Séance du jeudi 25 mai 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 8e session - 27e séance

P 1268-A
8. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition «Sauvez la maison Blardone et le petit parc des Plantaporrêts». ( -)P1268
Rapport de Mme Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve), commission des pétitions

La Commission des pétitions a examiné cet objet lors des séances des 17, 24 et 31 janvier 2000, sous la présidence de Mme Louiza Mottaz. Mme Pauline Schaefer a pris les notes de séance.

Auditions

Audition des pétitionnaires : MM. Cédric Bach, Laurent Pansier et Joël Sommer

M. Laurent Pansier est un ami de M. Georges Blardone, ancien propriétaire de la maison dont il est question, et il explique qu'il s'est occupé longtemps de lui et de l'entretien de ladite maison. M. Cédric Bach habite actuellement la maison Blardone et précise qu'il a collaboré à sa réhabilitation. M. Joël Sommer est animateur à la Maison de quartier de la Jonction et fait savoir que de nombreux habitants ont exprimé leur souhait de voir la maison Blardone conservée en l'état. La pétition a récolté 572 signatures.

M. Pansier explique, en effet, que la maison Blardone constitue le dernier vestige du quartier datant du XIXe siècle, véritable îlot de verdure où l'on peut encore toucher la terre. Le parc est fréquenté par les familles du quartier.

Il évoque la construction prévue d'un immeuble de huit étages qui va, selon lui, casser l'unité de l'alignement de la rue et supprimer le dernier coin vert où subsiste un magnifique tilleul.

A ce propos, M. Bach communique l'existence d'un préavis négatif de la Ville sur le projet et explique que les pétitionnaires ont été reçus par M. Christian Ferrazino, conseiller administratif.

M. Bach indique que cette petite maison, de type toscan, a été construite par le père de M. Blardone aux alentours des années 1880. Elle contient deux étages, un rez-de-chaussée et des combles et constate que sa structure est parfaitement saine. En outre, poursuit M. Bach, le toit a été entretenu. La maison Blardone est, en conséquence, vivable et habitée, mais il est clair qu'elle aurait besoin de subir des améliorations. Cela étant, les lieux représentent un témoignage architectural de l'immigration italienne à Genève. M. Bach rapporte encore que le père de M. Blardone était maçon de profession.

M. Bach ajoute que ses habitants actuels ont beaucoup investi d'argent dans Blardone pour remettre en état cette maison. Mis à part cela, il précise que leur fonctionnement est de type associatif et que les lieux drainent de nombreux contacts. Ainsi, explique l'intervenant, les enfants viennent souvent jouer dans le jardin attenant. Il ajoute encore que quatre personnes logent actuellement à Blardone.

M. Sommer revient sur l'intérêt montré par les habitants du quartier, à tel point que la Maison de quartier a organisé un débat public le 17 février pour que les gens puissent exprimer leurs souhaits relativement à l'attribution future des lieux. Il ne s'agit pas de prendre des décisions, précise-t-il, mais plutôt d'ouvrir la discussion. Ce qui est sûr, poursuit l'animateur, c'est que personne ne voudrait voir disparaître cet espace vert du paysage. Il relate, à son tour, l'usage fréquent du parc par les enfants du quartier et parle de « bol d'air ». Il souligne, au surplus, le « rapport affectif » qu'entretient la population avec Blardone, dernier vestige d'une époque révolue.

M. Bach indique que la pétition vise d'abord à préserver le lieu, mais qu'elle ne défend pas un projet en tant que tel. Il est évident que la maison Blardone pourrait s'inscrire dans un projet de quartier de type social, vu qu'elle fonctionne déjà de la sorte, entraînant une sorte de synergie.

Le pétitionnaire ajoute que des activités collectives sont organisées. Il évoque des repas gratuits une fois par mois. Il signale, en outre, que la maison était opérationnelle pour accueillir vingt-cinq personnes dans le cadre de la caravane indienne. M. Bach fait savoir qu'il se passe beaucoup de choses à Blardone, dont, notamment, la venue de musiciens.

Audition des représentants du Département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (DAEL) : Mme Rodica Lupu, adjointe à la division technique, et M. Louis Cornut, chef de la division de l'aménagement local.

M. Cornut explique que la maison en question se trouve en zone ordinaire. Dans le cas d'espèce, poursuit M. Cornut, on est autorisé à envisager des gabarits pouvant aller jusqu'à 24 mètres. Le représentant du DAEL rappelle encore que la maison Blardone ne se situant pas en zone de développement, elle ne nécessite pas un plan localisé de quartier.

