Séance du vendredi 27 octobre 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 11e session - 47e séance

M 1364
15. Proposition de motion de Mmes et MM. Alberto Velasco, Erica Deuber Ziegler, Fabienne Bugnon, Jeannine de Haller, Dominique Hausser, Antonio Hodgers et Luc Gilly concernant l'affiliation des personnes résidant à Genève sans permis de séjour à l'assurance obligatoire de soins. ( )M1364

EXPOSÉ DES MOTIFS

Nul n'ignore que l'économie genevoise fonctionne en employant un nombre indéterminé de personnes sans statut légal. Ce nombre pourrait dépasser les 10'000.

Parmi les problèmes nombreux que rencontre cette population, il en est qui ont été résolus à Genève de manière digne et satisfaisante. C'est par exemple le cas de la scolarisation des enfants de familles clandestines, tous accueillis dans les écoles publiques au titre du droit des enfants à l'éducation.

Jusqu'à récemment, les personnes sans permis de séjour parvenaient parfois, grâce à l'intervention des différents organismes sociaux qui viennent en aide aux étrangers en situation précaire, à conclure un contrat privé d'assurance-maladie. Or, une pratique des caisses-maladies se généralise depuis quelque temps : celle de refuser systématiquement ces affiliations au prétexte que ces personnes ne seraient pas au bénéfice d'un titre de séjour. Les caisses refusent aussi l'affiliation des enfants des personnes sans permis de séjour au motif que la notion de naissance en Suisse, autorisant l'affiliation, devrait être cumulative à celle du domicile. Notons toutefois que Genève a fait le choix de scolariser les enfants clandestins et que, pour être scolarisé, il est obligatoire de fournir une attestation d'affiliation. Inutile donc de leur offrir une prestation pour qu'elle soit bloquée par d'autres pratiques.

Cette pratique ne se fonde sur aucune disposition légale. Elle est pourtant entérinée par le service cantonal de l'assurance-maladie dépendant du DASS. Les députées et députés soussigné(e)s ont été alerté(e)s sur cette anomalie par différents organismes : Ligue suisse des droits de l'homme, Centre social protestant, Caritas, Centre de contacts Suisses-Immigrés, Unité mobile de soins communautaires, Forum Santé, Syndicats interprofessionnels de travailleuses et travailleurs.

Cette question a déjà fait l'objet d'avis de droit, d'une jurisprudence et d'interventions politiques au plan fédéral.

Sans entrer dans le détail des documents que nous tenons à disposition du Grand Conseil, l'analyse de ce problème peut se résumer ainsi :

La première composante est celle de la notion de domicile ou de résidence. La notion de domicile est celle de l'art. 23 et suivants du Code civil suisse, selon lequel le domicile d'une personne se trouve au lieu où elle réside avec l'intention de s'établir. Plus précisément, c'est le lieu où la personne a le centre de son existence, ses intérêts personnels, ses liens de famille. Un arrêt du Tribunal fédéral des assurances du 17 mars 1997 indique que les personnes clandestines peuvent se prévaloir de la fiction de l'art. 24, al. 2 du Code civil, selon lequel « le lieu où une personne réside est considéré comme son domicile, lorsqu'elle a quitté son domicile à l'étranger et n'en a pas acquis un nouveau en Suisse ». La notion de domicile qui prévaut dans le domaine de l'assurance sociale est donc celle du Code civil. D'ailleurs, la LAVS, loi fondatrice de la sécurité sociale en Suisse, se référait elle-même à la notion de domicile civil, n'ayant volontairement pas créé de notion propre du domicile. Incontestablement donc, la notion de domicile est réalisée pour les personnes séjournant en Suisse sans titre de séjour.

