Séance du
jeudi 18 novembre 1999 à
17h
54e
législature -
3e
année -
1re
session -
50e
séance
M 1096-A
RAPPORT DE LA MAJORITÉ
Rapporteur : Mme Marie-Françoise de Tassigny
La motion 1096 déposée le 8 novembre 1996 a été traitée les 4 mars, 11 mars, 18 mars et 15 avril 1999 sous la présidence de M. René Longet et de Mme J. Hagmann en remplacement. Les travaux se sont déroulés en présence de M. Eric Baier, secrétaire adjoint du DIP.
Introduction
L'objectif de cette motion, d'assurer un plan de carrière pour les jeunes diplômés, a posé quelques questions aux commissaires concernant la mise en place des auditions tant l'objectif était ambitieux et les intitulés pas assez concrets.
Mme Barbara Polla, coauteur de cette motion, a confirmé que celle-ci a été déposée à un moment où la problématique chômage constituait un sujet brûlant. Le fait que cette motion n'ait pas été traitée pendant trois ans a opéré un décalage dans les invites. Mme Polla précise que le souhait du plan de carrière, qui intègre un engagement professionnel à l'étranger, est facultatif. Mais la motion propose que l'étudiant qui désire faire une expérience professionnelle à l'étranger puisse être soutenu dans sa démarche.
Audition de la CUAE
MM. Yves Mattenberger et Jean-Luc Falcone, représentants de la Conférence universitaire des associations d'étudiants.
Les représentants de la CUAE sont assez critiques tant sur les objectifs que sur les moyens. Ils soulignent que cette motion peut contribuer à la fuite des cerveaux. Toutefois, ils relèvent l'aspect positif de la motion permettant à de jeunes diplômés de faire connaissance d'un aspect du marché du travail.
Il s'instaure un débat avec les commissaires sur la notion de mobilité des étudiants, sur la transformation de plans de carrière en séjour linguistique ou professionnel et sur l'extension du soutien des étudiants à l'étranger, non seulement dans des multinationales mais aussi dans des centres de recherche.
M. Baier communique que, s'agissant du taux de chômage des jeunes diplômés en sciences économiques, cette faculté n'est pas la plus concernée par ce problème puisque celui-ci n'atteint qu'un taux de 5 %.
Audition des représentants de l'AIESEC
Mme Maya Schaerer, présidente et Mme Violaine Blancpain, vice-présidente externe de l'AIESEC.
Mme Schaerer présente l'Association internationale des étudiants en sciences économiques et commerciales, créée en 1948. Cette association est ouverte à tous les étudiants de toutes les facultés, présente dans 87 pays au sein de quelque 500 universités. L'AIESEC Genève a développé trois projets à Genève :
le forum OI-ONG, pour présenter les organisations internationales et celles non gouvernementales aux étudiants ;
un programme d'échanges internationaux et de stages de 2 à 18 mois ;
un projet interface qui consiste à présenter à des étudiants des entreprises susceptibles de les accueillir en stage.
L'organisation organise un « book » de curriculum vitae qui est transmis aux entreprises. Par la suite, une série d'interviews est réalisée pour des propositions d'embauche. Les représentantes de l'AIESEC demandent préalablement des précisions sur le libellé de la motion. Elles sont plutôt réticentes à l'imposition du plan de carrière. Elles précisent que les multinationales ont leur propre système interne. Les représentantes AIESEC évoquent aussi le délicat problème des reconnaissances de diplômes.
Audition du représentant du Groupement des entreprises multinationales (GEM)
M. René Gisiger.
M. Gisiger explique que le groupement comporte 44 sociétés regroupant 10 000 personnes.
Il constate que la région lémanique a un certain nombre d'atouts dans le domaine de l'éducation, de la formation et de la main-d'oeuvre. Mais cet avantage est en train de se perdre au profit d'autres pays européens. Les entreprises multinationales n'engagent plus beaucoup de collaborateurs suisses. Cet état de fait vient des obstacles administratifs et de la lenteur du temps de réponse de leurs interlocuteurs.
Un débat s'instaure avec les commissaires sur la vision des multinationales en matière de plan de carrière et sur leur style de prospection.
M. Gisiger signale que certaines universités sont plus actives dans leurs relations avec les multinationales.
Il nous fait part que le GEM est demandeur pour employer des diplômés de l'Université de Genève, mais que chaque année le GEM attire des diplômés d'autres universités telles par exemple celles de Lyon ou d'Utrecht car les contacts avec celle de Genève ne sont pas très simples.
