Séance du
vendredi 16 février 2001 à
17h
54e
législature -
4e
année -
5e
session -
8e
séance
IUE 10 et objet(s) lié(s)
26. Réponse du Conseil d'Etat aux interpellations urgentes écrites de :
Questions de M. Rémy Pagani
(IUE 10)
Cette interpellation urgente s'adresse au Conseil d'Etat. Elle fait suite à l'interpellation qu'y a été développée à notre session du 25 janvier et qui n'a donné lieu qu'à une réponse laconique de M Lamprecht en l'absence de M. Ramseyer qui était en déplacement à Davos. Monsieur le Conseiller d'Etat Lamprecht, Président du Conseil d'Etat, ayant admis qu'une réponse plus détaillée était nécessaire, il s'est réservé la possibilité d'y revenir. C'est pourquoi, par cette interpellation urgente écrite nous lui en donnons formellement l'occasion.
Depuis de nombreux mois, l'office des poursuites et faillites de notre canton défraie les chroniques des quotidiens.
Citons pour mémoire l'affaire des temporaires engagés par ce service sans qu'ils ne figurent au budget de l'Etat ou encore, il y a une année, la démission du directeur dans des circonstances pour le moins troubles. Et enfin, ces derniers jours, plusieurs faits préoccupants qui ont été rendus publics.
L'ensemble de ce tableau appelle de notre part les commentaires et interrogations suivantes :
tout d'abord, est-ce bien normal que des cadres mettent à l'isolement un ou plusieurs membres du personnel en invitant leurs collègues à ne plus donner de travail et à ne plus parler à la personne qu'on veut voir démissionner ou changer de service ?
est-ce bien normal d'attribuer un poste de travail à une personne dont les qualifications ne correspondent pas aux exigences de l'emploi en question et pour quelles raisons agit-on de la sorte : favoritisme, volonté de ralentir les procédures, etc. ?
comment se fait-il qu'une section entière - celle des faillites de Carouge - disfonctionne au point que le médecin conseil de l'Etat admette publiquement que, sur les 12 personnes qui composent le service des poursuites, six se soient plaintes pour des ennuis de santé liés aux conditions de travail qui leur sont faites ?
L'ambiance étant tellement exécrable, certains membres de ce personnel on été forcés, soit de changer de service, soit de prendre leur retraite anticipée ou encore de démissionner.
d'un autre côté est-ce bien légal que des employés d'Etat définissent leur emploi du temps à leur convenance en incluant dans les heures de travail qu'ils sont censés accomplir au service de la collectivité, des parties de tennis ou de cartes ?
Poser l'ensemble de ces questions c'est aussi se demander si les pratiques scandaleuses et l'ambiance délétère qui règnent dans cet office ne sont pas la résultante de nombreux privilèges qui ont été accumulés au fil du temps. De privilège en privilège, on peut légitimement se demander s'il n'y a pas eu des pratiques illégales, des irrégularités, voire des infractions pénales.
Par avance nous saluons l'action de notre commission de contrôle de gestion qui va rendre son rapport dans quelques jours et nous attendons avec impatience ses constats et conclusions. Toutefois, sans attendre, il appartient au Conseil d'Etat dans son ensemble de préserver l'intégrité physique et psychique du personnel qu'il emploie et ce, au plus vite. C'est pourquoi nous souhaitons le voir non seulement mettre en route rapidement le service de contrôle financier pour que nous disposions d'une image très claire de la réalité financière de cet office - ce contrôle a démarré semble-t-il le vendredi matin 26 janvier - mais nous estimons qu'il doit aussi et en urgence mandater une commission de hauts cadres de l'administration, détachés de l'office du personnel, indépendante du Département de Justice et Police, pour que ces derniers recueillent en toute liberté l'ensemble des doléances des membres du personnel, y compris ceux ayant quitté l'office depuis un an. Au terme de ses investigations, cette délégation devrait proposer des mesures pour remédier à cette gabegie et rétablir des conditions de travail conformes au droit.
Questions
1.-
Le Conseil d'Etat va-t-il enfin prendre des mesures énergiques notamment sur le volet des conditions de travail du personnel de l'office des poursuites et faillites et, plus généralement,
le Conseil d'Etat va-t-il nous proposer un projet de loi qui permette à l'office du personnel de l'Etat et au contrôle financier d'en finir une bonne fois pour toutes avec ces chasses gardées que sont les départements de chaque Conseiller d'Etat et tous les abus et opacités que ces prés carrés permettent dans la gestion financière et du personnel de l'Etat ?
