Séance du jeudi 26 octobre 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 11e session - 46e séance

PL 8301
14. a) Projet de loi de Mme et MM. Christian Grobet, Salika Wenger et Pierre Vanek modifiant le Code de procédure pénale (E 4 20) (indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort). ( )PL8301
PL 8344
b) Projet de loi du Conseil d'Etat modifiant le Code de procédure pénale (E 4 20) (indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort). ( )PL8344

PL 8301

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

Le Code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, est modifié comme suit :

Art. 379, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Le juge détermine l'indemnité dont le montant ne peut pas dépasser 10 000 F. Si des circonstances particulières l'exigent, notamment en raison d'une détention prolongée, d'une instruction compliquée ou de l'ampleur des débats, l'autorité de jugement peut - dans les cas de détention - allouer à titre exceptionnel une indemnité supplémentaire de 200 000 F au maximum. Le juge peut décider d'un autre mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre appui nécessaire au requérant.

Article 2

La présente loi est applicable dès le lendemain de sa promulgation. Elle est toutefois applicable avec effet rétroactif aux demandes sur lesquelles il n'a pas encore été définitivement statué à la date de son acceptation le ...

EXPOSÉ DES MOTIFS

Le 4 décembre 1997, le Grand Conseil a modifié l'article 379, alinéa 2, du Code de procédure pénale afin d'inscrire dans la loi le montant maximum de l'indemnité de 10 000  F pouvant être réclamée à l'Etat par une personne détenue ou poursuivie à tort. Le Grand Conseil a profité de cette occasion pour prévoir que, dans des circonstances particulières, l'autorité de jugement pouvait - dans les cas de détention - allouer à titre exceptionnel une indemnité supplémentaire.

La Commission judiciaire du Grand Conseil, qui avait mis au point cette disposition légale, avait hésité à plafonner le montant de cette indemnité à 100 000 F, comme l'avait suggéré le Conseil d'Etat. Elle s'en était remise à la sagesse de l'autorité judiciaire chargée de fixer le montant de cette indemnité supplémentaire. Elle a toutefois précisé dans son rapport « qu'elle n'a pas voulu admettre le principe d'une indemnité pleine et entière en cas de détention à tort, qui aurait pu conduire au versement d'indemnités très importantes, mais s'est ralliée au principe de l'indemnité équitable, qui tiendra compte des circonstances du cas d'espèce. » (cf. Mémorial du Grand Conseil 1997, p. 9548).

La Cour de justice n'a semble-t-il pas appliqué ces principes dans le cadre d'une récente affaire où elle a alloué une indemnité de plus de 800 000 F à un plaignant, montant qui dépasse nettement tout ce qui avait pu être envisagé lors des débats en Commission judiciaire.

Au vu de ce précédent, les auteurs du projet de loi considèrent qu'il faut préciser la loi dans le sens proposé à l'époque par le Conseil d'Etat en plafonnant à 200 000 F le montant maximum de l'indemnité pouvant être allouée à une personne détenue à tort. Rappelons que celle-ci peut en tout temps demander à la Chambre d'accusation de mettre fin à la détention préventive dont elle fait l'objet et que les décisions de refus de cette juridiction peuvent être déférées jusqu'au Tribunal fédéral, de sorte que les droits des personnes poursuivies pénalement sont strictement contrôlés par les autorités judiciaires.

Au bénéfice de ces explications, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que vous réserverez un bon accueil au présent projet de loi.

Projet de loi(8344)modifiant le Code de procédure pénale (E 4 20)(indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article unique

Le Code de procédure pénale, du 29 septembre 1977, est modifié comme suit :

Art. 379, al. 2 (nouvelle teneur)

2 Le département de justice et police et des transports détermine l'indemnité dont le montant ne peut pas dépasser 10 000 F. Si des circonstances particulières l'exigent, notamment en raison d'une détention prolongée, d'une instruction compliquée ou de l'ampleur des débats, le département peut - dans les cas de détention - allouer à titre exceptionnel une indemnité supérieure. Le département peut décider d'un autre mode de réparation du préjudice subi ou de tout autre appui nécessaire au requérant.

Art. 380 (nouvelle teneur sans modification de la note)

1 La demande doit être présentée dans le délai d'un an à compter de la notification de la décision de non-lieu ou d'acquittement.