Il insiste sur le fait que la main-d'oeuvre suisse est un capital et qu'il faut se battre pour défendre ce secteur.
Discussion de la commission
Mme Polla propose aux commissaires une nouvelle rédaction de la motion suite aux auditions. Elle suggère de supprimer les trois premiers considérants au profit d'un nouveau considérant ainsi que le quatrième considérant. Les invites de la motion sont aussi modifiées. Cette proposition est bien accueillie. Certains commissaires soulignent que l'Université ne possède pas une stratégie d'emploi pour jeunes diplômés. Cela crée un véritable fossé entre formation et monde professionnel. Ils souhaitent une meilleure synergie entre ces deux mondes. Ils notent aussi que le plan de carrière a été conçu dans la durée, ce qui n'est plus de mise actuellement dans la plupart des entreprises.
A ce niveau de la discussion, un fait nouveau intervient. M. Baier fait parvenir aux commissaires un communiqué de presse émanant de l'Université et annonçant la mise en place pour la rentrée universitaire d'une passerelle vers l'emploi « centre Uni-emploi ». Cette innovation s'insère parfaitement dans les souhaits des commissaires.
Le texte revisité de la motion 1096 est discuté, article après article, par les commissaires. Certains commissaires doutent que la vocation de l'Université soit d'avoir un lien avec le monde économique. D'autres trouvent au contraire que le renforcement entre ces deux entités est indispensable vu les fonds alloués à la formation, il est indispensable d'obtenir des résultats sur investissement.
Quelques commissaires soulignent que le monde économique vit de ses contractions et que la structure universitaire ne peut l'influencer. Par ailleurs, le paradoxe est que l'Etat essaie d'attirer des sociétés à hautes technologies et souvent les universitaires restent dans leur tour d'ivoire. Il y a donc un fossé à combler.
Ces différents constats ont contribué à faire que les commissaires entrent en matière sur cette motion corrigée.
Vote
Motion 1096, complément à la passerelle Uni-emploi
Pour : 6 (1 Ve, 3 L, 1 R, 1 DC)
Contre : 0
Abstentions : 4 (2 AdG, 2 S)
Considérant I
« l'importance de continuer à explorer toutes les pistes permettant de favoriser l'emploi, de développer les interfaces entre le monde de la formation et celui de l'emploi et de pouvoir proposer un avenir professionnel, notamment aux jeunes diplômés des universités et des hautes écoles ».
Pas de commentaire.
Considérant II
« la mise en place dès la rentrée 1999 du Centre Uni-Emploi ».
Pas de commentaire.
Considérant III
« le souhait exprimé par le Groupement des entreprises multinationales de Genève d'intensifier ses contacts avec l'Université de Genève dans l'objectif d'employer davantage de diplômés de l'Université de Genève ».
Pas de commentaire.
Pour : 6 (1 Ve, 3 L, 1 R, 1 DC)
Contre : 0
Abstentions : 4 (2 AdG, 2 S)
Invite
« à inciter l'Université à soutenir et à développer, dans le cadre de la nouvelle passerelle vers l'emploi (Uni-Emploi) et des objectifs de développement durable, le dialogue et des contacts concrets avec les entreprises multinationales visant à favoriser la création d'emplois, soit 20 postes de travail minimum par année ».
Cette invite a été longuement discutée et amendée sur les notions de développement durable et sur l'aspect des indicateurs chiffrés. Cette démarche est novatrice et ambitieuse mais il paraît important aux commissaires d'avoir des indicateurs clairs et mesurables.
L'intérêt politico-socio-philosophique de cette motion est relevé par les commissaires, car elle a suscité un véritable débat sur les différents acteurs de l'emploi.
Pour : 6 (1 Ve, 3 L, 1 R, 1 DC)
Contre : 4 (2 AdG, 2 S)
Abstentions : 0
Considérant que la place de Genève doit poursuivre sa politique qualitative en matière de formation et développement durable et considérant que cette motion confirme les actions mises en place par l'Université ou les associations actives en la matière, par des interfaces avec les entreprises implantées dans le canton et notamment les multinationales.
La majorité de la commission vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter cette motion 1096 revisitée et de l'adresser au Conseil d'Etat. Ainsi, elle aura le mérite de soutenir à long terme une action attendue de tous les partenaires pour que l'Université soit une véritable passerelle entre l'économie et la formation.
