Séance du vendredi 17 novembre 2000 à 17h
54e législature - 4e année - 1re session - 54e séance

PL 8259-A
14. Rapport de la commission des finances chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat de Genève (D 1 05). ( -) PL8259
Mémorial 2000 : Projet, 5038. Renvoi en commission, 5041.
Rapport de M. Christian Brunier (S), commission des finances

1. Introduction

La Commission des finances a examiné le projet de loi 8259 émanant du Conseil d'Etat lors de sa séance du 6 septembre 2000 sous la présidence de M. Dominique Hausser.

Mme Micheline Calmy-Rey, présidente du Département des finances, et M. Raphaël Ferrillo, économiste du DF, ont participé à la réunion. Mme Eliane Monnin a pris le procès-verbal de cette séance.

2. Motivations et objectifs

Ce projet de loi du Conseil d'Etat vise une politique budgétaire durable dans le temps. Pour ne pas se trouver démuni le jour où la situation financière deviendra difficile, il propose la création d'une réserve conjoncturelle. Les 50 % de l'excédent annuel de revenus de fonctionnement, avant dotation à ladite réserve, alimenteront cette réserve.

Par souci de simplification et d'efficacité, il n'a pas été jugé utile d'attribuer à ladite réserve les revenus "; extraordinaires " ou "; conjoncturels ". Leur définition étant sujette à interprétation, voire à controverse. Leur évaluation est par conséquent plutôt complexe, voire ambiguë.

La dissolution de tout ou partie de cette réserve fera l'objet d'un projet de loi et sera inscrite, au même titre que la dotation, au budget et au compte de fonctionnement de l'Etat. Par ce biais, le Grand Conseil aura la maîtrise de la dissolution de cette réserve au cas où des déficits apparaîtraient dans le résultat de fonctionnement de l'Etat. Il est exclu qu'une dissolution partielle ou complète de la réserve conjoncturelle permette de dégager un excédent de revenu de fonctionnement. Tout au plus, la dissolution pourra équilibrer le compte et le budget de fonctionnement.

L'alimentation ou la dissolution de la réserve conjoncturelle est, par définition, "; non-monétaire " et n'aura aucune influence sur la variation positive ou négative du niveau de la dette. Il faut souligner que la réserve conjoncturelle et la politique de réduction de la dette poursuivent des objectifs différents sans pour autant être contradictoires. Cette réserve conjoncturelle permettra, dans les limites fixées précédemment, de lisser les résultats comptables et de mener une politique anticyclique.

Dans le cadre du projet de budget 2001, un montant de 17 millions sur les 35 millions d'excédent de revenus prévu a d'ores et déjà été affecté à la réserve conjoncturelle.

3. Débats de la commission

Les député-e-s considèrent ce projet comme positif. Il est un instrument simple et utile d'une politique anticyclique qui nous permet de constituer une réserve en haute conjoncture et de la dissoudre en période difficile.

Plusieurs député-e-s soulignent qu'une politique anticyclique doit être cohérente. S'il est réjouissant de mettre en place un tel outil à travers ce projet de loi, ils invitent le gouvernement genevois à mener une politique anticyclique globale, par exemple en maîtrisant mieux sa politique d'investissements lorsque l'économie redémarre ou en repensant sa stratégie de promotion économique.

Ce projet de loi entre aussi parfaitement dans le cadre d'une plus grande transparence financière de l'Etat. On est bien loin des fausses réserves ou de l'absence de réserves utiles. Les normes comptables IAS vers lesquelles le canton de Genève s'oriente sont respectées, puisqu'elles prévoient la constitution des réserves à hauteur des risques avérés, tout en interdisant les fausses réserves pervertissant la réalité financière.

Lorsque les entreprises font un bénéfice, une norme impérative du Code des obligations stipule que le 10 % dudit bénéfice doit aller dans la réserve dite légale. On encourage ainsi les sociétés à constituer des fonds propres pendant les bonnes périodes. Cette norme est positive sur l'économie. C'est exactement ce qu'entreprend l'Etat au travers de ce projet de loi.

4. Votes de la commission

Vote d'entrée en matière :

Unanimité (2 AdG, 3 S, 1 Ve, 2 R, 1 DC, 3 L).

Vote article par article :

A l'article 67A, un commissaire propose que la réserve conjoncturelle soit affectée et à la hauteur des risques avérés. Mme Micheline Calmy-Rey rappelle que, par définition, la réserve conjoncturelle n'est pas affectée. Elle espère qu'elle sera à la hauteur des risques liés aux périodes difficiles. La plupart des commissaires partagent ce point de vue.

Finalement, l'article 67A est adopté dans son ensemble, et sans modification, à l'unanimité moins une abstention (1 L).

