Séance du jeudi 2 décembre 1999 à 17h
54e législature - 3e année - 2e session - 59e séance

P 1231-A
11. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition concernant la drogue au passage Malbuisson. ( -)P1231
Rapport de majorité de Mme Louiza Mottaz (Ve), commission des pétitions
Rapport de minorité de M. Jean-Marc Odier (R), commission des pétitions

Rapporteure: Mme Louiza Mottaz

Sous la présidence de M. Louis Serex, les membres de la Commission des pétitions ont examiné, les 1er et 8 février ainsi que les 1er et 8 mars 1999, la pétition susmentionnée dont la teneur est la suivante :

Pétition(1231)

concernant la drogue au Passage Malbuisson

Le Groupement des commerçants du Passage de Malbuisson vous soumet respectueusement la pétition suivante, fondée sur les art. 1 et ss de la Loi sur l'exercice du droit de pétition et les art. 167 et ss.. de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève.

Ce groupement se compose de tous les commerçants ainsi que des propriétaires d'immeubles situés dans le passage Malbuisson et à ses abords:

Horlogerie-Bijouterie FACET, 5 rue du Marché, 1204 Genève;

Joaillerie CLARENCE, 3 rue du Marché, 1204 Genève;

Boutique LE BARON, 5 rue du Marché, 1204 Genève;

MICHEL Chaussures, 5 rue du Marché, 1204 Genève;

BOUTIQUE STEPHANY'S, 3 rue du Marché, 1204 Genève;

PARIS VETEMENTS, 22 passage Malbuisson, 1204 Genève;

Horlogerie-Joaillerie KERDANIAN, 20 passage Malbuisson, 1204 Genève;

ALBERT POUGNIER, 12 passage Malbuisson, 1204 Genève;

GANT STORE, 8 passage Malbuisson, 1204 Genève;

JEAN RODIN, 15 passage Malbuisson, 1204 Genève;

MCDONALD'S Restaurant, passage Malbuisson, 1204 Genève;

CITY DISC, 19 passage Malbuisson, 1204 Genève;

MASIS JOAILLIER, 12 passage Malbuisson, 1204 Genève;

LE PORTIQUE Bijouterie Horlogerie Joaillerie, 19 passage Malbuisson, 1204 Genève;

MÖVENPICK FUSTERIE, rue du Rhône 40,1204 Genève;

Joaillerie PIAGET, 40 rue du Rhône, 1204 Genève.

La présente pétition est motivée par les faits suivants:

Il y a 10 mois, le Département de justice et police et transports a pris de mesures qui ont permis l'évacuation des consommateurs et revendeurs de drogue de la Place du Molard.

Ledit Département, n'a malheureusement pas pris en compte les effets secondaires que pouvaient avoir de telles mesures.

La scène de la drogue, depuis ce jour, s'est déplacée dans le passage Malbuisson.

Ce passage contient pas moins de 16 commerçants actifs dans des domaines aussi divers que la vente de disques, de vêtements, de chaussures ou d'articles d'horlogerie.

La quiétude du passage, sa fréquentation, sa propreté et sa convivialité sont des éléments essentiels à la survie de nos commerces respectifs.

Aujourd'hui, la bonne marche de nos affaires est gravement perturbée par la présence permanente de consommateurs et plus particulièrement, revendeurs de drogue, dans le passage. Ils y ont instauré une mauvaise atmosphère, les rixes y sont fréquentes, les chiens qui les accompagnent rôdent le long des vitrines, nos clients se disent découragés d'effectuer le passage de la rue du Rhône à la rue du Marché par Malbuisson, préférant faire un détour par la Place de la Fusterie ou la Place du Molard.

Notre passage a perdu son caractère convivial, nos commerces en souffrent grandement. Après la récession économique de ces dernières années, nous envisagions l'avenir avec espoir, mais c'était bien évidement sans prendre en considération les conséquences désastreuses des mesures prises par le Département de justice et police et transports au début de l'année.

Le passage de Malbuisson ne doit pas devenir la nouvelle scène de la drogue à Genève, au risque de provoquer la perte des commerces qui s'y trouvent actuellement.

Le Département de justice et police et transports a déjà été averti des faits depuis le printemps 1998 et relancé à maintes reprises depuis lors. Des rondes de police ont été organisées, mais sans pour autant qu'une volonté de déplacer ce trafic ne se manifeste.

La présente pétition signée par tous les commerçants du passage Malbuisson et de ses abords vise à exprimer notre colère et notre inquiétude face à:

la situation actuelle intolérable;

l'inaction coupable des autorités concernées;

la menace directe sur notre avenir économique.

Nous concluons à ce que le Grand Conseil, après lecture du rapport de la Commission des Pétitions, renvoie la pétition au Conseil d'Etat en l'invitant à prendre des mesures concrètes, immédiates et efficaces pour mettre fin à cette situation inacceptable.

N.B. : 15 signatures

Groupement des commerçants du Passage Malbuisson

p.a. M. Georges Di PasquaHorlogerie-Bijouterie Facet5, rue du Marché1204 Genève

Travaux de la commission

Audition des pétitionnaires en la personne de Mme et MM. Rose-Marie Fournier, administratrice de sociétés, René Haus, propriétaire du magasin Gant store et Georges Di Pasqua, gérant de l'horlogerie-bijouterie Facet, membres du Groupement des commerçants du Passage Malbuisson

M. Di Pasqua explique que les pétitionnaires ont tous des commerces situés dans le Passage Malbuisson. Depuis une année ils sont confrontés au stationnement d'un nombre important de dealers et de drogués dans le passage. Après avoir été chassés de la place du Molard, ils se sont regroupés devant le Grand Passage (actuellement Globus). De là aussi ils ont été repoussés et maintenant ils sont au passage, mais les commerçants n'en veulent pas. Ce problème engendre une désaffection de la clientèle et par conséquent une baisse de leur chiffre d'affaires. Outre la perte financière, certains des commerçants ont eu des altercations verbales, même physiques avec des drogués. Lui-même a entrepris une procédure judiciaire suite à une altercation physique.

