Séance du vendredi 3 décembre 1999 à 17h
54e législature - 3e année - 2e session - 61e séance

R 402
10. Proposition de résolution de Mmes et MM. Pierre Vanek, Danielle Oppliger, Jeannine de Haller, Marie-Paule Blanchard-Queloz, Bernard Clerc, Salika Wenger, Anita Cuénod, Luc Gilly, Chaïm Nissim, Jean-Pierre Restellini, Anne Briol, Fabienne Bugnon, Esther Alder et Alberto Velasco : «Genève, zone libre de l'AMI». ( )R402

EXPOSÉ DES MOTIFS

Suite à l'échec d'intégrer la question des investissements directs à l'étranger (IDE) dans l'Accord final du cycle de l'Uruguay, des négociations ont été menées, depuis le mois de mai 1995, au sein de l'OCDE, afin d'aboutir sur un accord multilatéral sur les investissements (AMI).

L'OCDE a toujours tenu à ce que les textes provisoires de l'accord restent secrets et avait vraisemblablement l'intention de les rendre publics qu'une fois prêts à la signature. Le fait que l'organisation non gouvernementale Public Citizen s'en soit procuré une copie et l'ait diffusée, a obligé l'OCDE à un minimum de transparence.

Suite à la divulgation du contenu du projet d'AMI, une large campagne internationale contre cet accord s'est mise en place, à laquelle ont participé de nombreuses organisations non gouvernementales, comme le WWF, Public Citizen, Transnational institute, l'Observatoire de la mondialisation, Friends of the earth ou Third world network. En Suisse, près de 80 mouvements politiques, culturels, associatifs et syndicaux, se sont mobilisés et ont récolté près de 13 000 signatures contre l'AMI. Le coeur de cette campagne se trouvait à Genève.

Suite au retrait de la France des négociations, le 20 octobre 1998, l'OCDE a renoncé à poursuivre les négociations lors de consultations informelles sur l'investissement international, qui se sont tenues à Paris le 3 décembre 1998. Toutefois, à l'issue de ces consultations, l'OCDE réaffirmait avec force la nécessité de voir aboutir des règles multilatérales sur l'investissement allant dans le sens de l'AMI.

Actuellement, il est question de transférer l'AMI à l'OMC. La Suisse, lors de la quatrième réunion du Conseil général de l'OMC, a d'ailleurs déclaré « qu'il est urgent et impératif de mettre en place des règles multilatérales sur les investissements ».

Or, le projet d'AMI comprend une série de dispositions extrêmement inquiétantes. Les investisseurs à l'étranger bénéficieraient de droits et de protections extrêmement importants allant à l'encontre de l'intérêt de nombreux pays, notamment parmi les plus pauvres. Les gouvernements seraient soumis à des règles très strictes qui ne manqueront pas d'avoir pour conséquence le démantèlement de nombreux acquis sociaux qui ont été mis en place tout au long de ce siècle. Michel Bonnet, consultant au BIT, a déclaré dans un débat public sur l'esclavage : « je ne peux pas dire que je lutte contre l'esclavage des enfants si je ne lutte pas contre l'AMI »

Le Courrier, 20 février 1998

L'AMI contient une clause rendant les gouvernements responsables d'éventuels troubles intérieurs. Ainsi, un investisseur s'estimant lésé par des manifestations de citoyens, par des grèves ou tout autre procédé de réaction de la société civile, pourrait exiger du gouvernement du pays au sein duquel se seraient déroulés les troubles, des dédommagements, notamment et surtout financiers.

Par la signature de cet accord (de manière autonome ou dans le cadre du prochain cycle de négociations de l'OMC), un pays n'aurait plus l'opportunité de soutenir activement un ou plusieurs secteurs de son économie, tous les investisseurs devant être traités sur un pied d'égalité.

La mise en place de l'AMI aurait des conséquences désastreuses pour les pays en voie de développement. En effet, un grand nombre de ceux-ci, à l'instar de la Colombie, du Nicaragua, du Mexique et de la République Dominicaine, ont élaboré des lois relatives aux investissements étrangers. Celles-ci soumettent lesdits investissements à l'intérêt national et au respect de normes écologiques.

La mise en place d'un accord du type AMI aurait, pour Genève aussi, des conséquences insupportables. Il est essentiel que notre république, comme toute autre instance démocratique, puisse continuer à être libre de légiférer en matière économique. Or les restrictions qui découleraient de l'AMI mettraient de nombreuses barrières à notre liberté de décider de façon souveraine et démocratique.