Vote d'ensemble du projet de loi :

10 oui (2 AdG, 3 S, 2 R, 3 L) et une abstention (DC).

Premier débat

M. Christian Brunier (S), rapporteur. Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais très rapidement vous rappeler la teneur de ce projet de loi : en cas d'excédent de revenus de fonctionnement avant dotation à ladite réserve, la moitié de cet excédent sera versée dans une réserve conjoncturelle. L'objectif de ce projet de loi est de pouvoir affronter un éventuel futur déficit, si une crise revenait. Et on le sait : les cycles économiques sont malheureusement de plus en plus courts. Il faut donc essayer de se prémunir au mieux. Cette loi est typiquement anticyclique. Tout le monde parle de gestion anticyclique et s'en gargarise, mais, cette fois, elle se concrétise, et nous pouvons féliciter le Conseil d'Etat de nous présenter un tel projet.

Un problème de cohérence se pose toutefois, puisque le gouvernement nous propose, en fait, une loi anticyclique tout en nous proposant parallèlement un budget d'investissement qui n'est même pas autofinancé.

Enfin, la dissolution partielle ou totale de cette réserve conjoncturelle fera de toute façon l'objet d'un projet de loi. Le contrôle parlementaire sera donc assuré.

C'est donc à l'unanimité que ce projet de loi a été voté par la commission des finances, et je vous invite à suivre ce mot d'ordre. 

M. Philippe Glatz (PDC). Madame la présidente, M. Brunier a fait une erreur : ce n'est pas à l'unanimité que ce projet de loi a été voté. Il a fait l'objet d'une abstention : la mienne ! Et il faut que je m'en explique... (Contestation.) Je regrette par ailleurs qu'un projet de loi de cette importance soit traité ce soir un tout petit peu à la sauvette, extrêmement rapidement - comme il l'a été d'ailleurs dans le cadre de la commission des finances - et devant une salle à moitié vide. En effet, il aura des conséquences importantes pour toutes les années à venir quant à l'établissement des comptes de notre République.

Ce projet de loi a toutes les apparences de la vertu et il est bardé d'intentions extrêmement louables, mais il convient malgré tout que nous l'examinions d'un peu plus près. C'est vrai : il a rencontré l'adhésion de la quasi-totalité de la commission des finances, mais, comme je l'ai dit, dans le cadre d'une séance extrêmement rapide, et c'est en fonction de ses apparences de vertu qu'ont dû se prononcer positivement les commissaires.

En effet, il peut sembler extrêmement positif de vouloir mettre de côté de l'argent et une partie du résultat obtenu dans les années de bonne conjoncture, afin de pouvoir l'utiliser dans les années de mauvaise conjoncture, un peu à l'image de la ménagère qui mettrait dans sa crousille les 5 F qu'elle n'a pas dépensés dans les périodes fastes.

Cependant, il s'agit de bien comprendre en quoi consiste une réserve ou une provision. (Brouhaha. La présidente agite la cloche.) Qu'est-ce qu'une constitution de réserve ? Une constitution de réserve, Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est qu'une mesure artificielle visant à laisser apparaître un moins bon résultat par le jeu d'une écriture comptable.

Et puis, parallèlement à la constitution de réserve, vous avez la dissolution de réserve. Qu'est-ce qu'une dissolution de réserve ? C'est une mesure, tout aussi artificielle, qui vise à laisser apparaître un meilleur résultat que le résultat réel.

Le but - c'est écrit en toutes lettres dans le rapport de M. Brunier, qui parle d'incohérence mais dont je pourrais démontrer qu'il contient lui-même un certain nombre d'incohérences - c'est de lisser les comptes, de manière à dire que tout va bien dans toutes les périodes. Il ne faut surtout pas dire que ça va trop bien quand ça va bien et il ne faut surtout pas dire que ça va trop mal quand ça va mal... Le but, en somme, c'est de dire qu'il ne fait ni chaud ni froid, qu'il fait toujours tiède ! Voilà en quoi consiste une réserve.

Ce projet de loi pose un double problème, même s'il est vrai qu'il peut avoir l'apparence de la vertu. Le premier est celui de la transparence. En effet, si des comptables ou des gens informés peuvent reconstituer le résultat réel en ajoutant ou en enlevant des réserves, il n'en est pas de même pour le grand public pour qui c'est beaucoup plus difficile. L'autre problème est celui de la réalité des effets de la mesure. Car, cela a été dit, et M. Brunier l'a confirmé, le but n'est pas de baisser la dette mais seulement de lisser les comptes ! Quel est l'intérêt de lisser les comptes, si ce n'est de faire croire, comme je l'ai dit tout à l'heure, que tout va bien dans le meilleur des mondes ?

