Séance du
jeudi 14 décembre 2000 à
17h
54e
législature -
4e
année -
3e
session -
60e
séance
M 1327-A
Le propos de ce rapport n'est pas de rallumer, lors de la prochaine séance de notre Conseil, les feux d'un débat de fond sur cette « libéralisation » du marché de l'électricité sur laquelle planchent toujours les Chambres fédérales.
Rappelons simplement à ce sujet que notre Grand Conseil s'est prononcé sur cette question à plusieurs reprises mais pour la première fois au moment où le projet de loi du Conseil fédéral sur l'ouverture du marché de l'électricité (LME) a été mis en consultation.
Notre Parlement avait estimé, à l'époque, que la positon de l'Etat de Genève en cette affaire était trop importante pour qu'on laisse au seul Conseil d'Etat le monopole de la prise de position au nom de notre République et canton ou pour que l'on fasse l'économie d'un débat et d'un vote propre de notre Parlement, dans un domaine, d'ailleurs éminemment législatif, posant en outre des problèmes en liens étroits avec la politique de l'énergie cantonale, telle qu'elle est définie, pour ses grandes lignes, dans l'art. 160C de notre Constitution cantonale.
Ainsi, un projet de résolution (R 364) - signé d'ailleurs tant par des député-e-s de l'Entente que de la gauche et des verts - demandant au Conseil fédéral de retirer son projet de loi, ressenti comme une menace contre les principes du développement durable, un risque quant aux finances des collectivités publiques et une danger allant dans le sens du bradage de biens publics, a été largement approuvé par notre Grand Conseil, ceci lors de sa séance du 24 avril 1998.
Comme chacun sait, le projet de loi fédéral n'a pas été retiré et les derniers développements sur le plan des travaux parlementaires à Berne (position du Conseil des Etats notamment) ne sont pas de nature à calmer les craintes que nous avions à l'époque et que notre collègue John Dupraz, avec la verve et la franchise qui lui sont coutumières, exprimait au moment du débat sur la R364 en disant : « Je soutiens la résolution signée par notre parti car elle pose un problème de fond : jusqu'où le libéralisme va-t-il nous entraîner dans l'absurdité ? »
Voir le mémorial de la séance No 16 du 24 avril 1998
Dans le fond, c'est un peu la même question, éminemment légitime, celle des effets concrets de la libéralisation projetée du marché de l'électricité que les auteurs socialistes de la motion 1237 déclinaient dans différents domaines, en demandant au Conseil d'Etat de réaliser une étude d'impact en la matière.
A l'appui de ce projet de motion, ses auteurs avançaient un exposé des motifs, fort bien fait, auquel votre rapporteur ne saurait ici que vous renvoyer. La précision de cet exposé des motifs était d'ailleurs de nature à conduire certains à poser la question de la nécessité même d'études ultérieures, d'autres interrogations ont - elles-aussi - conduit en avril dernier au renvoi de cette motion en commission, plutôt qu'au Conseil d'Etat directement : la question des coûts de l'étude notamment…
Cette motion a donc été inscrite à l'ordre du jour des travaux de votre Commission de l'énergie (en parallèle à d'autres objets) lors de ses séances des 5, 12 et 26 mai derniers. L'invite de la motion originelle a été modifiée au cours des travaux, après des débats assez rapides et consensuels, et remplacée par un amendement voté à l'unanimité des participant-e-s à la séance du 26 mai, soit par 3 AdG, 2 S, 2 Ve, 1 R, 2 L.
Dans sa formulation amendée, volontairement plus globale et plus synthétique que le texte originel des auteurs de la motion, celle-ci invite le Conseil d'Etat à :
« réaliser dans les plus brefs délais une étude prospective portant notamment sur les effets socio-économiques et environnementaux à Genève de la libéralisation du marché de l'électricité ».
La commission est arrivée à cette définition de l'étude demandée, de portée plus modeste que celle envisagée initialement, tant sur le plan de l'exhaustivité de celle-ci que sur celui des coûts envisagés - qui devraient rester relativement modestes - en renonçant, dans un premier temps, à l'idée d'une « étude d'impact mesurant les effets » de la libéralisation projetée, pour la remplacer par celle plus souple et peut être plus intéressante d'« étude prospective » sur les effets de celle-ci.
Si, pour commencer, la commission a envisagé de demander cette étude sur des effets « socio-économiques » seulement, elle a reconnu ensuite qu'il était encore nécessaire d'étendre cette étude aux effets « environnementaux » de celle-ci, dimension que l'on retrouve donc dans l'invite finale.
