Séance du jeudi 25 janvier 2001 à 17h
54e législature - 4e année - 4e session - 2e séance

PL 8415
12. Projet de loi de Mmes et MM. Jean Spielmann, Bernard Clerc, Pierre Meyll, Salika Wenger, Pierre Vanek, Luc Gilly, Jeannine de Haller, Rémy Pagani, Cécile Guendouz, Christian Grobet, Françoise Schenk-Gottret, Christian Brunier, Laurence Fehlmann Rielle et Charles Beer modifiant la loi sur les Transports publics genevois (H 1 55). ( )PL8415

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

La loi sur les Transports publics genevois, du 21 novembre 1975, est modifiée comme suit :

Art. 1, al. 6  (nouveau, les al. 6 à 8 anciens devenant les al. 7 à 9)

6 Les activités de sous-traitance prévues à l'alinéa 5 ne peuvent être attribuées par les TPG qu'à des entreprises signataires d'une convention collective de travail reconnue.

Art. 19, al. 2, lettre s (nouvelle, les lettres s et t anciennes devenant les lettres t et u)

Article 2

La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation.

En application de l'article 160A de la Constitution, les Transports publics genevois (ci-après TPG), établissement de droit public genevois, ont pour but de mettre à la disposition de la population du canton de Genève un réseau de communications, exploitées régulièrement, pour le transport des voyageurs et de pratiquer une politique tarifaire incitative.

L'alinéa 5 de l'article premier de la loi sur les TPG précise que les TPG peuvent acquérir, créer, louer, exploiter directement ou indirectement tout moyen de transport, atelier de fabrication, de transformation et de réparation, chemins de fer, véhicules autonomes et, d'une manière plus générale, tout équipement se rapportant à la réalisation de leur but. Le volume des activités pouvant être donné en sous-traitance ne doit pas dépasser 10 % du montant des charges totales des TPG. Les activités autres que l'exploitation de lignes à titre provisoire ou transfrontalières ne devant pas dépasser 4 % de ces charges.

L'adjudication de lignes de transports est actuellement de la compétence de la direction des Transports publics genevois. Les décisions relatives au choix des entreprises adjudicatrices se prennent sur la base d'appels d'offres. La décision est souvent prise en fonction d'impératifs financiers avec un risque important de dumping salarial. Or, les récents débats sur les accords bilatéraux ont mis en évidence la volonté des partenaires sociaux, du Conseil d'Etat et du Parlement cantonal de mettre en vigueur des mesures d'accompagnement qui exigent le respect des conventions collectives et des contrats-type pour réduire les risques de dumping salarial.

Le présent projet de loi vise à fixer de telles règles dans la loi sur les Transports publics genevois. En effet, lors des récentes mises au concours de lignes données en sous-traitance par les TPG, la direction des TPG a favorisé l'attribution des lignes en priorité en fonction du prix de l'offre, l'écart entre les différentes offres étant de près de 40 % alors que le coût des salaires représente près de 80 % des coûts de cette sous-traitance de ligne.

Le risque est grand de voir se développer dans ce domaine une pratique de dumping sur les salaires, d'autant plus que pour certaines lignes, les adjudications sont ouvertes à des entreprises étrangères. Le projet de loi vise à reprendre les dispositions prévues dans les mesures d'accompagnement aux accords bilatéraux, en posant comme condition que l'attribution de travaux en sous-traitances par les TPG ne puisse se faire qu'à une entreprise signataire d'une convention collective de travail reconnue. La seconde proposition vise à ce que la compétence des adjudications de sous-traitance ainsi que des adjudications pour un montant supérieur à 1 million soit soumise au Conseil d'administration des TPG.

Au bénéfice de ces explications nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à accepter le présent projet.

Préconsultation

M. Pierre Ducrest (L). Ce projet de loi, qui sera renvoyé à la commission des transports, appelle quelques remarques. Certes, lorsqu'on parle de convention collective de travail, on y voit la paix du travail que chacun recherche et la sérénité entre le patronat et les employés. Mais lorsqu'on demande d'inscrire dans une loi concernant les transports publics genevois une cautèle demandant aux TPG, régie autonome, de n'engager, pour ses lignes sous-traitées, que des entrepreneurs au bénéfice d'une telle convention collective de travail, il semblerait que l'on durcisse les possibilités offertes aux transporteurs de notre canton.