La deuxième composante est celle de l'obligation de s'assurer telle qu'elle est prévue par la LAMal. Dans une réponse à une question ordinaire, le Conseil fédéral a eu l'occasion de préciser que les personnes qui séjournent en Suisse sans autorisation (en situation irrégulière), et non seulement les travailleurs au noir, sont également soumises à l'assurance-maladie obligatoire pour autant que leur séjour réponde à la définition de domicile contenue dans le Code civil suisse. Le Conseil fédéral estime que si une personne peut se prévaloir de l'art. 24, al. 2 du Code civil, elle est alors obligatoirement soumise à l'assurance-maladie selon la LAMal. Un courrier de l'Office fédéral des assurances sociales (ci-après OFAS), du 29 juin 1999, précise en s'appuyant sur cette position du Conseil fédéral :

« Une exclusion en tant que telle serait donc contraire au droit fédéral. […] laisser un pouvoir d'appréciation aux assureurs pour décider qui peut s'affilier, qui ne le peut pas, ou à quelles conditions, ne semble pas approprié. La LAMal ayant expressément attribué cette tâche de contrôle et d'affiliation aux cantons (art. 6 LAMal et art. 10 OAmal), il appartient dès lors à ces derniers, et en définitive aux autorités judiciaires, de décider si une personne remplit les conditions de soumission à l'assurance-maladie obligatoire. »

Vu la pratique des assureurs-maladie dans ce domaine, il n'est effectivement pas exclu que notre office édicte une circulaire à leur attention, voire informe les autorités cantonales compétentes en matière de soumission à l'assurance-maladie obligatoire.

La troisième composante du problème est liée au fait que les buts de l'obligation de s'assurer sont de permettre à toute personne domiciliée en Suisse d'avoir accès aux soins et d'éviter que des personnes n'émargent à l'assistance publique lorsqu'elles nécessitent des soins médicaux.

Une quatrième composante relève des droits humains et des devoirs de l'Etat. Aux termes du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels ratifié par la Suisse, toute personne a droit à la sécurité sociale (art. 9) et toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu'elle soit capable d'atteindre (art. 12). Aux termes de ces dispositions, l'Etat s'est engagé à créer des conditions propres à assurer à tous des services médicaux et une aide médicale en cas de maladie.

C'est l'ensemble des raisons qui nous amène à vous inviter, Mesdames et Messieurs les députés, à soutenir la présente motion et à la renvoyer au Conseil d'Etat.

Débat

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Cette motion regroupe deux sujets dont nous parlons beaucoup en ce moment : d'une part - c'est un débat très actuel - les caisses d'assurance-maladie et, d'autre part, la problématique des personnes actuellement sans permis de séjour, qu'elles soient en voie d'en obtenir un ou en voie de procédure d'expulsion.

Nous avons parlé tout à l'heure du renvoi des Kosovars ayant trouvé refuge dans notre pays fuyant la guerre et de leurs conditions de départ. Par le biais de cette motion, nous voulons parler de leurs conditions de séjour tant qu'ils se trouvent dans notre pays. Les personnes sans autorisation de séjour sont, comme vous et moi, malades de temps en temps et certaines le sont plus souvent parce que, contrairement à vous et à moi, elles ont subi la violence, la guerre, la faim, parfois la torture et, désormais, l'angoisse de l'avenir. Ces personnes, comme vous et moi, devraient pouvoir bénéficier d'une assistance médicale en cas de besoin et, comme vous et moi, elles doivent bénéficier d'une affiliation auprès de l'assurance-maladie.

Cette affaire paraît toute simple et, pourtant, elle ne l'est pas, puisque les caisses maladie refusent de les affilier. On se retrouve donc d'un côté avec des enfants qui fréquentent les crèches et les écoles alors que leurs parents n'ont pas de statut légal mais qui, pour cela, doivent se prévaloir d'une couverture d'assurance qu'ils ne peuvent pas obtenir... Cette pratique des caisses illogique et contraire au bon sens ne se fonde sur aucune disposition légale. Elle est pourtant entérinée par le service de l'assurance-maladie dépendant du DASS !

Différentes interventions sur le plan fédéral, tant sur la notion de domicile que sur l'obligation de s'assurer, sont relatées dans l'exposé des motifs de notre motion. Elles ont donné lieu à un arrêt du Tribunal fédéral des assurances le 17 mars 1997, justement au sujet de la notion de domicile qui indique, je cite : «Le lieu où une personne réside est considéré comme son domicile, lorsqu'elle a quitté son domicile à l'étranger et n'en a pas acquis de nouveau en Suisse.»

A propos de l'obligation de s'assurer, le Conseil fédéral a eu l'occasion, en réponse à une question ordinaire, de préciser que les personnes qui séjournent en Suisse sans autorisation sont également soumises à l'assurance-maladie obligatoire, pour autant que leur séjour réponde à la définition du domicile contenue dans le Code civil suisse.