Proposition de motion(1096)
" un plan de carrière pour nos jeunes diplômés "
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant :
l'importance de continuer à explorer toutes les pistes permettant de favoriser l'emploi, de développer les interfaces entre le monde de la formation et celui de l'emploi et de pouvoir proposer un avenir professionnel, notamment aux jeunes diplômés des universités et des hautes écoles
la mise en place dès la rentrée 1999 du Centre Uni-Emploi
le souhait exprimé par le Groupement des entreprises multinationales de Genève d'intensifier ses contacts avec l'Université de Genève dans l'objectif d'employer davantage de diplômés de l'Université de Genève
RAPPORT DE LA MINORITÉ
Rapporteur : M. Gilles Godinat
Il est indispensable à nos yeux de rappeler le contexte du dépôt de cette motion, à savoir le haut niveau de chômage en Suisse, en particulier à Genève en 1996 et la situation politique genevoise avec un gouvernement monocolore très fortement inspiré des doctrines néo-libérales et un parlement majoritaire de droite sous l'hégémonie du parti libéral.
Deux députés de l'ancienne majorité ont déposé cette motion le 8 novembre 1996 avec l'intention louable mais combien irréaliste de « proposer un avenir professionnel à tous, aux jeunes universitaires diplômés aussi », en invitant le Conseil d'Etat à « ouvrir le dialogue sur le sujet avec les milieux économiques, principalement avec les entreprises multinationales » pour proposer « des plans de carrière avec parcours obligé à l'étranger » et « si nécessaire, faire appel à des aides financières de la Confédération et/ou des cantons ».
L'exposé des motifs relève que l' « évolution sur le marché international de nos grandes entreprises ne laisse que peu de place au sentiment patriotique » et que la Suisse semble préférer « la protection du chômage » plutôt que la « lutte pour la sauvegarde et la création des emplois ».
Reconnaissant le caractère provocateur de leur motion, les deux députés s'insurgent : « Pourtant trouvez-vous normal que l'on serve des indemnités de chômage à des jeunes diplômés universitaires sous prétexte qu'ils ne trouvent pas de travail dans notre pays, au lendemain de l'obtention de leur diplôme ? ».
Ce rappel nous a paru indispensable pour cerner la démarche des motionnaires : masquer l'attention sur les responsables de la crise économique, critiquer le rôle social de l'Etat, favoriser les liens avec les multinationales et, dans la plus pure tradition libérale, détourner l'attribution de ressources des pouvoirs publics vers les secteurs économiques ayant besoin d'aide financière de l'Etat : ici, en particulier, les entreprises multinationales !
Non, Mesdames et Messieurs les députés, cette proposition ne nous fait pas rire : elle exprime de la façon la plus provocatrice qui soit la pensée neo-libérale dominante.
Fusions des entreprises, concentration du capital et destructions des emplois
Cette politique est à l'oeuvre dans le « marché global » planétaire. Chacun de vous a pu constater les effets de la logique systémique globale sur l'emploi. Il suffit de rappeler quelques chiffres : les fusions-acquisitions dans le monde ont atteint en 1997 1600 milliards de dollars et près de 2500 opérations transfrontalières de ce type auraient été réalisées au cours du seul premier trimestre 1999, pour un montant de 411 milliards de dollars. Dans le Monde diplomatique de septembre 1999, Frédéric F. Clairmont dans un article intitulé « Fusions d'entreprise, festins de prédateurs » illustre ce processus de nombreux exemples et affirme que « les transnationales n'ont pas seulement cessé de créer des emplois, elles les détruisent massivement ». Il cite à l'appui de sa démonstration l'hebdomadaire Newsweek qui a publié le 26 février 1996, soit avant le dépôt de la motion, un article intitulé « The Hit Men » (« les tueurs ») : « Vous perdez votre emploi, le cours des actions de votre ex-employeur bondit et le P.D.G. se fait attribuer une confortable augmentation de salaire. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond quand les cours de Wall Street ne cessent de grimper alors que les rues avoisinantes sont jonchées des cadavres des travailleurs jetés sur le pavé par les grandes firmes comme AT&T et Chase Manhattan. »
Or, depuis le début de la décennie, les fusions-acquisitions ont porté sur des sommes dépassant 7000 milliards de dollars, soit approximativement le PIB des Etats-Unis. « Cette dynamique a été facilitée par la frénésie de déréglementation et de privatisations promues par l'Organisation mondiale du commerce (OMC) qui, comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, ressemble à un appendice du pouvoir financier transnational », souligne F. Clairmont. Il faut insister sur le fait que ce pouvoir financier transnational est intimement lié au pouvoir des entreprises transnationales, à savoir les principaux groupes d'actionnaires opérant en bourse. Ce processus de concentration des capitaux, que Marx avait prévu mais sûrement pas dans une telle ampleur, est inscrit dans la logique du système capitaliste mondial que nous connaissons aujourd'hui.
