Séance du
jeudi 25 mai 2000 à
17h
54e
législature -
3e
année -
8e
session -
26e
séance
I 2022
M. René Ecuyer (AdG). Une fois de plus, je dois regretter que M. le conseiller d'Etat Segond ne soit pas là ! (Rires et exclamations.) Il sera informé par les journaux !
Depuis le temps que cette interpellation est inscrite à notre ordre du jour, son titre sent un peu le réchauffé ! Nous aurions pu l'intituler : «Gabegie à l'OCPA», mais ce serait aussi du ressassé, puisque c'est un titre qui a déjà été utilisé il n'y a pas si longtemps et que les problèmes, hélas, sont toujours les mêmes, pour le malheur d'un grand nombre de retraités.
Si nous avons choisi ce titre, c'était pour faire un parallèle avec l'effort consenti par le Conseil d'Etat - suivi par le Grand Conseil - afin que les policiers ne croulent plus sous les heures supplémentaires, qu'ils sont d'ailleurs dans l'impossibilité de récupérer. Au budget, nous avions ainsi renforcé le corps de police d'un certain nombre de nouveaux agents et nous nous disions, dans notre grande naïveté, que l'office cantonal des personnes âgées se verrait doté d'un grand nombre d'employés supplémentaires, pour résoudre ses énormes difficultés de fonctionnement, dont les conséquences sont désastreuses pour toute une frange de la population. Malheureusement, en matière de budget, ceux qui crient le plus fort sont les mieux servis ! On sait que, depuis le début de cette année, quelques nouveaux postes ont été attribués à l'OCPA, mais jusqu'ici nous ne constatons aucune amélioration au niveau du traitement des dossiers.
Il faut rappeler qui sont les clients de l'OCPA. Il s'agit de 20 000 bénéficiaires de l'assurance-vieillesse et de l'assurance-invalidité, soit en majeure partie des retraitées et retraités et quelques milliers d'invalides. Ce sont les «oubliés» de la prospérité, ceux qui ont connu les bas salaires, ce sont les «oubliés» du deuxième pilier, parce qu'ils ne gagnaient pas assez pour y être affiliés, ou parce qu'ils étaient artisans, ou encore parce qu'elles étaient ménagères et que le mari est parti bien trop tôt pour faire valoir un droit à une rente de veuve du deuxième pilier.
Les prestations complémentaires fédérales ont précisément été créées pour que ces gens-là soient délivrés de l'humiliation de dépendre de l'assistance publique. Ces prestations complémentaires fédérales sont devenues indispensables pour combler une lacune de taille, à savoir qu'en matière d'assurance-vieillesse la Constitution suisse n'est pas respectée. Celle-ci prévoit en effet que l'AVS doit couvrir les besoins essentiels des personnes âgées, ce qui, vous en conviendrez, est bien loin d'être le cas aujourd'hui. Et si à Genève, à Bâle et à Zurich, on a créé des prestations cantonales, c'est pour aller un peu plus loin que ce minimum fédéral garanti aux retraités, pour le relever au niveau d'un revenu minimum décent.
Cela posé, je précise que j'ai donné un sous-titre à mon interpellation : «De la carence de fonctionnement à la maltraitance». En effet, maltraitance il y a lorsqu'on fait attendre plus de dix mois un homme de 70 ans qui n'a que 571 F de rente, avec laquelle il doit payer un loyer de 250 F et l'électricité, s'il ne veut pas vivre dans l'obscurité. Dix mois d'attente, non pour obtenir un appui de l'OCPA, mais pour recevoir enfin un accusé de réception, dans lequel on lui demande de nouveaux documents, parce que les éléments qu'il a transmis au moment de sa demande sont entre-temps dépassés ! Car c'est le truc, à l'OCPA : on a tellement de retard dans le traitement des nouvelles demandes qu'on se manifeste après quelques mois en demandant des renseignements complémentaires ! Il est évident que, dans le cas cité, le vieil homme n'a plus d'assurance-maladie, qu'il se nourrit mal...
Les dossiers en attente de traitement, il y en a une grande quantité. Il faut parfois attendre des prestations un an, deux ans, voire trois ans, parce que quelques points semblent obscurs au gestionnaire en charge du dossier ! Pour un grand nombre de dossiers, soit 6% des dossiers, on a pris une décision provisoire. Les bénéficiaires reçoivent un complément correspondant au minimum fédéral, parce que l'OCPA a reconnu leur droit aux prestations, mais n'a pas encore pu entreprendre le traitement du dossier. Il y a ainsi des centaines de personnes qui, depuis deux ou trois ans, ne reçoivent pas l'appui auquel elles ont droit. N'est-ce pas de la maltraitance ?