En l'occurrence, enchaîne M. Cornut, la requête en cause porte sur plusieurs parcelles. Ainsi, explicite l'intervenant, la parcelle sur laquelle se trouve le terrain de jeux est propriété de l'Etat au titre de cession fiduciaire. L'Etat est propriétaire transitoire de la parcelle susmentionnée et doit la remettre au futur propriétaire. Si l'opération ne se réalise pas, en revanche, la parcelle précitée retournerait alors au propriétaire d'origine. En ce sens, la cession intervient pour permettre un développement ultérieur, mais il ne s'agit en aucun cas d'une acquisition définitive de l'Etat.

Quant à la maison, M. Cornut parle d'un dossier en requête définitive puisque l'on se situe en zone ordinaire. Le représentant du DAEL déclare que cette parcelle a été jugée constructible. Seules des raisons patrimoniales pourraient éventuellement conduire à la maintenir en l'état. Toutefois, la Commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) a fait savoir qu'elle n'avait aucune objection à la démolition du volume en cause, car elle ne trouve pas que ce bâtiment présente de « valeurs historique et architecturale qui justifieraient impérativement son maintien ». Etant donné que la maison Blardone n'est pas susceptible d'être protégée, on peut dès lors envisager de la démolir, précise M. Cornut.

Quant à la succession, elle n'est pas encore liquidée, ajoute Mme Lupu, mais le légataire a déposé une requête en démolition de même qu'une requête en autorisation de construire sur l'ensemble des parcelles, comme il a le droit de le faire. M. Cornut, quant à lui, émet un bémol, ne pouvant affirmer que l'on peut répondre à ces requêtes tant que la succession n'est pas liquidée.

Une commissaire demande quelle serait la densification du nouveau projet.

M. Cornut articule le chiffre de 4,15. Le grand immeuble réalisé dans les années 1970, en retrait, se monte à 4,42, auquel s'ajoutent deux autres de 3,5 et respectivement 6,32. L'intervenant précise encore que les densités en milieu urbain sont très relatives.

Une commissaire constate que la parcelle dont l'Etat est garant est un parc de jeux. A-t-on latitude pour détruire ce lieu aux fins de construire un immeuble ? Ne doit-on pas, a contrario, suppute la commissaire, chercher plutôt à préserver l'espace vert ?

M. Cornut ne voit, en l'occurrence, qu'une table de ping-pong en béton et, certes, un petit arbre qui devra faire l'objet d'une autorisation d'abattage. Cela étant précisé, M. Cornut rapporte que l'Etat n'est pas garant de l'espace tel qu'il se présente à l'heure actuelle. Il se contentera de le remettre au promoteur futur. On n'a pas ici affaire à une cession comme dans un plan localisé de quartier (PLQ) en zone de développement. A titre transitoire, rappelle M. Cornut, l'Etat est uniquement chargé de garantir la suite des événements. La commission d'architecture planche d'ailleurs sur le projet pour y apporter d'éventuelles améliorations et garantir une bonne intégration dans le site.

Une commissaire se demande si l'Etat ne pourrait pas établir un plan localisé de quartier, ou si la Ville ne pourrait pas prendre l'initiative d'établir un plan d'utilisation du sol localisé.

M. Cornut lui répond que le Conseil d'Etat n'entend pas mettre un PLQ facultatif en oeuvre, surtout si c'est pour ne rien construire ensuite, comme le stipule d'ailleurs la pétition. M. Cornut n'exclut pourtant pas l'instauration d'un plan de site, pourquoi pas. Quant à la position de la Ville, l'orateur avoue qu'il n'en sait rien. Il fait cependant état d'un préavis négatif à la requête en cause, mais M. Cornut ne peut s'avancer relativement à un éventuel droit d'initiative de la Ville.

Mme Lupu fait ensuite savoir qu'on n'a pas encore évalué l'ensemble des préavis, mais il est clair qu'on se trouve en présence de plusieurs préavis positifs, mis à part celui de la Ville.

La commissaire observe pourtant qu'il lui semble rare que l'on passe outre un préavis de la Ville.

