Séance du
jeudi 8 juin 2000 à
17h
54e
législature -
3e
année -
8e
session -
29e
séance
M 1350
EXPOSÉ DES MOTIFS
L'étude des Mes B. Reich et Zen Ruffinen à Genève, spécialisée dans les problèmes d'attribution de site Internet, a publié un mémorandum qui décrit très précisément les tenants et aboutissants d'une inscription Internet et a inspiré l'exposé des aspects techniques de cette motion.
L'accès à un site Internet passe par l'attribution de noms de domaine. En zone « com », « net » et « org » elle est assurée par un organisme dépendant du gouvernement américain, le NSI (Network Solutions Inc.), ainsi que, suite à une privatisation du système, par American Online, CORE, France Télécom / Oliane, Melbourne IT et Register.com. D'autres organismes ont requis l'autorisation de cette inscription. En ce qui concerne l'attribution des noms de domaine qui font référence à un espace géographique donné, les national top.level domaine names (par ex « ch » ou « fr »), est administrée par les gouvernements des pays concernés ou par des organismes privés au bénéfice d'une autorisation gouvernementale, soit pour la Suisse « Switch » (www.switch.ch) (pour les aspects techniques des noms de domaine se référer à www.ntia.doc.gov/ntiahome/domainname/domainhome.htm).
On remarque ainsi que l'accès à Internet prend un développement rapide et se met à établir des règles qui faisaient défaut à un marché libre. Dans un esprit libéral de développement , la liberté totale et sans norme aucune n'est pas possible. On doit pour pouvoir pratiquer les affaires se trouver dans un cadre établi, avec des règles et des usages.
La pratique de retenir des domaines Internet avant que les entreprises n'aient elles-mêmes procédé à l'inscription de leur nom auprès d'Internet est devenue monnaie presque courante. L'histoire du nom de Coca-Cola retenu par un bureau d'affaires américain et revendant son nom à la firme pour 2 mio de $ est connue. Un autre initiant, valaisan, retenant les noms de EXPO 02, 03, 04, etc., pour les revendre à l'exposition nationale le cas échéant a aussi été relaté. De mêmes pratiques sont apparues à Genève où notamment une jeune société informatique très « in » réserve pour 75 $ des noms de domaine constitués par les raisons sociales et/ou les marques de jeunes entreprises à fort potentiel, puis les revend 10 ou 15 fois plus cher à l'entreprise concernée lorsqu'elle veut créer son site sur internet.
Si l'entreprise dont le nom a été réservé refuse de payer le montant demandé, elle s'expose à ne pas pouvoir créer de site Internet à son nom.
Le Centre d'arbitrage et de médiation de l'Organisation mondiale de la protection intellectuelles (OMPI) traite de ce problème, comme le relate la Tribune de Genève du 28 février 2000. Sa procédure se veut rapide et bon marché. « Tous les requérants ne gagneront pas, mais d'après la jurisprudence qui existe depuis deux ans, on constate que dans les cas d'abus manifeste, le propriétaire de la marque a toujours eu gain de cause. » Il est intéressant de voir une organisation internationale établir une norme mondialisée dans un domaine encore peu réglementé par la loi. L'Etat, et l'ensemble des cantons romands en particulier, dans un même sens doit pouvoir montrer l'exemple en la matière afin de prévenir de tels usages qui constituent une forme moderne de racket.
Si les cantons ne disposent pas de compétences légales dans ce domaine, qui relève du droit fédéral (protection des marques, protection du nom, propriété intellectuelle, concurrence déloyale), en tant qu'acteur économique de poids, l'Etat de Genève et ses voisins de Suisse romande, peuvent par contre s'interdire de contracter avec des entreprises qui se livreraient à ce genre de pratiques et faire savoir que de tels agissements sont contraires aux usages et à la sécurité des affaires.
Les cantons romands à l'initiative de Genève pourraient ainsi ne commander des prestations informatiques, de quelque nature (conseil ; logiciel ; matériel ; création de sites), qu'auprès des entreprises respectant une charte éthique - laquelle contiendrait notamment l'interdiction du « domain name grabbing ». Il devrait également pour les nombreux développements internet qui se feront dans le cadre des administrations publiques, établir une réglementation claire qui ne laisse aucune place à une pratique douteuse.
Pour favoriser un marché sain, équilibré et dynamique, dans le bassin de population de Suisse occidentale, les motionnaires prient les députés de soutenir cette motion.
Débat
M. Armand Lombard (L). Mesdames et Messieurs les députés, ne quittez pas la salle ! C'est un sujet tellement important qu'il faut tenir encore quelques minutes, pour pouvoir le régler.