De nombreuses villes, à l'instar de Seattle, ont compris le danger que représente un tel projet d'accord sur les investissements et se sont déclarées « zones libres de l'AMI et de ses clones ». Par cet acte, elles se sont engagées à ne pas appliquer les règles qui découleraient d'un tel accord.

Au vu de ce qui précède, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les député-e-s, à réserver un bon accueil à cette résolution.

Débat

M. Bernard Clerc (AdG). Chacun se souvient du round de négociations au sein de l'OCDE concernant l'accord sur les investissements, qui s'est heureusement soldé par un échec. Mais cet échec ne doit pas masquer le fait que le projet n'est évidemment pas abandonné et nous en avons l'illustration ces jours, puisqu'un certain nombre de délégations présentes à Seattle aimeraient mettre la question des investissements à l'ordre du jour des prochaines négociations.

Rappelons brièvement les enjeux en question, qui s'avèrent considérables. Le projet d'accord sur les investissements prévoit que tous les droits iront aux investisseurs et toutes les obligations aux Etats. En effet, les investisseurs pourront contester à peu près n'importe quelle mesure gouvernementale qui remette en cause leurs profits, qu'il s'agisse de mesures fiscales, environnementales, de droit du travail, de protection des consommateurs ou d'aide aux entreprises. Tous les investissements sont concernés, qu'ils soient tangibles ou intangibles, publics ou privés, les investissements dans les usines, les équipements, les patrimoines financiers, les biens immobiliers, la propriété intellectuelle.

L'échec de l'AMI à l'OCDE est le résultat d'une mobilisation à l'échelle internationale. Nous le voyons ces jours, la mobilisation contre la libéralisation prônée par l'OMC se poursuit. Les manifestations sont nombreuses un peu partout dans le monde et pas seulement à Seattle.

Cette résolution est donc très importante pour notre canton. Elle est d'autant plus importante que Genève abrite le siège de l'OMC. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, nous vous demandons de voter cette résolution. (Applaudissements.) 

M. Alberto Velasco (S). Négocié depuis 1995 dans le plus grand secret au Château de la Muette, le bien nommé siège de l'OCDE à Paris, l'AMI répondait à une seule préoccupation : la protection et le traitement privilégié des investisseurs. En fait de multilatéral, l'examen du texte a révélé une approche complètement unilatérale.

Tous les droits pour les investisseurs, toutes les obligations pour les Etats et en conséquence une perte de souveraineté de ces Etats dans bien des domaines. Destiné à devenir traité, l'accord aurait eu un statut juridique supérieur à celui des Constitutions nationales. Un pays signataire n'aurait pu s'en retirer avant cinq ans et aurait dû rester soumis aux obligations contractées pour une durée de quinze ans après avoir notifié un éventuel retrait. La définition de l'investissement aurait de surcroît été très large. Elle aurait recouvert les ressources naturelles et les terres agricoles, les entreprises de production et de services, les actifs financiers, la propriété intellectuelle et artistique. En imposant en outre la circulation sans contrôle de toutes les transactions sur toutes les Bourses du monde, l'AMI aurait ruiné définitivement tous les projets de maîtrise de la spéculation financière. Si l'AMI avait été signé à l'OCDE, ses clauses se seraient imposées non seulement aux gouvernements, mais également aux collectivités territoriales, régions, départements, communes et donc notre République. L'accord aurait donné aux investisseurs le droit de saisir une cour d'arbitrage de la Chambre de commerce, la CCI, s'ils s'estimaient lésés par la législation ou les décisions d'un Etat ou d'une collectivité locale, si une loi ou un règlement portaient préjudice à leurs profits.

Grâce à une pression internationale des mouvements citoyens, l'AMI n'a pu être signé. Pour la première fois, un traité de libre-échange, conçu au seul profit des sociétés transnationales, a été mis en échec. Enterré à l'OCDE, Dracula surgit ailleurs : ses protagonistes tentent aujourd'hui d'en implanter les clauses dans d'autres enceintes pour contourner les protestations et échapper à la surveillance des mouvements sociaux. C'est ainsi que cet accord AMI est déjà en gestation à l'OMC et vous en connaissez les conséquences par la presse.

