Séance du
vendredi 27 octobre 2000 à
17h
54e
législature -
3e
année -
11e
session -
47e
séance
P 1285-A
Dans ses séances des 28 février et 6 mars 2000, la Commission des pétitions a étudié la pétition 1285 sous la présidence de Mme Louiza Mottaz, assistée dans ses travaux par l'excellente procès-verbaliste, Mme Pauline Schaeffer.
Mesdames etMessieurs les députés,
Nous avons essayé de régler nos problèmes très graves par les voies normales (médecins, conseils juridiques, etc.) et rien n'a abouti. C'est en dernier recours que nous faisons appel à vous.
Nous sommes dans une situation financière déplorable et avec un état de santé au plus bas.
Tous deux, nous avons des lésions physiques graves (arthrose, tassement des vertèbres, coccyx déplacé, ligaments atrophiés depuis les lombaires et les disques jusqu'au niveau des omoplates, bassin déplacé, hanches irrécupérables, etc.), ce qui n'a pas empêché le Dr Fulpius, chef de service en rhumatologie à Beau-Séjour, de faire un diagnostic limité au toucher, sans faire un scanner ou une IRM.
Il a conclu à des problèmes psychologiques uniquement, malgré toutes les évidences. Cette décision médicale nous complique l'obtention de prestations sociales et de soins appropriés.
Nous avons donc 3 questions à vous poser:
Pourquoi refuse-t-on un scanner ou une IRM à l'hôpital cantonal pour une personne qui en a réellement besoin, en faisant souffrir inutilement et sans faire aucune économie (au contraire c'est plus coûteux) ?
Pourquoi l'hôpital cantonal ne prend-il pas en compte les lésions physiques objectives et, pourquoi les cache-t-il derrière des pseudo-problèmes psychologiques ?
Ne pourrait-on pas aider les personnes souffrant d'une réelle invalidité et leur épargner une bureaucratie lourde et inefficace ?
Nous nous adressons à vous au nom de nombreuses autres personnes qui sont dans la même situation que nous et qui n'ont pas la possibilité de s'exprimer.
Audition des pétitionnaires
En introduction, M. Bouillane révèle qu'après avoir été pris en charge par Beau-Séjour depuis quelques années, il se trouve, au même titre que Mme Lugon-Moulin, dans une situation financière difficile. Actuellement au chômage et bénéficiant du minimum vital, sa demande auprès de l'AI ayant été refusée, le pétitionnaire rapporte que sa collègue vit dans des conditions similaires aux siennes. Il a été hospitalisé en janvier 1999, après qu'il ait été confronté à de graves problèmes de dos, un lumbago, particulièrement handicapant dans le cadre de son métier (technicien radio-TV). Or, le diagnostic du Dr Thierry Fulpius, chef de service en rhumatologie à Beau-Séjour, a conclu à des problèmes psychosomatiques. Depuis, le pétitionnaire souffre de complications au niveau médical, doublées d'un problème d'insomnies.
Il est resté huit mois avec le bassin déplacé et a souffert d'une sciatique. Aujourd'hui, le pétitionnaire a des lésions physiques graves, notamment sa jambe gauche atrophiée, et des problèmes mécaniques importants. Alors qu'il n'a pas cessé de se plaindre de douleurs aiguës, le corps médical s'est toujours contenté d'évoquer des difficultés d'ordre social le concernant. Par la suite, il a été contraint de s'endetter auprès de l'Hospice général pour pouvoir être hospitalisé et il signale qu'il n'est pas le seul à avoir vécu une telle situation.
Au surplus, M. Bouillane rapporte que, suite à une expertise de son ancien chirurgien, Beau-Séjour a refusé une demande d'AI. Après quatre ans de chômage et avec 1800 francs par mois pour vivre, le pétitionnaire dit crever de faim et ne pas avoir la possibilité de suivre un traitement médical approprié à son cas.
A l'heure actuelle, il avoue avoir perdu confiance et refuse désormais tout traitement, quelles qu'en soient les conséquences. Il aimerait exercer une occupation temporaire et parle de sa volonté d'insertion.