M. Di Pasqua considère que les commerçants n'ont ni l'appui de la police, ni celui de l'Etat. Pour lui les autorités ne sont pas conscientes du problème et ne veulent pas prendre les mesures efficaces. Plusieurs fois il a écrit à M. Ramseyer, mais les réponses de ce dernier à ses courriers ne le satisfont pas. De plus, lorsqu'un commerçant appelle la police, celle-ci n'intervient que 20 mn après l'appel. Pour faire face à ce laps de temps qu'ils jugent trop long, les commerçants ont engagé un service de sécurité privé. Mais ils estiment qu'ils ont le droit d'être protégés par la police et que payer des policiers présents devant leurs vitrines ne serait pas trop cher pour l'Etat.

Pour M. Haus, le centre-ville est important pour la Genève touristique et internationale. Comme M. Di Pasqua, il s'interroge sur le fait que Genève soit la seule ville en Europe à tolérer des drogués dans son centre. Dans la période actuelle, nous dit-il, le problème des drogués est récurrent. Il n'est pas possible de faire disparaître ce fléau d'un coup de matraque. Le recours à une police privée a rassuré les clients et les commerçants. Mais leur action est limitée, car elle n'a aucun moyen d'intervention. Il estime qu'il ne faut pas chasser les drogués pour les repousser ailleurs. Mais la police doit intervenir pour les désécuriser et faire éclater le marché.

Mme Fournier fait part de sa peur, en tant que femme, d'être accostée et agressée par un jeune homme à l'allure patibulaire. Bien qu'elle pense que ces personnes ne présentent pas un danger réel, un passant peut ne pas se sentir en sécurité en les voyant ; il peut se demander s'il ne va pas se faire agresser. Elle considère que le Groupement des commerçants ne peut résoudre le problème de la drogue à Genève mais que la Ville doit gérer ses drogués comme d'autres problèmes. Pour elle, l'état de ces gens est inquiétant et elle pense qu'une association devrait s'occuper d'eux. Mais elle ne sait pas si ces personnes veulent rentrer dans une association. Elle estime que si deux policiers étaient présents dans le passage, les drogués ne viendraient plus. Elle demande alors aux commissaires pourquoi M. Ramseyer ne paye pas cette police ?

Audition de M. Pierre-Yves Aubert, Equipe de prévention et d'intervention communautaire (ci-après : EPIC)

M. Aubert explique que l'EPIC travaille sur un mandat du DASS et de l'office de la santé. De plus, il collabore avec le Bus Prévention Sida qui comprend deux éducateurs de rue. Leur première tâche consiste à mener et regrouper des observations régulières sur ce qui se passe à Genève, notamment sur le nombre de consommateurs de drogue. Par rapport à la pétition, M. Aubert note qu'étant donné l'aspect de la scène de la drogue à Genève et les conditions du marché, la drogue est impossible à éradiquer complètement. Dans l'ensemble, il a observé que la scène de la drogue se déplace sur la rive droite. Les 50 à 100 personnes qui se disséminaient entre la place Longemalle et la place Bel-Air se dirigent, maintenant, vers la gare. La police est très présente sur ces lieux. La semaine précédant son audition, il a noté qu'il y avait plus de policiers que de consommateurs sur ce tronçon.

En réponse à un commissaire, qui demande si l'EPIC a été contactée par les pétitionnaires, M. Aubert répond que non. Historiquement, ajoute t-il, il y a eu des demandes formulées par un ou des commerçants de la place du Molard. Mais elles se sont très vite soldées par des arrêts d'intervention. L'EPIC pousse les gens à s'organiser entre eux. C'est un travail de longue haleine et le partenariat avec les commerçants est difficile, mais il est possible avec la police municipale.

Finalement, M. Aubert relève que plus le temps est froid, plus les passages sont fréquentés.

Audition de Mme Patricia Theurillaz, sous-brigadier du poste de Rive et M. J.-B. Lagger, chef de la brigade des stupéfiants

Mme Theurillaz conteste que d'aucun puissent dire que le Passage Malbuisson soit un coupe-gorge. Certes, c'est un endroit sensible car il est très fréquenté par beaucoup de jeunes attirés par des établissements tels que le Mc Donald's ou City Disc. Mais la gendarmerie y dénombre très peu d'agressions. Ce passage est un lieu de rencontre, il y fait chaud. De plus, aucun article de loi n'interdit de discuter sur la voie publique. Les gens sont libres, malgré leur accoutrement bizarre qui peut susciter la crainte des passants ou des commerçants, de rester à cet endroit tant qu'ils n'obstruent pas le passage. Si les toxicomanes n'ont rien d'illicite sur eux et que leurs papiers sont en ordre, la police ne peut les arrêter. Elle précise aussi que les toxicomanes présents dans le passage ne sont pas violents et qu'à la vue d'une patrouille de police ils se dispersent gentiment. Il est vrai qu'ils reviennent un moment après mais la police ne peut rien contre ça. Cette dernière est toujours intervenue sur un appel et des patrouilles sont effectuées régulièrement mais elle ne peut rester présente dans ce lieu en permanence. Les vigiles engagés par les commerçants assurent cette permanence et elle estime que leur collaboration est positive.