Etrange manoeuvre ! Si l'OCDE avait été promu en 1995 forum de négociations pour l'AMI, c'est parce que les pays du tiers-monde n'en avaient pas voulu dans le cadre du GATT, devenu l'OMC ! Aujourd'hui, c'est le retour à la case départ, une nouvelle tentative pour faire reculer les droits sociaux dans les pays du Nord et pour imposer à ceux du Sud les règles sur l'investissement étranger qui les livrent encore plus aux sociétés transnationales et aux spéculateurs. Nous en avons eu un échantillon avec l'affaire des travailleurs de l'entreprise Pico à Palexpo.

S'agissant des pays du Sud, les autorités brésiliennes ont déclaré que l'accord signé avec le FMI le 2 décembre 98 pour l'obtention d'un prêt était original puisque assorti de conditions nouvelles dans l'histoire des prêts du FMI. En effet, l'une des conditions était, Mesdames et Messieurs les députés, l'acceptation des règles et des prescriptions de l'AMI !

Tenant compte de ces considérations et informations, le groupe socialiste votera cette résolution. 

M. Jean-Pierre Restellini (Ve). Je vous avouerais que, lorsque mon groupe parlementaire m'a demandé de m'exprimer sur ce sujet, je n'étais pas très chaud. Je dirais même que j'étais très tiède, pour une raison très simple, c'est qu'il ne s'agit pas d'un sujet que je maîtrise parfaitement, comme vous pouvez l'imaginer. Et puis, depuis quelques jours, comme vous le savez aussi, nous assistons à une mobilisation planétaire en réaction à ce qui se passe aujourd'hui à Seattle. Des millions, pour ne pas dire des centaines de millions d'individus, de citoyens lambda, sont en train de réaliser que le libre-échange peut aussi être un immense marché de dupes. Alors tout ça m'a requinqué et le citoyen lambda député que je suis s'est rendu compte qu'il avait aussi le droit de s'exprimer à l'occasion de ces moments historiques que nous sommes en train de vivre. Rassurez-vous ! Je n'ai en aucun cas la prétention de vous faire un quelconque cours d'économie politique, encore moins mondiale, puisque, comme je viens de vous le dire, j'en suis parfaitement incapable.

Ceci d'autant plus qu'un long discours à propos de l'AMI est à mon sens totalement superflu. Aujourd'hui, dans tous les milieux et je dirais même sur tous les bancs des parlements européens, nombreux sont ceux qui ont réalisé le risque que l'AMI faisait courir à l'ensemble de nos sociétés démocratiques. Vous savez que ce mauvais AMI a heureusement été démasqué et a soulevé de toutes parts des réactions si vives qu'il est tout simplement mort dans son oeuf. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, cet « alien » a fait un rejeton, qui s'appelle aujourd'hui le nouveau partenariat économique transatlantique et qui reprend dans les grandes lignes le même programme de déréglementation extrême au profit des grands investisseurs. En revanche, il n'est cette fois plus élaboré, comme cela a déjà été dit, au sein de l'OCDE, mais directement, et je vous le donne en mille, à l'OMC !

Alors, même si au sein de cet organisme-là, certains - dont la France qui a rejeté la première, à un niveau national, l'AMI - pensent que la voix des pays du Sud serait peut-être un peu mieux entendue, il n'en reste pas moins qu'il s'agit à nouveau de négociations de couloirs, de couloirs souterrains, sans aucune transparence démocratique et que tout un pan des pouvoirs de décisions concernant les politiques de développement national risque fort de tomber à nouveau dans les mains des entreprises multinationales, qui pourront dès lors encore mieux gérer notre société sans avoir, faut-il le rappeler, été élues pour le faire, selon leurs propres critères purement commerciaux, à mille lieues des principes écologiques les plus élémentaires.

Aussi, cette résolution qui dit simplement, en termes purement déclamatoires, j'en conviens tout à fait : «Mesdames et Messieurs les conseillers fédéraux, nous vous demandons de ne pas non plus faire confiance au nouveau partenariat économique transatlantique», eh bien, figurez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, que nous l'avons signée ! 

M. Michel Balestra (L). Ces derniers jours, nous avons effectivement beaucoup parlé des accords de l'OMC et de l'accord sur les investissements. Eh bien, voyez-vous, depuis cinquante ans - pas une année, pas deux ans, mais cinquante ans - que ce processus est en marche, avec les négociations du GATT, l'ensemble de la collectivité internationale y a trouvé son compte. Nous avons même appelé trente de ces cinquante années les Trente Glorieuses et je mets au défi quiconque dans cette salle de venir me prouver que les gens sont plus pauvres aujourd'hui qu'il y a cinquante ans, que ce soit de manière sectorielle ou de manière globale.