M. Cornut déclare que, compte tenu de la position de la Commission et de la Direction du patrimoine, si l'on refusait la démolition, on s'acheminerait alors vers une forme d'expropriation et quelqu'un devrait payer. Il parle, à cet égard, de rachat ou de dédommagement, mais il est évident que le Canton ne va pas le faire. M. Cornut signale que, soit la Ville devrait exproprier, soit elle devrait accepter le gré à gré.

Une autre commissaire voudrait qu'on lui indique la superficie de la parcelle totale et de la « partie verte ».

M. Cornut lui indique que la parcelle, propriété de l'Etat, soit la « partie verte », est de 545 m2. Ensuite de quoi, deux parcelles s'élèvent encore à 356 m2 (201 m2 et 155 m2).Quant à la surface au sol de la maison, elle représente un cinquième de la parcelle.

Discussion et vote

Un commissaire suggère le dépôt. En effet, dit-il, la Ville, puisqu'elle a également été interpellée de son côté, va poursuivre ses réflexions. Il motive son choix par le fait que les députés n'ont rien de particulier à demander au Conseil d'Etat.

Cependant, plusieurs commissaires estiment que la disparition de cette maison et du petit espace vert qui la jouxte serait très regrettable. La maison constitue un témoignage d'un passé, même si elle n'est pas jugée digne d'être classée. En outre, elle semble jouer un rôle social dans le quartier. Enfin, il ne faut pas supprimer un espace vert dans cet environnement qui en compte si peu.

La majorité de la commission juge, en outre, que le Conseil d'Etat doit avoir pour principe de respecter les préavis de la commune concernée, soit la Ville dans le cas d'espèce, qui a rendu un préavis négatif.

D'après une commissaire, il existe d'ailleurs encore des points nébuleux à éclaircir.

Une commissaire propose donc de renvoyer la pétition au Conseil d'Etat pour lui recommander de respecter le préavis de la Ville ; quant à la suite à donner à cette affaire, ajoute-t-elle, il appartient à la Ville, première concernée par l'affectation de son territoire, de faire des propositions.

La proposition de renvoyer au Conseil d'Etat la P 1268 est acceptée par 8 OUI (3 AdG, 3 S, 2 Ve), contre 6 NON (2 DC, 2 L, 2 R).

Pétition(1268)

"; Sauvez la maison Blardone et le petit parc des Plantaporrêts "

Mesdames etMessieurs les députés,

Ayant appris qu'un promoteur veut démolir l'ancienne marbrerie Blardone, située au carrefour, 11 boulevard St-Georges / rue des Plantaporrêts ;

Que ce promoteur veut construire à sa place un immeuble qui détruit l'espace vert de la propriété et le petit parc attenant, aménagé en place de jeux depuis 1983

Les soussignés demandent :

de conserver la maison Blardone comme patrimoine, dernier témoin d'une construction artisanale au XIXe siècle à la Jonction ;

de préserver le jardin et les arbres de la propriété Blardone comme poumon vert dans un quartier fortement urbanisé et dépassant les normes de pollution ;

d'interdire la démolition du petit parc public des Plantaporrêts fréquenté régulièrement par les enfants, les familles et les crèches du quartier ;

d'établir un plan localisé de quartier pour préserver le site.

Débat

Mme Caroline Dallèves-Romaneschi (Ve), rapporteuse. Sans faire allusion à quelque débat que ce soit... (Rires.) ...vous constaterez qu'il s'agit de sauver une maison menacée de démolition ! Dans cette affaire, la majorité de la commission a été sensible à trois aspects. Premièrement, la maison Blardone a été reconnue comme ayant une valeur patrimoniale, une valeur de souvenir, une valeur de témoin du passé. Ce n'est pas la commission des monuments et des sites qui en a décidé ainsi, mais c'est l'ensemble des citoyens du quartier, ainsi que les commissaires de la commission des pétitions. Deuxièmement, elle est entourée d'un parc, d'un espace vert. Dans ce quartier qui en manque déjà cruellement, il serait vraiment regrettable de le supprimer. Le troisième aspect, c'est la fonction socio-culturelle que remplit cette maison, très fréquentée par de multiples associations et lieu de nombreuses réunions de quartier.

C'est pourquoi la majorité de la commission a décidé de vous proposer le renvoi au Conseil d'Etat, afin que ce dernier revoie non seulement le projet, comme il est en train de le faire par le biais de sa commission d'architecture, mais suive également le préavis du Conseil municipal de la Ville de Genève qui s'est prononcé en faveur de la sauvegarde de cette maison. Nous espérons que la politique générale du Conseil d'Etat est de suivre le préavis communal dans ce genre de dossier. 

