Séance du
jeudi 26 octobre 2000 à
17h
54e
législature -
3e
année -
11e
session -
46e
séance
PL 8031-A
La Commission des finances a examiné ce projet de loi de bouclement lors de sa séance du 7 juin 2000. Rappelons que la loi 6999 du 17 décembre 1993 - portant sur un montant de 6 010 000 F - avait pour objectif de « moderniser » le travail de l'Administration fiscale en constituant une base de donnée des éléments nécessaires à la taxation des personnes physiques d'une part et, d'autre part, de permettre l'établissement des bordereaux des contribuables. Ce projet mirifique avait été voté avec enthousiasme par la Commission des finances de l'époque après des explications pointues données avec condescendance par le secrétaire général du département et l'administrateur en poste en 1993. En effet, qui n'aurait pas souhaité améliorer le fonctionnement de l'Administration fiscale et donner aux taxateurs les moyens informatiques correspondants.
Les résultats, si l'on peut parler de résultats, sont aujourd'hui connus. L'outil d'impôt assisté par ordinateur (IAO) n'a jamais fonctionné, tout au plus a-t-il permis de constituer une base de donnée pas particulièrement fiable. Les raisons de cet échec tiennent à la suffisance d'une bande de technocrates qui n'ont jamais demandé l'avis des principaux intéressés, à savoir les taxateurs, persuadés qu'il suffisait de mettre en place des modules de calcul alors que la taxation est un métier complexe nécessitant de tenir compte de multiples paramètres. A ce sujet, il vaut la peine de citer quelques extraits du rapport du Conseil d'Etat sur les dysfonctionnements du Département des finances (M 1060-B) :
« Techniquement le projet IAO s'est effectué dans la précipitation et sans analyse sereine de la situation. Les principales règles de gestion de projet n'ont pas été appliquées et l'échec était quasi programmé. Les tests grandeur nature n'ont pas été effectués et il n'a de ce fait pas été possible de se préparer aux réglages de l'application. Entre les bugs, la mauvaise utilisation et la non performance de l'application, le retard s'est très vite installé et a encore fragilisé l'édifice informatique. (...)
Ces problèmes informatiques ont eu des répercussions directes sur la qualité du service rendu au contribuable. Au milieu 1995, le retard constaté était tel qu'il a fallu augmenter la vitesse de traitement des dossiers au détriment du temps consacré aux réponses, ainsi qu'aux renseignements.
La Commission d'évaluation des politiques publiques, dans un rapport publié en 1997, met en évidence que de 1992 à 1994, la moitié des taxations étaient réalisées au premier semestre, 21 % en 1995 et 15 % en 1996. L'Administration fiscale était en train d'étouffer.
Pour accélérer au maximum le traitement des déclarations, le système informatique a été dépouillé de son système de sécurité et de contrôle, considéré comme un frein. La qualité de traitement des dossiers, l'équité devant la loi, l'intégrité et la confidentialité des données sont devenues difficile à garantir. Dans le même temps certaines activités ont été arrêtées comme la gestion des débiteurs « sans autre adresse (SAA) » ; le dégrèvement de ces débiteurs représente un montant actuel de 112 millions de francs.
Du côté du personnel, cette période a été très dure à vivre. Les collaborateurs et les collaboratrices n'ont pas eu la possibilité de s'investir dans le projet. La méthode choisie par la direction a été le passage en force. L'esprit d'équipe a fait ici particulièrement défaut. Dès que les premiers incidents sont apparus, la majorité des collaborateurs et des collaboratrices n'a pu que s'accommoder du système proposé. Les conditions de travail se sont aggravées, les cadences de travail ont augmenté : 10 à 12 heures par jour et des semaines de 6 jours et les défauts du système attribués à un soi-disant « faible niveau du personnel ».
En tout état de cause, le manque de concertation s'est fait sentir partout, entre les utilisateurs/trices et les informaticiens et entre les utilisateurs/trices et la maîtrise d'ouvrage (chefs de projet). La mise en application s'est faite sans que jamais l'on soit venu dans les services et lorsque les utilisateurs/trices ont tenté de s'exprimer, il n'a pas été tenu compte de leurs remarques. » (...)