En effet, vous n'êtes pas sans savoir qu'un contrat de prestations a été voté voici quelques mois dans cette enceinte, contrat qui prévoyait que la sous-traitance donnée à des privés concernant différentes lignes des TPG ne pouvait atteindre que 10% seulement des charges des TPG. Je rappelle ici que celle-ci pouvait avoisiner 20% dans l'ancien contrat de prestations. C'est donc un retour en arrière qui a été opéré dans ce parlement. Actuellement, d'après le compte-rendu des TPG pour l'année 1999, il y a 5,6% de lignes sous-traitées. C'est dire que cela se résume à une peau de chagrin.

Si donc l'on veut uniquement choisir comme partenaires les entreprises au bénéfice d'une convention collective de travail, tout en étant conscients de l'ouverture du marché, de la présence de la France qui nous entoure pour une bonne partie, du voisinage du canton de Vaud pour autre partie, c'est faire obstacle à des entreprises qui pourraient être tentées, pour décrocher un contrat avec les TPG, de signer une convention collective de travail, alors que d'autres entreprises, sises en France ou dans le canton de Vaud, pourraient concurrencer sur d'autres aspects les transporteurs concernés par le système de la convention collective. Je ne crois pas qu'il faille dire ici que ce système est mauvais, mais je pense qu'il y aurait lieu de s'intéresser, en commission, à l'égalité de traitement entre les transporteurs genevois, les transporteurs vaudois et les transporteurs de France voisine.

Quant à la modification de l'article 19, qui donne des compétences accrues, par l'adjonction d'une nouvelle lettre s) à l'alinéa 2, au conseil d'administration, à savoir toute adjudication supérieure à 1 million de francs relèverait de la compétence du conseil d'administration. Je ne vois pas pourquoi l'on ajouterait cette précision dans cette loi sous prétexte que le conseil d'administration des TPG est actuellement déjà souverain. Si certaines pratiques donnent cette capacité au conseil de direction, le conseil d'administration des TPG n'a qu'à la reprendre lui-même. 

M. Christian Brunier (S). Je ne pensais pas prendre la parole dans la mesure où ce projet de loi me paraissait être une évidence. Malheureusement, en écoutant les libéraux, je constate que même les évidences ne sont pas évidentes pour eux !

Le « tout économique » prend de plus en plus le dessus sur les autres considérations. Le parti socialiste le regrette vivement et combat ce système inique basé sur le profit à tout prix, je devrais dire le profit à n'importe quel prix. Mais le constat est malheureusement là. Le tri entre les bonnes et les mauvaises soumissions se fait de plus en plus sur des critères de prix uniquement, les aspects sociaux et environnementaux étant souvent scandaleusement oubliés. Prises dans la spirale de la globalisation économique, que vous soutenez continuellement, Monsieur Ducrest, les entreprises privées, mais malheureusement aussi les entreprises publiques, sont aveuglées par ces considérations purement financières. Le rôle du monde politique, notre rôle, Monsieur Ducrest, est donc de représenter un contrepoids par rapport à cette folie financière et de fixer un minimum de règles pour éviter tout dumping social.

La fixation de ces règles est d'autant plus urgente que la concrétisation des accords bilatéraux peut accélérer ce phénomène. Nous avons soutenu l'ouverture sur l'Europe. Nous la soutenons bien entendu toujours. Nous sommes d'ailleurs l'un des seuls partis à dire oui à l'Europe au niveau national. La mise en concurrence avec les entreprises lors de soumissions est impérative. Nous devons néanmoins fixer ces critères de protection et d'équilibre social. Exiger des sous-traitants des TPG de respecter les conventions collectives est vraiment la moindre des choses. Demander au conseil d'administration d'être plus vigilant lors des soumissions est aussi un minimum que nous pouvons souhaiter à travers la loi. L'équilibre social, la santé sociale, n'en déplaise à certains, sont essentielles pour toutes et tous. Ce projet de loi s'inscrit donc dans cette dynamique sociale et empêche les dérives, je devrais dire la négation des considérations sociales. Les socialistes soutiennent ce projet de loi avec conviction et demande à la commission des transports de le traiter en urgence, afin que nous puissions le voter, tous ensemble je l'espère, le mois prochain ! 

