Séance du
jeudi 25 janvier 2001 à
17h
54e
législature -
4e
année -
4e
session -
1re
séance
PL 8431
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :
Art. 1 Buts
Reconnaissant le caractère pluriculturel de la société genevoise, la présente loi a pour but d'encourager des relations harmonieuses entre les populations suisse et étrangère dans le respect de la diversité culturelle. Elle favorise la participation de tous aux structures sociales et s'efforce de promouvoir l'égalité des chances entre les populations suisse et étrangère, dans les limites du droit. Elle encourage la recherche et l'application de solutions en faveur de l'intégration des étrangers.
Art. 2 Principes
Le Conseil d'Etat détermine les lignes directrices de la politique cantonale d'intégration des étrangers. Il désigne un département pour l'application de la présente loi.
Art. 3 Mise en oeuvre
Pour mettre en oeuvre la politique d'intégration des étrangers, le Conseil d'Etat s'appuie sur :
Art. 4 Délégué
1 Le délégué est désigné par le Conseil d'Etat. Il propose et coordonne toute action contribuant à la réalisation des buts de la loi.
2 Pour exécuter ses tâches, il dispose d'une équipe de collaborateurs et s'appuie sur la Commission et sur le groupe.
Art. 5 Commission
1 Le Conseil d'Etat nomme la Commission composée de 9 à 15 personnes.
2 Les membres de la Commission représentent les communes, les partenaires sociaux, les associations d'étrangers et celles ayant pour but l'intégration des étrangers. Le règlement en fixe la composition.
3 La Commission est présidée par le chef du département désigné à l'art. 2. Le délégué en assume le secrétariat et prépare les dossiers.
Art. 6 Tâches de la Commission
La Commission a pour tâches :
Art. 7 Groupe
1 Le groupe est composé de directeurs et/ou de chefs de services de la fonction publique directement concernés par les questions d'intégration.
2 Les présidents de chacun des départements désignent leurs représentants au sein du groupe.
3 Le groupe est présidé par le délégué.
Art. 8 Tâches du groupe
Le groupe a notamment pour tâches :
Art. 9 Domaines d'action
Les domaines ci-après sont tout particulièrement reconnus comme vecteurs de l'intégration :
Art. 10 Organisation
Le Conseil d'Etat fixe dans un règlement d'application le cahier des charges et les règles de fonctionnement des structures définies à l'art. 3.
Art. 11 Financement
Les moyens financiers de la Commission et du délégué sont fixés par le budget annuel de l'Etat.
Art. 12 Rapport
Le Conseil d'Etat adresse un rapport annuel circonstancié au Grand Conseil concernant les activités menées en faveur de l'intégration des étrangers.
Art. 13 Dispositions d'exécution
Le Conseil d'Etat édicte les dispositions nécessaires à l'application de la présente loi.
Art. 14 Entrée en vigueur
La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa promulgation.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Le présent exposé des motifs s'articule autour de quatre axes :
les buts poursuivis par ce projet de loi ;
l'attribution des compétences relatives à la politique à mener pour l'intégration des étrangers ;
les structures de mise en oeuvre de cette politique ;
les domaines d'action de cette politique.
Les buts de la présente loi sont inspirés des expériences menées dans d'autres cantons et villes de Suisse, et basés sur les entretiens organisés avec un grand nombre d'acteurs de terrains et par les discussions qui se sont déroulées au sein de la Commission d'experts extraparlementaire chargée de définir un concept cantonal d'accueil et d'intégration des étrangers (ci-après Commission). Ces buts sont multiples : encourager des relations harmonieuses entre les populations suisse et étrangère dans le respect de la diversité culturelle, favoriser la participation de tous aux structures sociales, promouvoir l'égalité des chances entre les populations suisse et étrangère et encourager la recherche et l'application de solutions encourageant l'intégration des étrangers. La Commission a choisi d'utiliser de manière uniforme le terme « étrangers », plutôt que celui de migrants, immigrés ou autres. En effet, selon la Commission, la seule caractéristique commune de la population étrangère est celle de ne pas posséder de passeport suisse. Le terme « étranger » permet d'englober toutes les personnes, indépendamment de leur provenance et de leur statut. Comme indiqué dans le rapport préliminaire de la Commission, la politique d'intégration doit s'adresser tant à l'ensemble des personnes et institutions du lieu d'accueil qu'à l'ensemble des étrangers résidant dans le canton, indépendamment de leur statut de séjour, et par conséquent aussi aux personnes relevant de la loi sur l'asile.
La Commission a jugé nécessaire de reconnaître dans la loi le caractère pluriculturel de la société genevoise comme un fait social. En effet, notre canton compte un peu moins de 40 % d'étrangers de plus de 150 nationalités différentes. On peut prévoir qu'avec l'accélération des mouvements de population et l'entrée en vigueur des accords bilatéraux, cette tendance au mélange culturel va s'accentuer. Dès lors, la Commission considère le terme « pluriculturel » plus adéquat que le terme « multiculturel », ce dernier ayant une connotation plus controversée. En effet, les discussions sur le multiculturalisme prennent une ampleur considérable dans les travaux en sciences humaines (philosophiques, politiques, sociaux). En résumé, ces discussions tentent de définir ce qu'est un groupe culturel et cherchent à proposer des politiques publiques qui soient à même de reconnaître et préserver la diversité culturelle. Les désaccords restent importants parmi les différentes théories qui s'affrontent et les solutions adoptées dans d'autres pays sont en grande partie tributaires des particularités historiques et culturelles de chacun.