2 La demande est formée par l'accusé ou ses ayants droit.

3 Le département de justice et police et des transports établit d'office les faits et statue par arrêté départemental.

4 L'arrêté départemental est susceptible d'appel, dans un délai de 30 jours, devant la Cour de justice, les règles de la procédure civile accélérée étant applicables.

EXPOSÉ DES MOTIFS

I. Introduction

1. La procédure actuelle d'indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort

En droit genevois, l'indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort est régie par les art. 379 et 380 CPP dont la teneur actuelle résulte d'une novelle votée le 4 décembre 1997.

L'art. 379 CPP définit les conditions de la réparation. En compensation du préjudice causé par la détention ou d'autres actes d'instruction, une indemnité peut - mais ne doit pas - être allouée à un inculpé mis au bénéfice d'un non-lieu par la Chambre d'accusation ou à un accusé acquitté par une juridiction de jugement (al. 1). A la charge de l'Etat (al. 3), l'indemnité est fixée ex aequo et bono, en principe à 10 000 F au plus (al. 2). Toutefois, lorsque des circonstances particulières l'exigent, notamment en cas de détention prolongée, un montant supérieur peut exceptionnellement être attribué (al. 2). D'autres formes de réparation qu'une prestation en espèce sont possibles (al. 2). Enfin, l'indemnité peut être réduite ou même refusée si l'inculpé ou l'accusé a provoqué ou entravé l'instruction par une conduite répréhensible (al. 5).

Le législateur genevois n'a donc pas voulu instituer le droit à la réparation complète du préjudice subi (Gaillard, L'indemnisation des personnes détenues ou poursuivies à tort, RPS 1982 p. 200). Le prévenu acquitté ou ayant bénéficié d'un non-lieu ne peut réclamer qu'une indemnisation équitable, dont l'évaluation appartient au juge, lequel dispose d'un large pouvoir d'appréciation (Harari/Roth/Straüli, Chronique de procédure pénale genevoise, SJ 1990 p. 479-480). Le Tribunal fédéral a encore récemment confirmé la légitimité de cette solution, en rappelant qu'il se justifie d'allouer des montants plus faibles à des victimes disposant de moyens financiers appréciables, par opposition à d'autres que le sort a moins favorisés (ATF L. P. du 14.7.1999, 1P.373/1999, cons. 2/b).

L'art. 380 CPP règle, quant à lui, la procédure de réparation. La demande doit être présentée par l'inculpé, l'accusé ou leurs ayants droits (al. 3) dans le délai de péremption d'une année à compter de la notification de la décision de non-lieu ou d'acquittement (al. 4). Selon la jurisprudence de la Cour de justice, le "; défendeur " à l'action est le procureur général, seul habilité à veiller à la "; conservation des droits publics " (SJ 1980 p. 424). La demande est instruite selon les règles de la procédure accélérée, les faits étant toutefois établis d'office (al. 2). La Chambre pénale de la Cour de justice statue en instance unique (al. 1).

Lorsqu'une indemnité est allouée, la décision est transmise au service financier du Département de justice et police et des transports, pour paiement. Aucun recours n'est ouvert sur le plan cantonal et, au niveau fédéral, la recevabilité d'un éventuel recours de droit public de l'Etat paraît extrêmement problématique, le Tribunal fédéral rappelant régulièrement que le recours de droit public a pour fonction de protéger le citoyen contre l'Etat et non pas l'Etat contre l'un de ses organes ou de ses citoyens (ATF 121 I 219, cons. 2 a). Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que le Ministère public n'a pas qualité pour former un recours de droit public (ATF 121 IV 107, cons. 2 b).

2. La nécessité d'une réforme

L'arrêt du 24 juillet 2000 par lequel la Chambre pénale de la Cour de justice a alloué un montant de 810 000 F à Sergeï Mikhailov illustre de manière éloquente la nécessité de modifier le droit en vigueur à bref délai, afin d'éviter la répétition de pareilles décisions, face auxquelles l'Etat de Genève se retrouve pieds et poings liés.

Les indemnités octroyées, indépendantes de toute faute d'un organe de l'Etat, ne sont pas couvertes par l'assurance responsabilité civile de l'Etat de Genève et sont donc entièrement à la charge des contribuables.

