Séance du
jeudi 5 avril 2001 à
17h
54e
législature -
4e
année -
7e
session -
15e
séance
PL 8447 et objet(s) lié(s)
PL 8447
modifiant la constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (instituant une Cour des comptes)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Article unique
La constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, est modifiée comme suit :
Art. 131, al. 3 (nouveau)
3 Une Cour des comptes est instituée pour assurer un contrôle indépendant et autonome de l'administration cantonale, des institutions cantonales de droit public et des organismes subventionnés.
PL 8448
instituant une Cour des comptes
Art. 1 Buts
1 La Cour des comptes a pour but d'assurer un contrôle indépendant et autonome de l'administration cantonale, des institutions cantonales de droit public et des organismes subventionnés.
2 Elle vérifie la légalité des activités et la régularité des recettes et des dépenses décrites dans les comptes, et s'assure du bon emploi des crédits, fonds et valeurs gérés par les entités contrôlées.
3 La Cour des comptes rend publics ses rapports et dénonce aux autorités compétentes les abus et autres irrégularités constatés.
Art. 2 Champ d'application
Sont soumises aux contrôles effectués par la Cour des comptes les entités suivantes :
Art. 3 Rattachement et composition
1 La Cour des comptes est rattachée au pouvoir judiciaire.
2 Elle se compose de trois juges.
3 Les juges sont assistés d'un greffier-juriste.
Art. 4 Election
1 Les juges à la Cour des comptes sont élus en même temps et selon le même mode que les autres magistrats du pouvoir judiciaire.
2 Les conditions d'éligibilité sont celles que prévoient les articles 60 et 60B de la loi sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941, à l'exception de l'exigence du brevet d'avocat prévue à l'article 60 lettre d) de ladite loi.
Art. 5 Présidence - Limite d'âge - Incompatibilité - Surveillance - Récusation - Greffier
Sont applicables aux membres de la Cour des comptes les dispositions de la loi sur l'organisation judiciaire concernant :
Art. 6 Moyens d'investigation
1 La Cour des comptes organise ses contrôles de manière autonome, et instruit les affaires traitées dans les limites du code de procédure pénal et dans le souci de l'intérêt public. Concernant la procédure d'instruction, la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 est applicable.
2 Pour les besoins de l'instruction, la Cour des comptes peut mandater des experts internes à l'administration. Elle peut également recourir à des mandataires externes.
3 Les experts remplissent leur mandat en liaison avec le juge délégué qui détermine formellement leur mission et leurs pouvoirs d'investigation. Les experts sont assermentés et tenus à l'obligation du secret professionnel.
Art. 7 Contrôle
1 Le contrôle sera exercé de manière à vérifier :
2 Chaque contrôle fait l'objet d'un rapport détaillé.
3 La Cour des comptes communique son rapport à l'entité contrôlée, et l'invite à lui faire part de ses réponses avant la publication du rapport, lesquelles seront dûment reproduites.
Art. 8 Publicité des rapports
1 La Cour des comptes rend publics ses rapports.
2 Elle y consigne ses observations, les conclusions de ses investigations et les enseignements qui peuvent en être tirés.
3 Elle détermine l'étendue des informations contenues dans son rapport en tenant compte des intérêts publics et privés s'opposant à la divulgation de certaines informations.
Art. 9 Dénonciations aux autorités compétentes
1 La Cour des comptes dénonce au procureur général les infractions relevant du droit pénal.
2 Les autres abus et irrégularités constatés sont dénoncés aux autorités politiques compétentes, qui prennent alors leurs responsabilités disciplinaires.
3 Les inefficacités relevées dans le cadre du contrôle de gestion font l'objet de recommandations émises par la Cour des comptes aux autorités politiques compétentes.
Article 2 Modifications à une autre loi (E 2 05)
La loi sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941, est modifiée comme suit :
Art. 1, lettre o (nouvelle, les lettres o et p anciennes devenantles lettres p et q)
Art. 2, al. 1 (nouvelle teneur)
1 Le nombre des juges à la Cour de justice, celui des juges du Tribunal de première instance, celui des juges d'instruction, celui des juges de la Cour des comptes, celui des juges du Tribunal tutélaire et celui des substituts du procureur général est fixé par le Grand Conseil tous les six ans, six mois au moins avant les élections judiciaires.
Dans les systèmes constitutionnels des Etats modernes, la fonction de contrôle est, en règle générale, considérée comme l'un des éléments garantissant la gestion démocratique des affaires publiques.
La déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 l'énonce d'ailleurs à son article 15 : « La société a droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
L'audit mené par la société Arthur Andersen sur l'Etat de Genève avait par ailleurs ouvertement souligné un certain déficit en la matière dans notre canton : « Il n'existe pas à Genève ni en Suisse, d'organisme public, indépendant de l'exécutif et du législatif, chargé de contrôler la bonne utilisation des deniers publics, et dont les rapports sont rendus publics. Sans une telle instance, qui peut prendre la forme d'une juridiction, le peuple n'a pas les moyens de contrôler efficacement l'utilisation des fonds publics. Du reste, dans la plupart des pays d'Europe, les Etats se sont dotés de telles structures. (...).»