De même, je pense qu'il y a maltraitance lorsqu'on interrompt soudainement tout versement à un invalide, parce qu'il ne s'est pas présenté au guichet de l'OCPA pour signer un papier insignifiant ! Pour lui, cela a été la totale ! On l'a convoqué le 7 août, il n'est pas venu ; on l'a reconvoqué pour le 14 août, il n'est pas venu ; enfin, le 21 août, il n'est toujours pas venu : excusez-le, il était en vacances pour un mois ! L'OCPA a alors interrompu les versements, qui constituaient l'essentiel de ses ressources, a supprimé le paiement du loyer, que l'office payait directement, et a fait interrompre le versement des primes d'assurance-maladie par le service de l'assurance-maladie. Dès qu'il est rentré de vacances, ce monsieur est allé à l'OCPA, a signé le papier en question, mais il a dû attendre - tenez-vous bien - six mois, du mois de septembre 1999 jusqu'au mois de mars 2000, pour la reprise des prestations de l'OCPA ! Six mois d'attente, en n'ayant pour survivre qu'une misérable rente d'invalidité, avec une menace d'évacuation de l'appartement pour non-paiement du loyer et des poursuites pour le paiement des cotisations d'assurance-maladie : si ce n'est pas de la maltraitance, qu'est-ce ?
Maltraitance il y a encore, quand on supprime subitement toutes les aides à une femme seule, parce qu'elle se serait absentée plus de trois mois en 1998 et plus de trois mois en 1999, et qu'on ne tient pas compte de ses explications. Vous savez qu'un bénéficiaire ne doit pas partir plus de trois mois par année, s'il ne veut pas voir ses prestations coupées. En 1998, cette dame est allée en Espagne, au chevet de sa mère qui était très âgée. Celle-ci est malheureusement décédée quelques semaines après le départ de sa fille. En 1999, sa soeur était au plus mal et elle est retournée en Espagne, pendant moins de trois mois, dit-elle, pour s'occuper des enfants pendant que leur mère était à l'hôpital. Celle-ci est décédée, laissant deux orphelins. Tout cela a été expliqué à la direction de l'OCPA, mais rien à faire ! Sans la moindre preuve d'un dépassement des trois mois d'absence annuelle autorisée, en dépit de tout esprit humanitaire, on a supprimé la moitié des revenus de cette bénéficiaire. Cela s'est passé il y a une année, aujourd'hui cette personne n'a plus d'assurance-maladie et a accumulé un retard impressionnant dans le paiement de son loyer.
Ici, je dirai à M. Segond que les victimes de ces mesures arbitraires, de ces mesures brutales, qui sont contraintes de vivre dans la misère pendant tout le temps qu'on voudra bien prendre pour traiter leur demande de prestations, ne figurent pas dans les statistiques. Ces gens ne viennent pas se plaindre à M. Segond. Par contre, toutes celles et tous ceux - il y en a dans cette salle - qui travaillent dans les centres sociaux privés ou publics, les entendent, constatent ces dysfonctionnements de l'OCPA et s'indignent des retards, des mesures injustifiées. Si on empilait le nombre d'interventions écrites de l'ensemble de ces services, si on tenait le registre de leurs conversations téléphoniques, vous seriez édifiés, en voyant le nombre de gens qui sont malheureusement en difficulté à cause de ces dysfonctionnements.
Malgré les nombreuses interpellations, motions développées dans ce parlement, malgré les autres interventions, les pétitions, les problèmes demeurent et ce sont toujours les mêmes. Les délais de traitement des demandes de prestations sont beaucoup trop longs, ils sont inadmissibles. Quelques personnes ont été engagées au début de cette année, mais nous ne constatons aucun changement, à croire qu'il s'agissait de garnir les innombrables colloques internes de l'OCPA !
En outre, la gestion des demandes est aberrante. Je vous donne un exemple : la personne en charge du dossier constate qu'il manque un document, une bricole, elle rédige une note à un collaborateur, lequel rédige un courrier à l'intention du futur bénéficiaire, dans lequel il lui donne un délai. Cette lettre est ensuite transmise pour signature au chef de service, puis à l'expédition. En tout, c'est une bonne dizaine de jours qu'il faut ajouter au délai de réponse. Mais si le gestionnaire qui a constaté l'absence du document avait demandé le document par téléphone - car il a le téléphone ! - il aurait épargné bien des difficultés au bénéficiaire.
Par ailleurs, les correspondance et les décisions de l'OCPA - je vous souhaite bonne chance si vous en avez une sous la main ! - sont toujours aussi nombreuses, sont toujours aussi compliquées et toujours aussi incompréhensibles pour le destinataire, malgré toutes les demandes formulées ici dans ce parlement. L'office prend des décisions sur la base d'interprétations parfois tellement restrictives des lois cantonale et fédérale qu'elles en sont aberrantes, notamment dans les cas de paiement d'un capital de prévoyance, ou de la prise en compte des biens dessaisis, ou encore de la prise en compte d'un salaire fictif d'un conjoint.
Il y aurait bien d'autres choses à dire, par exemple : pourquoi, à l'OCPA ne répond-on au téléphone que le matin, entre 8 h 30 et 10 h 30 ? On n'est disponible pour la population et pour les assistants sociaux que deux heures par jour ! Il vous faut écrire, si vous voulez être entendu, avec tout ce que cela comporte comme allongement de délai. C'est anormal, c'est scandaleux c'est même illégal, en fonction de ce qu'on doit aux gens d'après la loi sur les prestations complémentaires. L'organisation entière de cet office est à revoir et je pose la question : quand M. Segond s'y attellera-t-il enfin ? (Applaudissements.)
Le président. Le Conseil d'Etat répondra à la prochaine session.