M. Jean Spielmann (AdG). Quelques mots, puisque le débat a été demandé. Il convient donc d'y répondre. Il a été dit tout à l'heure sur les bancs d'en face que la sous-traitance se réduisait à une peau de chagrin et qu'elle n'était que de 5,6%. J'aimerais quand même rappeler ici que le peuple genevois a fixé un certain nombre de règles en ce qui concerne les lignes sous-traitées. Il a posé les principes suivants. Toutes les lignes concessionnées du transport public doivent être inscrites dans le domaine des TPG. Ces derniers peuvent donner en sous-traitance une partie de leurs activités pour un maximum de 10% du volume total. Enfin, il ne peut y avoir que 6% de lignes et 4% d'autres activités. Partant de là, l'idée de mettre en place une sous-traitance se justifie par la présence de lignes transfrontalières, par la mise en place de nouvelles lignes à l'essai et par des dispositifs de transport qui ne sont pas ancrés dans la durée. Les lignes exploitées à l'essai deviennent ensuite des lignes normales des TPG une fois qu'elles ont fait leurs preuves et qu'elles ont rendu service à la population.

Le problème de la sous-traitance et de la convention collective de travail est quand même un problème assez important. Je suis intervenu ici, certains s'en rappellent encore, à propos des fameuses lignes de bus nocturnes mises en place par les CFF. Ceux-ci ont décidé de sous-traiter la ligne entre Genève et Lausanne la nuit entre 2 h et 4 h du matin et ont confié cette ligne à Car postal SA, laquelle l'a donnée à Thomas Cook, qui l'a à son tour donnée à Marty. Les CFF ont ensuite cherché à Genève des entreprises susceptibles d'assurer la ligne entre Genève et Lausanne, aller-retour, bus et salaires compris pour 410 F. Ils ont eu énormément de peine à trouver une entreprise qui soit d'accord de le faire, mais ils l'ont trouvée. A quelles conditions ? Quelle est la qualité de transport offerte aux passagers ? Quelle est la sécurité offerte au regard de la loi fédérale sur la durée du travail dans le domaine des transports ? Il est bien clair que la conduite nocturne d'un bus peut poser un certain nombre de problèmes. La population a cependant le droit d'avoir la garantie que les conventions collectives sont au moins respectées dans le domaine de la durée du travail et du repos. Il en va de même pour les lignes concessionnées.

Aujourd'hui, les marchés s'ouvrent. Nous avons dit ici, haut et fort, que nous souhaitions des mesures d'accompagnement aux bilatérales et des conventions collectives. Dès lors, les entreprises qui traitent correctement leurs employés, les gardent un certain temps et travaillent selon des normes et des règles bien établies méritent aussi d'être prises en considération et pas seulement celles qui participent au dumping social, qui apparaissent et disparaissent au fur et à mesure des opportunités. Il s'agit donc de privilégier la qualité dans un domaine où la sécurité et la qualité du transport ont leur importance. Je ne crois pas que l'on puisse simplement faire jouer les règles du marché sur ce terrain-là. D'autant plus, cela a été démontré récemment, que les lignes de transport peuvent faire l'objet d'une concurrence. Il y a des exemples, que je ne veux pas exposer ici, dans d'autres régions de Suisse. On a été jusqu'à proposer des transports à moitié prix, avec toutes les conséquences que cela peut avoir au niveau de la qualité, de la ponctualité, etc.

Il s'agit donc d'établir un standard minimum. L'idée ne consiste pas à faire du dumping et à exiger les mêmes conditions. Vous l'avez entendu de la part des TPG, vous étiez avec moi en commission, les lignes sous-traitées coûtent presque le même prix que les lignes des TPG elles-mêmes, compte tenu des spécificités, des horaires et des qualités. Le prix n'est pas toujours déterminant, mais ce qui est déterminant pour une entreprise dont la masse salariale représente 80% des charges, c'est que l'on évite le dumping. La dernière mise au concours, à l'occasion de laquelle une entreprise l'emporte en réduisant de plus de 40% ses coûts par rapport à sa première mise, ne doit pas être un exemple à suivre. Il ne faut pas non plus que des entreprises viennent mettre en difficulté les entreprises genevoises qui font correctement leur travail. Une convention collective s'appliquant aux transports publics sur les lignes concessionnées me semble être la règle partagée aussi bien par les entreprises de transport que par le personnel.

En définitive, nous devons proposer à la population une offre de qualité avec au moins un standard minimum. C'est vraiment la moindre des choses que l'on demande. Je me pose d'ailleurs la question, au moment où reprend le débat sur l'Europe, si vous n'aviez pas comme arrière-pensée, lorsque vous avez accepté l'idée des bilatérales, de n'appliquer ni ces bilatérales ni les conventions collectives. De deux choses l'une, ou ces éléments sont valables et l'on applique les conventions collectives avec les bilatérales, ou ils ne le sont pas et l'on agit au coup par coup. Je considère pour ma part qu'une politique générale doit être mise en place. Ces conventions collectives en font partie. Aux entreprises et aux employés de ces entreprises de décider du niveau qu'ils souhaitent pour ces conventions collectives. A nous, parlement, et aux TPG de respecter le standard minimum et de ne pas laisser faire le dumping social et salarial. 