Mme Lugon-Moulin explique qu'elle est tombée de sa mezzanine en 1995 et qu'elle s'est alors cassé la cheville. A l'Hôpital, on lui a dit qu'elle faisait des entorses à répétition. Suite à sa chute, on lui a posé une attelle, mais au bout de deux mois, elle n'avait plus de sang dans la jambe. On a alors diagnostiqué des problèmes sanguins et on l'a incitée à consulter un généraliste. Ce médecin a finalement décrété qu'il ne pouvait plus rien faire et a même évoqué l'amputation.
Ensuite elle s'est rendue aux Grangettes où on l'a alors opérée d'urgence. Elle s'en est bien remise et a alors travaillé un maximum pour gagner sa vie. Malheureusement, la pétitionnaire a commencé à avoir des problèmes de dos et à ressentir des douleurs intolérables.
Son médecin l'a alors envoyée à Beau-Séjour pour que l'on y procède à un scanner - elle souligne qu'elle avait déjà perdu 20 kilos et souffrait du coccyx - mais il lui a été répondu qu'une telle procédure coûtait trop cher si bien que le scanner a été refusé. A cette époque, elle a souhaité avoir accès à ses radios car elle voulait connaître ce qui se passait au niveau de ses os. Il est apparu qu'elle avait de l'arthrose, mais il n'empêche qu'on a insisté sur les problèmes d'ordre psychologique. La pétitionnaire révèle qu'on lui disait que tout se passait dans sa tête et qu'on l'enjoignait de marcher.
Elle s'est donc rendue à Belle-Idée pour procéder aux contrôles idoines en ce qui concerne sa santé mentale. Or, certificats à l'appui, elle rapporte qu'on ne lui a rien trouvé d'anormal, sinon une dépression. Il est clair qu'au vu des problèmes physiques dont elle souffrait, auxquels s'ajoutaient d'énormes douleurs et un manque de sommeil bien compréhensible, elle a fini par avoir effectivement des problèmes psychologiques. A l'heure actuelle, Mme Lugon-Moulin souffre bel et bien d'un déplacement du coccyx et du bassin et précise qu'une de ses hanches est irréparable, que sa jambe droite est maintenant atrophiée, qu'elle présente un tassement des vertèbres et que ses ligaments sont totalement enflammés. Dans ce contexte, elle prétend qu'on ne peut plus rien faire pour elle et qu'elle s'est alors tournée vers la médecine parallèle (massages, phytothérapie, acupuncture) pour obtenir un soulagement, mais non une guérison qui n'est plus envisageable. Elle a déjà été obligée de rester dans une chaise par deux fois. Depuis huit mois, la situation s'est améliorée, mais elle sait pertinemment qu'elle est vouée à y retourner. La pétitionnaire constate qu'un scanner coûte trop cher, mais que son hospitalisation de trois mois s'est élevée à 18'000 francs. Depuis lors, elle s'est fait faire un scanner dans le privé et le prix s'est élevé à 600 francs seulement.
Mme Lugon-Moulin rapporte, en outre, que son état l'a contrainte à placer sa fille dans un foyer. Il ne lui est pas toujours possible de la voir, en effet, car il lui arrive de devoir rester couchée tant elle souffre, au point de ne plus avoir envie de vivre. Elle subit des fourmillements incessants et des douleurs qui la tiennent immobilisées. Son médecin (médecine parallèle) lui donne alors un rendez-vous en urgence pour la soulager, mais tout recommence au bout d'un mois. Elle est parfaitement consciente qu'elle ne guérira jamais et que son état va au contraire empirer avec le temps.
Mme Lugon-Moulin précise qu'elle attend l'AI depuis deux ans et que, dans l'intervalle, elle accumule des dettes auprès de l'Hospice général pour pouvoir survivre. Comme elle ne peut pas se nourrir correctement, elle souffre également de l'estomac.
Elle bénéficie toutefois d'une aide familiale qui effectue les tâches qu'elle ne peut pas accomplir, mais cela ne lui permet pas de pouvoir élever sa fille.
Si les pétitionnaires ont choisi la voie de la pétition, sur le conseil d'une journaliste, c'est pour essayer de se faire entendre. Tous deux ont déjà rencontré médecins et avocats, mais chacun a prétendu qu'il ne pouvait rien faire pour eux, si ce n'est qu'ils devaient entreprendre une contre-expertise à Beau-Séjour. Par contre, ils n'ont jamais saisi la Commission de surveillance des professions de la santé, ni écrit à la direction des HUG.