On se plaint sans cesse de cette globalisation et on critique en parallèle les accords de l'OMC, accords qui visent effectivement à réglementer cette libéralisation. Ensuite de quoi on se plaint du fait que cette globalisation aurait paupérisé les pays en voie de développement. En parallèle, on refuse l'idée même d'un accord sur les investissements. Eh bien, voyez-vous, Mesdames et Messieurs les députés, les organisations internationales, comme le Fonds monétaire international ou comme la Banque européenne de développement, n'ont pas suffisamment de capitaux pour aider les pays en développement à développer leurs économies. Si on veut que le processus se passe correctement, il faudra que les capitaux investis dans ces pays trouvent une certaine pérennité. Et là où, à mon sens, vous vous trompez, c'est lorsque vous imaginez qu'il n'y a que les transnationales - comme vous m'avez appris que vous les appeliez dans votre vocabulaire moderne, que nous appelons pour notre part les multinationales, mais qui, d'après ce que j'ai compris, sont les mêmes - pour investir des capitaux. Voyez-vous, les plus gros investisseurs en capitaux sont aujourd'hui les fonds de pension et les fonds de pension représentent un investissement ouvrier. Mesdames et Messieurs les députés, qui d'entre vous tolérerait que cet investissement ouvrier ne bénéficie d'aucune garantie en retour ?

Un seul des participants aux négociations de l'AMI, la France en l'occurrence, comme l'a si justement rappelé M. le député Restellini, a fait opposition au projet qui était proposé, parce qu'il ne le trouvait pas bon. Peut-être que ce projet n'est pas bon, je n'ai pas qualité pour le dire, puisque, comme vous le savez certainement, je n'ai pas été appelé, contrairement à vous, pour négocier ! Je ne me rends pas exactement compte de l'ensemble des enjeux, mais vous en parlez avec une telle certitude et une telle sécurité dans le verbe que je pense que vous y étiez... Si toutefois je me trompais, ayez l'amabilité de corriger mes propos ! En l'occurrence, le fait même, Mesdames et Messieurs, que l'opposition d'un seul participant à cette négociation puisse la faire s'arrêter pendant un moment est la preuve que cette négociation est tout à fait démocratique et qu'elle n'est ni télécommandée, ni secrète, comme certains d'entre vous essaient de nous le faire admettre.

Mesdames et Messieurs les députés, vous ne voulez pas de normes sociales ou de normes écologiques dans les accords internationaux du commerce : si ces normes sociales et écologiques étaient acceptées globalement, vous n'auriez certainement plus rien à dire et vous perdriez quelque part votre fonds de commerce. C'est peut-être pour cela que vous descendez dans la rue, nerveux à l'idée de voir aboutir des accords équilibrés à l'OMC. Si un accord équilibré sur les investissements pouvait être signé entre les différentes nations, rendant intéressants les investissements dans les pays actuellement à risques, vous n'auriez même plus le tiers-mondisme pour venir nous donner la leçon !

Vous comprendrez, vu ma propre compréhension du problème qui est légèrement divergente de la vôtre, que je ne pourrai pas souscrire à cette excellente résolution qui, je l'ai compris, vous tient à coeur, mais dont je ne partage pas l'objectif. 

M. Michel Halpérin (L). Vous venez d'entendre la conscience économique de notre groupe. Pour ma part, j'aurais voulu aller à la rencontre de M. le député lambda Restellini, mais je crois qu'épuisé par l'effort, il nous a quittés... Je voudrais le rassurer, Mesdames et Messieurs les députés, il n'est pas le seul à n'avoir rien compris. Le député alpha ou bêta Halpérin n'a rien compris non plus, ni vraiment à l'exposé des motifs, ni davantage à l'invite. J'observe simplement dans ma lecture, enfin dans mon effort de lecture, parce qu'à cette heure avancée de la nuit les yeux me tombent, que les auteurs de la résolution déclarent que «le projet d'AMI comprend une série de dispositions extrêmement inquiétantes. Les investisseurs étrangers bénéficieraient de droits et de protections extrêmement importants - il y a donc des extrêmes d'inquiétude et d'importance - allant à l'encontre de l'intérêt de nombreux pays, notamment parmi les plus pauvres». Il suffisait de le dire, encore aurait-il fallu nous expliquer en quoi, mais cela, ce n'était probablement pas dans vos ressources ou alors vous n'étiez peut-être pas autorisés à nous le révéler. Je ne sais donc pas vraiment de quoi l'on parle.