Un courrier de l'OFAS du 29 juin 1999 précise qu'une exclusion serait contraire au droit fédéral et que, s'agissant de l'affiliation à la LAMal, ayant expressément confié cette tâche aux cantons, il appartient dès lors à ceux-ci, le cas échéant aux autorités judiciaires, de décider si une personne remplit les conditions de soumission à l'assurance obligatoire.

Notre canton a donc, Mesdames et Messieurs les députés, une large marge de manoeuvre, et nous l'invitons par conséquent à s'assurer que l'affiliation à l'assurance-maladie est bien faite en conformité avec le droit fédéral constitutionnel et administratif et avec le droit international.

Nous demandons aussi au Conseil d'Etat et particulièrement au représentant du département de l'action sociale et de la santé d'émettre une directive claire à l'intention du service de l'assurance-maladie et des caisses, afin d'assurer la filiation de toute personne sans permis de séjour domiciliée à Genève. Et nous demandons enfin à M. Segond de veiller en particulier à ce que le service de l'assurance-maladie du canton change sa pratique actuelle.

M. Alberto Velasco (S). Tout le monde sait - et les autorités l'admettent - que, sous la dénomination de «résidents gris», nous avons au bas mot dans le canton dix mille personnes dont le statut de résident n'est pas légalisé ou sans permis de résident. C'est un fait comme il est un fait que de par leur condition d'êtres humains ils sont sujets, comme nous, à avoir des problèmes de santé.

Or, tant au niveau des dispositions fédérales qu'au niveau du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ratifié par la Suisse, toute personne doit bénéficier de la sécurité sociale. Si la question de la scolarisation des enfants de cette population a bien été résolue, par contre, il n'en est pas de même pour ce qui est de leur affiliation aux caisses maladie à laquelle ils ne peuvent pas prétendre. Ils n'ont donc pas accès aux prestations en matière de santé.

Ce qui est étonnant, c'est que cette pratique des caisses maladie ne se fonde sur aucune disposition légale. En effet, le Conseil fédéral a eu l'occasion - ma préopinante l'a rappelé - de préciser, suite à des interventions parlementaires, que les personnes séjournant en Suisse sans autorisation sont également soumises à l'assurance-maladie obligatoire si elles ont un domicile en Suisse, dans le sens du Code civil suisse. Il semble que le législateur n'a pas souhaité donner un pouvoir d'appréciation aux assureurs pour décider qui peut ou non s'affilier. C'est bien de la compétence du canton d'exercer ce contrôle.

Considérant que l'économie genevoise bénéficie largement du travail fourni et de la richesse créée par ces petites mains, nous invitons le Conseil d'Etat à émettre une directive claire à l'intention du service de l'assurance-maladie. De même, nous incitons le Conseil d'Etat à exercer son droit de surveillance.

C'est en fonction des considérations exposées que mon groupe vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de renvoyer cette motion au Conseil d'Etat.  

Mme Erica Deuber Ziegler (AdG). Mme Bugnon et M. Velasco ont donné le cadre général de notre motion.

Pour ma part, j'aimerais revenir un instant sur le point de vue général qui nous guide. Il renverse en quelque sorte le point de vue habituel qu'on entend très souvent exprimer dans les milieux politiques, y compris dans les milieux gouvernementaux fédéraux. Par exemple, j'ai entendu Mme Ruth Metzler, conseillère fédérale, dire qu'elle se refusait à titulariser les clandestins, notamment les ex-Yougoslaves, souvent depuis très longtemps chez nous - en tout cas depuis plus de dix ans et parfois vingt ans - et qu'il fallait plutôt les sanctionner. Or, l'expérience nous montre que les clandestins sont sanctionnés quotidiennement non seulement au niveau du sentiment d'insécurité qu'ils peuvent avoir mais aussi dans tous les aspects de leur vie. La plupart d'entre eux ont des emplois rémunérés et n'émargent à aucun service social - et pour cause - mais, cependant, ils ne disposent pas d'appartement, ils n'ont pas droit aux soins médicaux ni aux aides sociales et, surtout, le manque de sécurité ne leur permet pas de regrouper leur famille.

Ces conditions sont inhumaines : on s'en rendra compte un jour, lorsqu'on fera un sort à ce statut tellement particulier et si courant en Suisse.