M. Lagger commence par rappeler que la brigade des stupéfiants a été créée en 1971. Cela correspond à l'apparition de la drogue en ville. De 1971 à 1993, le phénomène de la drogue s'est déplacé, en partant du parc La Grange, d'un bout à l'autre des rues basses. Il y avait de 50 à 300 toxicomanes abandonnés socialement et médicalement. Les overdoses étaient en moyenne de 35 par année. Grâce à l'introduction de la politique suisse de la drogue dite politique des 4 piliers, 1993 a vu la disparition de grandes concentrations de toxicomanes, telles que celles du café Espresso ou de Plainpalais. Mais il subsiste encore quelques fixations, comme celle du passage. Dans ce lieu, il y a entre 5 et 21 personnes présentes de 10 à 21 heures. Il note que c'est un petit groupe qui ne présente pas de danger particulier et que c'est l'endroit où il y a le moins d'arrachage de sacs ou de petits vols. En France, nous dit-il, dans de tels passages, les vitrines seraient brisées. Genève est la seule ville de cette taille où il n'y a pas de racket, de pègre. De plus la corruption des fonctionnaires est inexistante. Les trafiquants ne sont pas protégés. C'est ce qui explique en partie que Genève, après Helsinki, soit la deuxième ville la plus sûre d'Europe. Et il relève, à l'instar de Mme Theurillaz, que la stratégie qui consiste à provoquer l'insécurité des trafiquants en dispersant les toxicomanes et en les encourageant à se faire soigner, parfois en les menant eux-mêmes au centre de soins de la rue Verte, porte ses fruits. Et d'ajouter que la police ne voit pas, au Passage Malbuisson, les toxicomanes qui fréquentent ce centre. Ce dernier donne dans l'ensemble de bons résultats.

Audition de MM. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat, président du DJPT et Guy-Serge Baer, commandant de la gendarmerie

M. Ramseyer nous informe qu'il y a en moyenne 6 à 8 personnes présentes dans ce passage et qu'elles sont bien connues des services de police. La présence de ces gens n'engendre pas de problème sur la voie publique. En 1998, la police a dénombré 2 altercations (entre les toxicomanes et un commerçant), 13 vols à l'astuce (ce qui n'est pas un mode opératoire des toxicomanes), à la tire, etc. 11 contraventions, 0 cambriolage, 0 surdose et 0 overdose. Il insiste sur le fait qu'il n'y a pas de trafic de drogues au Passage Malbuisson. Pour la police, la situation du passage est identique à celle d'autres endroits du canton. En été, ces gens se déplaceront au Jardin Anglais. Le problème se réglera tout seul. Mais il tient à souligner que la police n'est pas inactive pour autant et qu'il ne se désintéresse pas des problèmes des commerçants. Bien que la police ne puisse être partout, M. Ramseyer rappelle que la situation genevoise est bonne. Que les synergies entre la police publique et les polices privées sont fréquentes et efficaces. De plus, la collaboration de ses services avec les milieux sociaux fonctionne.

Pour M. Baer, le Passage Malbuisson n'est pas une nouvelle scène ouverte de la drogue à Genève. Par rapport à d'autres secteurs, tels ceux autour de la gare, de Saint-Gervais, des Pâquis, le problème du Passage Malbuisson est mineur. A cet endroit, la police est confrontée d'une part à un problème saisonnier, comme ce fut le cas au Passage des Lions, et d'autre part au nombre de commerces et à leur diversité. C'est un endroit très fréquenté où tout le monde se rencontre et doit apprendre à vivre ensemble. Plus la mixité sera grande, plus les gens devront s'entendre. Il n'est pas possible d'exclure les uns par rapport aux autres, à moins de créer des ghettos. La police intervient sur appel et fait des rondes afin d'éviter un abcès de fixation à cet endroit. Sa présence sur le terrain est réelle. Pour M. Baer, il n'y a pas péril en la demeure comme semble l'indiquer le point de vue subjectif des pétitionnaires. La police genevoise est celle de tous et pas seulement celle de quelques-uns.

Audition de MM. Fabien Piccand et Christophe Polese, coopérative Delta 9.

De concert, MM. Piccand et Polese précisent qu'ils s'occupent de drogues douces, ce qui est un peu en dehors du problème soulevé dans la pétition qui touche plutôt les drogues dures. Néanmoins, en tentant de contrôler la distribution du chanvre, ils ont pu remarquer que la scène ouverte du chanvre a diminué après 4 ou 5 mois d'expérience. Après 7 mois la scène de l'usine, place des Volontaires, n'existait plus. Il s'agit d'une conclusion qui peut aussi, peut-être, être établie avec la drogue dure. Pour eux, la solution au problème des commerçants se trouve dans l'élargissement de l'accès aux programmes de distribution d'héroïne sous contrôle de l'Etat. Car, non seulement cela réduirait le marché noir mais permettrait aux toxicomanes de ne plus être dépendants d'un milieu marginal. Ils considèrent qu'en terme de santé publique on parvient à de meilleurs résultats. La plupart des personnes qui suivent un programme d'héroïne baissent leur consommation et accèdent ainsi à un meilleur niveau de qualité de vie.

Discussion

Au cours de la discussion, la commission dans son ensemble s'est déclarée sensible à l'inquiétude des commerçants. Mais, en regard des demandes formulées par eux à l'égard de l'Etat, il a été majoritairement décidé de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, non dans un esprit de négation des problèmes des commerçants mais dans un esprit de poursuite de dialogue et de tolérance à l'égard de personnes qu'il s'agit de réinsérer et non d'exclure de notre collectivité en niant leur existence.

De fait, et au fil des auditions, il est apparu que la situation catastrophique décrite par les pétitionnaires n'était pas observée et confirmée, sur le terrain, par les services de police et sociaux. Par contre ces mêmes services ont mis en avant les effets positifs de la politique, en matière de drogue, dite des 4 piliers.