M. Brunier le dit très clairement dans son rapport : «La réserve conjoncturelle est un instrument simple et utile d'une politique anticyclique...». Il faudra qu'on me démontre en quoi cette réserve permet une politique anticyclique, alors qu'il s'agit d'un simple jeu d'écriture comptable. M. Brunier dit plus haut : «L'alimentation ou la dissolution de la réserve conjoncturelle est, par définition, non monétaire...», c'est-à-dire que la réserve conjoncturelle ne correspond pas à de l'argent réel qui se trouverait dans les caisses. Il y a une différence entre le résultat comptable et la trésorerie. Tout le monde le sait !

Je note une seconde incohérence dans le rapport de M. Brunier qui dit : «Les normes comptables IAS vers lesquelles le canton de Genève s'oriente sont respectées - très bien ! - puisqu'elle prévoient la constitution de réserves à hauteur des risques avérés...». Effectivement les normes IAS permettent la constitution de réserves à condition qu'on définisse et qu'on connaisse un véritable risque. Mais M. Brunier dit plus loin que la commission refuse de compléter ce projet de loi par l'indication qu'une réserve ne pourrait être faite qu'à la hauteur des risques avérés. En conséquence, on doit admettre que cette réserve ne respecte pas strictement les normes IAS.

Mais peu importe ! Ce n'est pas cela le fond du problème. Le problème est que, finalement, on risque, à un moment donné, de tromper l'ensemble des citoyens de ce canton en publiant des résultats, comme je l'ai dit tout à l'heure, qui sont moins bons ou meilleurs que la réalité. Et c'est là que le bât blesse : comment allons-nous partager avec nos concitoyens la responsabilité consistant à prendre conscience de la réalité d'un exercice ?

Je le veux bien ! Dans le cadre actuel, on peut faire confiance : nos autorités seront certainement très explicites au moment de la publication des comptes. Et je suis sûr que Mme Calmy-Rey saura dire que nous avons constitué une réserve conjoncturelle ; que nous avons eu un très bon résultat mais qu'une partie a été affectée dans cette réserve. Cependant, on ne fait pas une loi en fonction d'une conseillère d'Etat : on fait une loi pour la pérennité ! Je le dis très clairement, il faudrait qu'il y ait une plus grande logique à cette réserve.

Par ailleurs, je souhaiterais toujours qu'on m'explique concrètement comment on pourra utiliser la dissolution de réserves pour pratiquer une politique anticyclique consistant à investir au moment où l'économie va mal. (Applaudissements.)  

Mme Micheline Calmy-Rey. Quelques mots seulement pour vous répondre, Monsieur Glatz. Non seulement je pourrai, comme les experts, me rendre compte de la réalité dans les budgets qui seront publiés, mais vous verrez vous-même la réserve conjoncturelle, puisque celle-ci sera constituée après publication du résultat, c'est-à-dire dans un deuxième temps. Vous verrez donc le résultat de l'Etat de Genève sans réserve conjoncturelle, la constitution de la réserve et ensuite le résultat final. Je crois que même un enfant comprendrait cette soustraction...

Mesdames et Messieurs les députés, la stabilisation budgétaire est un des objectifs du Conseil d'Etat et un des instruments d'une telle politique est, précisément, le moyen de la réserve conjoncturelle. En d'autres termes, il s'agit de constituer des réserves en période de haute conjoncture et de les utiliser lorsque la conjoncture est plus difficile.

Monsieur Glatz, cela signifie très concrètement que lorsque nous connaîtrons des déficits - et j'espère que cela ne sera pas de sitôt - il sera possible, par projet de loi au Grand Conseil, de dissoudre la réserve conjoncturelle. C'est de cette façon qu'elle deviendra un instrument de politique anticyclique.

Mesdames et Messieurs les députés, je vous remercie de bien vouloir voter ce projet de loi. 

Ce projet est adopté en trois débats, par article et dans son ensemble.

La loi est ainsi conçue :

Loi(8259)

modifiant la loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat de Genève (D 1 05)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1 Modifications

La loi sur la gestion administrative et financière de l'Etat de Genève, du 7 octobre 1993, est modifiée comme suit :

Art. 67A Réserve conjoncturelle (nouveau)

1 Il est créé une réserve conjoncturelle.

2 La réserve conjoncturelle est alimentée par le 50% de l'excédent de revenus de fonctionnement avant dotation à la réserve conjoncturelle.

3 Elle sert à réduire les éventuels déficits de fonctionnement.

4 La dissolution, partielle ou totale, de la réserve conjoncturelle doit faire l'objet d'une loi. Elle ne peut générer un excédent de revenus de fonctionnement.

5 La dotation ou la dissolution de la réserve conjoncturelle est inscrite au budget ainsi que dans le compte d'Etat.

Article 2 Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.