Je lis l'invite et j'ai là encore beaucoup plus de peine, mais c'est probablement à cause de mon emplacement sur l'alphabet grec ! On nous demande, Mesdames et Messieurs les députés, de déclarer la République et canton de Genève «zone libre de l'AMI et de ses clones». J'ai entendu tout à l'heure sur vos bancs quelques exclamations effarouchées à propos d'une proposition tendant à protéger les nains de jardins et voilà que vous voulez nous déclarer libres, zone libre ! Nous serons le Tanger de l'AMI, l'ancien Tanger, celui que vous avez tant critiqué autrefois ! Qu'est-ce que je découvre et qu'est-ce que j'entends avec ma modeste compréhension des choses ? J'entends et je découvre que l'on s'aperçoit enfin sur vos bancs des grands mérites de la souveraineté. Vous êtes, Mesdames et Messieurs les proposants et résolutionnaires, des souverainistes convaincus. Vous dites avec notre ami le plus cher, votre ami le plus cher, le camarade Blocher, vous dites : « Soyons entre nous, restons à l'abri des mouvements du monde, défendons-nous contre ces forces étrangères qui nous menacent d'uniformité ! » Je vous ai bien entendus, vous venez de protester contre l'AMI, contre l'OMC. La protestation ira naturellement aussi contre l'ONU, puis contre l'Union européenne, et nous resterons enfin entre nous, si bien sur cette petite terre préservée ! 

M. Alberto Velasco (S). J'aimerais répondre à M. Balestra. Ce matin, j'ai entendu à la radio M. de Pury s'exprimer au sujet de l'OMC. Et M. de Pury n'est pas, que je sache, de gauche, enfin jusqu'à aujourd'hui ! Peut-être compte-t-il changer ! Il disait que ce qui était dommage avec cet organisme, c'était son manque de transparence. Il expliquait qu'un brin de démocratie serait nécessaire à cette institution. Et ce n'est pas moi qui le dis !

Vous semblez dire que le commerce international a enrichi certains pays du Sud. Eh bien, c'est faux ! Les chiffres démontrent, et la CNUCED le démontre, que ces pays se sont appauvris. Il y a toujours un milliard ou plus d'êtres humains qui vivent avec un dollar par jour, malgré l'explosion du commerce international. Quant aux multinationales et aux transnationales, vous savez très bien, Monsieur Balestra, que les multinationales obéissaient auparavant, lorsqu'elles s'implantaient dans un pays, aux lois du pays où elles se trouvaient. C'est pour cela qu'elles s'appelaient multinationales. Aujourd'hui, avec la libéralisation des marchés, elles n'ont vraiment plus besoin d'être multinationales. Elles peuvent être transnationales, car elles dépassent largement les lois, ainsi que les us et coutumes des pays.

M. Jean Spielmann (AdG). En écoutant MM. Balestra et Halpérin, je pense qu'il est quand même utile de rappeler un certain nombre d'éléments précis par rapport à notre façon de voir les choses au niveau international et aussi la manière avec laquelle on peut utiliser le droit international et les relations entre les pays. Il y a effectivement plusieurs façons de voir les choses. Prenons les exemples cités du deuxième pilier et de la rentabilité des capitaux placés par les travailleurs et les entreprises pour préparer leur retraite. Si l'on examine attentivement ce qui se passe dans notre pays avec ces fonds du deuxième pilier - je ne veux pas revenir sur le débat relatif au problème du deuxième pilier que nous avons plusieurs fois dénoncé au niveau de l'orientation - il est clair que si l'on veut assurer une rentabilité financière à ces fonds et qu'on laisse des financiers gérer l'argent du deuxième pilier, on se retrouve immanquablement dans la situation dans laquelle se trouve la Suisse aujourd'hui. A peu près 80 % du montant des cotisations des employés destinées à leur retraite sont gérés dans ce pays par Ebner et Blocher. Les grands financiers gèrent l'argent des travailleurs et conduisent avec l'argent des travailleurs une politique allant contre les intérêts mêmes de ces travailleurs. Le problème n'est pas de savoir s'il faut rentabiliser ou non cet argent. Le problème, c'est de définir la finalité de cette politique sociale et de définir les moyens démocratiques et économiques d'intervention de la population pour conduire de manière différente la gestion des affaires publiques et la gestion de la société en général.