Mise en oeuvre dans notre canton dès 1993, cette dernière comprend quatre volets : la prévention, la thérapie, l'aide à la survie et la répression. Cette stratégie porte ses fruits. Mais c'est un travail de longue haleine et comme l'a relevé un pétitionnaire, M. Haus « il n'est pas possible de faire disparaître ce fléau d'un coup de matraque »

D'autre part, « chasser » les toxicomanes d'un quartier de la ville à l'autre a été une stratégie qui ne s'est révélée ni souhaitable ni efficace.

Dès lors nombre de commissaires ont été convaincus que l'action de notre police et des services sociaux, sans être toute puissante, était bien réelle et la plus adéquate possible.

Vous comprendrez donc, Mesdames et Messieurs les députés, que la décision de la majorité de notre commission a été prise mûrement, sans déni des difficultés de quiconque, mais avec la conviction que des réponses simples et autoritaires ne peuvent toujours être données à des problèmes complexes.

Votes

Le dépôt sur le bureau de la pétition est acceptée par 8 oui (2 AdG, 3 S, 2 Ve, 1 DC) et 6 non (1 DC, 3 L, 2 R).

Au bénéfice des explications qui précèdent, la majorité vous recommande, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre la même conclusion.

RAPPORT DE LA MINORITÉ

Rapporteur : M. Jean-Marc Odier

La proposition de la majorité de la commission de déposer la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement n'étant pas acceptable, le présent rapport de minorité vous expose les raisons qui motivent la proposition de renvoi au Conseil d'Etat.

Audition des pétitionnaires

Depuis environ deux ans s'est installé un point de vente de drogues dures à l'entrée du Passage Malbuisson - rue du Marché. Ce point de vente conduit à l'attroupement quotidien entre 10 heures et 21 heures d'environ cinq à dix individus, parfois vingt.

Par leur attitude permanente d'attente (parfois assis sur le trottoir), par leur allure négligée, ces individus ne passent pas inaperçus. Si des personnes peu perspicaces ne comprennent pas qu'il s'agit d'un point de vente de drogue, la plupart des passants se rendent compte de l'atmosphère particulière, peu avenante et peu rassurante de la zone. Il n'est assurément pas nécessaire de démontrer que la clientèle des commerces des Rues Basses évite désormais le Passage Malbuisson et contourne cette zone.

Cette situation est réellement préjudiciable aux commerçants de ces lieux. Déterminé à résoudre le problème, le Groupement des commerçants du Passage Malbuisson a dû mandater une police privée pour assurer la sécurité à cet endroit. L'autonomie légale d'action d'un service privé de sécurité étant strictement limitée à la surveillance et à une présence dissuasive, le rôle escompté n'est de loin pas atteint. Malgré les dépenses importantes des commerçants pour sécuriser cette zone d'accès public, le marché de la drogue continue à s'activer aux abords des magasins sous les yeux impuissants des vigiles.

Après de vaines tentatives de discussions entre commerçants et dealers pour demander à ces derniers de s'éloigner, ou lorsque des transactions sont matériellement constatées, la tension monte, l'agressivité apparaît et il est fait appel à la police qui n'intervient que vingt minutes après. Certains dealers sont embarqués puis relâchés trois fois dans la même journée. Ce faisant, les dealers ne craignent plus l'intervention de la police et sont confortés dans leur position dominante des lieux, redoublant d'intensité les menaces à l'encontre de commerçants.

Constatant l'aggravation de cet état de fait préjudiciable, les commerçants se plaignent de la situation auprès du chef du DJPT, M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat, qui ne peut donner de réponse au problème et fait remarquer que la police ne peut pas faire plus. Face aux échecs successifs pour régler le problème, les commerçants saisissent l'autorité politique par une pétition.

Déroulement des travaux

Dès le premier tour de table des avis exprimés par les commissaires, une divergence fondamentale apparaît sur la suite à donner aux travaux de la commission.

Pour l'auteur du présent rapport comme pour la minorité de la commission par la suite, la situation du Passage Malbuisson est inadmissible, scandaleuse et nécessite dans un premier temps une réaction politique rapide. Dans un second temps, la commission pourrait travailler sur le problème de fond de la drogue.

Tel n'a pas été l'avis de la majorité qui a souhaité immédiatement élargir le débat. La commission a ainsi auditionné :

M. .

. .

M. M. J.-B. Lagger, chef de la brigade des stupéfiants ;

M. Gérard Ramseyer, président du DJPT, M. Guy Baer, commandant de la gendarmerie ;

MM. Fabien Pican et Christophe Polese, coopérative Delta 9.

Manque de volonté du DJPT dans la recherche d'une solution

Bien que l'ensemble des auditions ait été d'un grand intérêt en apportant de nombreux éléments de compréhension sur la drogue en général, les inquiétudes des pétitionnaires n'ont pas été prises en considération, y compris de la part du DJPT chez qui on constate un manque de volonté certain.

« Aucun article de loi n'interdit de discuter sur la voie publique tant que les personnes n'entravent pas les piétons » précise Mme Theurillaz. Pour M. Baer, « il n'y a pas péril en la demeure comme semble l'indiquer le point de vue subjectif des pétitionnaires », tandis que pour M. Ramseyer, « la plainte des pétitionnaires est légitime. Ils ont raison, il faut les entendre, mais la police n'est pas prête à faire beaucoup plus que ce qu'elle fait déjà ».

Ce laxisme n'est pas normal et il est d'autant plus intolérable lorsqu'il a pour effet de nuire au commerce, surtout en ces temps économiquement difficiles.

Situation sociale injuste voire anarchique

D'un côté, des commerçants exercent une activité économique légale, se soumettant à toutes les obligations légales et apportant des ressources financières à notre Etat. D'un autre côté, des individus se regroupent pour pratiquer une activité illégale, la vente de drogue, aux effets destructeurs pour notre société induisant d'énormes coûts sociaux et de santé.

