Séance du
jeudi 2 décembre 1999 à
17h
54e
législature -
3e
année -
2e
session -
59e
séance
R 407
EXPOSÉ DES MOTIFS
La décision du Conseil fédéral du 25 août dernier, contre la volonté de la majorité des gouvernements cantonaux et contre l'avis des oeuvres d'entraide, de prolonger à un an l'interdiction de travail pour les requérants d'asile et les personnes admises provisoirement, est particulièrement choquante. Nous regrettons vivement l'attitude du Conseil fédéral, qui a fait fi de l'avis des magistrats cantonaux dans un dossier aussi délicat.
Cette décision, fondée sur l'article 9, al. 2 de la loi sur l'asile, révèle la politique d'asile contradictoire pratiquée par le Conseil fédéral et sa peur permanente face aux revendications de la droite dure. Alors que de nombreux réfugiés du Kosovo souhaitent rejoindre leur pays le plus rapidement possible, alors que le nombre de demandes d'asile décroît continuellement, se référer au droit d'urgence est non seulement contestable du point de vue juridique mais également peu digne de foi d'un point de vue politique.
De plus, la position du Conseil fédéral, qui prétend lutter contre le travail au noir et la délinquance en interdisant aux personnes réfugiées de prendre un emploi avant un an, est très contestable. Plus proches du terrain, les représentants des cantons ont expliqué, lors de la conférence nationale sur l'asile, qu'une pareille interdiction favorisait justement le travail au noir aussi bien que la petite délinquance.
Nous souhaitons donc que les cantons ayant manifesté, dans le cadre de la procédure de consultation, leurs craintes de devoir assister au développement du travail au noir et de la petite délinquance, puissent se démarquer de la décision prise par la majorité du Conseil fédéral. Nous demandons que ces cantons puissent développer sereinement une politique basée sur l'intégration et le développement de mesures actives d'occupation des réfugiés, plutôt que sur l'exclusion.
En espérant que vous réserverez un accueil positif à notre proposition, nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à renvoyer cette résolution directement au Conseil d'Etat.
Débat
Mme Myriam Sormanni (S). Prolonger de neuf mois l'interdiction de travailler faite aux requérants d'asile - au lieu des trois mois qui étaient en vigueur jusqu'au 26 août 1999, date à laquelle une majorité du Conseil fédéral a décidé cette prolongation - n'aura pour conséquence qu'une forte augmentation du travail au noir de la part des réfugiés.
Alors que je travaillais auprès de réfugiés kosovars en juillet 1997, dans un poste de protection civile, l'un des résidents s'est mis à travailler au noir huit jours après son arrivée à Genève. D'autres ont commencé au bout de trois semaines. J'eus beau leur expliquer l'illégalité dans laquelle ils se mettaient, ils n'en avaient cure. Rien n'y fit, ni le fait de n'avoir aucune couverture sociale si un accident survenait, pas plus que le risque de se faire pincer par la police. L'appât du gain était plus fort, et être assistés par la Confédération tout en touchant de l'argent pour une activité rémunérée ne leur posait pas de problème.
Nous, députés, avons voté une motion contre le travail au noir. A ce titre donc, il nous faut oeuvrer auprès des autorités fédérales pour leur demander d'accepter un régime d'exception pour les cantons qui le désirent, particulièrement pour le canton de Genève, afin d'accorder à nos requérants d'asile la possibilité de pouvoir travailler au bout de trois mois. Si tel n'était pas le cas, le délai actuel aura pour effet de faire augmenter la petite délinquance : racket, vol, trafic de drogue, en vue de gagner quelque argent supplémentaire. C'est pourquoi, Mesdames et Messieurs les députés, en acceptant cette résolution visant à réduire le délai - délai d'un an qui est beaucoup trop long - vous réduirez par la même occasion les frais d'assistance aux réfugiés et le travail au noir.
Mme Fabienne Bugnon (Ve). On peut se poser la question de l'utilité d'une consultation des gouvernements cantonaux par le Conseil fédéral, si c'est pour ne pas tenir compte des résultats ! Prolonger l'interdiction de travailler faite aux requérants d'asile revient à les marginaliser toujours plus, revient à favoriser le travail au noir, revient à créer des situations d'oisiveté, facteur de tension... (Brouhaha. Le président réclame le silence.) ... revient à créer des situations d'oisiveté, facteur de tension, d'ennui, de difficultés d'intégration, voire, dans de rares cas, de délinquance.