Il convient également de rappeler que les cas où un accusé bénéficie d'un non-lieu ou d'un acquittement sont divers et que l'on doit apprécier différemment le cas de l'innocent avéré (par exemple lorsque le véritable coupable a depuis lors été condamné) de celui qui bénéficie d'un acquittement pour des raisons techniques, notamment procédurales (par exemple par le biais de la prescription portant sur des faits reconnus).

Même si en droit pénal il n'existe pas d'acquittement de deuxième classe, en matière d'indemnisation, il doit être tenu compte de l'ensemble des circonstances. Il est pareillement choquant pour l'opinion publique qu'un innocent ne soit pas pleinement indemnisé ou qu'une crapule innocentée s'enrichisse au dépens des contribuables. C'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat renonce à fixer un plafond maximum impératif à l'indemnisation.

Dès lors que le système genevois n'est pas celui d'un droit à la réparation complète du préjudice subi mais celui d'un droit à une indemnisation équitable, il ne se justifie pas d'obliger à entamer une procédure civile. Les inconvénients de ce système sont nombreux : tout d'abord, c'est le pouvoir judiciaire qui fixe l'indemnisation dont il est lui-même la cause ; en second lieu l'accusé doit intenter une procédure civile avec les frais et les démarches qu'elle comporte alors même que dans de nombreux cas un accord est possible ; enfin, la publicité d'une procédure peut être dissuasive pour plus d'un accusé.

C'est ainsi que le Conseil d'Etat propose que le Département de justice police et des transports instruise les demandes d'indemnisation et statue par arrêté qui pourra refléter, cas échéant, un accord amiable. La publicité à donner pourra être appréciée selon l'art. 379, al. 2. Dans le cas où l'accusé n'accepte pas la décision du département, il pourra recourir devant la Cour de justice qui aura un plein pouvoir de cognition.

Ce mécanisme offre toutes les garanties souhaitables à l'accusé et évite que l'Etat ne soit pieds et poings liés par une décision de justice sans recours possible.

II. Commentaire article par article

Art. 379, al. 2 (nouvelle teneur)

La compétence actuellement donnée à la Cour de justice est transférée au département de justice et police et des transports. Le montant maximum reste fixé à 10 000 F sauf circonstances particulières.

Art. 380 (nouvelle teneur)

Les alinéas 1 et 2 reprennent les alinéas 3 et 4 actuels et précisent le délai dans lequel l'accusé ou ses ayants droits doivent agir.

L'alinéa 3 précise que le département établit d'office les faits, comme c'est le cas dans la procédure actuelle devant la Cour de justice, et qu'il statue par arrêté départemental.

L'alinéa 4 décrit la procédure d'appel dans le cas où l'accusé n'accepte pas la décision départementale. Cet appel améliore la situation actuelle de l'accusé qui ne dispose en l'état d'aucune voie de recours ordinaire.

Au bénéfice des explications qui précèdent, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à adopter le présent projet de loi.

Préconsultation

M. Christian Grobet (AdG). Le Grand Conseil a adopté, il n'y a pas si longtemps, une nouvelle disposition concernant l'indemnisation des personnes condamnées à tort. Le plafond de l'indemnisation paraissait manifestement insuffisant et nous avions admis, dans la loi modifiée, qu'il pouvait être exceptionnellement dépassé.

Dans le rapport de la commission, que j'avais été chargé de rédiger, j'avais indiqué, à l'intention des autorités judiciaires, le point de vue de la commission selon lequel les dépassements devaient tout de même être examinés avec retenue. A cet égard, je dois dire que notre groupe partage l'indignation qu'a ressentie le Conseil d'Etat, en prenant connaissance de la décision de la Cour de justice d'accorder une indemnité de plus de 800 000 F à une personne qui, certes, a été acquittée par l'autorité judiciaire, mais dont le comportement pouvait justifier l'ouverture d'une procédure pénale à son encontre. Nous estimons que l'indemnité accordée par la Cour de justice dans cette affaire est effectivement excessive et cette décision est pour nous un peu une déception. A l'époque, nous avions beaucoup hésité, en commission, sur le fait de savoir s'il fallait augmenter le plafond et jusqu'à quelle limite. Le Conseil d'Etat, par la bouche de M. Ramseyer, avait plaidé la prudence. Finalement, nous avions décidé d'être généreux, sans tomber dans l'excès, et de faire confiance au pouvoir judiciaire. Aujourd'hui, j'estime que cette confiance a malheureusement été mal placée et qu'il convient de mieux limiter, à l'avenir, les indemnisations à accorder.