Comprenons bien qu'il n'est pas reproché à notre société de ne pas réagir au phénomène de la drogue. Au contraire, bien que la solution miracle n'ait pas été trouvée, notre société engage à juste titre d'importants moyens pour enrayer ce fléau. Elle a raison, il est de son devoir et de notre responsabilité à tous. Cependant, afin d'accomplir sa mission sociale, l'Etat collecte des contributions publiques. Si l'Etat requiert la contribution des commerçants, ces derniers doivent être en mesure d'exercer librement leur activité économique. Or, dans le cas présent, leur activité économique est perturbée par une activité illégale que les autorités ne sanctionnent pas. Si l'Etat ne veut pas prendre de mesure d'ordre public, l'évolution de ce genre de situation est à craindre et pourrait prendre une tournure incontrôlable. En effet, suggérer aux commerçants de s'assurer les services d'agences privées de sécurité est faire preuve d'une hypocrisie coupable, tant la capacité légale d'intervention de ces agences est limitée. Le laxisme de l'Etat et la nature du terrain sont propices au développement d'organisations parallèles de protection de commerçants aux méthodes efficaces mais illégales.

Pistes envisageables

Observons qu'il existe un règlement du Conseil d'Etat sur la propreté, la salubrité et la sécurité publiques (F 3 15.04). En sachant que celui-ci contient un article 32 interdisant les entraves à la circulation et permettant explicitement à la police d'agir en cas de perturbation ou de scandale sur la voie publique (art. 32, al. 2), il pourrait être imaginable de prévoir une disposition similaire permettant à la police d'agir en cas de perturbation sur la voie publique (même en dehors d'une entrave à la circulation) ou de troubles de l'activité économique.

Par ailleurs, un arrêt du Tribunal cantonal zurichois du 2 juin 1998 (publié dans Blätter für zürcherische Rechtsprechung 98 (1999), fascicule 1, page 16, cas no 3) établit la responsabilité du propriétaire du fonds sur lequel un trafic de drogue s'établit (en l'occurrence la Ville de Zurich) en raison des nuisances subies par les voisins (commerçants). Cet arrêt, entré en force de chose jugée, se base sur les art. 679 et 684 CC, qui donnent à tout propriétaire ou locataire d'un bien-fonds atteint ou menacé d'un dommage le droit d'exiger la fin des nuisances et éventuellement des dommages-intérêts.

Conclusion

En conséquence, nous demandons au Conseil d'Etat de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation préjudiciable aux commerçants du Passage Malbuisson et de manière générale aux commerçants genevois.

Nous vous prions donc, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir soutenir le présent rapport et de renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat.

Débat

Mme Louiza Mottaz (Ve), rapporteuse de majorité. J'aimerais rappeler que l'article 3 de notre constitution garantit la liberté individuelle. C'est un droit constitutionnel qui s'applique dans notre cas de figure et qui implique que chacun dans ce canton puisse déambuler où bon lui semble. A ma connaissance, le passage Malbuisson est un lieu public qui, par définition, est ouvert à tous. Par conséquent, quelle que soit sa tête ou son accoutrement, assis ou debout sur le trottoir, à l'arrêt ou en marchant, discutant seul ou avec d'autres, n'importe quel individu a un libre accès au passage. Le fait d'être toxicomane n'exclut pas de ce droit. Et c'est bien ainsi que l'entend aussi la police quand elle dit qu'elle ne peut rien faire s'il n'y a pas délit. Dieu merci, dans notre République, être en groupe n'est pas un délit, être différent non plus !

En décidant de déposer cette pétition sur le bureau du Grand Conseil, la majorité de la commission n'est pas indifférente aux difficultés des commerçants, mais elle ne souhaite pas non plus voir Genève quadrillée par des forces de police supplémentaires, appliquant un autre droit, plus proche d'un régime totalitaire, pour ce qui est de l'ordre sur la voie publique. Genève a toujours donné l'exemple de l'ouverture, de la lutte contre l'exclusion et nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de changer cet état d'esprit. Il n'y a pas de personnes à chasser de Genève, mais des personnes à aider dans Genève !

M. Jean-Marc Odier (R), rapporteur de minorité. Faut-il se pencher sur le problème des commerçants et sur l'entrave à l'exercice de leur activité, ou devons-nous étudier le problème des toxicomanes et de la drogue en général : telles sont les deux approches complètement différentes qui ont séparé les commissaires dans leurs travaux.

La minorité de la commission ne remet pas en question la politique en matière de drogue, qui a largement démontré ses effets positifs. Cependant, il lui semble anormal que la scène de la drogue porte préjudice à l'exercice d'une activité économique et que le département chargé du maintien de l'ordre n'ait démontré, lors des auditions, aucune réelle volonté de rétablir la situation.

Mme la députée rapporteuse de majorité conclut son rapport en expliquant que la majorité de la commission a pris sa décision dans un esprit de tolérance à l'égard de personnes qu'il s'agit de réinsérer. Je comprends le sentiment humanitaire et social qui l'anime et que je partagerais volontiers si nous ne devions tenir compte de deux points. Le premier, à propos de la tolérance : on peut difficilement parler de tolérance dans des circonstances créant tort et préjudice à autrui. Quant à la nécessité de réinsérer ces personnes, je partage entièrement ce point de vue, mais je doute que le passage Malbuisson soit particulièrement propice à la réinsertion ! Les personnes se trouvant à cet endroit n'ont justement pas pris la voie de la réinsertion.

La problématique de l'accroissement des délits n'est pas simple et la police ne peut être partout. Par contre, si par la force des choses elle néglige sa mission de maintien de l'ordre, il est à craindre que d'autres organismes de protection ne s'installent, avec les risques et conséquences que l'on peut imaginer. Comme l'a dit le commandant de la gendarmerie, la police ne peut pas non plus être plus près des uns que des autres. Ainsi, le vote de cet objet ne concerne pas seulement ce lieu, le passage Malbuisson ; c'est aussi un vote indicatif pour des situations similaires qui se développent ailleurs, comme à la gare par exemple.