Deux éléments d'information au sujet des sites Internet. Les sites Internet, comme vous le savez, pullulent et se multiplient ces temps, puisqu'il n'est pas de société qui n'ait, dans ses objectifs de communication, la création d'un tel site. L'organisation de ces sites est basée sur le fait que le premier qui demande l'inscription de son nom de domaine est le premier servi. Il paie 75 dollars à une institution quelque part aux Etats-Unis, sans aucun autre contrôle, et le site lui est attribué.
Deuxième élément d'information, et c'est là que la chatte à mal au pied, le squatting des sites devient une pratique de plus en plus fréquente, puisqu'il n'y a aucune réglementation nationale, à ce stade, en Suisse et qu'on peut donc prendre le nom de n'importe qui, se le faire attribuer et le revendre ensuite à celui à qui il appartient par la nature des choses. Ainsi, vous avez tous lu dans la presse le problème de l'Expo sauf erreur, après qu'un haut fonctionnaire valaisan eut joué à ce petit jeu. Vous aurez aussi vu, plus dramatique, plus tragique, que la pauvre Julia Roberts s'était fait voler son site mais que, Dieu merci, elle vient de le récupérer ! (Commentaires.) C'était un gag, Monsieur Blanc ! De même, Coca-Cola a dû racheter son site deux millions de dollars.
Il est évident que l'absence de toute réglementation dans ce domaine est une tentation pour ceux que n'habite pas un peu d'éthique des affaires. Il s'agit donc de demander une réglementation et un cadre. En l'occurrence, cela m'amusait, moi libéral, de devoir vous proposer un projet de réglementation, dont certains pourraient dire qu'il va à l'encontre du libéralisme, celui-ci étant censé être contre les règles en matière économique et en matière de développement économique. Ce sera l'occasion pour moi de vous faire comprendre peut-être un peu mieux les principes libéraux : le libéral s'exprime dans la liberté, mais dans un cadre donné. Ce cadre est donné par la loi et c'est pourquoi les libéraux, parfois, votent des lois ! Quand il n'y a pas de loi, comme dans le cas d'Internet qui est un nouvel outil, ce sont alors les règles de l'éthique qui s'imposent. L'éthique, c'est en fait ce qui est avant la loi ou ce qui est quand il n'y a pas encore de loi. Si bien que le problème de la liberté, pour nous libéraux, est tout à fait résolu : il est nécessaire d'avoir un cadre dans le domaine concerné d'Internet.
Maintenant, la compétence de légiférer appartient à la Confédération - qui n'a pas encore légiféré - et on ne peut donc pas demander au Conseil d'Etat de le faire. Les seules règles en vigueur aujourd'hui sont des règles internationales et c'est là, chers amis anti-globalisation, un des bons points de la globalisation. C'est l'OMPI, organisation mondiale dans le domaine, qui permet une application de règles au niveau international et c'est grâce à elle que Julia Roberts a pu récupérer son site !
M. Claude Blanc. Quelle chance !
M. John Dupraz. Qu'est-ce qu'on en a à foutre ?
M. Armand Lombard. Monsieur Dupraz, vous faites ce que vous voulez avec vos pinards, vos appellations et vos marques de pinard du Mandement ! Moi, je suis en souci devant ces squatting qui coûtent de tels prix aux petites entreprises, ou aux grosses : c'est de l'argent fichu loin et c'est une contrefaçon dans le domaine économique... (Commentaires.)
Taisez-vous un moment, Monsieur Blanc, vous nous fatiguez avec vos remarques ! Attaquez-vous à Grobet, si cela vous fait plaisir, mais laissez-moi tranquille !
Nous demandons donc que le canton prenne des mesures réglementaires en ce qui concerne ces squats. D'autre part, nous souhaitons - ce serait pour une fois une bonne opportunité pour le Conseil d'Etat - qu'un accord commun avec les cantons romands soit rédigé dans ce domaine. Je vous remercie de votre attention et vous prie de renvoyer directement cette motion au Conseil d'Etat.
M. Bernard Clerc (AdG). Une fois de plus, le parti libéral veut tout réglementer, s'oppose à la liberté d'entreprendre... (Rires et exclamations.) ...s'oppose à la liberté du commerce et de l'industrie et continue à développer un discours ringard et conservateur, contre le progrès et contre la création d'emplois que nous promet Internet ! Mais, Mesdames et Messieurs les députés, rassurez-vous, pour une fois l'Alliance de gauche s'ouvrira à cette proposition de réglementation, à cette proposition d'éthique en affaires et soutiendra le renvoi de cette motion au Conseil d'Etat !
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1350)
relative à l'éthique sur Internet et à la protection des sites Internet
La séance est levée à 23 h.