Au nom du DIAE, M. François Brutsch, secrétaire adjoint, a précisé à la commission qu'une étude pourrait être réalisée par le Centre Universitaire pour l'Etude de l'Energie ou par le Laboratoire d'économie appliquée de l'Université de Genève et, qu'en la matière, un mandat bien délimité, excluant des travaux statistiques trop exhaustifs et se limitant à la problématique à l'échelle de notre canton, conduirait à un travail qui ne serait ni trop cher, ni trop long à réaliser, contrairement aux craintes de certains.
Au chapitre des frais justement, une proposition d'inviter le Conseil d'Etat à « faire participer les SIG » aux coûts de cette étude a été formulée par Mme Janine Berberat pour le parti libéral. A l'appui de cette demande, l'idée persistante - déjà évoquée lors du premier débat en plénière - sur le fait que la demande d'étude « émanerait » en dernière instance des Services industriels eux-mêmes ou serait une « étude de solidarité » avec ceux-ci.
Cette proposition de financement a été refusée (par 3 AdG, 2 Ve et 1 S contre 1 R et 1 L avec 1 abstention S), ceci essentiellement pour ne pas accréditer la vision réductrice de l'étude demandée sous-tendant cette demande. L'« ouverture » projetée du marché de l'électricité par les Autorités fédérales n'est en effet pas un problème seulement pour l'entreprise publique, et de services publics, que sont les Services industriels de Genève, ou même pour l'ensemble de la « branche » de l'électricité.
Cette décision de politique fédérale serait appelée à avoir des effets sur la possibilité (ou non !) pour l'Etat, et singulièrement pour notre Etat cantonal qui a des ambitions particulièrement élevées en la matière, de mener effectivement une réelle politique de l'énergie, de fixer - démocratiquement - des objectifs dans ce champ d'importance particulière sur le plan écologique.
Ainsi, le problème de cette « libéralisation » ne saurait être considéré comme une question technique qui - dans le fond - ne concernerait que les Services industriels ou ceux-ci prioritairement. C'est bien un problème politique, au sujet duquel notre assemblée, comme nos concitoyen-ne-s, qui auront fort probablement à se prononcer en dernière instance, sont légitimement en droit de demander des informations préalables complémentaires, fut-ce au prix modeste de l'étude envisagée.
Au vote final la motion, amendée comme il a été expliqué ci-dessus, a été acceptée sans opposition, ceci par les représentant-e-s de l'AdG (3), des Socialistes (2) et des Verts (2). Du côté de l'Entente, les radicaux (1), libéraux (2) et DC (0) se sont abstenus ou n'ont pas participé au vote.
En rappelant qu'au-delà du point - manifestement secondaire - constitué par la question de la participation financière à solliciter ou non du côté des SIG, l'ensemble de vos représentant-e-s présents en commission, s'est rallié unanimement à l'invite de cette motion, c'est donc à l'unanimité également, Mesdames et Messieurs les député-e-s, que je vous invite à la renvoyer aujourd'hui au Conseil d'Etat.
Débat
M. Hubert Dethurens (PDC). Je prends brièvement la parole. Pour des raisons qui nous sont propres, notre parti ne pouvait être présent le jour du vote de la motion en commission. C'est donc par 0 voix, comme l'écrit M. Vanek dans son rapport, que le PDC s'est abstenu. C'est peut-être la preuve que l'on peut parler du PDC même lorsqu'il n'est pas représenté !
Plus sérieusement, le PDC tient aujourd'hui à clarifier sa position en souscrivant à cette motion. Jusqu'où nous entraînera le libéralisme de l'énergie ? Personne ne peut y répondre, sauf peut-être sur le plan économique, où ce projet a été salué comme il se doit par les milieux de l'industrie, avec qui nous partageons cette excellente nouvelle. Mais concernant le volet environnemental, il devient périlleux d'émettre la moindre des théories, sans que celle-ci ne soit aussitôt contestée.
M. Pierre Vanek (AdG), rapporteur. Le propos de cette motion n'était pas de rouvrir un grand débat, que nous avons déjà eu, sur la question de la libéralisation du marché de l'électricité. Vous savez que cette motion demande que le Conseil d'Etat réalise dans les plus brefs délais une étude prospective sur les effets potentiels, hypothétiques, socio-économiques, mais aussi environnementaux, à Genève, de la libéralisation du marché de l'électricité. Celle-ci pose des problèmes. Elle en pose tant que nous l'avions reconnu à l'époque : c'est déjà le 24 avril 1998 que nous avons voté, dans cette salle, à une large majorité composée de députés de tous bords, dans le cadre de la préconsultation opérée par le Conseil fédéral, une résolution. Cette résolution affirmait que le projet de loi, arrivé à son terme aujourd'hui, devait être retiré par le Conseil fédéral. En effet, ce projet de loi de libéralisation du marché de l'électricité est de nature à saper et à miner tous les efforts de politique environnementale liés à la gestion de l'énergie.