M. Jean-Marc Odier (R). Il sera intéressant de travailler sur ce projet de loi en commission. Il soulève des points importants. J'y vois deux axes. D'abord, le conseil d'administration devrait s'occuper des soumissions. On se rend à nouveau compte que vous avez l'intention de politiser le domaine, puisque le conseil d'administration se caractérise par une représentation politique. Vous voulez simplement que des politiciens puissent se déterminer sur un aspect économique d'une entreprise que nous souhaitons autonome. Il faudra probablement argumenter un peu plus, parce que je ne comprends pas bien votre position. Deuxième chose, vous indiquez dans l'exposé des motifs que la direction des TPG a favorisé l'attribution de lignes. Il faut être assez prudent lorsque vous dites cela, ce d'autant que vous faites allusion à des différences de salaires. Dans le cas précis, les transports publics nous ont précisé que les salaires étaient les mêmes dans les entreprises qui ont pris le marché et dans celles qui l'ont perdu, puisque les entreprises qui ont bénéficié du marché ont repris le personnel aux conditions auxquelles il était employé auparavant. Les TPG nous l'ont dit. Il faudra donc expliquer un peu différemment vos chiffres : 40%, 80% !

Lorsque vous parlez de dumping social et de maintien des salaires pour éviter ce dumping, je pense qu'une convention collective des sous-traitants peut effectivement être une bonne chose. Mais il faut savoir que les sous-traitants ne vivent pas seulement des TPG. S'ils sont soumis au marché général du canton, ils ont aussi d'autres clients que les transports publics. Qui dit marché, dit aussi concurrence étrangère. Peut-être que vous ne le savez pas, mais les transporteurs français travaillent actuellement avec des tarifs bien inférieurs. Pas sur les lignes, comme cela a été dit par les TPG, mais en ce qui concerne l'autre partie du marché. Les salaires sont beaucoup plus élevés en Suisse qu'en France. Les transporteurs genevois craignent que les Français puissent venir charger à Genève. Si l'on maintient le niveau des salaires par des conventions collectives et qu'on les développe, ce sera bien. Mais l'on perdra le travail. Il faut dès lors savoir ce que l'on veut. On peut trouver des solutions, mais il faudra bien les étudier. Ce n'est pas aussi simple que vous semblez le dire.

Encore une chose. Lorsque vous parlez de la durée du travail, soyez aussi prudents. C'est très contrôlé. La police des transports le fait régulièrement et tous les transporteurs sont soumis aux enregistreurs de temps de travail, systématiquement contrôlés par la police. N'avancez donc pas des remarques de cette nature, je vous en prie ! 

M. Laurent Moutinot. Une information et une remarque. L'information, c'est que la direction des TPG n'a pas de remarque à formuler à ce stade-là à l'égard de ce projet de loi. Son conseil d'administration pourra bien entendu souhaiter être entendu par votre commission des transports. La remarque, c'est que dans les activités économiques que l'Etat conduit, dans les activités économiques que les régies publiques ou les entités qui dépendent de l'Etat conduisent, elles doivent non seulement avoir un raisonnement économique, par respect des deniers publics, mais aussi un respect des conditions sociales et des conditions de travail. Il est inimaginable que l'Etat puisse participer d'une manière ou d'une autre à ce qui a été appelé, ce qui est juste finalement, un dumping social.

Je suis sidéré de vous entendre, Monsieur Ducrest, sachant que les conventions collectives de travail ne représentent pas un salaire minimum intégral garanti édicté par l'Etat. C'est un instrument courant de la politique genevoise et suisse de négociation, puis d'extension à l'ensemble du personnel d'une branche. C'est peut-être un schéma qui présente des limites, mais vous entendre remettre en cause l'adéquation des conventions collectives pour arriver à ce que, dans une branche donnée, à un moment donné, les conditions de travail atteignent un niveau acceptable pour tous, constitue vraiment un sujet d'étonnement. Qu'il y ait quelques difficultés à cadrer compte tenu de la concurrence sauvage, je n'en doute pas. Vous trouverez probablement la méthode. Mais j'affirme, de manière catégorique, que le système que vous devrez trouver ne peut pas permettre, sous prétexte de rentabilité, que l'Etat, ou l'une des régies publiques, se trouve un jour accusé d'exploiter des gens de manière inacceptable. 

Ce projet est renvoyé à la commission des transports.