Cette instance, mise en exergue par Arthur Andersen et communément dénommée « Cour des comptes », viendrait compléter, à Genève, les contrôles actuels, à savoir l'Inspectorat cantonal des finances (ICF), le contrôle parlementaire (Commission de contrôle de gestion) et les évaluations réalisées par la Commission d'évaluation des politiques publiques (CEPP). La Cour des comptes genevoise est donc envisagée comme une institution complémentaire, dans la mesure où elle assurerait un autre type de contrôle de l'administration, indépendant de toute autorité politique. Plus concrètement, son rôle consisterait notamment à examiner l'activité des responsables de la gestion, dans la double perspective d'en améliorer les résultats et de rendre compte au contribuable de l'utilisation des deniers publics.
Si l'ICF contrôle régulièrement les activités de l'administration, il est néanmoins dépendant (principalement) du Conseil d'Etat. L'ICF soumet en effet ses choix d'audit interne au gouvernement, auquel il est d'ailleurs subordonné. En revanche, la Cour des comptes serait tout à fait indépendante, tant du pouvoir législatif que du pouvoir exécutif, puisqu'elle appartiendrait au pouvoir judiciaire. Son indépendance est donc garantie par son statut de juridiction, par l'inamovibilité de ses membres qui ont la qualité de magistrat, ainsi que par le libre-établissement de son programme de contrôle (art. 6, al. 1). Concrètement, le projet prévoit de la doter de trois juges et, par voie de conséquence, de l'organiser conformément aux règles de la loi sur l'organisation judiciaire (art. 3 à 5).
Elle rendrait par ailleurs ses rapports publics, donc accessibles à n'importe quel citoyen, et assurerait un suivi systématique des conclusions de ses rapports par le biais de recommandations ou dénonciations aux autorités compétentes (art. 7, al. 2 et 3, 8 et 9), ledit suivi ne dépendant pas d'une quelconque volonté politique. Actuellement, l'accès aux rapports de l'ICF demeure en effet réservé; quant à leur suivi, il est naturellement assez aléatoire, car dépendant du bon vouloir d'une autorité politique.
Les objectifs poursuivis par la création d'une Cour des comptes seraient donc de compléter les mécanismes de contrôle actuels et d'accroître la transparence de l'utilisation des fonds publics par les autorités et les organismes bénéficiant de tels fonds.
Plus concrètement, les missions de cet organe de contrôle externe (c'est-à-dire indépendant du pouvoir politique) seraient de :
Vérifier la sincérité et la régularité des comptes du service public, c'est-à-dire s'assurer que ces comptes décrivent correctement les opérations effectuées au cours de l'exercice et la situation en fin d'exercice (cf. art. 7, al. 1 let. a).
Il s'agit donc de s'assurer que ce qui est dû à l'Etat, de même que ce qu'il doit, est dûment constaté, enregistré, comptabilisé, perçu ou payé, mais aussi de vérifier que l'ensemble des opérations effectuées est étayé par des pièces justificatives et que les informations disponibles permettent aux autorités responsables de la gestion et du contrôle d'accomplir pleinement leur mission.
Contrôler la légalité des activité de l'Etat et des opérations décrites dans les comptes (cf. art. 7, al. 1 let. b) en examinant le bien-fondé, par rapport aux dispositions législatives de référence, de la constatation comme de la perception des recettes et, parallèlement, des engagements comme des paiements.
Contrôler la qualité de la gestion, c'est-à-dire s'assurer du bon emploi des fonds publics ou des ressources allouées à une entreprise ou à une association subventionnée (cf. art. 7, al. 1 let. c).
Il s'agit ici d'établir si les objectifs de gestion d'une entité ont été atteints et, le cas échéant, dans quelle mesure et à quel prix. Cette analyse doit s'appuyer sur un examen approfondi et une évaluation des mécanismes et des systèmes internes qui régissent les recettes et les dépenses contrôlées, en tenant compte de leurs particularités et de leur nature. Plutôt que de chercher à imposer des critères de jugement, le contrôleur s'efforcera de vérifier dans quelle mesure l'administration responsable de la gestion s'est dotée d'instruments et applique des dispositions propres à atteindre les objectifs préalablement fixés. La Cour doit ainsi veiller à maintenir son action en deçà du jugement de l'opportunité des décisions qu'elle contrôle, et ne doit en aucun cas se substituer à l'autorité politique ou intervenir directement dans la prise de décision ; elle est un organe de contrôle a posteriori, et intervient à ce titre après l'exécution des actions qu'elle a la charge de contrôler. L'art. 9, al. 3 précise d'ailleurs que la Cour doit se limiter à émettre des recommandations lorsqu'elle constate un problème de gestion.
La création de ce nouvel organe judiciaire nécessite une modification de la Constitution, de manière à fixer le cadre général de la Cour des comptes. La votation populaire qui s'ensuivrait serait sans doute un acte fort en faveur d'une gestion transparente des deniers publics, et la volonté même de créer une Cour des comptes renforcera assurément la crédibilité du monde politique et de sa gestion des deniers publics.
En conclusion, même si cette Cour des comptes ne bénéficiera très certainement pas des moyens suffisants pour effectuer un contrôle annuel exhaustif des activités de l'administration et des organismes subventionnés, elle aura le mérite de dénoncer systématiquement aux autorités compétentes les irrégularités constatées et de les notifier dans un rapport public. L'indépendance de ses contrôles et la publicité des rapports qui en découleront auront assurément un effet indirect et préventif, en ce sens que l'administration et les autorités politiques devront désormais rendre des comptes à la population concernant l'utilisation des deniers publics.
Au vu de ces explications, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à ce projet de loi.
Personne ne demande la parole en préconsultation.
Ces projets sont renvoyés à la commission des finances.