En l'occurrence, comme nous l'avions constaté lors de l'adoption de la loi actuelle, c'est une question délicate et les solutions ne sont pas évidentes ; nous en avons suggéré une, le Conseil d'Etat en a suggéré une autre. En ce qui concerne le projet de loi du Conseil d'Etat, la solution de faire adopter l'indemnité par un département - quel que soit le mérite, je tiens à le dire, du conseiller d'Etat qui le préside - est à notre avis une solution un peu faible. Si on veut confier le pouvoir de décision à l'autorité exécutive au lieu du pouvoir judiciaire, la décision devrait de toute évidence être prise par le Conseil d'Etat et non par le chef d'un département, nonobstant le respect dû à sa personne.

Indépendamment de cette question, dans l'hypothèse où la solution de confier la fixation de l'indemnité au pouvoir exécutif devait être retenue par le Grand Conseil, cette décision du pouvoir exécutif ne doit, à mon avis pas faire l'objet, comme le suggère le Conseil d'Etat, d'une voie de recours auprès de la Cour de justice. Connaissant bien le pouvoir judiciaire, je crois, Monsieur Ramseyer, qu'en proposant une telle voie de recours vous vous leurrez totalement sur l'efficacité de votre projet de loi. Ceci parce que le pouvoir judiciaire n'appréciera pas tellement de se voir dépossédé de son autorité actuelle et qu'il tranchera finalement dans le sens qu'il aurait choisi au départ. Le passage à travers le département de justice et police risque donc de n'être qu'un tour de carrousel pour rien ! Par contre, si la décision est prise par le Conseil d'Etat, la voie de recours est le recours de droit public auprès du Tribunal fédéral, et là je pense que nous avons de meilleures garanties quant au contrôle de la décision du pouvoir exécutif.

Cela pour dire que la problématique est relativement délicate. Nous aurions souhaité qu'un des deux projets de lois fût voté avec effet immédiat. Entre-temps, le Tribunal fédéral a tranché et a malheureusement rejeté le recours du Conseil d'Etat dans l'affaire que l'on sait. Par voie de conséquence, il faut renvoyer ces deux projets de lois en commission judiciaire, afin que celle-ci trouve la solution la plus adéquate.

M. Pierre-Pascal Visseur (R). Mesdames et Messieurs les députés, qui n'a pas été choqué d'apprendre qu'après une bien trop longue procédure un mafieux russe notoire a été libéré faute de preuves ? Lequel a eu grand plaisir à déclarer, peu après dans le presse, que son séjour en Suisse était bien plus agréable, même en prison, que la vie que mènent la majorité des citoyens de son pays. Lequel ne s'est toutefois pas gêné de réclamer une forte indemnité pour son séjour, aussi agréable fût-il. Et notre justice, elle, a été plus rapide à décider l'octroi d'une indemnité indécente de 800 000 F qu'à traiter l'affaire !

Certes, elle a fait son travail et il ne saurait être question de remettre en cause la qualité des investigations menées par le juge d'instruction. Mais cette affaire met une fois de plus en exergue la lenteur de notre justice et son manque de moyens. Le Conseil d'Etat nous présente aujourd'hui un nouveau projet qui a, en plus, l'avantage de former recours contre une telle décision d'indemnisation, celle-ci étant prise par le département et non plus à la Cour de justice. Nous soutiendrons donc la proposition du Conseil d'Etat et nous vous proposons également d'envoyer les deux projets de lois en commission judiciaire.

Mme Fabienne Bugnon (Ve). Il est choquant que l'Etat verse 810 000 F à un homme dont on ne saura jamais - puisque la justice n'a pas trouvé les preuves pour le condamner - s'il était coupable des faits reprochés. Il est plus choquant encore qu'une personne puisse être privée de liberté des semaines, voire des mois, et soit mise ensuite au bénéfice d'un acquittement - que ce soit faute de preuve ou par erreur judiciaire - et que l'on arrive encore à monnayer l'enfermement de cette personne.