Notre Conseil peut-il se résigner à déposer la pétition à titre de renseignement et montrer ainsi à la population genevoise que son parlement n'entend pas s'opposer à des scènes de la drogue portant préjudice aux commerces du centre-ville ? Ce serait faire preuve d'un laxisme coupable. C'est pourquoi je vous invite à soutenir la proposition du renvoi au Conseil d'Etat.

M. Régis de Battista (S). Comme vous avez pu vous en rendre compte à la lecture du rapport, la commission des pétitions s'est nettement divisée. La majorité, qui vous propose de la déposer sur le bureau du Grand Conseil, ne veut en aucune manière dénigrer la pétition, mais elle tient par contre à souligner la nécessité de poursuivre le débat sur la toxicomanie. Lors de ces discussions, nous avons constaté que les mesures de prévention devaient être mieux appliquées et qu'il était nécessaire de collaborer avec les spécialistes de la prévention, qui travaillent à des solutions globales, ici à Genève.

A la lecture du rapport de minorité, vous constaterez que les commissaires voudraient demander au département de justice et police de faire des interventions plus brutales. Malheureusement, ce n'est pas si simple, car cette politique de répression a déjà montré ses limites et ses échecs. Toutes les auditions, sauf celle des pétitionnaires, montrent qu'il est nécessaire de trouver des solutions en amont du problème, que s'il y avait répression à l'égard des personnes qui fréquentent le passage Malbuisson, ces dernières se déplaceraient dans d'autres lieux où la police ne pourrait plus exercer les contrôles qu'elle essaie d'exercer. Je vous rappelle que la politique du canton depuis 1993, c'est : prévention, thérapie, aide à la survie et répression. Par conséquent, il est ridicule d'envisager les propositions des commissaires de la minorité, à savoir d'appliquer le règlement sur la propreté, la salubrité et la sécurité publiques.

Concernant les commerçants, il est clair qu'ils éprouvent des difficultés et on peut comprendre leur situation. Mais il est également vrai qu'il n'y a pas eu de démarches de leur part auprès d'organismes qui s'occupent de ces toxicomanes, comme nous l'a confirmé M. Pierre-Yves Aubert, de l'EPIC. Ils n'ont pas fait d'autres démarches que celle de demander un renfort policier ; il n'y a pas eu une forme de concertation pour voir, par exemple, qui étaient ces personnes, comment elles pouvaient être traitées et grâce à quel système de prévention on pouvait trouver des solutions.

Pour toutes ces raisons, je vous prie donc, Mesdames et Messieurs les députés, de suivre le rapport de majorité, en déposant cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Mme Nicole Castioni-Jaquet (S). Je pensais que ce sujet allait engendrer une discussion plus importante et je suis navrée de parler directement après mon collègue socialiste... Monsieur le président, quelqu'un d'autre a-t-il demandé la parole ? Non ? Alors les bancs socialistes vont mobiliser la parole ! Mais je serai succincte, rassurez-vous, puisque mon collègue de Battista a déjà dit bien des choses.

J'ai lu avec attention le rapport de minorité et les propositions que vous nous faites, Monsieur Odier, mais, s'agissant des solutions, je n'en ai pas trouvé. Ma question est en fait de savoir ce que vous entendez par intervenir d'une façon plus efficace dans le passage Malbuisson, si ce n'est de façon plus musclée. Ceci pour dire que, si nous sommes d'accord sur le fond, au niveau de la forme nous avons quelques problèmes. Les commerçants ont le droit d'exercer leur activité sereinement et sans être dérangés, mais la solution n'est pas évidente, elle est beaucoup plus complexe que vous voulez bien le dire dans votre rapport.

Je voudrais par ailleurs relever un point de détail du rapport, mais qui a son importance. Dieu sait si j'apprécie votre travail en règle générale, Monsieur Odier, mais là j'ai quand même quelques difficultés. Vous parlez de dealers, alors que dans sa déclaration en commission M. Ramseyer dit qu'il n'y a pas de trafic de drogue au passage Malbuisson. Je me demande donc si vous n'avez pas utilisé le mot de dealer à dessein, pour donner une connotation beaucoup plus négative au débat. En effet, qu'y a-t-il de plus désagréable, de plus répulsif qu'un dealer ? Dans le rapport de majorité, je vois que M. Ramseyer dit qu'il n'y a pas de trafic de stupéfiants au passage Malbuisson : ce ne sont donc pas des dealers, ce sont des toxico-dépendants ou des toxicomanes, si vous préférez. Je voulais quand même relever ce point, parce qu'il est assez révélateur.

Dans votre rapport, Monsieur le rapporteur de minorité, vous nous dites qu'il faut prendre «les mesures nécessaires pour remédier à la situation préjudiciable aux commerçants». Mais quelles sont ces mesures ? On sait que la politique des quatre piliers - prévention, thérapie, aide à la survie et répression - donne des résultats tout à fait intéressants et je ne suis pas convaincue que faire intervenir la police en masse soit la solution qui va remédier au problème. Quand vous parlez de scène de la drogue, Monsieur Odier, de quoi s'agit-il exactement ? La scène de la drogue, ce n'est pas vraiment ce qu'on peut voir au passage Malbuisson, même si je comprends que cela gêne les commerçants, qui ont le droit, je le répète, d'exercer leur activité sereinement. Ceci pour dire qu'il ne faut pas employer des mots qui sont injustifiés, comme dealers ou scène de la drogue, car c'est une façon un peu démagogique de parler d'un sujet si délicat.