Je me permets quand même de rappeler encore une fois que l'article 160C de la constitution genevoise prévoit que la politique de l'Etat de Genève est composée d'un certain nombre d'options qui correspondent aux désirs démocratiquement exprimés par les citoyens en matière de gestion écologique et en matière de gestion antinucléaire de l'énergie. Ce sont, aujourd'hui, les Services industriels de Genève qui détiennent dans le canton un monopole sur le marché de l'électricité et qui sont soumis à un contrôle démocratique. Ce monopole fait d'ailleurs l'objet, ce qui est fort sain, de débats assez fréquents au sein de cette assemblée. Le budget des SIG sera par exemple débattu aujourd'hui ou demain.
Avec l'ouverture du marché de l'électricité, toutes les dispositions environnementales seront effectivement supprimées ou pourront l'être potentiellement, puisqu'il est clairement disposé à l'article 1 de la loi sur le marché de l'électricité, dans les buts de cette loi, que celle-ci vise à créer les conditions d'un marché axé sur la concurrence. Il y est question du prix de l'énergie électrique, mais il n'y a pas de ligne forte correspondant à ce que l'on fait dans ce canton, considérant que la politique environnementale doit être le guide et un facteur essentiel, si ce n'est le principal, de la politique en matière d'électricité. C'est très grave ! C'est tellement grave que des organisations, dont certaines sont représentées dans ce parlement, lanceront un référendum fédéral contre la loi en question, ce qui aura pour conséquence nécessaire l'ouverture d'un large débat public concernant cette loi sur le marché de l'électricité. Nous aurons ainsi l'occasion de nous prononcer sur ces questions, les uns et les autres, non seulement dans cette salle en qualité de député, mais aussi, in fine, en tant que citoyen par le biais des urnes.
J'ai évoqué la menace que représente cette loi pour la politique de l'énergie et la politique écologique. On me rétorquera, du côté libéral, que la libéralisation du marché de l'électricité engendrerait des avantages économiques et des avantages pour les consommateurs, éléments de cette libéralisation présentés comme importants.
Je me permets de conclure mon intervention en citant simplement un petit article récemment publié dans une recension d'articles de presse fournis par les électriciens romands et qui explique que la Californie se retrouve, suite à la libéralisation du marché de l'électricité dans cet Etat, dans une situation absolument déplorable. L'électricité aurait été surfacturée pendant quelques mois pour des montants équivalant à 4 milliards de dollars environ. Le gouverneur de l'Etat est en train de prendre des mesures dans l'urgence, non pas des mesures de dérégulation ou de libéralisation, mais des mesures de réglementation du marché de l'électricité et des mesures tarifaires. Ceci vient de Californie, des Etats-Unis, un pays dont on importe précisément ces idées libérales ou néo-libérales. Je lis même que l'Etat californien pourrait prendre des mesures de contrainte envers les électriciens pour les obliger à construire de nouvelles capacités de production et qu'il serait disposé, le cas échéant, à prendre lui-même en main des constructions par le biais d'une organisation ad hoc qu'il créerait.
On est ainsi en train de réinventer, en Californie, après une douloureuse expérience libérale, l'idée que le marché de l'électricité doit être en main du service public. C'est cette idée très simple, déjà en vigueur ici et que nous pratiquons le mieux possible, qu'il s'agit de défendre à travers l'opposition à la libéralisation du marché de l'électricité. Mais tout ceci est un peu en marge de la motion. Le Conseil d'Etat, face à cette perspective, est invité à l'unanimité par notre Conseil à entreprendre une recherche sur l'ensemble des effets possibles et potentiels d'une libéralisation annoncée. Nous débattrons bien entendu ensuite des conclusions de l'étude qu'il mènera.
La présidente. Nous saluons à la tribune la présence de notre ancienne collègue députée, Mme Martine Roset ! (Applaudissements.)
M. Robert Cramer. Je serai bref ! Comme nous avons eu l'occasion de le dire en commission - le rapport en rend du reste compte - cette motion peut recevoir, telle qu'elle a été reformulée, une réponse du Conseil d'Etat sans nous imposer des études trop longues ou trop coûteuses. C'est dans ce sens que le Conseil d'Etat accepte bien volontiers que vous lui renvoyiez cette motion issue, si je l'ai bien compris, d'une volonté unanime, soit explicite, soit tacite, de la commission.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1327)
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
invite le Conseil d'Etat