Nous avons salué le courage des autorités genevoises à l'époque, quand, sous l'administration Chavanne et Föllmi, les enfants de clandestins ont été admis à l'école, «clandestinement» d'abord et officiellement ensuite. Nous voudrions donc que les clandestins et les gens qui ne disposent pas aujourd'hui de permis de séjour régulier puissent accéder aux soins médicaux.

Et là intervient une deuxième catégorie de doléances : je veux parler du personnel soignant, des médecins, des infirmières de santé publique, des infirmières en général, qui se trouvent confrontés à l'absence d'assurance médicale de leurs patients, dans les quartiers ou à l'hôpital, et qui doivent recourir aux services sociaux, à l'Hospice général, pour suppléer au défaut d'assurance. Ce deuxième aspect de la question est administratif, et intéressera M. Segond. Nous soulevons ce problème pour que le canton applique rigoureusement la jurisprudence telle qu'édictée par l'OFAS.

Je vous remercie donc sinon de titulariser aujourd'hui les clandestins de ce canton - ce serait mon souhait le plus cher - du moins de leur permettre d'accéder à ce droit minimum que représente la santé. 

Mme Alexandra Gobet (S). Je voudrais évoquer deux catégories de personnes qui sont voisines des clandestins et qui rencontrent le même type de problèmes.

Je veux parler des personnes qui après avoir été clandestines sont en requête d'autorisation mais qui sont déjà malades au moment où une requête en autorisation de séjour est déposée pour elles, et des personnes qui ne sont plus domiciliées dans le canton, car elles ont un statut précaire de délai de départ ou de prolongation de délai de départ, et qui, selon leur précédent statut d'affiliation, rencontrent exactement le même type de problèmes que si elles n'avaient jamais séjourné chez nous.

J'aimerais donc que le Conseil d'Etat prenne également ces catégories de personnes en considération dans sa réponse. 

M. Pierre Marti (PDC). Je serai extrêmement bref, puisque tous les arguments ont déjà été évoqués.

Le parti démocrate-chrétien s'associe à cette proposition de motion. J'en ai déjà terminé. 

M. Guy-Olivier Segond, président du Conseil d'Etat. Le problème est bien connu du Conseil d'Etat et, en particulier, du responsable que je suis du département de l'action sociale et de la santé.

Sur le plan juridique, la situation est claire : elle correspond à celle que vous avez décrite. Elle est prévue non seulement par la loi mais aussi par la jurisprudence du Tribunal fédéral. Et elle est confirmée par des réponses du Conseil fédéral à des interventions parlementaires comme par les directives de l'OFAS.

Même si nous sommes au courant de certaines situations particulières portées à notre connaissance, nous n'avons pas la possibilité de prendre des sanctions à l'égard des caisses maladie. C'est l'un des changements fondamentaux apportés par la nouvelle législation fédérale : les compétences cantonales ont été transférées à la Confédération, que ce soit pour le contrôle des comptes, pour la fixation des primes ou pour la surveillance de la bonne application de la législation. Selon l'article 21, alinéa 5, de la LAMal, l'OFAS est seul habilité à prendre des sanctions contre les assureurs qui, par leurs pratiques, violent la loi.

Ce que le Conseil d'Etat peut faire pour montrer sa bonne volonté, c'est rappeler à l'ensemble des caisses maladie quelle est la situation juridique telle qu'elle découle de la loi, de la jurisprudence et des directives de l'OFAS et quelle doit donc être leur pratique en ce qui concerne ces catégories de population. Pour le reste, le Conseil d'Etat ne peut que signaler les caisses défaillantes à l'OFAS qui est le seul à pouvoir prendre des sanctions à l'égard des assureurs-maladie.

Le Conseil d'Etat accepte donc cette motion, donnera les directives nécessaires pour le service d'assurance-maladie - au cas où il y aurait eu un flottement dans sa pratique - et informera les assureurs-maladie par une lettre circulaire. Pour le reste, il ne peut rien faire d'autre que dénoncer à l'OFAS les caisses maladie qui ne se conformeraient pas à cette pratique. 

Mise aux voix, cette motion est adoptée.

Elle est ainsi conçue :

Motion(1364)concernant l'affiliation des personnes résidant à Genève sans permis de séjour à l'assurance obligatoire de soins