Au-delà de l'affaire Michaïlov, combien d'innocents sont restés enfermés à tort ? Combien sont sortis avec, peut-être, un petit pécule financier, mais sans emploi, sans employeur potentiel, sans conjoint, sans logement et, partant, sans cadre de vie ? La liberté n'a pas de prix, la privation de liberté non plus !

Nous avions, en 1997, défini, par le biais de la correction de l'article 379 CPP, les conditions de réparation, pour autant qu'on puisse les nommer ainsi. Ces conditions ne sont pas particulièrement généreuses, puisqu'elles ne prévoient pas le droit automatique, ni complet, à la réparation, mais une indemnisation équitable, dont l'évaluation appartient au juge. Par l'article 380 CPP, nous avions également réglé la procédure de réparation et prévu, à l'alinéa 1, que la chambre pénale de la Cour de justice statue en instance unique, cette décision n'étant sujette à aucun recours, comme vient encore de le confirmer le Tribunal fédéral.

Le Conseil d'Etat nous propose aujourd'hui de revenir sur cette procédure, de substituer le DJPT à la Cour de justice, celle-ci se bornant à trancher d'éventuels recours contre l'arrêté départemental. L'Alliance de gauche, de son côté, ne propose pas de modifier la procédure, mais de fixer un plafond d'indemnisation à 200 000 F, ce que le Grand Conseil, en 1997, n'avait pas voulu.

Nous pensons quant à nous que le Conseil d'Etat réagit à chaud, sur un cas précis et choquant, qui a largement ému l'opinion publique en général et les contribuables en particulier. Nous pensons que ce n'est pas une réaction objective et que ce cas, qui restera, nous l'espérons, exceptionnel, ne doit pas donner lieu à une modification de la volonté du législateur. La collaboration entre la justice et l'Etat doit exister, mais les pouvoirs doivent rester séparés. Nous sommes donc défavorables au projet du Conseil d'Etat et nous nous y opposerons.

Concernant celui de l'Alliance de gauche, comme je l'ai dit au début de mon intervention, la privation de liberté n'a pas de prix. Lorsqu'en plus elle est injustifiée, elle doit absolument être indemnisée. Les Verts s'étaient battus à l'époque pour qu'au-delà de l'indemnisation financière d'autres modes de réparation et d'appuis soient envisagés, et cela a même été introduit dans la loi : je pense aux mesures d'aide et de réinsertion. Le plafonnement, en revanche, avait été refusé par le Grand Conseil ; nous ne voyons pas, quant à nous, la raison d'y revenir aujourd'hui, sauf, de nouveau, à cause d'un cas précis et avec le même manque d'objectivité. Le montant actuel, faut-il le rappeler, est fixé à 10 000 F. Le juge peut, si des circonstances particulières l'exigent, allouer une indemnité supérieure.

Restons-en là, Mesdames et Messieurs les députés, en espérant que des affaires telles que celle que nous venons de connaître ne se reproduiront pas et continuons à faire confiance à la justice. Les Verts refuseront donc les deux projets de lois !

M. Michel Halpérin (L). Mme Bugnon a raison dans ses conclusions et dans son développement : on légifère mal quand on légifère à chaud, on légifère mal quand on légifère sur un cas particulier. De surcroît, dans cette problématique des indemnisations dues à des personnes détenues à tort, on légifère mal au Grand Conseil de Genève depuis des années, y compris en 1997.

Je voudrais rappeler que le projet de loi que nous avons voté en 1997 avait été présenté sur les fonts baptismaux de cette assemblée un an avant. Lors du tour de préconsultation, dans un admirable consensus, l'unanimité de ce Conseil avait salué la volonté exprimée d'indemniser complètement les victimes d'une arrestation qui se révélerait infondée, parce que nous étions unanimes à considérer qu'il y a peu de drames d'une même ampleur que celui d'être détenu à tort. Puis nous sommes passés en commission, où nous avons entendu les exposés du département et des appels à la sagesse, et vous savez qu'on ne fait jamais appel en vain à notre sagesse, surtout quand il s'agit de notre sagesse financière ! On nous a dit qu'évidemment ce n'était pas bien de détenir des gens à tort, mais que ce n'était pas bien non plus de coûter de l'argent aux contribuables. Et c'est pour cette unique raison que la commission - cette fois-ci presque unanime : il y avait quelques exceptions, dont les libéraux - a abouti à un projet consensuel sur le fait que le beau débat utopique de l'année 1996 devait être remplacé par un débat réaliste, disaient les uns, de boutiquiers, disaient les autres, sur le prix de la détention.