Effectivement, la réinsertion ne se fait pas au passage Malbuisson ; on ne peut pas parler de réinsertion dans un tel lieu de passage. Il est vrai aussi que la cohabitation avec des toxicomanes est tout à fait désagréable et préjudiciable. Cela dit, je ne peux vous suivre au niveau des solutions. Sur les problèmes de toxicomanie, nous sommes tous d'accord ; c'est sur les solutions que nous divergeons. Aussi, je vous demande, Monsieur le rapporteur, de bien vouloir expliquer un peu mieux quelles sont vos solutions. A part cela, comme l'a dit mon préopinant, nous suivrons les conclusions du rapport de majorité de Mme Mottaz.

M. Gilles Godinat (AdG). L'expérience genevoise est très riche en la matière. L'EPIC a montré, dans sa pratique aux Pâquis, qu'il était possible de faire dialoguer commerçants, marginaux, toxicomanes et éducateurs de rue. Si nous faisons confiance aux professionnels, qui ont déjà su trouver des aménagements qui relèvent non pas d'une politique laxiste coupable, mais d'une politique responsable s'appuyant sur les piliers mis en place dans ce canton, je pense que nous serons sur la bonne voie.

M. Luc Barthassat (PDC). Comme l'a dit M. Odier, il semble qu'on se soit quand même un peu trompé de débat, concernant cette pétition : on parle beaucoup des drogués, on parle peu des commerçants ! N'oublions pourtant pas que ceux-ci vivent dans notre canton et y paient des impôts, qu'ils font connaître notre ville, qu'ils la font gagner, travailler.

Ce genre de concentration au centre-ville, avec tous les problèmes qui en résultent, est anormale. Certains disent qu'il n'y a pas de violence, qu'il n'y a pas de trafic de drogue. On a pourtant retrouvé des emballages et dans les journaux, quelque temps après la fin des travaux de la commission, on a pu lire qu'il y avait eu des agressions, dont une au couteau. C'est dire qu'il y a quand même eu quelques problèmes. Il est vrai que, malgré toutes les institutions qui existent, il n'est pas facile de déplacer ces gens, mais je crois que pour les commerçants du centre-ville, qui font leur travail, la situation est intolérable. Et ce sans parler de la clientèle ni du fait que, l'hiver arrivant, ces personnes vont toutes venir se mettre au chaud dans le passage Malbuisson, comme toujours à la même période. Les fêtes de Noël arrivent, les gens se baladent et certaines choses peuvent mal tourner.

Il n'est pas normal que les commerçants doivent avoir recours à des polices privées. Leur présence tranquillise, mais ces polices privées n'ont pas les pouvoirs d'intervenir comme il le faudrait à certains moments. Le ton monte, la violence peut augmenter rapidement. On a parlé de scène de la drogue et ce n'est peut-être pas le terme approprié, mais la situation peut aussi évoluer très vite dans le mauvais sens. Alors, je dirai simplement que Genève doit soutenir ses commerçants et la police doit le faire aussi !

M. Jean-Marc Odier (R), rapporteur de minorité. J'aimerais répondre à Mme Castioni qu'il y a effectivement des dealers au passage Malbuisson, qu'il y a bien des personnes qui achètent et vendent de la drogue.

Vous me demandez, Madame, quelles sont mes solutions. Mais vous-même avez-vous trouvé, quelqu'un a-t-il trouvé les réponses au problème de la drogue ? Est-ce ce soir que nous allons les trouver ? Je ne le pense pas. Je dis simplement que dans ce débat nous devrions surtout penser aux commerçants et essayer de faire en sorte qu'ils puissent exercer leur activité en toute liberté, sans subir un préjudice à cause d'un problème social. Dans ce sens, j'apprécie les propos modérés de M. Godinat : il n'y a en effet pas de solutions toutes faites, elles se trouvent dans la rue, on peut en discuter. Mais ce n'est vraiment pas la position que le département a adoptée en commission : ce dernier s'est contenté de dire que la police ne pouvait pas faire plus et qu'elle n'en ferait pas plus !

Cela dit, je pense qu'une possibilité serait de modifier le règlement sur la propreté, la salubrité et la sécurité publiques - c'est le Conseil d'Etat qui peut le faire - et d'adopter une disposition qui permette de faire circuler les personnes arrêtées sur la voie publique qui gênent les activités économiques. Je rappelle à cet égard l'arrêt du Tribunal cantonal zurichois dont on parle à la page 14 du rapport. A Zurich, qui a connu la même situation, les mêmes problèmes, mais en beaucoup plus grave, les commerçants ont tenu la Ville de Zurich pour responsable parce qu'elle ne faisait rien et ils ont eu gain de cause devant le tribunal cantonal.

Je suis tout à fait conscient qu'on ne va pas résoudre le problème de la drogue, il n'a jamais été question de cela en commission, mais nous devons prendre en considération les commerçants et faire en sorte qu'ils puissent exercer leur activité correctement, sans être gênés.

Mme Nicole Castioni-Jaquet (S). Je réagis à ce qu'a dit M. Barthassat tout à l'heure, à propos des commerçants, qui paient des impôts, et des toxicomanes, qui seraient nuisibles, qui ne serviraient à rien, qu'il faudrait, à la limite, détruire... (Exclamations.) C'est ce que vous avez dit, Monsieur Barthassat !

Votre discours est excessif et je vous renverrai aux propos de mon collègue Gilles Godinat, qui expliquait que le travail devait se faire en profondeur, avec les travailleurs sociaux, avec les personnes qui sont proches de ces milieux. Il ne faut pas généraliser, il ne faut pas donner une image excessive de la situation. Par rapport à la solution à laquelle vous pensez, je me réfère à l'exemple de La Rochelle. A La Rochelle, le maire radical-socialiste Michel Crépeau avait décidé de mettre à l'extérieur de la ville tous les marginaux, que ce soient les mendiants ou les toxicomanes. Malheureusement, son expérience a été vouée à l'échec, il s'est rendu compte très rapidement que ce n'était pas une solution. C'est en l'occurrence ce que vous proposez, à savoir que la police soit beaucoup plus présente, qu'elle soit beaucoup plus répressive et qu'elle pousse les toxicomanes à l'extérieur du centre-ville. C'est vrai que cela arrangerait les commerçants - qui sont effectivement au centre de cette pétition, nous ne l'avons pas oublié - mais le problème serait simplement déplacé.