Que nous propose l'AMI, que nous propose l'OMC et quelles sont les orientations générales qui sont prises ? Je crois qu'il est quand même utile de dire ici qu'il y a entre nous des divergences de fond dans ce domaine. D'abord la suprématie du marché. Lorsqu'on place tout au niveau de la suprématie du marché, des questions se posent sur toute une série d'activités humaines qui échappent à notre avis aux règles du marché et qui ne peuvent pas fonctionner simplement avec les règles du marché. Je pense à toutes les exceptions culturelles, je pense à la vie culturelle des pays, je pense à la planification, l'orientation et l'organisation au niveau des grandes multinationales, multinationales qui imposent leur façon de voir. C'est tuer la créativité, c'est tuer la liberté des peuples et c'est surtout poser un grand problème par rapport à l'avenir même de ces populations et de leurs jeunesses. Privilégier la suprématie du marché dans des domaines aussi sensibles pour la vie sociale que sont la santé, la formation, les problèmes d'organisation de la société et de la démocratie, mettre en avant le marché et la seule rentabilité comme élément moteur de la société pose une série de problèmes importants.

J'ai dit dans mon discours de fin de présidence qu'il suffisait de voir les comptes bancaires. J'ai encore souligné tout à l'heure un certain nombre de dossiers que l'on reprendra au moment du rapport sur le budget. Il existe effectivement une orientation sur laquelle nous ne pouvons même pas entrer en matière.

Prenez simplement quelques chiffres ! Premièrement, la Banque nationale nous dit qu'il y a une dizaine d'années 200 millions de personnes dans le monde vivaient avec moins d'un dollar par jour. Aujourd'hui, sous l'impulsion de l'AMI et de l'OMC, l'internationalisation des marchés, empêche les gens de développer démocratiquement leur propre culture, leur propre économie et leur propre politique et il y a plus de 2 milliards de personnes qui vivent avec moins d'un dollar par jour.

Continuer dans cette orientation-là, c'est pour demain le K.-O. politique, économique et social assuré dans le monde. Je suis persuadé que l'on fait fausse route en soumettant toute la vie politique et la vie associative aux règles du marché. Il y a d'autres réalités et d'autres ambitions à prendre en compte. Il faut mettre l'homme au centre des préoccupations, faire une politique totalement différente que celle qui est mise en place par les multinationales, respecter la volonté des peuples de gérer leur propre avenir.

J'ai aussi dit dans ce discours qu'il ne nous était pas possible d'accepter sans réagir que l'on avance à reculons et que l'on retourne au Moyen Age, avec des guerres économiques et des guerres coloniales visant à imposer à des peuples des modes de développement qui n'ont rien à voir avec les réalités sociales, économiques et politiques de leurs pays. Imposer cette vue par le biais de la suprématie du marché, c'est réduire l'ensemble du monde et l'ensemble des sociétés à un marché unique, l'homme à une simple marchandise et la culture à une pub ! Et de cela, nous n'en voulons pas ! Il faut renverser la tendance, mettre l'homme au centre des préoccupations, assurer le développement harmonieux des pays du tiers-monde et ensemble trouver d'autres solutions que celles de la suprématie du marché et de la rentabilité qui nous conduisent dans un cul-de-sac. Les gens commencent à s'en rendre compte. Si l'on examine avec sérieux et attention l'évolution que nous promet le libéralisme, on constate qu'on va dans le mur. Je crois qu'il y a réellement une prise de conscience qui doit être faite. Ce parlement peut l'exprimer et doit l'exprimer à tous les niveaux.

Lorsque nous avons discuté de l'AMI et de l'OMC au sein de l'Assemblée fédérale - c'était lors de la séance extraordinaire qui s'est tenue à Genève - il y a eu une série de débats à l'ordre du jour, notamment sur l'exception culturelle, sur la possibilité d'intervenir dans le domaine politique, économique et financier de manière différente que sous l'impulsion des mécanismes sauvages du marché, dans un monde où il n'y a bientôt plus de pilote dans l'avion et où l'on est à la merci d'une crise qui jetterait tout par terre. Nous ne voulons pas de cette orientation-là et il est politiquement juste de le dire. Ce parlement est là pour exprimer la volonté d'une bonne partie de la population qui en a assez de voir la domination de la violence et ce retour au Moyen Age. Il y a d'autres orientations pour lesquelles nous nous battons ! C'est pour cela que nous voterons cette résolution ! (Applaudissements.)