L'économie suisse en mutation
Entre 1992 et 1997, 205 000 emplois ont disparu en Suisse. Alors même que les plus grandes entreprises privées de ce pays ont réalisé d'impressionnantes fusions avec licenciements à la clé (Novartis, secteur bancaire avec notamment UBS Switzerland, pour citer les plus connus), les taux de chômage ont atteint des sommets : près d'un actif sur quatre en Suisse a connu le chômage entre 1991 et 1998. D'autre part, le processus de privatisations d'entreprises publiques a également entraîné une vague de licenciements, et d'autres vagues se préparent (Poste, CFF). Comme le décrit Ignacio Ramonet dans le Monde diplomatique de juin 1998 : « Entre 1990 et 1997, à l'échelle mondiale, les Etats se sont débarrassés, au profit de firmes privées, d'une part de leur patrimoine estimée à 513 milliards de dollars (215 milliards pour la seule Union européenne) ! » « On assiste à ce spectacle insolite : la montée en puissance des firmes planétaires, face à laquelle les contre-pouvoirs traditionnels (Etats, partis, syndicats) semblent de plus en plus impuissants. » La logique de la rentabilisation du capital et en particulier des fonds propres à hauteur de 20 % est une des normes qui régulent le marché, les Etats s'y soumettent et la Suisse n'y échappe pas. D'ailleurs, dans un système de compétition et de concurrence où seuls les puissants (entendez par là les détenteurs de masses de capitaux) peuvent gagner, la classe possédante suisse a conquis sa place, et, dans ce sens, l'intégration économique et financière de la Suisse au niveau européen et au niveau international est déjà réalisée. Par contre, la Suisse est en retard dans des domaines fondamentaux, au-delà des bilatérales, entre autres, sur la question de la formation et la question sociale. L'intégration politique, elle, sera à l'ordre du jour pour le XXIe siècle.
Le système de formation à l'épreuve internationale
Une révision en profondeur du système de formation en Suisse est en cours. Outre la révision de la loi sur la formation professionnelle, le Conseil fédéral a entrepris une série de démarches dans le domaine de la formation et l'essentiel de sa politique est contenu dans l'important message relatif à l'encouragement de la formation, de la recherche et de la technologie pendant les années 2000 à 2003, du 25 novembre 1998. Les récents résultats du PNR 33 consacré à l'efficacité de nos systèmes de formation font le point sur les 22 milliards investis en Suisse dans la formation, en relevant que le fédéralisme est un obstacle à une véritable politique nationale de formation.
Le caractère profondément élitaire de la formation en Suisse a maintenu une accessibilité à l'Université des plus faibles (9 %), juste avant le Mexique et la Turquie. La Suisse romande est sur ce plan en avance par rapport à la Suisse alémanique. Le niveau moyen de la formation en Suisse doit aussi être amélioré. La création du niveau HES a voulu contourner le problème d'une plus grande accessibilité aux universités en instaurant une voie parallèle de nature plus directement professionnelle, cherchant ainsi à combler un sérieux retard et à former en plus grand nombre les cadres faisant actuellement défaut sur le marché. Le constat d'un décalage entre les attentes de certains milieux économiques qui manquent de spécialistes, et la pénurie de certaines filières de formation d'une part, d'autre part la relative étanchéité constatée entre l'augmentation du nombre de diplômés de haut niveau et l'accès aux fonctions dirigeantes dans de grandes entreprises qui semblent réservées à une élite dans des milieux de la bourgeoisie helvétique plutôt fermés, ces évidences ont amené les responsables politiques de la formation à entreprendre la réforme actuelle.
