qu'elles devaient faire.
Par ailleurs, comme l'a dit M. Koechlin, l'Etat n'a pas à se mêler de ce projet. Je veux bien qu'on octroie un crédit, mais ce sont les auteurs du film qui en porteront la responsabilité. Cela étant, je doute que l'on fasse parler beaucoup de personnes qui ont contribué, peu ou prou, à sauver des vies. Je vis au quotidien avec ces gens-là depuis mon enfance : je ne les ai jamais entendu parler de cela, ils ne veulent pas en parler.
M. Robert Cramer. Mesdames et Messieurs les députés, ce débat a été fourni et l'essentiel a été dit. M. Lescaze a rappelé tout à l'heure, dans une intervention fort pertinente, l'intérêt de prolonger le travail qui s'est fait aux archives d'Etat pour trier et rendre accessibles les documents que nous avions et qui sont uniques en Suisse, sur le passage de la frontière pendant la Deuxième Guerre mondiale, par une récolte de documents qui ne soient plus écrits, mais qui soient des témoignages audiovisuels.
Cette récolte de témoignages sur ce qui s'est passé durant la Deuxième Guerre mondiale a déjà commencé en Suisse, grâce aux travaux de l'association Archimob. Archimob entend mener des travaux de nature scientifique, c'est-à-dire que les personnes interrogées sont filmées, parfois longuement - cela peut durer trois quarts d'heure, une heure, une heure et demie - en plan fixe. Ce sont toujours les mêmes questions qui sont posées, de sorte qu'il n'y ait pas de biais entre les différents témoignages récoltés et qu'il s'agisse d'un matériel pour les futurs historiens. Nous avons demandé à cette association de concentrer tout particulièrement ses efforts à Genève et de recueillir, dans notre région et autour de la thématique du passage de la frontière, plus de matériel encore qu'elle ne l'a fait sur d'autres sujets et dans d'autres régions du pays.
Puis, dans le même temps que nous discutions de la constitution de ces archives audiovisuelles s'est posée la question de rendre ces témoignages accessibles à un plus large public. C'est à ce moment-là qu'une étude de faisabilité a été demandée par le Conseil d'Etat pour savoir s'il était possible de réaliser un film sur le passage de la frontière. Nous avons ainsi appris, d'une part, que cela était possible parce qu'il y avait suffisamment de témoignages et, d'autre part, que si nous désirions que ce film soit diffusé il était souhaitable de trouver un partenariat, sous une forme ou une autre, avec la Télévision.
Nous en étions là dans nos réflexions et nous butions sur une difficulté, c'est que nous ne voulions en aucun cas - et cela a été relevé à juste titre dans ce débat par MM. Koechlin et Spielmann - qu'il y ait en cette matière une vérité d'Etat, que l'administration ou l'Etat de Genève disent ce qu'il en était d'une vérité historique. C'est la raison pour laquelle nous avons estimé devoir donner suite à la proposition d'une équipe de réalisateurs, accompagnés de chercheurs, de professeurs d'université qui se sont dit prêts à réaliser un film sur cette période et à en prendre la responsabilité. Dès lors que cette proposition nous était faite, nous en avons recherché le financement et nous nous sommes adressés au Grand Conseil. En l'occurrence, c'est cette hésitation du Conseil d'Etat à prendre la responsabilité d'une vérité dans le domaine de l'histoire qui explique le cheminement un peu tortueux qu'a suivi ce projet de subvention.
Aujourd'hui, nous arrivons à la conclusion, en tout cas en ce qui concerne la façon dont le film va se réaliser. Je constate que plusieurs d'entre vous ont exprimé l'avis qu'il n'était pas utile d'ajouter au projet de loi que vous a présenté le Conseil d'Etat un article 5 instituant une commission scientifique de suivi. Je ne vous cacherai pas que le Conseil d'Etat serait soulagé si vous renonciez à cette disposition.
Mis aux voix, ce projet est adopté en premier débat.
Deuxième débat
Mis aux voix, le titre et le préambule sont adoptés, de même que les articles 1 à 4.
Art. 5
La présidente. Nous sommes saisis d'un amendement visant à supprimer l'article 5.
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
La présidente. L'article 6 devient article 5, je le mets aux voix.
Mis aux voix, l'article 5 est adopté.
Troisième débat
Ce projet est adopté en troisième débat, par article et dans son ensemble.
La loi est ainsi conçue :
Loi(8455)
ouvrant un crédit extraordinaire de fonctionnement au titre de subvention cantonale unique pour la réalisation d'un film consacré au passage de la frontière à Genève durant la Seconde Guerre mondiale
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Art. 1 Crédit de fonctionnement
Une subvention unique de 477 000 F est accordée à l'association « Mémoire de la frontière » assurant la réalisation d'un film consacré à la problématique du passage de la frontière à Genève durant la deuxième guerre mondiale, au titre de subvention cantonale de fonctionnement.
Art. 2 Budget de fonctionnement
Cette subvention émargera au budget de fonctionnement en 2001 sous la rubrique 64.06.00.365 (01).
Art. 3 But(s)
Cette subvention doit permettre la réalisation d'un film consacré au passage de la frontière à Genève durant le dernier conflit mondial.
Art. 4 Couverture financière
Elle est financée par l'excédent du budget de fonctionnement 2001.
Art. 5 Loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat
La présente loi est soumise aux dispositions de la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat, du 7 octobre 1993.
La séance est levée à 23 h.