Ils entendent aussi ne plus voir se reproduire de telles situations pour d'autres personnes. Dans ce contexte, Mme Lugon-Moulin fait allusion au serment d'Hippocrate et rappelle que son point fort dicte de soigner à tout prix l'être humain. Or, dénonce-t-elle, ce n'est pas parce que des problèmes sociaux peuvent exister qu'il faut focaliser exclusivement dessus. Quand on détecte un problème pathologique, il convient de s'y pencher.
Audition de M. Bernard Gruson, directeur HUG
En préambule, M. Gruson fait savoir qu'il ne peut s'exprimer que sur la problématique générale. Il ne veut pas prétendre que les HUG aient été parfaits dans le cas du traitement de M. Pierre-Yves Bouillane. Comme dans toute grande maison, il y a certainement des choses à améliorer
Il évoque ensuite la multiplication des actes d'investigation. Si l'indication d'IRM se justifie pour établir un diagnostic et que le médecin trouve que cette analyse s'impose, l'Hôpital procède à une IRM. En revanche, et sans entrer dans les détails du cas particulier, s'il se révèle non pertinent ou qu'il a déjà été fait, dans le privé ou dans un établissement public conformément aux règles de l'art, on peut refuser une IRM. Exprimant son avis personnel en la matière, il estime parfaitement compréhensible qu'un médecin ne souhaite pas multiplier les actes d'investigation, tout simplement par respect pour le patient (et non pas pour des raisons de coût).
M. Gruson rappelle que les problématiques liées aux maux de dos sont très souvent des pathologies intriquées. Sans viser le cas précis, il signale pourtant qu'on ne peut pas exclure un lien entre les aspects physiologique et psychologique et, en tout état de cause, il n'est pas adéquat d'adopter une attitude manichéenne.
Il précise, en outre, que le niveau de revenu ou de précarité de ce type de patient n'est en aucune manière, dans le système hospitalier public ou privé, une entrave à l'accès aux soins. On doit rappeler que le dispositif prévu par la LAMal (assurance de base) permet de se soigner, y compris de bénéficier des IRM ou toute autre forme de traitement si le médecin, en accord avec son patient, le décide. Ce dernier a d'ailleurs le droit d'obtenir toute information utile sur sa situation et de consulter son dossier s'il le souhaite, conformément à la loi sur le droit des patients. Dans le cas où un praticien ne pense pas que tel examen soit approprié, il jouit, en sa qualité de prescripteur, du droit d'être libre de la prescription qu'il estime nécessaire pour tel type de patient.
M. Gruson indique encore que les HUG sont dotés d'équipes de services sociaux et il sait que M. Bouillane a été examiné par des « psy » durant son séjour à Beau-Séjour. Il est cependant vrai de dire que l'orientation du patient et l'information dans ce système hospitalier n'est pas une chose facile et il veut bien admettre que certains patients aient l'impression d'être confrontés à une grande machine. Il n'est déjà pas aisé de se retrouver dans les locaux, si bien qu'il reconnaît qu'il y a là un effort à fournir.
Pour ce qui concerne le pétitionnaire, M. Gruson, s'appuyant sur son rapport médical, fait savoir qu'on n'a plus de nouvelles de sa part depuis son séjour hospitalier en 1999. Il sait qu'il a sollicité une demande auprès de l'AI qui la lui a refusée, mais l'Hôpital n'est nullement concerné par ce processus en particulier. Au surplus, en rhumatologie à Beau-Séjour, les moyens mis en oeuvre permettent, tant pour les actes techniques que pour les troubles intriqués, de faire appel au psychiatre de liaison ou de ville. S'y ajoute aussi la présence d'une assistante sociale.
M. Gruson signale que si le patient n'est pas satisfait des soins qu'il a reçus, il doit être informé de ses droits. Soit il dépose une plainte, avec prétention du dommage, à la Commission de surveillances des activités médicales, instance indépendante auprès de laquelle il peut faire savoir son désaccord avec la manière dont il a été traité ; soit le patient peut s'adresser aussi au bureau d'expertises de la FMH, davantage sollicité par les patients en médecine privée, mais dont les HUG donnent les coordonnées. La commission rend ensuite un préavis adressé au Conseil d'Etat et envoyé au conseil administratif des HUG qui se penche dessus et rend une décision hospitalière qu'il délivre au Conseil d'Etat pour décision finale. Ce genre de plainte peut déboucher sur des dommages. Pour le cas particulier des pétitionnaires, M. Gruson confirme que l'Hôpital, via son service social, est prêt à recevoir cette famille, mais il répète qu'ils n'ont plus reçu signe de vie de leur part.