Avec dix arrêtés fédéraux proposés aux Chambres ainsi que des amendements à la loi sur l'aide aux universités et sur la coopération dans le domaine des hautes écoles, à la loi fédérale sur la recherche et à la loi sur les hautes écoles spécialisées, le Conseil fédéral vise entre autres à intensifier la compétition sur le plan de la qualité, à créer des pôles de recherche nationaux dans le secteur universitaire et des centres de compétences dans celui des HES. Sous le slogan « réformer et investir », le message constate que « durant la période 1980-1995, le nombre des étudiants a augmenté de 22 %, tandis que le personnel universitaire augmentait de 9 % seulement, entraînant une baisse importante du taux d'encadrement ; avec l'augmentation annoncée du nombre d'étudiants de l'ordre de 20 % d'ici 2003, la situation va encore s'aggraver si aucune mesure n'est prise. La situation est déjà critique en sciences sociales et humaines notamment ». En effet, « d'importants objectifs fixés il y a quatre ans dans le cadre de la politique universitaire et de la recherche n'ont pas pu être atteints ou seulement partiellement. Vu la détérioration des finances publiques, les cantons et la Confédération n'ont pas été en mesure de mettre à disposition des ressources supplémentaires pour les nouvelles tâches de l'éducation et de la science. Les moyens financiers ont stagné, voire reculé dans certains domaines ». Le bilan fait par le Conseil fédéral lui-même sur la période 1996-1999 est inquiétant.
Voilà un des résultats de la politique de restrictions budgétaires défendue par la droite dans ce pays et à Genève en particulier, les mêmes partis qui veulent assécher les caisses de l'Etat et qui nous proposent de soutenir la présente motion.
Les Hautes Ecoles et l'économie privée
« Pour renforcer concrètement leur rôle dans la société, les Hautes Ecoles doivent être capables d'exploiter les synergies entre la science, la formation, la culture, l'art et la technologie. Beaucoup de métiers du futur se situent au carrefour de ces domaines. Mais c'est le renforcement de leurs relations avec l'économie privée qui a le plus marqué, partout dans le monde, l'évolution des universités ces dernières années. » (Message cité, p.10) De plus, « le Réseau suisse d'innovation (RSI) avec ses bureaux romand et alémanique vise à accroître durablement l'efficience et l'efficacité des actions de transfert de connaissances et de technologie dans les hautes écoles ».
Une fondation privée, Science et Cité, créée le 20 octobre 1998 par les milieux universitaires, scientifiques et économiques, va participer à renforcer la concertation entre la science, la politique et l'économie, tout comme le Groupement de la science et de la recherche et les offices fédéraux concernés.
Au niveau lémanique, dans le rapport commun des universités de Genève et de Lausanne de février 1996, intitulé « Planification stratégique. Horizon 2006 », une attention particulière est portée aux relations université-économie en vue d'une intensification, en particulier en veillant à intégrer dans l'enseignement des personnes issues du secteur privé. On ne peut pas dire que, dans ce domaine, nos universités ont accumulé du retard. Au contraire, le problème semble plutôt être d'améliorer l'efficience de cette collaboration. L'Université de Genève a d'ailleurs déjà acquis une reconnaissance internationale en étant classée au top européen dans le domaine de l'économie.
En mars 99, l'Université de Genève, avec l'Office d'orientation et de formation professionnelle, a mis en place une passerelle vers l'emploi, le Centre Uni-emploi. Cette structure nouvelle a pour mission de répondre tant aux besoins des étudiants qu'aux demandes des entreprises en matière d'insertion professionnelle (cf. annexes).
Nul doute que l'interface étudiants-entreprises fait l'objet de nombreuses initiatives diverses et des soins privilégiés de nos institutions de formation.
A nos yeux, le problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui est bien davantage de voir les catégories marchandes envahir le monde universitaire, soit avec l'idéologie d'entreprise mise au pas de la concurrence effrénée, sacrifiant les secteurs non « rentables », qui ne produisent pas une « valeur ajoutée directement injectable dans le processus de production », soit en « privatisant » directement les laboratoires publics, en les soumettant à des programmes de recherche décidés par des entreprises privées, dans une relation de dépendance économique. Le cas de Génoplante en France illustre ce risque.
