Séance du
jeudi 22 juin 2000 à
17h
54e
législature -
3e
année -
9e
session -
33e
séance
M 1289-A
Le 24 juin 1999, votre Grand Conseil a renvoyé au Conseil d'Etat la motion 1289 concernant le soutien à la caravane intercontinentale des paysans indiens libellée ainsi :
Lors des débats devant votre Conseil relatifs à l'adoption de cette motion, le Conseil d'Etat avait déjà eu l'occasion d'exposer les motifs de son refus de soutenir financièrement la caravane des paysans indiens, motifs qu'il convient donc de rappeler ici.
Lorsqu'il a examiné la demande de financement de la Fédération genevoise de coopération, le Conseil d'Etat a bien sûr été très sensible au caractère novateur de ce projet qui, une fois n'est pas coutume, permettait au Sud, qui a pris l'initiative, de faire entendre sa voix au Nord. De même les buts poursuivis par la caravane lui ont semblé très louables. Cependant, il se devait d'évaluer ce projet, comme toutes les autres demandes de financement, sur la base de critères objectifs qui ont été définis pour l'octroi de l'aide technique au développement.
Or, selon ces critères, l'aide au développement vise en premier lieu à soutenir, sur le terrain, des projets de caractère technique susceptibles de garantir la durabilité des résultats obtenus. Les actions d'information et de sensibilisation de la population genevoise sont financées par le biais du Fonds d'information de la Fédération genevoise de coopération qui prélève, à cet effet, 1,5 % sur chaque montant versé par le canton pour chaque projet.
Par ailleurs, même si l'initiative de cette action avait été prise par les paysans indiens, elle se trouvait relayée en Europe et à Genève par la Coordination des peuples contre le libre échange. Ainsi, elle se teintait d'une connotation politique peu compatible avec la neutralité qu'implique l'aide technique au développement.
Le Conseil d'Etat ne pouvait pas non plus ignorer le fait que la caravane ait inscrit à son programme, outre l'échange et les contacts avec la population genevoise, diverses manifestations de rue devant le siège de multinationales et devant l'Organisation mondiale du commerce. Il a estimé qu'il n'appartenait pas à l'Etat de financer des manifestations dirigées contre une organisation internationale, quelle qu'elle soit, sous peine de saper la crédibilité de la Genève internationale.
Sur la base de toutes ces considérations, le Conseil d'Etat a fondé son refus de soutenir la caravane intercontinentale des paysans indiens au titre de l'aide technique au développement. Sa décision était pour le surplus confortée par le préavis négatif émis par l'Instance fédérale, ainsi que par le refus de la Ville de Genève de soutenir financièrement cette action.
Répondant à une interpellation urgente, le 21 janvier 2000, le Conseil d'Etat, avait déjà évoqué succinctement les arguments cités plus haut, pour faire savoir qu'il n'entendait pas revenir sur sa décision.
Cette position est également étayée par le fait qu'aucune base légale ne lui permet de couvrir a posteriori, au titre de l'aide technique à la coopération, le déficit d'un projet achevé dans lequel il a refusé de s'engager. La Fédération genevoise de coopération, avec laquelle nous travaillons de longue date, n'a d'ailleurs formulé aucune demande à ce sujet sachant, sans doute, qu'une telle requête n'aurait aucun fondement normatif.
Par conséquent, en vertu du pouvoir de décision qui lui est conféré en matière d'aide technique au développement et au vu des arguments qu'il vient de développer, le Conseil d'Etat réitère sa position et estime que rien ne peut justifier aujourd'hui un financement a posteriori du projet présenté par la Fédération genevoise de coopération.
L'épisode de la caravane intercontinentale des paysans indiens ne peut que l'inciter à rappeler à tous les acteurs qui assument une responsabilité dans ce secteur, que l'aide technique au développement, à laquelle les citoyens genevois participent généreusement, repose sur la définition de critères et d'objectifs précis.
Il conviendra néanmoins de renforcer à cet effet la concertation avec la Fédération genevoise de coopération afin de préciser certaines règles de fonctionnement dans le cadre d'un partenariat négocié de longue date avec l'Etat et qui doit se poursuivre dans les meilleures conditions au profit des pays en voie de développement.
Le Conseil d'Etat vous invite en conclusion, Mesdames et Messieurs les députés, à prendre acte du présent rapport.
Débat
M. Pierre Vanek (AdG). Mesdames et Messieurs les députés, vous connaissez cette motion. J'interviens ici pour dire que je ne suis nullement satisfait du rapport du Conseil d'Etat relatif à celle-ci. Je propose donc de ne pas en prendre acte et, le cas échéant, de renvoyer ce rapport à une commission qui en traiterait.