Par conséquent, pour éviter d'entrer dans ce débat, la Commission préfère substituer au terme « multiculturalisme » celui de « pluriculturalisme », qui est moins connoté théoriquement. La Commission, à l'instar de projets qui ont vu le jour dans d'autres cantons ainsi qu'au niveau fédéral
.Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil à l'appui d'un projet de loi sur la politique migratoire du 20 mai 1996. République et Canton de Neuchâtel. Loi sur la politique migratoire du 20 mai 1996.
République et Canton de Neuchâtel. Pour une politique migratoire dans le canton de Neuchâtel, Rapport de la Communauté neuchâteloise de travail pour l'intégration sociale des étrangers du 3 avril 1996.
Leitbild und Handlungskonzept des Regierungsrates zur Integrationspolitik des Kantons Basel-Stadt, août 1999.
Leitbild zur Integrationspolitik der Stadt Bern, septembre 1996.
Integrationspolitik der Stadt Zürich. Massnahmen für ein gutes Zusammenleben in unserer Stadt, Août 1999. Projet d'ordonnance fédérale sur l'intégration sociale des étrangers (OIE), Berne, 2000
La présente loi se veut une loi-cadre, afin de garantir la souplesse nécessaire à la résolution des questions liées à l'intégration des étrangers, et plus généralement à la coexistence dans la diversité culturelle. Elle énonce les principes de fonctionnement des institutions, elle indique les responsabilités réciproques, mais laisse le soin à un règlement de définir les détails de son application. La loi doit créer les conditions pour qu'un dialogue permanent s'instaure entre les différentes communautés, et entre ces dernières et le pouvoir politique. Ce dialogue permettra de trouver des solutions pragmatiques et négociées sur les sujets qui se présenteront sur l'agenda politique. Le domaine de l'intégration des étrangers et de la diversité culturelle sont par définition mouvants. Pour ce motif, la loi et les instances qui sont appelées à l'appliquer doivent avoir la souplesse nécessaire pour faire face à de nouvelles situations. La Commission estime prioritaire d'institutionnaliser des lieux de dialogue entre les acteurs de terrain, et de désigner des organes compétents afin de permettre le contrôle parlementaire de l'action publique.
Il est ressorti des nombreux entretiens réalisés que l'Autorité politique devait s'engager dans le domaine de l'intégration des étrangers. Le projet de loi prévoit donc que le Conseil d'Etat fixe les lignes directrices de la politique cantonale en la matière et désigne un département compétent pour la mise en oeuvre de la politique d'intégration. Les deux départements rapporteurs cités régulièrement par nos interlocuteurs sont :
- le Département de l'intérieur, agriculture, environnement et énergie ;
- le Département de l'économie, emploi et affaires extérieures.
S'inspirant de l'expérience neuchâteloise et des projets issus d'autres cantons et villes suisses, la Commission souhaite que le Conseil d'Etat puisse s'appuyer pour l'application de cette loi sur trois instances : un/e délégué/e (ci-après le délégué) à l'intégration des étrangers, une Commission consultative de l'intégration et un Groupe interdépartemental de l'intégration. Le délégué remplit le rôle de coordinateur et réalisateur des actions en vue d'atteindre les buts de la loi ; la Commission consultative assume un rôle de conseil, d'aide et d'expertise dans le domaine de l'intégration ; le Groupe interdépartemental assure le lien et la cohérence des actions à l'intérieur de l'administration cantonale. Ces trois instances doivent permettre une collaboration optimale entre les partenaires de l'intégration. En particulier, la Commission consultative permet au pouvoir politique d'être en prise directe avec les acteurs de terrains tels que les communes, les partenaires sociaux, les associations d'étrangers et celles qui ont pour but l'intégration des étrangers. La connexion entre l'Exécutif et « la base » est assurée par un jeu de présidences des différents organes. Le Conseil d'Etat désigne le département compétent. Le délégué dépend du chef du département concerné. La Commission consultative est présidée par le chef du département compétent, ce qui permet une prise et une écoute directes du Conseil d'Etat sur les problématiques issues du travail de terrain. Le délégué préside le Groupe interdépartemental, ce qui favorise une harmonisation efficace des procédures administratives, et permet de faire remonter l'information et les préoccupations concrètes vers l'Exécutif.
Quant à la composition des différentes instances, la Commission propose que le délégué et son équipe soient choisis parmi des personnes ayant une sensibilité particulière pour les problématiques relatives à l'intégration. Les personnes nommées pourraient être elles-mêmes issues de la communauté étrangère ou alors des Suisses originaires de pays étrangers. La composition de la Commission consultative de l'intégration doit tenir compte de l'hétérogénéité culturelle et religieuse des communautés étrangères résidant dans le canton. Pour toutes ces instances, le Conseil d'Etat doit veiller à une représentation équitable entre femmes et hommes.
Les entretiens avec les acteurs de l'intégration ont permis de dégager une série de domaines couramment indiqués comme vecteurs de l'intégration, lesquels sont énoncés à l'art. 9 du projet de loi. Ces domaines ne sont pas exhaustifs, mais considérés comme essentiels pour favoriser une intégration efficace des étrangers et permettre le dialogue et la compréhension entre les cultures.
Un des grands défis est de rééquilibrer la politique suisse dans le domaine des migrations pour que les objectifs de contrôle des étrangers ne supplantent pas ceux de l'intégration.
L'autre enjeu est d'agir pour permettre aux personnes suisses et étrangères de parvenir à définir, ensemble plutôt que séparément, un avenir commun. Des possibilités de réelle participation politique demeurent indispensables. Il s'agit enfin d'un débat concernant le destin des étrangers en Suisse, et par là même du destin des Suisses. La loi-cadre d'intégration des étrangers doit donner les moyens de cette ambition.
Au vu de ces explications, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à ce projet de loi.
Ce projet est renvoyé à la commission des droits politiques et du règlement du Grand Conseil sans débat de préconsultation.