Les sciences humaines, en particulier celles qui ont la tâche d'interroger le fonctionnement social, avec une distance critique, ou qui cherchent à introduire des valeurs éthiques, d'émancipation sociale et culturelle, risquent fort de faire les frais d'un rapprochement acritique entre l'université et les milieux économiques. Loin de nous l'idée simplificatrice et manichéenne qui voudrait séparer les « gentils universitaires » des « méchants entrepreneurs ». Il nous paraît par contre essentiel de garder un point de vue d'ensemble, systémique, pour analyser la dynamique sociale. La lutte de classes est une réalité sociale. Il n'y a pas les bons d'un côté et les méchants de l'autre. Il y a, par contre, un système économique qui valorise la recherche de profit maximum pour les actionnaires privés au détriment de l'émancipation sociale dans son ensemble. Voilà pour nous la contradiction de base de ce système économique. Pour nous, la priorité à accorder concerne la recherche d'une alternative dans laquelle l'entreprise soit guidée par les règles de l'éthique, de la solidarité, de la coopération, de l'émancipation sociale et qui priorise l'intérêt collectif, la préservation et le développement du bien commun.
En conclusion
Le récent débat et les votes au National sur la politique de la formation et de la recherche, concernant en particulier le crédit de 6,78 milliards pour 2000-2003, ont montré les limites imposées par la droite. L'article constitutionnel sur le rétablissement des finances fédérales, mis en place par les milieux économiques, les partis de droite avec le soutien des socio-démocrates, a en effet empêché d'augmenter l'aide à la formation et à la recherche. De 9,5 % du budget fédéral, les dépenses consacrées à la formation et à la recherche plafonnent depuis le milieu des années 90 à 7 %. Alors que le Gouvernement britannique vient d'augmenter de 23,8 % les ressources universitaires par rapport au budget 1998, que les USA l'augmentent de 11 % en 1999, la France et l'Allemagne de 5 %, la Suisse propose une régression de 0,8 % entre 2000 et 2001 pour augmenter de 5 % seulement en 2002 !
La politique d'austérité voulue par la majorité bourgeoise porte ses fruits !
Les débats en commission sur la motion 1096 sont relevés dans le rapport de majorité. En résumé, les représentants de la CUAE rejettent la motion. Une version très adoucie pourrait à la rigueur être acceptable si elle s'adresse à toute l'université, et pas seulement à une de ses parties. La faculté de SES ne connaît qu'un faible taux de chômage par rapport aux autres facultés ; de plus, 63 % des étudiants de SES trouvent un emploi dans les entreprises privées. Les étudiants de l'AIESEC ont présenté, entre autres, une activité interface avec les entreprises qui existe depuis 15 ans. Le représentant du Groupement des multinationales, M Gisiger, a souhaité une meilleure organisation de l'interface multinationales-étudiants. Au final, une majorité de la commission soutient une version légèrement modifiée mais conservant l'essentiel des considérants, adaptant la motion à la création du Centre Uni-emploi et fixant un objectif de 20 postes minimum par année, sur le modèle d'un contrat de prestation type entre l'université et les multinationales !
Les entreprises multinationales, comme nous en avons vu quelques aspects ci-dessus, fonctionnent selon la logique de la recherche des taux de profits, en délocalisant chaque fois que cela leur convient pour abaisser les coûts de production. Le moins que l'on puisse dire est que les plans de carrière sont plutôt mis à mal par ces entreprises qui n'hésitent pas à se séparer de leurs cadres dirigeants au gré des restructurations. Elles sont responsables de licenciements massifs, elles dictent leurs lois et sont au-dessus des Etats nationaux.
La minorité de la commission estime que les liens avec les multinationales ne doivent pas être la préoccupation prioritaire du Conseil d'Etat, que d'autres priorités s'imposent au monde universitaire pour l'avenir de notre société, comme nous l'avons soutenu ci-dessus, et que les étudiants en SES ou HEC ont déjà pris les dispositions nécessaires dans le domaine des liens entre l'université et les milieux économiques. Pour ces différentes raisons, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs les députés, de rejeter cette motion.15161718
Débat
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R), rapporteuse de majorité. Je n'ai rien de fondamental à ajouter à mon rapport. La commission a soutenu la motion en proposant des amendements et des invites supplémentaires. Je rappelle par ailleurs que la Fondation Sandoz a mis en place un fonds pour soutenir ce genre de démarche et a alloué un certain nombre de millions pour développer une passerelle et des plans de carrière pour les jeunes diplômés, ce qui cautionne tout à fait ce rapport.
