Séance du
jeudi 18 novembre 1999 à
17h
54e
législature -
3e
année -
1re
session -
51e
séance
M 1096-A
Suite du débat
M. Charles Beer (S). La motion que nous avons à traiter semble a priori pétrie de bon sens et semble même d'une touchante naïveté. J'ai presque envie de dire qu'il ne suffit pas d'enfoncer des portes ouvertes, encore faut-il prendre de l'élan ! Mais l'acte de la motion est-il pour autant si naïf ? Eh bien, je dois dire que, sans adhérer pleinement au discours du rapporteur de minorité - s'il relève des points tout à fait exacts sur les multinationales, il caricature et donne une importance trop grande à celles-ci dans la discussion - il n'en demeure donc pas moins que cette motion n'est pas tout à fait innocente. Elle laisse penser que l'université se retrancherait derrière un certain nombre de barricades pour éviter les contacts avec la Genève économique, ce qui est particulièrement faux et ce qui est tout simplement grave. La démarche de cette motion consiste à dire que les problèmes d'emploi et les problèmes d'inadéquation entre la formation et le marché du travail, s'il y en a, relèvent de la responsabilité de l'université. Je crois que l'on ne peut pas tout à fait laisser passer des choses comme cela et se rapporter au simple bon sens qui pourrait être déduit de la première lecture, naïve, de cette motion.
J'en viens maintenant à un autre élément, à une autre dimension, qui me semble manquer un tout petit peu dans les deux rapports. Ce sont respectivement les questions de l'importance de la formation académique et de l'importance de la formation professionnelle. Nous verrons plus loin dans l'ordre du jour que ces questions reviennent.
Il existe deux filières. Une filière va d'un côté jusqu'aux HES et une filière va de l'autre côté jusqu'à l'université. Il ne faudrait pas aujourd'hui, sous prétexte de revalorisation de la filière professionnelle, ce qui est souhaitable en soi, que l'on en vienne à dire que l'université devrait se transformer en école professionnelle. Parce que l'on n'a finalement pas pris beaucoup de précautions à ce propos pour éviter cet écueil. Mais, je le concède volontiers à Mme de Tassigny, l'invite de la motion ne va pas jusqu'à dire cela. Elle dit qu'il faut créer au minimum vingt emplois. Je m'excuse, mais cette création de vingt emplois, c'est tout simplement ridicule, parce qu'il y a bien plus de vingt emplois qui sont créés et qui sont le fruit d'universitaires embauchés dans les sociétés multinationales. Et vingt, à partir d'hier, d'aujourd'hui, de demain ? Est-ce que c'est un résultat que l'on peut fixer ? Comment sera-t-il évalué ?
Je crois que l'on a voulu dire ici, après avoir pris de l'élan et enfoncé la porte ouverte, qu'il y a, au bout du chemin, la conquête du Graal et vingt emplois à la clé. Mais ce n'est tout simplement pas sérieux de l'affirmer dans ce contexte.
Il est vrai que l'on n'a pas toujours le même sens du réalisme que M. Nissim, mais je déplore pour ma part que l'on oublie, dès que l'on saupoudre un peu de développement durable dans les motions, quelques principes de base, comme cette question de l'attrait de l'université qui est malgré tout évident par rapport aux sociétés multinationales.
Je ne suis pas très à l'aise avec un discours visant à caricaturer les sociétés multinationales, même si leur logique est bien celle démontrée par le rapporteur de minorité. Mais je dois dire que jeter le discrédit sur l'université en se faisant le petit télégraphiste des sociétés multinationales n'est pas la position du groupe socialiste. C'est pourquoi nous voterons quand même le rapport de minorité.
Mme Martine Brunschwig Graf. Je crois qu'il faut tout simplement remettre la motion à la place où elle doit être - je parle de la motion telle que l'a votée la commission. Je vous rappelle tout d'abord que nous inaugurerons et présenterons demain à la presse la cellule Uni-emploi, qui est une collaboration entre l'office d'orientation professionnelle du département de l'instruction publique et l'université.
Au-delà de ce débat, j'aimerais quand même vous dire que ce que prévoit la motion, telle qu'elle est libellée, n'est pas vraiment différent de ce que toute université ou école polytechnique normale fait, à savoir trouver des plates-formes et des lieux de rencontre qui offrent véritablement, entre les entreprises qui cherchent des diplômés et des diplômés qui cherchent un emploi, un chemin naturel qui permette aux uns et aux autres d'atteindre leurs objectifs.
Je crois qu'aucun d'entre vous ne peut s'opposer à l'idée qu'un diplômé trouve du travail à la sortie de l'université, pas plus qu'aucun d'entre vous ne peut s'opposer à l'idée que des multinationales - qui souhaitent rester sur le sol européen, notamment dans la région lémanique, pour éviter les délocalisations - puissent trouver dans la région où elles s'implantent les collaboratrices et collaborateurs dont elles pourraient avoir besoin pour des postes à haute valeur ajoutée. Il me semble que personne dans ce Grand Conseil ne peut logiquement et sainement s'opposer à une telle démarche, parce que même les plus enclins à blâmer les multinationales ne peuvent que saluer les efforts entrepris dans ce but. Les cadres européens souhaitent véritablement que les centres de décisions restent en Europe, en Suisse notamment et pour beaucoup dans la région lémanique. Il est donc aussi du devoir de la région de se préoccuper de favoriser la rencontre des entreprises avec ceux que l'on forme et qu'elles pourraient engager. Cette motion ne propose rien d'autre que cela. Je peux vous dire à titre de comparaison que l'université de Lausanne ou l'école polytechnique fédérale sont beaucoup plus présentes et beaucoup plus actives dans ce domaine. Il est donc naturel de mettre en place un forum qui n'accueille pas seulement les étudiants en sciences économiques, mais l'ensemble des étudiants, et qui permette véritablement à ceux-ci de s'insérer.