Il y a eu une petite évolution dans la position du Conseil d'Etat. Je rappelle que celui-ci avait refusé à l'époque l'octroi d'une subvention à la Fédération genevoise de coopération pour son soutien à la caravane de paysans indiens venus manifester, se faire entendre et dialoguer dans notre ville. A l'époque, ce refus avait été motivé par des considérations qui s'étaient avérées infondées, des considérations d'ordre public - or l'ordre public n'a nullement été troublé - et par des considérations faisant état de la prétendue impossibilité pour ce canton de soutenir matériellement des personnes qui voudraient faire entendre une voix discordante par rapport au discours dominant de l'OMC. On retrouve trace de cet argumentaire dans la réponse du Conseil d'Etat, lequel estime qu'il n'appartient pas à l'Etat de financer des manifestations dirigées contre une organisation internationale, quelle qu'elle soit, sous peine de saper la crédibilité de la Genève internationale. L'organisation internationale en question est bien entendu l'OMC. Il s'agit très strictement de la position de l'ambassadeur François Nordmann, que nous avons contestée dans une résolution votée lors de la dernière séance de ce parlement. L'ambassadeur réitère cette position dans un courrier adressé au Grand Conseil et remis aux chefs de groupe. M. Nordmann indique ceci : « L'apport de fonds publics à des organisations hostiles à ces engagements - ceux qu'aurait la Suisse ou Genève vis-à-vis de l'OMC - me paraît mettre en danger à terme l'appui dont l'OMC doit continuer à bénéficier. »
A l'époque, les motionnaires avaient argumenté le contraire, en expliquant que nous avions a contrario, en raison des conditions d'accueil faites à l'OMC dans notre canton, un devoir de soutenir - c'était très modeste : je rappelle qu'il s'agissait d'un montant de l'ordre de 30 000 F - des possibilités d'expression alternative. Le canton et la Ville de Genève l'ont fait depuis. Je m'en félicite, comme vous vous en doutez.
Le Conseil d'Etat développe aujourd'hui dans sa réponse des arguments que nous n'avions pas entendus à l'époque. Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, vous dites qu'un tel soutien n'est pas possible, parce qu'il ne répond pas aux critères de subventionnement en matière d'aide technique au développement. Personne n'a évidemment prétendu que cette subvention représentait une aide technique au développement. Vous n'avez vous-mêmes pas invoqué cet argument en refusant cette subvention à l'époque. S'il y avait eu, à la forme, un vice dans la demande, vous auriez pu mettre le doigt sur ce vice et proposer que l'on emprunte une autre voie matérielle en votant une subvention qui ne se situe pas dans le canal de la FGC.
Je relève simplement, par rapport à cet argument que vous développez maintenant, quelque peu post hoc, que vous le relativisez vous-mêmes dans votre rapport, Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat, puisque vous précisez que « l'aide au développement vise en premier lieu à soutenir, sur le terrain... ». Cela signifie qu'elle peut viser en deuxième lieu un certain nombre d'actions. Vous relevez également dans les considérants, à propos de cette action, que vous saluez positivement, qu'il est bien que le Sud puisse faire entendre sa voix.
Vous maintenez donc votre position, alors qu'il y a manifestement eu une évolution, eu égard aux récents développements. De ce point de vue, Mesdames, Messieurs, je ne peux pas accepter cette réponse du Conseil d'Etat à notre motion.
M. Christian Brunier (S). Malgré le fait que le Conseil d'Etat ait une majorité de droite, je pensais ou du moins j'espérais...
M. Olivier Vaucher. C'est nouveau ça ?
M. Christian Brunier. ...j'espérais tout de même qu'une majorité se dégagerait pour soutenir une telle action de solidarité internationale. Malheureusement, nous n'avons pas trouvé quatre d'entre vous, au moins, pour soutenir cette action aussi pédagogique que solidaire.
Je rappelle le sérieux de ce projet et le soutien que lui apporte la Fédération genevoise de coopération, habituellement considérée comme un label de qualité reconnu par tout le monde, y compris par le Conseil fédéral qui est de la même majorité que vous. Je pensais donc que ce projet, muni du label de qualité de la Fédération, aurait plus d'écho auprès du gouvernement genevois. Je vois que le gouvernement va plus loin, puisqu'il indique que « la Fédération genevoise de coopération, avec laquelle nous travaillons de longue date, n'a d'ailleurs formulé aucune demande. » Si je vous comprends bien, le soutien à un projet ne suffit plus. Il faut, en plus de ce soutien, formuler des demandes supplémentaires en parallèle. Bref, Mesdames et Messieurs les conseillers d'Etat, on appelle ceci de la bureaucratie soviétisante... (Exclamations.) ...et cela n'a rien à voir en tout cas avec le fonctionnement d'un Etat qui se dit proche des citoyennes et des citoyens et du monde associatif.