Nous divergeons donc sur la solution, nous ne pensons pas que la solution soit de mettre les toxicomanes à l'extérieur. Il faut essayer d'instaurer au centre-ville même, peut-être même au passage Malbuisson, une collaboration, un dialogue entre les commerçants, les personnes marginales et la clientèle des commerces.

M. Albert Rodrik (S). Je trouve qu'on parle avec un peu trop d'approximation de ce qui fut pendant vingt ans une grande partie de mes activités. Aussi, vous permettrez que je précise quelques points.

Les commerçants ont le droit d'exercer leur activité en paix ; les toxicomanes sont des citoyens qui peuvent stationner au passage Malbuisson, ou ailleurs ! Ils peuvent déranger, nous devons prendre en considération ce que disent les commerçants, mais pas au détriment des droits des citoyens. Voilà pour la première chose.

Deuxième chose : avant de parler de laxisme de la police, on doit essayer de savoir ce que, dans ce domaine, la police fait. Genève est probablement un des rares endroits au monde où la police est partie prenante, partenaire à part entière d'une politique de la drogue intégrée. Quand on sait cela, imprimer, après je ne sais combien de séances de commission, que la police est laxiste, c'est une responsabilité qu'on ne doit pas prendre. Parler de scène ouverte de la drogue, quand on sait ce qu'ont été les vraies scènes de la drogue dans ce pays, c'est là un vocabulaire qu'on n'a pas le droit d'utiliser. Il n'y a pas d'équivalent de ce que le commun des mortels, en langue française, appelle une scène ouverte de la drogue à Genève, à Malbuisson ou ailleurs ! Il y a, à Genève, une série de dispositifs participant d'une politique intégrée, voulue par le Conseil d'Etat, qui allie les soins, la prévention et la répression dans un concert dont on connaît peu d'équivalents. Il y a donc des vocabulaires qu'on ne peut pas utiliser.

Ensuite, comme ce pays reconnaît depuis plus de quinze ans que la loi fédérale sur les stupéfiants est dépassée, mais qu'il est loin de s'être mis d'accord sur la manière dont il faut la réviser, on demande à la police, depuis le jeune gendarme jusqu'au haut de la hiérarchie, de l'appliquer tout en ne l'appliquant pas mais en l'appliquant quand même, d'être intelligent, de voir large tout en n'étant qu'un agent d'exécution de la loi ! Alors, montrez-moi beaucoup de polices au monde qui soient capables de faire cela à journée faite ! Je ne dis pas cela pour tresser des couronnes à la police, mais avant d'utiliser des vocables et des vocabulaires approximatifs, il faut faire attention !

M. Luc Barthassat (PDC). Je répondrai à Mme Castioni que je ne suis pas un exterminateur, que je ne suis pas là pour éliminer les drogués mais pour éliminer les places où l'on trafique de la drogue ! Quant au travail en profondeur dont vous avez parlé, je pense pour ma part qu'on ne pourra pas le faire au centre-ville, encore moins au passage Malbuisson.

M. Gérard Ramseyer. Décidément, ce soir, c'est magnifique : il faut des gendarmes dans les postes, dans les patrouilles, derrière les trams, derrière les cyclistes, et maintenant au passage Malbuisson... (Exclamations.) J'aimerais donc vous dire tout de suite, Mesdames et Messieurs, que si, dans quinze jours, vous votez plus de cent postes de gendarmes supplémentaires, j'en serai ravi !

Plus sérieusement, j'en viens aux faits. Le 18 juin se sont réunis dans mes bureaux les commerçants du passage Malbuisson, la police et des représentants de mon département. Nous avons ainsi appris qu'entre le 12 avril et le 16 juin les gendarmes étaient passés 150 fois dans ce lieu, c'est-à-dire au minimum trois fois par jour, et qu'ils ont prié 123 personnes de ne pas stationner dans ce passage couvert. C'est donc une activité très dense et très soutenue. Entre le 1er et le 31 août, les gendarmes ont procédé à de nombreux contrôles. Ils ont décidé cette fois-ci de s'installer vingt minutes par jour dans le passage Malbuisson, ceci du lundi au samedi. Ils ont procédé en un mois à 40 contrôles d'identité et ont effectivement dressé cinq contraventions pour infraction à la loi fédérale sur les stupéfiants.

Nous avons recontacté les commerçants au début du mois de septembre. Ils ont eu l'amabilité de préciser qu'à leur sens la situation s'était améliorée. Nous avons évidemment conservé un oeil attentif sur le passage Malbuisson : le poste de Rive et le PGM, cher à l'une des députées socialistes, sont chargés de cette surveillance. Nous avons également suggéré aux commerçants de prendre quelques mesures, en leur indiquant que certaines d'entre elles étaient très efficaces ; ces mesures ont été prises, les commerçants eux-mêmes s'y sont attachés.

De ce que je viens de dire, il ressort clairement que le problème est réel et que nous travaillons à en atténuer les effets avec, semble-t-il, déjà un certain succès. C'est pourquoi, si la terminologie de M. le député Odier me paraît quelque peu excessive, je reconnais volontiers que sa préoccupation est légitime et le remercie de son intervention.

Le président. Mesdames et Messieurs, nous votons tout d'abord les conclusions du rapport de majorité, qui vous propose le dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Ces conclusions sont mises aux voix.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

Les conclusions du rapport de majorité de la commission des pétitions (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées par 39 oui contre 30 non.