Concernant la contre-expertise demandée à M. Bouillane à Beau-Séjour, M. Gruson fait observer qu'il n'est pas possible d'être juge et partie simultanément. A sa connaissance, il n'apparaît pas que le pétitionnaire ait déjà actionné la justice. Dans ce contexte, le directeur des HUG rapporte que l'intégralité des plaintes sont traitées au secrétariat général, une procédure volontairement en dehors de la filière médicale. M. Gruson s'étant renseigné, il peut affirmer qu'il n'y a aucun dossier ouvert concernant M. Bouillane. De plus, on lui aurait indiqué la voie à suivre pour rentrer dans une procédure d'expertise. Au cas où la commission est saisie, l'Hôpital n'a rien à décider.
Répondant à la question d'une députée, M. Gruson répète que les HUG sont prêts à recevoir les pétitionnaires. Il suggère qu'ils contactent, le cas échéant, le Dr Fulpius en premier lieu et qu'il pourra ainsi leur fournir toute information utile à partir de là.
S'agissant d'examens réclamés par les patients, il fait remarquer qu'il est délicat de vouloir tirer des conclusions générales à partir d'un cas particulier pour ce qui concerne les scanners et IRM. Les patients, bien qu'ils ne soient pas prêts à contribuer plus aux impôts, formulent ce genre de demande. Or, les médecins se trouvent parfois dans des situations impossibles. On prétend souvent que l'offre est responsable. Il est vrai de dire qu'elle agit sur les prix et les coûts, mais on ne doit pas pour autant oublier la demande. Il apparaît, à cet égard, que certains patients exercent des pressions sur le médecin, encore davantage dans le privé que dans le public, où l'on n'observe pas un intérêt direct en l'occurrence. Le médecin vit une situation délicate. Si ce dernier se conforme aux bonnes pratiques médicales (qui sont quand même écrites), il se peut que le patient aille voir ailleurs. L'intervenant parle alors de tourisme médical. Il est difficile de dire que c'est le jugement du patient qui permet d'apprécier si l'examen est nécessaire ou non. On sait que d'aucuns prétendent qu'en multipliant les examens, on évite des retards. Chaque cas devrait être traité pour lui-même et on ne peut pas faire de généralisation. M. Gruson peut en tous les cas garantir qu'à l'Hôpital, le médecin ne décide pas de faire ou non une IRM - ou tout autre examen d'ailleurs - en fonction des coûts, mais plutôt relativement à ce qu'il estime être la bonne prescription médicale et l'efficience du traitement. Il ne faut pas négliger le fait que les médecins se posent de plus en plus souvent la question du coût d'efficacité. A chaque fois qu'on procède à un examen inutile, mais qu'on exécute par sécurité, on doit savoir qu'on peut priver un autre patient qui en aurait lui besoin.
Discussion de la commission
Suite à l'audition des pétitionnaires, tous les commissaires ont constaté leur impuissance face à leurs doléances. Ils estiment que les pétitionnaires ont été mal orientés et que la voie à suivre est auprès de la Commission de surveillance des professions de la santé ou encore au Forum Santé qui propose une permanence de défense des patients et des assurés. Les coordonnées de ces 2 organismes leur ont été remises.
C'est pourquoi, par 13 oui (3 AdG ; 1 DC ; 2 L ;2 R ; 3 S ; 2 Ve) avec une abstention (DC), la Commission des pétitions vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, à titre de renseignement.
Débat
M. John Dupraz (R). Je reviens sur un détail : il est dit dans la conclusion du rapport que la commission n'est pas compétente pour traiter ce dossier et que ce cas aurait dû être traité à la commission de la surveillance des professions de la santé. J'aimerais simplement savoir si ce rapport a été transmis à cette commission, ce qui serait pour le moins judicieux.
M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat attend que le Grand Conseil ait fini de traiter cet objet. Lorsqu'il aura pris une position, ce qui va être fait dans une minute, nous communiquerons cette pétition et le rapport à la commission de surveillance des professions de la santé.
Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.