2.- L'Inspectorat cantonal des finances (ICF) a-t-il bien entrepris un contrôle des comptes de l'office des poursuites et faillites fin janvier et qu'elle en est le résultat ?
3.- Une délégation de hauts cadres de l'office du personnel indépendante du DJPT a-t-elle été mandatée par le Conseil d'Etat pour auditionner tout le personnel y compris ceux ayant quitté l'office depuis un an et qu'elles sont ses conclusions et recommandations ?
(IUE 11)
Après avoir pris connaissance des très graves dysfonctionnements qui ont été rendus publics et étayés dans la Tribune de Genève du 10-11 février 2001 et qui correspondent sur nombre de points aux agissements que j'avais dénoncés dans mon interpellation urgente (orale) de la session précédente du Grand Conseil, il m'apparaît nécessaire d'y apporter quelques compléments et de poser quelques questions au Conseil d'Etat dans son ensemble.
Tout d'abord, il ressort des faits rapportés par ce quotidien, que les agissements de certains cadres de l'administration pourraient être assimilés aux notions d'abus de confiance, de gestion déloyale des intérêts publics, et d'abus d'autorité. Se pose alors la question de la poursuite au plan pénal de ces infractions ainsi que de savoir l'étendue des bénéficiaires de ces détournements ?
Ensuite, comme vous pourrez en prendre connaissance dans l'annexe de la présente, troublé par certaines informations portées à ma connaissance, j'ai fait parvenir mercredi dernier à Monsieur le Conseiller d'Etat Ramseyer une lettre à laquelle il n'a - à ce jour - pas donné de réponse. Dans cette missive, je faisais état, entre autres, des démarches qu'il avait entreprises pour entraver le bon déroulement, tant de la dénonciation des abus qui sont aujourd'hui dans le domaine public, que de son refus de voir l'Inspectorat cantonal des finances (ICF) accomplir son travail dans des conditions normales. En outre, sur le plateau de Léman Bleu il a prétendu: «Toute cette affaire des Offices des poursuites et faillites est un gag» et encore «On cherche à s'en prendre à des cadres que je connais par coeur, l'un fait partie du Parti Libéral et est adjoint au Conseil administratif d'une commune et l'autre est président de l'association des cadres de L'Etat de Genève».
A l'évidence et au regard des faits, il me paraît que les propos publics tenus et les actions entreprises par Monsieur le Conseiller d'Etat Gérard Ramseyer laissent penser qu'il était et est parfaitement au courant des agissements de ses subordonnés et que - comme eux - il assume la responsabilité de leur comportement. Mais là n'est pas le plus grave.
En effet, l'attitude et les moyens que le Conseiller d'Etat a mis en place pour entraver le travail de l'ICF me font imaginer qu'au-delà de son caractère et de son langage de corps de garde, il a pu ou pourrait tenter de soustraire quelques informations ou pièces déterminantes à la compréhension totale des raisons de ces graves dysfonctionnements. Les dommages subis par les débiteurs et les créanciers de ce service et au premier chef les travailleurs et les employeurs pris dans un processus de faillite ne pourraient alors être totalement répertoriés.
En conséquence, et dans l'esprit et la lettre de la loi sur l'exercice des compétences du Conseil d'Etat et de l'organisation de l'administration (B1 15), le Conseil d'Etat ne devrait-il pas se saisir de ce dossier et relever immédiatement le Conseiller d'Etat Gérard Ramseyer de la responsabilité de l'Office des faillites et poursuites?
1- Le dépôt d'une plainte sur le plan pénal par rapport aux infractions évoquées a-t-elle été envisagée par le Conseil d'Etat. Si oui quelles en sont les modalités?
2- Le Conseil d'Etat s'est-il saisi de ce dossier et a-t-il relevé immédiatement le Conseiller d'Etat Gérard Ramseyer de la responsabilité de l'Office des faillites et poursuite comme la loi le lui en donne le pouvoir ?
Réponse du Conseil d'Etat
M. Gérard Ramseyer. Monsieur le député, le Conseil d'Etat me charge de répondre à votre interpellation urgente écrite No 10 du 30 janvier dernier.
En préambule, j'aimerais dire que vos préoccupations fondamentales rejoignent le souci constant du Conseil d'Etat d'offrir au public un service de qualité dans le cadre d'un volume d'actions optimalisé.
Monsieur le député, il faudrait une vision politique malsaine pour imaginer que nous ne sommes pas attachés au premier chef à ce que nos services soient productifs, compétents et modernes, et à ce que le personnel y travaille dans les meilleures conditions possibles.