Mme Janine Hagmann (L). Il est tout à fait vrai que la maison Blardone n'est pas la villa Blanc, mais vous avez vu que les votes de la commission ont été très partagés et qu'il y a eu un clivage gauche-droite total. Je vais donc parler au nom de la minorité de la commission des pétitions qui a constaté que la maison Blardone ne représentait pas de manière si évidente un bien à sauvegarder du patrimoine architectural genevois. En effet, lors du dépôt de l'autorisation de construire, le service des monuments et des sites s'est rapidement prononcé, tout comme le service de l'aménagement, en faveur d'une construction nouvelle. Quant à l'argument du coin de verdure à préserver, il nous semble un peu absurde. D'abord parce que le lieu est presque toute la journée dans l'ombre, ensuite parce que s'il est un quartier où la verdure se trouve à deux pas, c'est bien celui-ci, du moment qu'il suffit de franchir le pont Sous-Terre pour accéder aux bords du Rhône, ou celui de Saint-Georges pour arriver à la Bâtie, sans parler du quai Ernest-Ansermet et de la pointe de la Jonction. En plus de cela, les opposants au projet ont privé, de par leur action, la Croix-Rouge d'une manne financière bienvenue et empêché une caisse de pension d'une entreprise voisine de s'intéresser à l'acquisition du bâtiment pour y loger une vingtaine de familles d'ouvriers.

Reste le préavis de la Ville. Vous savez combien je suis personnellement attachée à ce que l'Etat tienne compte des préavis communaux. Mais en l'occurrence, la Ville a donné un préavis défavorable, car il me semble qu'elle poursuit en ce moment une politique de construction de la ville à la campagne. On en a vu plusieurs exemples. Comme nous ne pouvons absolument pas soutenir une politique de déclassement de terrains ayant une valeur patrimoniale ou environnementale pour y construire des immeubles, nous estimons qu'il faut profiter de ce qui se présente. On peut en réaliser à cet endroit-là, sans nuisance et sans dégât. L'on s'est rendu compte que le quartier conviendrait bien à la construction de l'immeuble prévu. Maintenir la villa est une aberration architecturale !

Au nom de la minorité de la commission des pétitions, je vous propose le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement. 

Mme Myriam Sormanni (S). On en a également parlé au sein de la commission LCI. Lors de l'audition de M. Cornut, celui-ci a comme par hasard oublié le toboggan lorsqu'il a décrit les jeux se trouvant dans le parc. Je vous rappelle, si vous ne connaissez pas le quartier... (Brouhaha.) J'ai le droit de parler sans que vous m'interrompiez, merci ! J'ai habité le quartier de la Jonction pendant quatorze ans. C'est à ce titre-là que je veux défendre cette maison. Lorsque la commission LCI a procédé à ses auditions, les commissaires ont appris que des activités se déroulaient dans cette maison, en collaboration et en partenariat avec la maison de quartier de la Jonction, et que certaines d'entre elles étaient destinées aux jeunes, les plus petits et les plus grands.

Je voulais aussi vous dire une autre chose. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas reconnaître que cette maison a quand même une valeur historique pour Genève, qui se targue d'être une ville internationale. Je vous rappelle que cette maison est de type toscan et date de la fin du XIXe siècle. Je pense qu'elle a tout de même un cachet particulier. Quant aux abords et au terrain, ce dernier est effectivement très exigu. Il n'y a pas beaucoup de place. Aux alentours, je vous signale qu'il n'y a, hormis le parc Gourgas, que très peu de verdure pour les enfants dans le quartier. En supprimant ce terrain, on risquerait de les obliger à traverser la rue des Deux-Ponts, qui est assez chargée au niveau circulation, pour pouvoir aller jouer dans le parc d'en face, à côté de la petite maison rose. Je crois donc que l'on pourrait quand même penser aux enfants du quartier, sachant que l'on pourrait assister à la disparition de cette place de jeu destinée aux enfants, enfants qui ont l'habitude d'y aller.

A l'origine, il faut le rappeler, la Ville n'avait pas donné un préavis favorable. C'est le DAEL qui s'était assis sur la décision de la Ville. Pour le reste, je vous signale que le Conseil municipal n'a pas encore abordé ce point, car il n'a pas beaucoup avancé lors de sa dernière séance. Il doit en discuter une autre fois. Pour le moment, la balance penche du côté du non. En conclusion, je pense qu'il faudrait se battre pour conserver cette maison.