M. Bernard Clerc (AdG). Je vais être bref. Lorsque j'entends M. Balestra nous expliquer en raccourci que nous avons eu une magnifique croissance au cours de ces cinquante dernières années, croissance due à la libéralisation, permettez-moi d'apporter quelques bémols ! Car ces cinquante ans doivent évidemment être découpés en tranches. L'essentiel des Trente Glorieuses que l'après-guerre a connues résultent d'une part des nécessités de la reconstruction, qui a été l'un des moteurs de la croissance, et de l'accompagnement de cette croissance par le développement de l'Etat social. Comme par hasard, si l'on examine l'évolution économique de ces cinquante dernières années, on constate que c'est à partir des années 85 - 90 que la croissance s'est ralentie partout dans le monde.

On nous dit que l'OMC vise à réglementer cette libéralisation. Eh bien, je vous donne raison ! Elle vise à réglementer. Mais dans quel sens vise-t-elle à réglementer ? Je vais vous le dire : elle vise à édicter des règles sur la manière de déréglementer ! C'est cela la réglementation de l'OMC ! C'est-à-dire fixer des normes pour obliger les parties signataires à déréglementer.

Quant aux propos de M. Halpérin, qui nous accuse en quelque sorte d'être les partenaires de Blocher, laissez-moi sourire, car s'il est un partisan de la libéralisation économique, c'est bien M. Blocher, multimilliardaire qui investit effectivement beaucoup hors des frontières de la Suisse et qui n'en a rien à foutre sur le plan économique de la soi-disant souveraineté nationale !

Voilà ce qu'il me paraissait important de souligner par rapport aux positions qui ont été avancées par le parti libéral. Je vous invite encore une fois à adopter cette résolution. 

M. Michel Balestra (L). Me voilà obligé, Monsieur le président, de répondre à M. Velasco qui m'a dit de manière très honnête et très convaincue que M. de Pury voulait plus de transparence à l'OMC. Eh bien, je partage tout à fait la position de M. de Pury ! Mais reconnaissez, Monsieur Velasco, que demander plus de transparence à l'OMC ne veut pas dire supprimer l'OMC et que M. de Pury était ce matin, comme vous l'avez dit, à la radio et non aux Etats-Unis dans la rue !

Lorsque j'entends ce débat, je suis convaincu que si nous retrouvions le débat consacré à la première Constitution helvétique, débat qui visait la suppression des frontières entre les différents cantons, si nous en reprenions les termes, nous retrouverions certains de vos arguments. Cela n'a pas empêché la Suisse de devenir un pays riche !

Mesdames et Messieurs, j'affirme que les individus sont plus riches aujourd'hui qu'il y a cinquante ans, mais cela dans les pays libéraux, car reconnaissez, Monsieur Clerc, que la croissance au cours de ces cinquante années n'a pas été aussi importante dans les pays de l'Est que dans les pays de l'Ouest ! Peut-être pourriez-vous vous poser la question, avec votre honnêteté intellectuelle habituelle, de savoir pourquoi !

L'investissement dans les pays du Sud n'est pas suffisant. J'affirme ici qu'il n'augmentera pas tant que nous n'aurons pas trouvé une solution pour le rendre plus sûr qu'il ne l'est aujourd'hui.

Mesdames et Messieurs les députés, vous avez raison ! Nous sommes six milliards d'individus sur cette planète, dont deux milliards vivent dans un état de pauvreté. Mais vous prétendez que ces deux milliards vivent dans un état de pauvreté à cause du libéralisme. Or, sur ces deux milliards de personnes, j'affirme qu'il y a un milliard deux cent millions de Chinois, qu'il y a quelques Coréens, qu'il y a quelques Cubains et que ceux-là ne sont pas pauvres à cause du libéralisme !

Une voix. C'est nul !

M. Michel Balestra. Vous serez quand même convaincu, Monsieur Spielmann, que cette réflexion en vaut bien une de votre part !

Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée au Conseil fédéral.

Elle est ainsi conçue :

Résolution(402)

Genève, zone libre de l'AMI

déclare la République et canton de Genève « zone libre de l'AMI et de ses clones » ;

invite le Conseil fédéral à s'opposer au transfert des négociations de l'AMI à l'OMC dans le cadre du cycle du millénaire.