C'est donc l'heure de rappeler ici que les trois offices des poursuites et faillites genevois ont, en dix ans, triplé leurs émoluments, passant d'un volume d'activité de 216 000 réquisitions à 324 000. Comme vous le savez, le département des finances est le premier client des offices des poursuites et faillites par le volet fiscal de son activité; il représente 30% du volume des réquisitions.
Quant à l'OPF Rhône-Arve, son taux de rotation du personnel pour les sorties - 1,7% en moyenne sur sept ans - est très inférieur à la moyenne de l'Etat.
On peut, dès lors, légitimement s'interroger sur l'aspect fondamental de vos préoccupations.
Dans votre interpellation urgente, vous paraissez vouloir traiter de l'ensemble des offices des poursuites et faillites de notre canton. Vous avez cependant tenu une conférence de presse le 24 janvier 2001 au sujet de l'office des poursuites et faillites Rhône-Arve à Carouge et c'est sur cet office que portent de manière réitérée vos critiques. Nous répondons donc sur les deux registres.
En outre, dans vos textes, vous vous exprimez sur deux sujets différents. D'une part, je cite, vous parlez «des pratiques illégales, des irrégularités, voire des infractions pénales». Il s'agit donc de la gestion financière des OPF; vos allégations sont graves, elles sont enregistrées comme telles.
D'autre part, vous évoquez des problèmes ayant trait au personnel dont, dites-vous, «l'intégrité physique devrait être préservée». C'est sans doute excessif, mais cela mérite attention.
Je traiterai en premier lieu de la gestion financière et économique.
S'agissant de votre question sur un contrôle des comptes, le Conseil d'Etat n'a pas mis sur pied une commission d'enquête financière ad hoc et ceci pour quatre raisons au moins :
Premièrement, en sept ans, l'inspection cantonale des finances, l'ICF, a contrôlé, dans le cadre de ses vérifications usuelles, à huit reprises nos OPF. Les rapports sont tous dans la norme. Les correctifs proposés ont été appliqués en fonction des exercices comptables. Dans ces rapports d'expertise, on ne trouve surtout nul constat vous permettant les allégations que vous avez lancées.
Deuxièmement, depuis 1998, l'OPF Rhône-Arve est un site pilote NPM. Son directeur est, de plus, membre du comité de pilotage du projet Service public 2005, SP 2005, animé par le département des finances. L'ICF a fourni, depuis l'automne 1999, deux rapports au sujet des sites NPM. Le troisième rapport, de synthèse, est sorti, lui, le 8 janvier dernier : il n'indique aucun dysfonctionnement de gestion, ce que l'ICF n'aurait pas manqué de signaler si tel avait été le cas.
Troisièmement, les OPF sont soumis à une autorité de surveillance du ressort, non pas de mon département ou de l'ICF, mais de la justice genevoise. Cette autorité, en l'occurrence trois juges à la Cour, nous a fait parvenir, le 30 janvier 2001, un document dont je vous donne partiellement lecture. Je cite : «Nous vous confirmons que nous n'avons été saisis d'aucune plainte d'ordre disciplinaire ni n'avons détecté de dysfonctionnement quelconque à l'office des poursuites et des faillites Rhône-Arve pendant l'année 2000, ce dont nous donnerons avis au Tribunal fédéral dans le corps de notre rapport annuel destiné à l'autorité fédérale de surveillance.» Ce document sera joint à la présente réponse.
C'est l'heure de rappeler qu'en 1983 les OPF totalisaient 997 plaintes déposées, sur 180 000 procédures. Ce chiffre est descendu en 1996 à 680 plaintes déposées. Il a chuté encore pour l'année 2000 à 404 plaintes déposées, sur 324 000 procédures. Le nombre de plaintes admises, et non pas déposées, ne représente que les 10% des chiffres que je viens de citer, soit une plainte environ pour 10 000 dossiers traités. Ne vous sentez-vous pas quelque part gêné, Monsieur, de parler de gabegie ?
Quatrièmement, l'ICF, comme vous le savez sans doute, travaille en rotation sur l'ensemble des services de l'Etat. Sur la base de sa planification 2000 et de ses 106 contrôles usuels planifiés, l'ICF devait contrôler les OPF en 2001. Nous avons souhaité que ce contrôle ordinaire soit avancé et l'attention de l'ICF a naturellement été attirée sur les accusations que vous portez.