Nous ne pouvons, Mesdames et Messieurs les députés, tenir deux discours : d'une part, nous féliciter de la reprise des activités économiques et d'une diminution régulière du chômage et, par ailleurs, exclure du monde du travail une catégorie importante de notre société constituée par les requérants d'asile. Nous ne pouvons pas non plus entendre une frange importante de la population, relayée par certain parti populiste, accuser les requérants d'asile d'être à la charge de l'assistance publique et, dans le même temps, empêcher ceux qui le souhaitent et qui en ont la possibilité de s'assumer.
L'ordonnance relative à une interdiction de travail de durée limitée pour les requérants d'asile et les bénéficiaires de l'admission provisoire du 26 août 1999 est inadmissible. Elle met une fois de plus à l'index l'une des catégories les plus fragilisées de notre société. Nous nous devons d'appuyer le refus de notre gouvernement en acceptant à l'unanimité que cette résolution soit adressée sans délai aux Chambres fédérales.
Mme Janine Hagmann (L). Brièvement, je vous dirai que notre groupe adhère à cette proposition de résolution et qu'au-delà de notre groupe le parti libéral suisse, réuni en assemblée des délégués au mois d'août, s'est penché en détail à cette occasion sur la question de l'asile en général et plus particulièrement sur le travail des requérants d'asile.
Nous partageons l'avis des résolutionnaires, tant sur les considérants que sur l'invite. En effet, le nombre de requérants d'asile qui pourraient, grâce à un travail qui leur serait accessible, contribuer à leur propre prise en charge et, le cas échéant, à celle de leur famille, justifie encore à l'heure actuelle cette résolution. Dans cette situation, une possibilité de travailler officiellement et légalement est non seulement garante de dignité, mais aussi le meilleur rempart contre la petite délinquance et le travail au noir, comme le souligne la résolution, ainsi que contre la mendicité et la dépression.
Malgré notre réticence habituelle à déposer des résolutions, dans ce cas-ci c'est donc bien volontiers que nous voterons son renvoi au Conseil d'Etat, en espérant que les mesures prises dans le sens demandé interviendront rapidement et pour le mieux des requérants d'asile et des citoyens de notre canton dans leur ensemble.
M. Pierre Marti (PDC). J'interviens en tant que cosignataire du projet de résolution qui vous est soumis et non en tant que porte-parole du PDC.
J'aimerais particulièrement et brièvement insister sur le fait que l'interdiction faite aux réfugiés de prendre un emploi avant un an a des conséquences directes sur l'augmentation du travail au noir dans notre canton. Comme vous le savez peut-être, les partenaires sociaux des métiers du bâtiment ont mis sur pied depuis une dizaine d'années un dispositif contre l'économie souterraine, afin de lutter contre les distorsions de concurrence et de sauvegarder la paix sociale. Deux contrôleurs paritaires, qui seront bientôt renforcés par une troisième personne, interviennent sur les chantiers et dans les ateliers pour vérifier que les activités qui s'y déroulent ne violent pas les obligations légales et conventionnelles en matière de cotisations sociales, de salaires et de conditions de travail. Leur mission consiste aussi à s'assurer que les travailleurs sont au bénéfice des autorisations de séjour et de travail requises.
Or, il ressort des nombreux rapports d'enquête remis aux commissions paritaires des métiers concernés que le nombre de requérants d'asile actifs dans la construction à Genève n'est pas négligeable. Souvent, ils viennent d'ailleurs d'autres cantons suisses, et la plupart proviennent de l'ex-Yougoslavie. Qu'on le veuille ou non, cette main-d'oeuvre d'appoint est utile aux entreprises, il faut donc ne pas se voiler la face et admettre ce phénomène. L'interdiction de travailler pendant une année a généralement pour conséquence d'exposer ces personnes au risque d'être engagées par des entreprises sous-traitantes peu scrupuleuses, qui cherchent à échapper à leurs obligations en matière de salaires et de prestations sociales. En les autorisant à travailler après trois mois de séjour en Suisse, les autorités cantonales encourageraient la transparence et permettraient de faire d'une pierre deux coups : autoriser les entreprises locales signataires des conventions collectives de travail à occuper légalement et au grand jour ces personnes, et enrayer des pratiques d'exploitation que les partenaires sociaux réprouvent.