M. Christian Grobet (AdG). Je souhaiterais que dans le rapport, mais si possible, préalablement, Monsieur Moutinot, vous nous communiquiez le testament, s'il y a un testament. Si j'ai bien compris, cette affaire est en déshérence... (L'orateur est interpellé.) Je n'en sais rien. En tout cas, nous aimerions avoir un état très précis de la situation pour savoir s'il s'agit d'un bien en déshérence ou s'il y a eu un testament. Dans cette hypothèse, nous souhaitons que ce document nous soit communiqué. Car il y a quand même un problème juridique là-dessous qui apparaît directement lié au droit de propriété. Le Grand Conseil a le droit d'être informé sur cette question. A défaut d'un rapport rapide sur l'ensemble de la question, peut-être pourriez-vous faire remettre une note aux chefs de groupe. Nous vous en serions très reconnaissants ! 

M. René Koechlin (L). M. Grobet a raison de mettre l'accent sur la question purement juridique. En ce qui me concerne, j'ai connu M. Blardone. Il m'avait fait part de ses intentions de léguer sa propriété, sa maison, à l'église. Mais je ne peux pas vous affirmer que ses souhaits ou ses voeux exprimés verbalement aient été suivis dans les faits. Je sais en tout cas que c'était son intention. Il me l'a répété plusieurs fois. C'était à une époque où nous étions appelés à construire l'immeuble qui se trouve à côté. Nous devions alors parler avec M. Blardone de questions purement pratiques.

Cela dit, pour en venir à cette pétition, elle est l'exemple de ce qu'il adviendra lorsqu'on appliquera la loi que ce Grand Conseil a votée jeudi dernier. Toute association indiquant dans ses buts qu'elle entend défendre le patrimoine de quelque façon que ce soit, toute association, tout groupement répondant à cette condition pourra formuler des propositions allant dans le sens de cette pétition.

Des experts reconnus - la commission des monuments, de la nature et des sites - se sont prononcés pour la démolition de cette maison. La commission considère qu'elle ne vaut pas la peine d'être conservée et que l'on peut donc procéder à sa démolition pour en faire un parc si d'aucuns le veulent, ou pour construire un immeuble à la place. Le débat est ouvert. Si cette maison est sauvegardée, de par la volonté du souverain ou du Conseil d'Etat - car si la majorité du Grand Conseil ou en tout cas la majorité de la commission entend renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat, c'est probablement pour que le Conseil d'Etat prenne des mesures qui aillent dans le sens de la pétition - j'ai une crainte. On vient de parler des comportements ou du comportement des conseillers d'Etat ou du Conseil d'Etat dans certaines circonstances : je ne voudrais pas que le Conseil d'Etat, dans le cas particulier, finisse un jour, en laissant passer les années, par délivrer l'autorisation de démolir la maison. Surtout qu'elle n'est pas dans un très bon état et qu'elle risque bien, si l'on attend encore des années, de tomber en ruine toute seule.

Mais la question que nous devons nous poser, Mesdames, Messieurs, si l'on décide de conserver cette maison - selon mon appréciation de professionnel, je dirais qu'il s'agit d'une bicoque - c'est de savoir si elle a une valeur de souvenir. Peut-être, mais il y a alors des milliers de maisons dans ce canton qui ont cette valeur-là ! Cela veut dire que toute la zone villas construite risque fort, à moyen et à long terme, de subir le même sort. Il faudra la conserver. Je trouve dès lors assez cocasse qu'il soit également demandé par voie de motion, sauf erreur, motion pendante devant la commission d'aménagement, dans les rangs de ceux qui soutiennent cette pétition, que l'on densifie la zone villas. Et l'on propose précisément des secteurs où sont construites des villas. Je vois déjà des habitants du quartier en cause déposer une pétition et constituer une association dont le but serait la sauvegarde du patrimoine, etc., exiger un plan de site et atermoyer la démolition de telle ou telle villa, donc atermoyer, voire vouer à l'échec toute opération de densification appelée des voeux de ceux qui soutiennent ce soir cette pétition. Nous n'en sommes pas à une contradiction près, mais je suis très pessimiste quant à l'avenir des zones villas, enfin pessimiste dans le sens de la densification souhaitée des zones villas, de leur constructibilité dans un but d'intérêt un peu plus général et dans un sens un peu plus rationnel qu'il ne l'est actuellement. Vous verrez, les zones villas vont devenir des poumons de verdure qu'il faudra préserver à tout prix. Je connais de nombreux exemples dans ce sens.