Il faut ajouter à ceci que, comme elle en a le droit, la commission de contrôle de gestion a mandaté l'ICF au sujet de l'OPF Rhône-Arve. Elle l'a fait par lettre du 2 février 2001. Mais je dois rappeler ici que le 12 novembre 1999, à la demande déjà de cette même commission, l'ICF a rendu un rapport relatif à l'emploi de personnel intérimaire par les offices des poursuites et faillites. Les recommandations de l'ICF ont été appliquées à la lettre, certaines avaient même été anticipées après contact avec le département des finances. C'est ce rapport ICF qui devait permettre à la commission de contrôle de gestion de rendre son rapport, lequel, quatorze mois plus tard et de manière inexpliquée, n'est toujours pas publié...
De ce qui précède, Monsieur, il ressort que vos allégations confuses et lancées tous azimuts nous laissent pour le moins perplexes. Encore que sur 324 000 dossiers par année, il soit possible de trouver l'un ou l'autre motif de contestation. Mais nous vérifions. Il va sans dire, Monsieur le député, que si tout ou partie de ce que vous prétendez est fondé, nous corrigerons tous ensemble : ICF, départements concernés et autorité de surveillance. Dans le cas contraire, les droits des personnes s'estimant calomniées seront par elles-mêmes préservés!
En ce qui concerne la gestion du personnel, vous évoquez pêle-mêle plusieurs offices, plusieurs services et plusieurs époques différentes, ainsi, je cite, «qu'une ambiance exécrable, voire délétère, des cas de favoritisme, une volonté de ralentir les procédures...». Vous soulignez même la réalité de plaintes pour ennuis de santé liés aux conditions de travail.
Une remarque d'abord s'impose. Ecrivez-vous bien que le médecin-conseil de l'Etat se serait publiquement exprimé sur le contenu de dossiers médicaux concernant des membres du personnel de l'Etat ? Affirmez-vous vraiment qu'un médecin-conseil aurait violé à la fois son secret de fonction et son secret médical ? Voilà une affirmation grave qui mérite de notre part un contrôle immédiat !
Nous observons, d'autre part, que le personnel de l'OPF Rhône-Arve lui-même a adressé à sa direction, le 23 janvier 2001, une lettre démentant en totalité vos dires.
Mais le Conseil d'Etat ne veut pas du maintien de l'état de suspicion que vous créez. Il est au contraire attaché - c'est son intérêt - à la notion de transparence. Avec mon accord, il traitera cet aspect du problème de la manière suivante :
Le Conseil d'Etat désignera une personne issue de la société civile. Il laissera, si elle le veut bien, à la commission de contrôle de gestion le privilège de faire de même. Ces deux personnes choisiront ensemble une troisième personne pour équilibrer le groupe. Le mandat de ce groupe est en cours de rédaction. Il est voulu général et extensible. Il peut en particulier s'élargir en complément ou en préparation du travail de l'ICF et viser à donner, si c'est possible, à vos allégations une base concrète et contrôlable. Le texte de ce mandat sera proposé pour accord à la commission de contrôle de gestion.
L'action de ce groupe débutera en mars prochain. Son rapport sera rendu dans les meilleurs délais.
Et, comme pour le volet «gestion financière», si des correctifs s'imposent, nous agirons tous ensemble : OPF, office du personnel, service de santé de l'Etat, départements concernés. Dans le cas contraire, les droits des personnes qui s'estimeraient calomniées pourront être préservés.
Le Conseil d'Etat a ainsi répondu à vos questions 1 a) et 3) qui portaient sur un contrôle, que nous voulons limité dans le temps, en ampleur et en coût.
Par votre question 1 b) traitant des abus et opacité, des prés carrés et autres chasses gardées, le Conseil d'Etat est mis en cause en tant que tel, et ceci pour l'ensemble de ses départements. Le Conseil d'Etat vous indique qu'il n'a pas l'intention de présenter un projet de loi qui aurait pour seule et unique base l'agitation politique qui vous anime personnellement !
Enfin pour conclure, Monsieur, le Conseil d'Etat prend note avec sérénité de votre interpellation urgente écrite. Il en regrette la complète vacuité en éléments concrets. Il lui donne, telles que le commandent les règles démocratiques, une suite pratique, en se refusant par contre de participer à la polémique que vous animez. Pour répondre concrètement, au rendu des documents attendus, les personnes visées par vos allégations ont, d'ores et déjà, expressément réservé leurs droits.
Monsieur le député, vous avez déposé, dans le droit fil de la première, une deuxième interpellation urgente No 11 écrite à laquelle nous venons de répondre. Au sujet de cette deuxième interpellation urgente écrite, le Conseil d'Etat vous indique qu'il ne dispose d'aucun élément qui justifierait l'application de l'article 11 du code de procédure pénale. Il répond donc par la négative à vos deux questions.
Ces interpellations urgentes écrites sont closes.
Annexe : Cour de Justice