Trois ans plus tard, voilà que nous nous retrouvons face à une première situation dans laquelle, visiblement, une condamnation attendue n'a pas été prononcée. Je précise ici - M. Visseur n'est plus là pour l'entendre, c'est dommage, car cela lui aurait été utile pour la suite de sa carrière d'être humain ! - qu'un être acquitté n'est pas un coupable que l'on a ignoré : c'est un innocent ! C'est la Convention des droits de l'homme qui veut cela, c'est une formule qui devrait vous aller à tous, quant à moi, elle me va très bien. Et je dis qu'un parlement, qui n'a pas la compétence judiciaire - je ne recommencerai par le débat de tout à l'heure - n'a pas à juger ce qu'un jury, tiré au sort et institué pour prononcer une appréciation qui soit juste, a prononcé, dans les compétences qui étaient les siennes. En l'occurrence, l'accusé était innocent, il a fait deux ou trois ans de prison pour rien ; des juges, d'autres juges ont estimé que l'indemnité était adéquate, compte tenu des frais qu'avaient entraînés sa détention et les avocats qu'il avait dû consulter et compte tenu du tort que représentait cette détention. Très bien ! Qui est meilleur juge que les juges pour juger du bon ou du mauvais fonctionnement de la justice et du montant de l'indemnisation ? Pas nous en toute hypothèse !

J'ajoute que les arguments de M. Visseur, selon lesquels les coûts de la justice sont prohibitifs et qu'elle n'a pas les moyens de son action, sont doublement mal choisis en l'espèce. En l'occurrence, vous vous souviendrez probablement que l'ensemble de la procédure qui a entraîné cette indemnisation de 800 000 F a coûté à l'Etat de Genève - je dis bien la procédure, pas l'indemnité - 3 millions de francs ! C'est dire que nous nous sommes dotés de moyens considérables pour que la justice puisse faire son travail et c'est l'honneur de la justice de constater qu'elle se trompe quand elle se trompe !

Nous enverrons naturellement, Mesdames et Messieurs les députés, ces deux projets en commission avec le même regard négatif que celui qui a été annoncé au nom des Verts il y a un instant. J'espère beaucoup que nous parviendrons, à cette occasion, à défaire ce que nous avons mal fait en 1997, pour adopter enfin un texte qui soit digne des prétentions que nous affichons en toutes circonstances !

M. Gérard Ramseyer. Les deux projets dont nous débattons ont été déposés respectivement le 5 et le 13 septembre. Puis est venu l'arrêt du Tribunal fédéral, qui nous donne en quelque sorte raison, avant de nous donner tort, in fine, mais en évoquant de nouvelles voies de droit. C'est la raison de la déclaration que le Conseil d'Etat a faite en début de séance, vous annonçant le dépôt d'une résolution qui permet au canton de faire valoir son droit d'initiative cantonale à l'égard de l'autorité fédérale.

A la question de savoir s'il fallait légiférer à chaud ou non, réagir à chaud ou non, je réponds que ce qui serait grave, à mon sens, ce serait de ne pas réagir ! Dès lors, nous aurons un débat en commission ; il sera forcément serein, parce que nous sommes tous choqués par cette décision de la Cour de justice...

M. Michel Halpérin. Non, pas nous !

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. ...un débat serein sur ces projets de lois, mais aussi sur la résolution que nous vous soumettrons, de sorte que nous puissions, avant la fin de l'année, faire valoir nos droits à l'égard de l'autorité fédérale. Ce soir, je n'ai pas d'autres commentaires à apporter à l'un ou l'autre de ces projets de lois. Je souhaite simplement que, puisque nous sommes tous fâchés de cette décision...

M. Michel Halpérin. Non, non !

M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Oui, oui ! ...nous puissions en débattre sereinement en commission. C'est la raison pour laquelle il me paraît indispensable que ces deux projets de lois soient renvoyés en commission.

M. Albert Rodrik (S). Je constate que le chef du département de justice et police émet, en public, un jugement de valeur sur un jugement rendu par l'autorité judiciaire. Je tenais simplement à signaler que cela ne me semble pas très orthodoxe !

Ces projets sont renvoyés à la commission judiciaire. 

La séance est levée à 23 h 10.