M. Gilles Godinat (AdG), rapporteur de minorité. Un mot pour expliciter ma démarche. En analysant, de manière assez globale et schématique, j'en conviens, les rapports entre l'université et les multinationales, je voulais soulever deux questions.
Une question fondamentale est la place que les multinationales occupent aujourd'hui dans le monde économique et le rôle qu'elles ont par rapport aux licenciements, lors des fusions et des délocalisations. Ce sont deux facteurs qui posent problème quand on veut instaurer des liens solides entre l'université et les multinationales. C'est ce que j'ai voulu souligner.
D'autre part, j'ai voulu insister sur le fait que des liens existent déjà, que nous ne sommes pas du tout opposés à ces liens, mais que nous voulons en améliorer la qualité et l'éthique et que nous proposons une perspective de développement qui tienne mieux compte des besoins de la population, ce qui est notre axe de réflexion prioritaire.
Ce sont ces credo-là que j'ai voulu souligner. S'agissant de cette motion, qui à l'origine, je vous le rappelle, était très provocatrice, nous ne voyons pas la nécessité d'en soutenir aujourd'hui la priorité, alors que tout ce qui a déjà été développé à l'université suffit largement à nos yeux.
Mme Barbara Polla (L). J'ai beaucoup d'estime pour notre collègue Gilles Godinat, mais en l'occurrence je dois bien admettre, à la lecture de son rapport, que nous ne parlons pas la même langue. Nous proposons modestement des solutions concrètes et chiffrées pour l'emploi de nos jeunes diplômés universitaires : il nous parle de lutte des classes, de destruction des emplois par le marché global, dans un dogmatisme qui, me semble-t-il, n'a plus cours sur cette planète depuis 1989 ! Le mur est tombé, Mesdames et Messieurs les députés, et la crise économique ne trouvera pas de solution dans sa reconstruction ni dans la lutte des classes, mais dans la bonne volonté de chacun à trouver des solutions, si modestes fussent-elles.
Nous avons la chance d'avoir, sur l'arc lémanique, un Groupement d'entreprises multinationales, le GEM, qui assure, bon an mal an, 6000 emplois dans la région lémanique, dont 3000 postes occupés par des Suisses. Pourquoi ces entreprises restent-elles donc en Suisse, considérées comme elles le sont, ou plutôt déconsidérées comme elles le sont ? Car si M. Godinat se défend dans ce rapport de les considérer comme de mauvais entrepreneurs, c'est bien de cela dont il s'est agi en commission d'enseignement supérieur : refuser d'entrer en matière parce qu'il s'agissait de mauvais emplois ! En l'occurrence, ces entreprises restent chez nous parce que, grâce au ciel, elles apprécient, selon une étude récente, notamment la qualité de vie qu'offre notre région, sa position géographique et sa paix sociale.
Ce dont le GEM est moins satisfait par contre, c'est l'employabilité et l'éducation, car si seulement 50% des emplois de ces entreprises multinationales sont occupés par des Suisses, ce n'est pas que ces entreprises leur ferment leurs portes, bien au contraire, c'est que l'université n'ouvre pas les siennes. Ceci a été très clairement dit et entendu pendant les auditions que nous avons pratiquées à la commission de l'enseignement supérieur. Chaque année, ces entreprises en sont réduites à faire venir, tout d'abord pour des entrevues puis pour les engager, des étudiants des universités de Lyon ou d'Utrecht, par exemple, parce qu'elles n'arrivent pas à entrer en contact comme elles le souhaiteraient avec les étudiants de l'université de Genève, quand bien même leur souhait d'engager des Genevois est plus que réel.
Ce n'est pas de dogmatisme idéologique dont il est question ici, mais bien de pragmatisme. La motion que nous discutons vise simplement, par l'intermédiaire de l'excellente structure récemment mise en place qu'est Uni-Emploi, à favoriser l'accès du plus grand nombre à des emplois durables et de qualité. Car, si vraiment l'on souhaite examiner d'un peu plus près la qualité éthique des entreprises multinationales dont il est question dans cette motion, on ne peut qu'apprécier. Et plutôt que de lire Clairmont ou de citer Newsweek, certains députés feraient mieux de remettre les pieds sur terre et de les diriger à l'occasion vers les entreprises multinationales établies ici à Genève !