« Le rapport relève également qu'aujourd'hui IAO fonctionne bien, au détail prêt qu'il ne sert plus à la taxation, sauf pour les indépendants. Pour tous les autres domaines de taxation, la taxation est manuelle, ensuite ses différents éléments sont repris par les saisisseurs. » (souligné par le rapporteur).
Voilà, Mesdames et Messieurs les députés, quelques extraits choisis et significatifs du fiasco d'IAO. Le Conseil d'Etat nous demande aujourd'hui de voter le bouclement de ce projet de loi en soulignant qu'il existe un non dépensé de 749 375 F ! En d'autres termes, on a jeté un peu moins d'argent par la fenêtre que prévu ! Mais cela n'est pas tout à fait exact puisque les dysfonctionnements de l'Administration fiscale ont fait perdre des centaines de millions de recettes à l'Etat. On le voit bien aujourd'hui que la situation a été redressée puisque les recettes fiscales sont bien supérieures à la croissance normale des revenus.
Lors des débats en Commission des finances, notre président a bien tenté - avec l'honorable souci de liquider les projets de lois qui l'anime - d'obtenir une majorité pour l'accepter. Au vote final, par 4 non (3 AdG, 1 S) contre 3 oui (2 R, 1 S) et 5 abstentions (2 L, 1 DC, 1 Ve, 1 S) ce projet de loi a été refusé. Chacun est bien conscient que le refus de ce projet de loi ne change rien à la réalité : l'argent a été dépensé en pure perte. Cependant, ce refus exprime une volonté politique de sanctionner ce genre de pratiques afin qu'elles ne se renouvellent plus. Il est trop facile de dire que personne n'est vraiment responsable de ce fiasco. Il existe en tout cas, outre la responsabilité des cadres du Département des finances qui ont conduit ce projet et qui ont quitté l'Etat depuis lors, une responsabilité politique de l'ancien chef du Département des finances M. Olivier Vodoz.
Devant ce Grand Conseil, certains projets de lois de bouclement de crédits de construction ont été refusés en raison de dépassements de crédits avec une mise en cause de M. Christian Grobet, ancien chef du Département des travaux publics de l'époque. Or il existe une différence essentielle entre ces projets de lois et celui qui nous occupe aujourd'hui. C'est que les bâtiments étaient construits ! Dans le cas qui nous occupe c'est comme si, par analogie, nous n'avions à disposition que les sous-sols, le reste du bâtiment s'étant écroulé en causant des dégâts.
Voici les raisons pour lesquelles, Mesdames et Messieurs les députés, la majorité de la commission vous recommande de refuser le projet de loi 8031.
Projet de loi(8031)
de bouclement de la loi n° 6999 pour la création d'un outil d'impôt assisté par ordinateur
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genève
décrète ce qui suit :
Art. 1 Crédit complémentaire d'investissement
Le bouclement de la loi n° 6999 du 17.12.1993 d'un montant de 6 010 000 F, arrêté à 5 260 625 F se décompose de la manière suivante :
Art. 2 Loi générale sur le financement des travaux d'utilité publique
La présente loi est soumise aux dispositions de la loi générale sur le financement des travaux d'utilité publique, du 11 janvier 1964.
Premier débat
M. Bernard Clerc (AdG), rapporteur. Nous savons tous que notre ordre du jour est chargé ; je vais par conséquent être bref sur ce sujet, d'autant plus qu'une motion concernant les dysfonctionnements de l'AFC a été discutée au sein du Grand Conseil il n'y a pas longtemps. Je rappellerai simplement que l'investissement consenti pour IAO est de fait un fiasco, puisque plus de 5 millions de dépenses ont été engagées pour rien, ou en tout cas pour pas grand-chose. Mais le plus grave sans doute, c'est que cet investissement a entraîné des pertes de recettes fiscales non négligeables pour le canton.
Nous sommes bien conscients que le refus de cette loi de bouclement ne change rien à la réalité, puisque l'argent a été dépensé. En revanche, nous pensons que refuser ce projet de loi, c'est manifester notre volonté politique que ce genre de gaspillage ne se reproduise plus. C'est dans ce sens-là, Mesdames et Messieurs les députés, que la majorité de la commission vous recommande de refuser ce projet de loi de bouclement.
Mis aux voix, ce projet est rejeté en premier débat.