Cette dérogation serait particulièrement appréciée par les entreprises du gros oeuvre qui, heureusement, sont prêtes à engager quelque 350 travailleurs au printemps prochain, pour répondre enfin à la demande en hausse. La mesure visée par cette résolution permettrait, certes très modestement, de normaliser quelques cas, voire d'offrir quelques postes de travail supplémentaires à des requérants souhaitant être occupés plutôt qu'oisifs, souhaitant pouvoir démontrer leur volonté de retrouver leur dignité humaine, en participant activement à leurs besoins financiers et à ceux de leur famille. C'est la raison pour laquelle je vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à voter cette résolution.
Mme Anita Cuénod (AdG). Trois mois, six mois, maintenant douze mois... Bientôt deux ans, trois ans, ou plus : sous prétexte de non-attractivité, on restreint un droit fondamental de l'être humain, celui de subvenir à ses besoins. Entre l'assistance, le travail au noir et la délinquance, la marge de choix est étroite, mais je suis sûre que ce Grand Conseil, à l'image de la population genevoise, soutiendra cette résolution et ses invites.
M. Pierre Froidevaux (R). Le parti radical constate avec satisfaction que le Conseil d'Etat a tenu compte de la sensibilité de ce parlement lors de la procédure de la consultation en demandant que le travail des réfugiés puisse être agréé le plus rapidement possible. Nous constatons donc que la compréhension, les positions exprimées pour l'accueil des réfugiés, dans cette Genève internationale où nous sommes habitués à les recevoir, que cette sensibilité est parfaitement exprimée. Aussi, le parti radical comprend le sens de cette résolution.
Cependant nous devons ajouter un bémol. La volonté manifestée par les auteurs de cette résolution est d'instituer une particularité à Genève, en demandant que les cantons qui ont accordé aux réfugiés la possibilité de travailler puissent l'accorder en dérogation du droit fédéral. Or, ceci rendrait Genève un peu plus attractive et porterait préjudice à la politique générale de la Confédération. Aussi avons-nous adopté la liberté de vote vis-à-vis de cette résolution.
M. Gérard Ramseyer. Dans le cadre de la procédure de consultation, le canton de Genève s'est effectivement montré critique face à cette mesure en estimant qu'elle n'atteindrait pas les résultats escomptés. Cela étant, une grande majorité des cantons - sauf erreur vingt-trois sur vingt-six - se sont prononcés ultérieurement en faveur de l'interdiction de travailler faite aux requérants d'asile et aux bénéficiaires de l'admission provisoire, pour une période déterminée. Et c'est fort de ce soutien massif que le Conseil fédéral a édicté une ordonnance que tous les cantons doivent respecter. Elle est entrée en vigueur le 1er septembre 1999 et est applicable jusqu'au 31 août 2000. Ce sont donc des directives fédérales que le canton doit bien entendu respecter.
Je tiens encore à apporter une précision : la durée de l'interdiction de travail pour les requérants d'asile entrés en Suisse après le 1er septembre 1999 n'est pas d'une année. Cette prohibition est effective jusqu'au 31 août 2000, ce qui signifie par exemple que, pour un requérant d'asile entré en Suisse le 1er mars 2000, l'interdiction de travailler n'est que de six mois. Cela étant, nous transmettrons fidèlement la résolution à Berne.
Mise aux voix, cette résolution est adoptée. Elle est renvoyée au Conseil d'Etat.
Elle est ainsi conçue :
Résolution(407)concernant la prolongation de l'interdiction de travailler faite aux requérants d'asile
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
la décision prise le 26 août 1999 par la majorité du Conseil fédéral de prolonger à 1 an l'interdiction de travailler pour les requérants d'asile et les personnes admises provisoirement ;
l'opposition exprimée par la majorité des gouvernements cantonaux, et en particulier par le canton de Genève, face à cette mesure inopportune ;
les risques évidents d'augmentation de travail au noir et de délinquance qu'entraînera une telle interdiction ;
les impacts négatifs que l'inactivité des requérants créent au sein de l'opinion publique, augmentant ainsi la tendance à la xénophobie ;
l'augmentation des coûts d'assistance qu'induira cette décision ;