Vous affirmez encore que « l'aide au développement vise en premier lieu à soutenir, sur le terrain » des actions. Vous insistez sur le terme « sur le terrain ». Vous avez parfaitement raison. La priorité doit être donnée aux actions de terrain en ce qui concerne bien sûr l'aide au développement, mais aussi en ce qui concerne les autres thèmes dont vous avez la gestion. Nous serons là pour vous rappeler, à propos d'autres dossiers, cette priorité au concept de terrain, lorsque vous aurez de la peine à passer à l'action, ce qui n'est d'ailleurs pas forcément rare.
En conclusion, je pense que cette priorité de terrain ne signifie en tous les cas pas l'arrêt de la pédagogie, de l'échange de points de vue et de l'information. Sans ces actions de communication, sans ce support aux actions de terrain, vous allez tout simplement tuer l'aide au développement. Le devoir d'explication et de sensibilisation en la matière est essentiel. Vous spécifiez encore que le financement a posteriori est une condition à tout soutien. Il est tout à fait acceptable de soutenir un projet après coup, mais ce n'est pas une justification. Cela s'appelle plutôt une excuse bidon, un faux prétexte ! Vous auriez dû avoir le courage de préciser clairement que nous devions nous taire pour tout ce qui concerne l'OMC, puisqu'elle amène de l'argent à Genève, et nous dire très clairement que les paysans indiens n'étaient, électoralement, pas porteurs ! Cela aurait au moins eu le mérite de la franchise !
M. Carlo Lamprecht. J'admire votre générosité ! Cela fait vingt ans que je travaille avec la Fédération genevoise de coopération, à la fois avec ma commune et avec l'Association des communes genevoises. Je connais ses projets. Ce sont des projets qui se déroulent sur le terrain, en faveur d'enfants malades, de femmes vivant dans des conditions extrêmement difficiles, de personnes qui n'ont pas de travail, de personnes atteintes du sida. Le Conseil d'Etat attribue chaque année une somme très importante à différents projets. Les communes genevoises également. Pas plus tard que l'autre soir, je me suis rendu au Grütli, à l'ouverture de l'exposition, pour dire à la Fédération tout le bien que l'on pense du travail qu'elle effectue.
Vous dites premièrement - ce qui est faux - que la Fédération genevoise de coopération nous a interpellés à propos de ce projet. Nous avons rencontré la Fédération genevoise et nous lui avons dit qu'il ne s'agissait pas tellement de refuser un projet concernant des personnes venant manifester à Genève - elles l'ont fait correctement - mais que nous avions une autre optique de l'aide humanitaire à l'étranger et de la coopération. Vous avez alors estimé qu'il fallait que l'on paye quand même. Deuxièmement, nous connaissons la Fédération. Nous travaillons avec elle depuis longtemps. J'ai d'ailleurs rencontré quelques-uns de ses membres jeudi dernier, je le répète, pour les féliciter du travail qu'ils effectuent.
Vous parlez ensuite d'une majorité du Conseil d'Etat. Il n'y a pas eu de vote au sein du Conseil d'Etat. Le Conseil d'Etat a estimé qu'il ne s'agissait pas d'un projet entrant dans le cadre de ce que nous appelons l'aide à la coopération. Il n'y a pas eu de majorité, puisqu'il n'y a pas eu de vote. Nous avons nos arguments, vous avez les vôtres, qui sont tout aussi respectables que les nôtres. Le Conseil d'Etat en a décidé autrement. Un point, c'est tout ! C'est tout ce que je tiens à vous dire !
M. Pierre Vanek (AdG). Je me suis exprimé tout à l'heure en disant que je refusais ce rapport. Je propose donc un vote pour que le Grand Conseil ne prenne pas acte de ce rapport et le renvoie au Conseil d'Etat.
Je regrette, Monsieur Lamprecht, de m'exprimer après vous, mais vous entortillez le problème en tournant autour du pot avec cette histoire de Fédération genevoise de coopération. L'invite est claire. Elle demande au Conseil d'Etat « de revoir sa récente décision... » - qui était simplement un « niet » pour des motifs que vous alléguez à nouveau ici ou pour de nouveaux motifs - « ...et à accepter de participer au soutien financier à la caravane des paysans indiens. » De ce point de vue là, j'estime que votre rapport n'est pas satisfaisant et je propose de vous le renvoyer !
M. Jean-François Courvoisier (S). La réponse du Conseil d'Etat ne nous convient pas du tout. Il faut bien sûr se souvenir des projets, mais il faut aussi connaître les besoins des populations pour pouvoir élaborer ces projets. Le passage de cette caravane offrait justement l'occasion de connaître leurs besoins.
La proposition de renvoi du rapport au Conseil d'Etat est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
La proposition de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat est adoptée par 36 oui contre 29 non.
M. Claude Blanc (PDC). Je me réjouis du jour où nous aurons le vote électronique et où les Verts seront obligés de se déterminer au premier tour ! (Exclamations.)
M. Michel Balestra. On connaîtra enfin la vérité !
Le président. Il est vrai que les « verres » ont beaucoup d'effet après 20 h 30 !