Séance du
vendredi 19 mai 2000 à
17h
54e
législature -
3e
année -
8e
session -
22e
séance
M 1353
EXPOSÉ DES MOTIFS
Malgré la position claire et courageuse du Conseil d'Etat lors de sa réponse à Mme Ruth Metzler-Arnold le 5 avril dernier, M. Ramseyer, lorsqu'il a participé à la conférence nationale sur l'asile au début du mois de mai, s'est entièrement rallié à la façon de voir de la cheffe du Département fédéral de justice et police, niant ainsi également la volonté exprimée par le parlement genevois de faire en sorte que les personnes arrivées en Suisse avant fin 1995 puissent bénéficier d'une régularisation de leur séjour.
Dans sa lettre du 5 avril, le Conseil d'Etat soulignait qu'il était interpellé par "; les récentes déclarations de Mme Sadako Ogata, Haut Commissaire des Nations Unies aux réfugiés, qui estime prématuré de procéder à un rapatriement massif et précipité de tous les réfugiés de la violence en provenance du Kosovo pour ne pas mettre en péril un équilibre fragile et des structures locales encore précaires ". Tout récemment, M. Kouchner a réitéré sa demande à Mme Metzler de ne pas renvoyer prématurément les Kosovars, afin de ne pas déstabiliser la Kosove, alors qu'il faut actuellement privilégier sa reconstruction.
C'est pourquoi nous demandons que l'autorisation de séjour en Suisse soit prolongée pour les personnes des régions dont l'infrastructure sur place ne permet pas encore un accueil dans des conditions décentes, et nous appelons le Conseil d'Etat à procéder à des rapatriements tenant compte de la situation concrète en Kosove.
La déclaration qu'a faite Monsieur Moutinot dans la Tribune de Genève du 10 mai va tout à fait dans le sens de la présente motion, qui demande de traiter au cas par cas chaque dossier : "; Si nous devons contraindre des personnes à retourner dans leur pays et que manifestement cette décision est inhumaine, nous la suspendrons. (...) Nous en référerons au Haut-Commissariat aux Réfugiés avant d'appliquer une mesure qui nous apparaîtra insupportable ".
Par ailleurs, nous demandons que les personnes sous obligation de départ et qui ne se sont pas inscrites pour s'en aller ";volontairement " soient traitées de la manière la plus humaine possible. Nous voulons à tout prix éviter que ne se reproduisent les scandaleux incidents relatés dans la presse de dimanche dernier.
D'autre part, il faut absolument que les personnes autorisées à travailler et qui sont sous mesure de renvoi puissent continuer à gagner un salaire jusqu'à la date de leur départ, pour qu'elles n'aient pas à recourir à l'assistance. Il est en effet totalement aberrant de priver les gens de leur revenu en leur interdisant de travailler, tout en leur reprochant d'être dépendant et de coûter cher à notre société.
Enfin, nous réitérons avec force notre invite de la motion 1344 de légaliser le séjour de toutes les personnes arrivées en Suisse avant janvier 1996.
Au vu de ce qui précède, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer la présente motion au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Jeannine de Haller (AdG). Mesdames et Messieurs les députés, vous n'êtes pas sans savoir que les personnes originaires de Kosove et des pays avoisinants pourront être renvoyées de force dans leur pays dès le 31 mai prochain.
Après avoir subi la guerre et toutes les horreurs que cela implique, la Kosove est aujourd'hui dans un état de grande fragilité et pourrait redevenir une véritable poudrière si l'on n'agit pas avec une extrême prudence. Parmi les éléments qui contribueraient inévitablement à provoquer de nouveaux troubles, le renvoi massif, chez eux, des Kosovars qui ont fui la guerre serait une véritable catastrophe. Tant M. Kouchner, qui vit depuis un an le quotidien kosovar, que Mme Ogata, haut commissaire des Nations Unies aux réfugiés, qui sont les personnes les mieux à même de juger la situation sur place ne cessent de le répéter. Par contre, il a suffi que Mme Metzler séjourne trois jours à Pristina pour qu'elle décide, en toute sérénité et malgré les mises en garde, qu'il n'y a aucun problème à renvoyer massivement chez eux des milliers de personnes.
Nous nous insurgeons contre ce manque de clairvoyance et refusons d'obtempérer à une telle indignité. Nous savons que la situation n'est pas encore stable du point de vue de la sécurité et de l'approvisionnement sur place, que les infrastructures humanitaires, sociales, médicales et scolaires sont totalement débordées, que des villages entiers ont été rasés et ne sont pas encore reconstruits. Comment peut-on, dans ces conditions, accepter de renvoyer des personnes qui sont arrivées chez nous après avoir subi les traumatismes de la guerre ?
Le Conseil d'Etat avait écrit le 5 avril dernier à Mme Metzler pour l'appeler à la prudence et lui demander un délai supplémentaire de six mois afin de permettre aux cantons de planifier et de préparer les retours raisonnablement exigibles dans la sérénité. Il a malheureusement suffi que M. Ramseyer représente, au début du mois de mai, le Conseil d'Etat à la conférence nationale sur l'asile pour que Genève semble entrer béatement dans le point de vue de la cheffe du département fédéral de justice et police. Et cela malgré le vote par le Grand Conseil quelques jours plus tôt de la motion 1344 proposant de surseoir à l'exécution de toute expulsion contre les ressortissants kosovars qui séjournent depuis plus de quatre ans à Genève. Du reste, M. Ramseyer reconnaît ouvertement n'avoir même pas mentionné cette motion, puisqu'il entend bien ne pas en tenir compte. Suite à ces déclarations très personnelles, le conseiller d'Etat Moutinot a réagi publiquement en affirmant que, si des personnes étaient contraintes au retour alors que cette décision était manifestement inhumaine, la décision serait suspendue et soumise aux critères du Haut Commissariat aux réfugiés.
C'est dans ce sens que va également notre motion, en demandant que le cas de chaque personne arrivée après le 1er janvier 96 et se trouvant aujourd'hui sous obligation de départ soit examiné individuellement par le canton de Genève afin de déterminer si cette personne pourra vivre dans des conditions décentes en Kosove.
Nous relevons par ailleurs qu'il est totalement incohérent et absurde d'avoir écrit aux patrons des entreprises employant des personnes sous mesures de renvoi pour indiquer que l'autorisation de travail de ces personnes perdrait tous ses effet dès le 31 mai, alors que la date de leur départ n'est pas fixée. Ces personnes, en continuant à gagner leur vie jusqu'au moment de leur départ, éviteraient ainsi de devoir recourir à l'assistance. Il est en effet particulièrement aberrant de priver les gens de leur revenu en leur interdisant de travailler tout en leur reprochant d'être dépendants et de coûter cher à notre société.
Nous invitons également le Conseil d'Etat à veiller scrupuleusement à ce que les personnes sous obligation de départ et pour lesquelles le retour dans leur pays est possible soient traitées humainement et décemment. Nous voulons en effet éviter à tout prix que ne se reproduisent les scandaleux incidents relatés dans la presse de dimanche dernier.
Enfin, nous réitérons notre demande au Conseil d'Etat d'appliquer les invites de la motion 1344 et en particulier celle qui demande de surseoir à l'exécution de toute expulsion et mesure de contrainte contre les ressortissants kosovars qui séjournent depuis plus de quatre ans à Genève.
Je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette motion au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)
M. Alberto Velasco (S). Je viens de parler tout à l'heure avec M. de Vargas, membre de la Déclaration de Berne, de retour d'un séjour au Kosove, envoyé par l'OSCE, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. M. de Vargas m'a non seulement fait part des tensions politiques qui règnent actuellement sur place, et donc d'une instabilité accrue, mais il m'a aussi parlé de la situation économique. Il m'a donné une partie de son rapport et je tenais à vous faire part de ses conclusions. Il indique que « la situation économique catastrophique ne laisse prévoir aucune possibilité pour le Kosove de se passer de l'aide internationale et pousse les jeunes hommes désoeuvrés à se lancer dans des actions violentes. Pourquoi la communauté internationale ne fait-elle pas davantage pour relancer l'économie du Kosovo ? Nous sommes en plein cercle vicieux. La situation est trop instable pour encourager les investissements. Pas de développement économique, donc chômage, donc pas de perspectives d'avenir et donc instabilité. Dans ces conditions, le retour massif, plus ou moins forcé, de milliers de requérants d'asile kosovars en Suisse, en Allemagne ou d'autres pays risque d'accroître la tension interne et d'augmenter la dépendance du Kosove à l'égard de l'aide internationale. »
Je crois, Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat, que cette déclaration est importante. J'ajoute qu'il faut aussi prêter une attention particulière aux minorités du Kosove. Ces minorités font aujourd'hui l'objet d'agressions et d'exclusion. S'il y a notamment des Tsiganes parmi les personnes qui doivent être renvoyées, je prie le Conseil d'Etat de faire extrêmement attention à ces renvois-là.
M. Guy-Olivier Segond. La position du Conseil d'Etat vous est connue : elle a été exprimée par lettre à Mme la conseillère fédérale Ruth Metzler le 5 avril 2000, communiquée aux chefs de groupe.
Dans cette correspondance, nous indiquions à Mme Metzler que nous avions constaté que les nombreux délais de départ, qui avaient été impartis à des requérants d'asile kosovars déboutés, n'avaient jamais pu être respectés et qu'ils avaient toujours dû être prolongés pour des motifs indépendants de la volonté des autorités. Le Conseil d'Etat déclarait à l'époque - cela reste vrai aujourd'hui - que ce constat devait inciter à une certaine prudence dans le traitement du dossier.
Quelle est aujourd'hui la situation de la communauté kosovare à Genève ?
Il y a, tous statuts confondus, 5 122 personnes qui appartiennent à la communauté kosovare. A la suite des décisions fédérales, les personnes qui seraient sous obligation de départ au 31 mai 2000 sont environ 1 300. Les personnes qui se sont inscrites pour les retours volontaires avec aide partielle sont 659, dont 120 ont déjà quitté notre pays. Les personnes qui pourraient faire l'objet d'un renvoi par la contrainte sont environ 850. Sur ces 850 personnes, il y en a un certain nombre qui sont susceptibles de bénéficier d'un délai de départ prolongé au milieu du mois de juillet 2000 : c'est le cas de 300 familles avec des enfants scolarisés. Enfin - c'est un point important - la capacité de transport par mois accordée au canton de Genève est d'environ 50 personnes.
Quelle est alors la position du Conseil d'Etat ?
Il y a quelques semaines, le Conseil d'Etat, qui avait fait valoir dans la correspondance avec Mme Metzler que les accords internationaux nécessaires au rapatriement n'étaient pas encore signés, avait formulé un certain nombre de demandes. Les accords internationaux ont été signés dans l'intervalle. La première des conditions a été remplie.
La deuxième demande du Conseil d'Etat était qu'il y ait un délai de six mois pour conduire cette opération d'ensemble : même si cette demande n'a pas été formellement satisfaite par la Confédération, la capacité de transport limitée fait que ce délai de six mois devra, dans les faits, être prolongé.
Ensuite, le Conseil d'Etat a, par rapport aux différents types de situations, une volonté d'échelonnement : tout d'abord, pour les personnes qui appartiennent à des minorités ethniques, telles que les Rom, les Serbes du Sud, les Albanais résidant dans des zones serbes, ou pour les personnes qui appartiennent à des groupes dits vulnérables, tels que les mineurs non accompagnés, les femmes seules avec enfants mineurs sans environnement social au Kosovo, il n'y aura pas de renvoi sans un examen détaillé des situations individuelles. Il y aura prolongation du délai de départ pour toutes les familles avec enfants scolarisés. Il y aura une prolongation des délais de départ pour tous les jeunes en formation, qu'ils soient étudiants ou qu'ils soient apprentis. Enfin, les instances cantonales continueront à inciter les personnes concernées à un départ volontaire.
Sur la motion elle-même, le Conseil d'Etat vous répondra par écrit de manière plus détaillée. Sur les points principaux soulevés par votre motion, je peux d'ores et déjà vous dire ceci : il n'est pas possible d'opérer la régularisation de séjour de tous les Kosovars qui sont à Genève depuis plus de quatre ans. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'une compétence fédérale. Même si le canton, qui est consulté dans la procédure, émet généralement des préavis favorables, la décision définitive est prise par l'autorité fédérale.
En ce qui concerne les situations de renvoi, chaque situation fait l'objet d'un examen individuel. Un effort particulier est fait dans l'examen des situations des personnes qui appartiennent aux groupes vulnérables. En outre, nous avons soutenu hier, comme nous soutenons aujourd'hui et nous soutiendrons demain, le principe selon lequel les familles avec des enfants scolarisés attendent la fin de l'année scolaire en cours et que les jeunes en cours de formation professionnelle peuvent terminer leurs études.
Selon les renseignements que nous avons obtenus auprès du Haut Commissariat aux réfugiés, celui-ci n'est pas opposé aux retours vers le Kosovo, mais il souhaite que les pays d'accueil puissent continuer à accorder leur protection aux membres de certaines minorités et aux différents groupes vulnérables. Il est exact que M. Kouchner s'est prononcé contre un renvoi massif des réfugiés kosovars. Dans ses dernières prises de position, la Confédération a laissé entendre que l'ensemble de l'opération s'étendrait dans la réalité au-delà d'une année. Dans ces conditions, on ne peut pas parler de rapatriement massif par la contrainte. Les renvois seront échelonnés et se feront donc sur la base d'examens des situations individuelles, comme Genève l'avait d'ailleurs toujours demandé.
Nous continuerons à encourager les départs volontaires. Dans les choix qui devront être faits, les personnes célibataires sans emploi et les personnes arrivées à Genève le plus récemment seront probablement celles qui partiront en priorité. Enfin, quant aux personnes qui ont déjà été autorisées à travailler - c'est votre dernière question - elles pourront continuer à le faire jusqu'à la date de leur départ effectif de Suisse. Les employeurs en seront avisés par les autorités genevoises. Nous communiquerons de manière plus détaillée ces différents éléments dans la réponse écrite à la motion. Pour l'essentiel, il n'y a pas de volonté de la part du Conseil d'Etat de recourir à la contrainte pour procéder à des rapatriements massifs de personnes qui sont sur notre territoire.
Mme Erica Deuber Ziegler (AdG). Les paroles du président du Conseil d'Etat me rassurent. J'allais me lever pour vous raconter une histoire. Je vais la raconter quand même. C'est un homme qui séjourne depuis dix ans à Genève. Il est célibataire et entretient sa famille qui a été déportée dans un camp de Macédoine et qui n'a toujours pas pu regagner Pretjevo. Il a obtenu un permis de travail après trois ans de clandestinité à Genève. Il a été marchand de primeurs. Vous êtes très nombreux à le connaître puisqu'il vend des légumes au marché de Coutance et que l'on aperçoit sa tête à chaque fois que l'on monte la rue de Coutance. Je le connais à ce titre.
Il s'est adressé à moi lorsqu'il a reçu la lettre lui notifiant son départ au 31 mai. Il m'a indiqué hier que son patron avait reçu cette fameuse lettre lui interdisant de le faire travailler. Il a payé beaucoup d'argent à un avocat très cher de la place pour essayer d'obtenir un permis. Il n'y est pas parvenu. Il a décidé de rentrer chez lui, mais ce chez-lui n'existe pas encore puisque toute sa famille est pour l'instant encore en transit.
J'aimerais pouvoir lui répondre en lui rapportant les dernières paroles que vous avez prononcées, Monsieur le président du Conseil d'Etat, à savoir qu'étant depuis dix ans à Genève et même en étant célibataire, mais entretenant sa famille et ayant l'intention de rentrer, il pourra continuer à travailler au-delà du 31 mai, qu'il pourra recommencer à dormir, qu'il pourra cesser de prendre des cachets et qu'il pourra cesser de maigrir, car il a beaucoup maigri ces derniers temps tellement est grande l'angoisse de l'échéance qui se présente. Je vais le faire, puisque vous nous donnez cette assurance. Je vais néanmoins prudemment prendre les devants en vous adressant ce soir même une lettre pour vous donner ces précisions.
M. Alberto Velasco (S). J'aimerais faire une suggestion au président du Conseil d'Etat qui serait la suivante. Des familles doivent partir. Pourquoi dès lors ne laisserait-on pas le chef de famille rentrer préalablement au Kosove de façon à pouvoir préparer le retour de la famille ?
D'autre part, Monsieur le conseiller d'Etat, vous avez parlé de l'aide au départ. Je tiens à vous dire que les personnes qui rentrent aujourd'hui au Kosove doivent malheureusement, pour des raisons tenant à la situation interne, répartir cette aide au Kosove. On demande à ceux qui ont vécu en Suisse de répartir cette aide parmi les habitants du Kosove parce qu'ils étaient en Suisse, alors que ceux demeurant sur place ont lutté. Ce que je veux dire par là, c'est que l'aide au départ qu'ils reçoivent ici apparaît minime une fois qu'ils arrivent au Kosove pour les raisons mentionnées. Il est donc impératif, Monsieur le président, que l'on prenne d'immenses précautions. Et je le répète, je vous fais la suggestion de laisser les chefs de famille partir afin qu'ils préparent le retour des leurs au Kosove.
M. Guy-Olivier Segond. Dans les instructions écrites que nous donnerons aux services genevois, nous tiendrons compte dans la mesure du possible de la suggestion de M. Velasco. Sans vouloir traiter un cas particulier dans une séance plénière, Madame la députée Deuber Ziegler, je vous rappelle d'une manière générale que le programme de l'action dite « Action humanitaire 2000 » permet la régularisation du séjour de tous les Kosovars qui sont à Genève depuis au moins sept ans.
Mme Erica Deuber Ziegler (AdG). Si j'ai bien compris, cela s'applique aux requérants d'asile et pas aux personnes qui se sont installées de manière clandestine et qui ont bénéficié de permis de travail saisonniers ou temporaires suspendus après 1996. Si tel était cependant le cas, je vous remercie de me répondre.
Mise aux voix, cette motion est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1353)
pour un retour en Kosove dans des conditions humaines et décentes