Si l'on considère Uni-emploi comme étant l'un des éléments de l'une de nos institutions - je précise cela pour M. Beer et sa légitime préoccupation pour les hautes écoles spécialisées - je crois que cette mission peut être considérablement et facilement remplie. Ceci dit, il y a effectivement un malentendu dans le libellé de la motion, malentendu qui cause probablement quelques distorsions dans le débat. Je vous proposerai donc de la modifier pour éviter ce malentendu. Il est clair qu'il ne peut être question de favoriser la création d'emplois, quelle que soit l'opération menée par Uni-emploi ou l'université. Ce n'est pas l'objectif. Mais ce que l'on doit en revanche viser, c'est favoriser l'engagement de jeunes diplômés dans une proportion d'une vingtaine au moins par année. Si vous formulez ce souhait sous cette forme-là, cela permettra de répondre véritablement aux objectifs visés, c'est-à-dire de permettre la construction de la plate-forme nécessaire pour que des entreprises qui cherchent à engager des diplômés puissent véritablement le faire.
Mesdames et Messieurs les députés, nous parlions tout à l'heure de l'école d'ingénieurs. J'aimerais vous dire que le même problème existe pour notre université et que nous rencontrons effectivement des entreprises, pas seulement multinationales, qui nous expliquent qu'il leur est très difficile de trouver le chemin pour accomplir leur mission, à savoir créer des emplois et les offrir à la place économique dans laquelle elles sont intégrées. Aussi, je vous propose de modifier cette motion et de mettre simplement, au lieu de «favoriser la création d'emploi» - si quelqu'un veut bien en prendre note pendant, je vous en remercie - «favoriser l'engagement de jeunes diplômés dans une proportion d'une vingtaine au moins», ce qui permet de répondre aux soucis de ceux qui veulent des objectifs chiffrés et de répondre aux soucis de ceux qui ne veulent pas entendre parler de cette motion sous la forme de création d'emplois. Parce qu'il est vrai que l'université n'a pas pour mission de créer directement des emplois.
Le président. Nous avions clos la liste des orateurs tout à l'heure. Une nouvelle proposition est cependant formulée. C'est un peu particulier que le Conseil d'Etat amende une motion du Grand Conseil l'invitant à présenter un rapport. Je vous propose donc un nouveau tour de parole. Monsieur Beer, vous avez la parole, puis M. Nissim, M. Godinat et M. Lescaze. Je clôturerai ensuite la liste des orateurs. Monsieur Beer, vous avez la parole !
M. Charles Beer (S). J'aimerais juste dire que la proposition de la présidente du département semble effectivement meilleure que le texte de la motion. Cela dit, la réalité est aujourd'hui, vous le savez, Madame la présidente, bien supérieure à une vingtaine. C'est pour cela qu'il ne me paraît pas judicieux de mentionner des éléments chiffrés. Je ne m'en prends pas à votre argumentation, mais vouloir articuler des chiffres qui se situent bien en deçà de la réalité relève tout simplement de la bonne conscience et de l'inutilité, voire du danger.
Le président. La parole est à M. Nissim.
M. Chaïm Nissim (Ve). Je renonce, Monsieur le président !
Le président. Monsieur Lescaze, s'il veut bien regagner sa place... Il ne souhaite pas s'exprimer ! Monsieur Godinat !
M. Gilles Godinat (AdG), rapporteur de minorité. La nuance apportée par Mme la cheffe du département montre effectivement bien qu'il n'est pas de la compétence des milieux universitaires de créer des emplois. Je prends donc acte de cette reconnaissance. Maintenant, la démarche soutenue par cette proposition reste identique à celle proposée par la motion, à savoir de privilégier des liens avec un secteur économique. Et c'est bien ce qui nous gêne ! Nous pensons en effet que l'université n'a pas comme mission prioritaire, comme l'indique aujourd'hui cette motion, de favoriser des liens avec les multinationales. Je le répète, ces liens existent. Toutes les personnes qui se sont exprimées ici l'ont reconnu. Nous avons souligné les problèmes que pose le fait de vouloir privilégier ces liens, connaissant le rôle que ces entreprises jouent. Pour ma part, je ne vois pas de changement fondamental par rapport au sens de la motion. Je m'abstiendrai donc personnellement sur cette proposition, mais je continue à appuyer mon rapport concernant l'ensemble du texte proposé.
Le président. Je vous donne lecture du texte de l'amendement rédigé par M. Lescaze, modifiant la fin de l'invite ainsi :
«...visant à favoriser l'engagement de jeunes diplômés dans une proportion d'une vingtaine au moins par année.»
Mis aux voix, cet amendement est adopté.
La proposition de motion est mise aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
Le sautier compte les suffrages.
Cette motion ainsi amendée est adoptée par 43 oui contre 33 non.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1096)
Un plan de carrière pour nos jeunes diplômés
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
l'importance de continuer à explorer toutes les pistes permettant de favoriser l'emploi, de développer les interfaces entre le monde de la formation et celui de l'emploi et de pouvoir proposer un avenir professionnel, notamment aux jeunes diplômés des universités et des hautes écoles
la mise en place dès la rentrée 1999 du Centre Uni-Emploi
le souhait exprimé par le Groupement des entreprises multinationales de Genève d'intensifier ses contacts avec l'Université de Genève dans l'objectif d'employer davantage de diplômés de l'Université de Genève