Cette pétition me laisse donc pour le moins perplexe. En ce qui me concerne, je serai naturellement, avec mon groupe, pour le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil; mais je sais que nous ne serons pas suivis. 

Mme Myriam Sormanni (S). J'ai oublié de préciser quelque chose tout à l'heure en entendant Christian Grobet demander des explications par rapport au testament. Il a effectivement raison. Lors de l'audition, il est apparu que M. Blardone est devenu, vers la fin de sa vie, dépendant de l'aide d'autrui, notamment des services sociaux. C'est pour cela que l'Etat a un droit de préemption sur ce bâtiment, parce que M. Blardone avait des dettes. Les personnes qui sont venues nous en parler, dont je ne me rappelle maintenant plus le nom, ont expliqué que cinq ou six personnes étaient couchées à l'origine sur son testament. Il s'est avéré que l'une d'entre elles s'est occupée bénévolement de lui, faisant ses courses et lui prodiguant d'autres soins. Que s'est-il passé par la suite ? Un promoteur a réussi à convaincre M. Blardone de figurer tout seul sur le testament ! Le hic, c'est que la personne en question avait auparavant vu les papiers. Entre-temps, ces papiers ont disparu. Il semblerait qu'il n'y ait plus grand-chose à faire de ce côté-là. Mais on est quand même en face de quelque chose d'un peu douteux. Je crois donc qu'il vaut la peine de creuser. 

M. Laurent Moutinot. J'ai probablement le privilège d'être le seul parmi vous à voir plusieurs fois par jour la maison Blardone, pour la simple et bonne raison que je ne peux voir que la maison Blardone lorsque je jette un coup d'oeil par ma fenêtre !

M. Grobet m'a demandé ce qu'il en était au sujet du testament. La réponse est la suivante. La Croix-Rouge, qui était le légataire, a répudié la succession. Il en découle par conséquent que la Justice de paix a charge maintenant de trouver d'éventuels héritiers légaux. Elle a un délai, sauf erreur de ma part, d'une année pour ce faire. Si elle ne trouve pas d'héritiers légaux ou que lesdits héritiers légaux répudient la succession, l'Etat de Genève héritera de cette maison. Il va de soi que, dans la mesure où il n'y a actuellement pas de propriétaire institué de ce terrain, j'ai suspendu la requête en autorisation de construire déposée devant le département, puisqu'il n'y a plus personne pour la soutenir. Nous verrons donc, Mesdames et Messieurs les députés, si nous avons un jour un propriétaire en face de nous, avec lequel il conviendra de discuter, ou si l'Etat de Genève se retrouvera lui-même propriétaire de ce cadeau embarrassant. Pourquoi embarrassant ? Parce qu'il y a des avis manifestement contradictoires. Il y a l'intérêt de construire la ville en ville, notamment pour répondre à la pénurie de logements. Il y a l'intérêt de prendre en compte, avec tout le respect qu'elle mérite, la position de la Ville de Genève. Il y a l'aspect souvenir, parce que l'aspect patrimonial est un peu difficile à soutenir dans ce dossier. Ceux qui connaissent la maison savent qu'elle a été coupée. J'ai des photos de cette maison à l'époque de sa construction. Elle était alors rectangulaire, ce qui est assez logique. Mais lors de la construction du bâtiment voisin avec le mur d'attente, on en a mangé à peu près un quart et en travers. Il y a encore des problèmes d'urbanisme et de parcellaire foncier compliqués entre l'alignement des Plantaporrêts et l'alignement du boulevard Saint-Georges. Tout cela fait, Mesdames et Messieurs, dans l'attente de ces différents paramètres, pertinents, qui nous permettront un jour ou l'autre de prendre une décision, que je peux vous rassurer. Il ne va rien se passer dans l'immédiat, tant et aussi logntemps que nous ne savons pas qui est notre interlocuteur. Si l'interlocuteur est l'Etat lui-même, vous aurez forcément, d'une manière ou d'une autre, à vous prononcer à nouveau sur ce sujet. 

Le président. Nous allons passer au vote. Deux propositions ont été faites, celle de la commission, qui préavise en faveur du renvoi au Conseil d'Etat, et celle présentée par Mme Hagmann en faveur du dépôt sur le bureau du Grand Conseil.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées.