Séance du vendredi 17 mars 2000 à 17h
54e législature - 3e année - 6e session - 13e séance

PL 8192
21. Projet de loi de MM. Jean-Marc Odier, Roger Beer, Thomas Büchi, Daniel Ducommun, John Dupraz, Bernard Lescaze, Jean-Louis Mory, Louis Serex, Charles Seydoux, Walter Spinucci et Pierre-Pascal Visseur modifiant la loi sur les droits de succession (D 3 25). ( )PL8192

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

La loi sur les droits de succession, du 26 novembre 1960, est modifiée comme suit:

Art. 7, intitulé et lettre a Exonérations (nouvelle, les lettres a à e anciennes devenant les lettres b à f)

Art. 17, intitulé et al. 1, 1re phrase 1re catégorie : ligne directe et descendants (nouvelle teneur)

Le tarif des droits de succession pour les enfants, pour les père et mère est fixé à :

Art. 18, intitulé et 1re phrase 2e catégorie : époux ne remplissant pas les conditions de l'article 7, lettre a (nouvelle teneur)

Le tarif des droits de succession entre époux lorsque les conditions d'une exonération totale ne sont pas remplies est fixé à :

Article 2 Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

Article 3 Disposition transitoire

Les successions ouvertes avant l'entrée en vigueur de la présente loi restent soumises aux dispositions qui étaient alors en vigueur.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Quel que soit le moment de son existence, personne n'échappe à la préoccupation de préparer sa retraite. Notre société nous y encourage puisqu'elle incite, outre l'assurance vieillesse et survivants et le fonds de prévoyance IIe pilier, à prévoir davantage par la constitution d'un IIIe pilier sous forme de capital épargne ou d'acquisition de logement.

Si la prévoyance individuelle représente un sacrifice pour ceux qui ont la volonté et la possibilité de faire l'effort d'être prévoyants, elle permet aussi de repousser l'intervention d'une assistance financière, voire d'une prise en charge par la collectivité publique. Ainsi, l'encouragement de l'Etat à la prévoyance dite individuelle tend également à réaliser un objectif social.

Pourtant, lors du décès d'un conjoint, les droits de succession imposant l'héritage de l'époux survivant pénalisent des personnes qui ont épargné consciencieusement et régulièrement toute leur vie durant.

Dans le cas où le IIIe pilier s'est constitué par l'acquisition d'un logement, l'époux survivant ne disposant pas d'autre capital peut être contraint à vendre le logement pour s'acquitter de l'impôt calculé sur la valeur de celui-ci. Ce processus est choquant et peut provoquer une déstabilisation sociale conduisant plus rapidement à la perte de l'autonomie personnelle.

L'intention de ce projet de loi n'est pas de soustraire un capital de l'impôt, puisque le prélèvement de ces droits se fait de toute manière sur la part des autres héritiers, puis au décès du deuxième conjoint. La totalité du capital reste donc frappée de l'impôt.

Lorsque les époux n'ont pas d'enfant, l'imposition du capital intervient lors du décès du deuxième conjoint à un taux beaucoup plus élevé selon le niveau de parenté des héritiers.

La suppression des droits de succession entre conjoints renforce le principe de responsabilisation que l'Etat encourage par la promotion de la prévoyance individuelle. La prolongation de l'autonomie financière et sociale de l'époux survivant engendrée par cette disposition compense à terme la diminution de recettes que l'Etat enregistre par les droits de succession.

La modification de la loi actuelle rétablit un système juste à l'égard des personnes qui ont épargné toute leur vie. Elle complète également la logique de la prévoyance individuelle incitée par l'Etat.

Nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de réserver un accueil favorable à ce projet de loi.

Préconsultation

M. Jean-Marc Odier (R). Les droits de succession sont des impôts prélevés sur la transmission de biens lors d'un décès. Dans certaines circonstances, cette imposition est totalement contraire au principe de prévoyance individuelle encouragée par l'Etat. Encourager l'épargne, afin d'assurer une indépendance financière vis-à-vis de l'Etat à l'âge de la retraite, est juste et tend à réaliser un objectif social. Dès lors, il n'est pas normal qu'en cas de décès d'un des époux l'Etat impose l'épargne que le conjoint a lui-même contribué à constituer.

Le projet de loi qui vous est présenté ce soir vise à rétablir une situation jugée particulièrement injuste à l'égard des personnes qui ont eu la possibilité d'épargner et qui ont fait cet effort pour préparer leur retraite. L'impôt vis-à-vis du conjoint survivant est particulièrement injuste et nous proposons de le supprimer. Afin de ne faire bénéficier de cette exonération que les personnes qui ont réellement participé à l'épargne, une condition que l'on retrouve dans la loi sur l'AVS est requise : le conjoint survivant doit avoir 45 ans et le mariage doit avoir duré plus de cinq ans. Si cette disposition n'est pas remplie le fait qu'un enfant issu du mariage existe au moment du décès permet également de bénéficier de l'exonération. Il ne s'agit donc pas de conditions cumulatives.

Ce projet de loi ne va pas aussi loin que certains le voudraient. Il s'agit raisonnablement d'une proposition minimale qui tient compte de la sensibilité actuelle de notre parlement, qui pourra, s'il le souhaite, élargir cette disposition à d'autres catégories. Il est vrai que, si l'on se base sur le principe d'exonérer les personnes qui ont contribué à l'effort d'épargne, les enfants y participent également de manière indirecte et l'élargissement de l'exonération à leur égard peut se justifier, cela d'autant plus que, lorsque les parents ont épuisé leurs ressources, les enfants sont soumis en principe à l'obligation d'entretien des parents.

D'autre part, compte tenu des disparités fiscales entre cantons, le fait que le taux moyen d'imposition genevois est le double de la moyenne suisse incite très probablement les contribuables à fixer leur domicile dans un autre canton, ou tout du moins à y fixer leur domicile principal. Et puis il y a des anomalies. Par exemple, dans certains degrés de parenté, le taux d'imposition est équivalent à celui qui est appliqué à l'égard de personnes sans lien de parenté, ce taux pouvant s'élever à plus de 50%.

En ce qui concerne les incidences financières pour l'Etat, cette suppression, qui ne vise que les conjoints survivants, ne représenterait probablement pas une importante diminution de recettes pour l'Etat, mais aurait certainement une importance fondamentale pour les bénéficiaires. D'ailleurs, on peut imaginer qu'à terme l'Etat s'y retrouve, puisque cette disposition peut éviter au conjoint survivant d'avoir recours d'une manière ou d'une autre aux prestations sociales de l'Etat. D'autre part, la modification de la loi inciterait à renoncer aux possibilités actuelles de se soustraire à cette imposition, soit en changeant de canton, soit peut-être en oubliant de déclarer son capital.

Ce projet de loi établit une situation juste à l'égard des conjoints survivants et permettra d'ouvrir les débats sur une adaptation nécessaire de l'imposition sur les successions en général. C'est pourquoi nous vous remercions, Mesdames et Messieurs les députés, de l'accueil favorable que vous réserverez à ce projet de loi.

Mme Marianne Grobet-Wellner (S). La proposition des députés radicaux visant l'exonération totale d'impôt sur la succession d'une catégorie d'héritiers, à savoir certains conjoints survivants, n'est pas acceptable pour les socialistes. Rien ne justifie une telle exonération par rapport aux héritiers en ligne directe. De plus, il en résulte une diminution non négligeable de revenus pour l'Etat.

Rappelons tout d'abord que Genève connaît un impôt sur les parts successorales et non pas sur la masse successorale. Cet impôt obéit aux mêmes règles que celles concernant les donations entre vifs.

Il s'agit d'un impôt spécial sur ce qui est un revenu pour le bénéficiaire, réalisé par un transfert de fortune. Son taux est progressif, tenant aussi bien compte de la capacité contributive du bénéficiaire que du degré de parenté.

La masse successorale, il faut le rappeler, est déterminée après liquidation du régime matrimonial, attribuant en général la moitié de l'acquêt en commun au conjoint survivant.

Le conjoint survivant est actuellement classé dans la même catégorie que les enfants et les parents du défunt, à condition d'avoir des enfants vivants issus du mariage ou d'avoir élevé jusqu'à l'âge de 18 ans révolus un enfant issu du mariage. Le taux d'imposition est extrêmement modeste puisqu'il est globalement inférieur à 6%. Les premiers 5000 F sont exonérés de tout impôt.

Dans les autres cas, le conjoint survivant est classé dans la deuxième catégorie. Le taux d'imposition est également modeste, allant de 7% à 11% au maximum pour la part excédant 300 000 F ; les premiers 5000 F étant toujours exonérés de tout impôt.

La proposition des députés radicaux exclut de ce cadeau - et je n'ai pas réussi à comprendre pourquoi - certaines catégories de conjoints survivants, par exemple les veuves et les veufs qui ont moins de 45 ans et qui ont «élevé, jusqu'à l'âge de 18 ans révolus, un enfant issu de leur mariage» !

Les radicaux font encore mieux, puisqu'ils proposent de les passer dans la deuxième catégorie, alors qu'ils sont dans la première ! Je n'ai pas trouvé la moindre explication, ni justification dans leur exposé des motifs.

En conclusion, le groupe socialiste est défavorable, pour ne pas dire plus, à cette proposition telle qu'elle figure dans le projet de loi.

M. Bernard Clerc (AdG). Ce projet de loi est tout à fait dans l'air du temps ; les radicaux surfent sur la vague anti-impôts que nous connaissons. Après la baisse des impôts libérale, qui coûte aujourd'hui à notre canton 300 millions par an... (Protestations.) ...après le projet de suppression du droit des pauvres, sur lequel le peuple aura à se prononcer et qui prévoit 20 millions de recettes en moins, voici un projet de loi sur les successions qui, d'après les estimations dont nous avons connaissance, ferait perdre également une vingtaine de millions à notre collectivité cantonale. Mais il n'y a pas de raison de se priver, il n'y a pas de raison de s'arrêter en si bon chemin, puisqu'au niveau fédéral aujourd'hui on prévoit de faire un cadeau de 500 millions aux banques sur le droit de timbre !

C'est à croire, Mesdames et Messieurs les députés, que les finances de notre canton sont au beau fixe et que la dette n'est pas proche des 10 milliards ! Ce projet, comme tous les autres, ressort finalement d'une volonté politique de couper encore davantage dans les recettes, pour réduire le rôle joué par la collectivité publique et aboutir à terme à une baisse des prestations à la population.

Mesdames et Messieurs les radicaux, vous ne faites que coller aux fesses des libéraux... (Exclamations et rires.) Votre argumentation larmoyante - la pauvre veuve obligée de vendre sa maison pour payer les droits de succession - ne nous convainc pas. L'administration fiscale n'a d'ailleurs pas connaissance de ce type de situation. De plus, faut-il vous le rappeler, en cas de situation particulière, qui mettrait effectivement un contribuable en difficulté, la direction du département peut toujours accorder des remises.

En fait, dans cette remise en cause de l'impôt sur les successions, on commence par la veuve, demain on continuera par l'orphelin et, enfin, on le supprimera complètement, sous couvert de l'égalité de traitement entre les contribuables...

Une voix. C'est une bonne idée !

M. Bernard Clerc. Oui, je ne doute pas que pour vous ce soit une bonne idée ; c'est bien ce que nous percevons dans ce projet de loi !

Sur le fond, l'impôt sur les successions, qui est un impôt très ancien, participe quelque peu à la redistribution de la richesse. A l'heure où les écarts de richesse se creusent fortement, aller dans le sens de la suppression de l'impôt sur les successions contribue de fait à aggraver les inégalités dans notre canton.

Vous l'aurez compris, nous sommes fondamentalement opposés à ce projet de loi, mais nous sommes prêts à en discuter en commission, pour analyser plus en détail la structure de fortune et de richesse qui compose aujourd'hui les droits sur les successions. Je pense que nous apprendrons à cet égard des choses extrêmement intéressantes !

Mme Micheline Calmy-Rey. Ce projet de loi s'inscrit dans une démarche générale de diminution des impôts. Le peuple a voté une diminution, au mois de septembre dernier, de 12% et cette baisse deviendra effective cette année, en l'an 2000. A cette baisse s'ajoute une initiative qui vient d'être lancée et qui propose de diminuer les droits d'enregistrement, afin de favoriser l'accession à la propriété. S'ajoute enfin le projet de loi qui nous est soumis ce soir.

La motivation des auteurs de ce projet de loi est d'éviter le cas douloureux où l'époux survivant pourrait être contraint de vendre un logement pour acquitter ses droits de succession. L'autre argument, c'est que ce projet de loi ne soustrait pas un capital à l'impôt et qu'en définitive l'Etat n'y perdrait rien.

A mon avis, la prévoyance individuelle est d'ores et déjà encouragée, sur le plan fiscal, par les déductions que peut opérer le contribuable, ce qui sera également le cas dans le cadre de la nouvelle loi sur l'imposition des personnes physiques.

Ensuite, deuxième point, l'administration fiscale n'a pas connaissance de cas où l'époux survivant aurait été obligé de vendre son logement pour pouvoir payer les droits de succession. Il faut à cet égard rappeler que la plupart des couples sont soumis au régime matrimonial de la participation aux acquêts. Cela signifie qu'au moment du décès il y a liquidation du régime, soit, selon le système légal, attribution du patrimoine pour 50% à chacun des deux conjoints. Dès lors, dans l'actif successoral imposable auprès du conjoint survivant, seule une moitié de l'immeuble est prise en compte pour la perception des droits. Ils sont perçus sur cette moitié d'immeuble, après déduction des créances hypothécaires, au taux de 6%.

Quant à l'argument qui consiste à dire que le projet ne soustrairait pas un capital de l'impôt, il n'est pas pertinent. Il est bien évident qu'un bien immobilier hérité de son conjoint sera à court ou à moyen terme dévolu à une autre personne, au décès du conjoint survivant. En ce sens, le capital est toujours là, mais en revanche l'Etat perd, renonce à un certain nombre de droits dans le cadre de ce projet de loi, soit à 20 millions par année environ. Savez-vous combien ont rapporté les droits de succession dans leur ensemble en 1999 : 330 millions de francs !

Alors, au-delà des positions sur le fond, Mesdames et Messieurs les députés, j'ai envie de vous dire ceci : nous avons la responsabilité d'assurer le financement des hôpitaux, des écoles, des prestations sociales, des subventions... Nous avons aussi la responsabilité de ne pas demander trop d'argent au contribuable, c'est-à-dire de ne pas prélever plus d'impôt qu'il n'est nécessaire pour le financement des prestations publiques. Je peux comprendre le mouvement général qui se lève aujourd'hui pour demander en quelque sorte une rétrocession aux contribuables, puisque ces derniers ont en effet subi des hausses de taxes ces dix dernières années, en particulier des hausses de primes d'assurance-maladie, et que, pour beaucoup d'entre eux, la situation est difficile. Mais à vouloir trop diminuer les recettes de l'Etat, on finira par perdre de vue l'intérêt général et par ne plus pouvoir prendre nos responsabilités.

Il faut quand même dire que la porte est étroite aujourd'hui, entre la nécessité de financer les prestations et le besoin qu'ont les contribuables de se voir rétrocéder une partie de l'impôt. Je vous demande donc d'être prudents et de ne pas courir après le mouvement simplement pour le plaisir, parce que les finances publiques du canton sont encore dans une situation difficile, malgré une situation bénéficiaire aujourd'hui. La dette est là - 9,6 milliards - et le poids du passé est malgré tout très lourd.

Ce projet est renvoyé à la commission fiscale.