On nous demande la durabilité, un concept auquel nous adhérons et qui figure d'ailleurs dans l'invite de la motion. Ecoutez ce que nous dit Glenn Barton par exemple, chairman et CEO de Caterpillar à Genève : «Caterpillar a choisi la Suisse pour ses headquarters européens il y a presque quarante ans désormais.» C'est une durée bien respectable, me semble-t-il, pour une entreprise et cette remarquable fidélité ne va pas sans fierté : «Nous sommes fiers, dit encore l'entreprise, d'appeler Genève notre ville d'adoption.»
Et que nous dit la charte de leurs valeurs communes par exemple ? Elle nous parle en premier lieu de respect de l'individu et de la contribution possible de toute personne, de confiance, d'intégrité et de respect de l'environnement. Je tiens cette charte à disposition de ceux que cela pourrait intéresser. Allez voir aussi, par exemple, chez Du Pont de Nemours, qui organise presque annuellement des conférences à l'intention des Genevois sur les questions d'investissement environnemental et de développement durable.
Allons voir et cessons donc, Mesdames et Messieurs les députés, d'agiter des épouvantails qui ne font plus peur à personne ! Descendons sur le terrain, votons cette motion qui est intéressante quoique bien modeste. Certes vingt emplois par an c'est peu, mais vingt emplois par an pour nos jeunes diplômés universitaires, c'est mieux qu'un pur esprit qui se voudrait certes critique mais qui n'est que nostalgique !
M. Chaïm Nissim (Ve). J'ai beaucoup apprécié le rapport de mon ami Gilles Godinat quand il cite «The Hit Men», un film que j'ai vu avec grand plaisir et qui raconte l'histoire d'un P.D.G. qui se fait attribuer une confortable augmentation parce qu'il a réussi à licencier ses employés ! Tout ce que vous dites sur les problèmes économiques que posent les multinationales est vrai, mais, Monsieur Godinat - mon ami Gilles - ce n'est pas parce que les multinationales posent un problème économique dans ce monde que vous devez refuser d'inciter, de soutenir le dialogue et les contacts entre l'université et les multinationales. Cela n'a rien à voir. Vous êtes en fait comme un taureau qui fonce sur un chiffon rouge : dès que vous voyez le mot multinationales, vous pointez vos cornes et vous foncez dessus !
A mon avis, vous avez confondu l'ancienne motion, qui avait effectivement été un peu maladroitement rédigée par nos collègues Barbara Polla et Hervé Dessimoz, avec la motion tout à fait honnête issue des travaux de la commission. Qui peut aujourd'hui refuser de dialoguer avec une partie du monde ? Revenez sur terre ! Barbara a raison : revenez sur terre ! Il y a un problème des multinationales, mais ce n'est pas en refusant le dialogue qu'on va le résoudre.
M. Hervé Dessimoz (R). Cosignataire de la motion «maladroite», comme l'a définie tout à l'heure M. Nissim, je constate néanmoins que les travaux de la commission ont montré que le sujet était d'actualité et avait une pertinence certaine.
Depuis 1996, les choses ont bien évolué et le programme Erasmus, qui est le programme d'échange entre les universités européennes, commence à développer ses effets. Je voudrais ici citer l'exemple d'un étudiant prénommé Sébastien. Il a commencé l'école polytechnique, il y a plusieurs années maintenant, en micromécanique ; ensuite, il a bénéficié du programme Erasmus et est allé à Sophia-Antipolis, au sud de la France, pour poursuivre ses études. Là-bas, il a créé un site Internet et a été repéré par un Suisse qui avait suivi la même filière et qui était établi aux Etats-Unis. Aujourd'hui, il est à Silicone Valley, chez R3M. Il est rentré récemment en Suisse pour suivre le Forum de l'emploi à l'école polytechnique fédérale de Lausanne et on lui a déjà proposé un emploi chez McKinsey.
J'ai vu qu'une des préoccupations qui avait été citée dans le cadre des travaux de la commission était la peur de l'exode des cerveaux. En l'occurrence, l'exode des cerveaux a déjà bien lieu et je pense qu'Uni-Emploi est désormais face à un défi majeur et devra travailler ardemment et peut-être avec encore plus de moyens. A cet égard, cette motion est bien modeste, comme l'a dit Mme Polla, et j'invite donc les députés à approuver le rapport de majorité. Quant à vous, Monsieur Godinat, je voudrais simplement vous dire ceci : je ne suis pas un néo-libéral, mais je suis attentif aux problèmes de la jeunesse, et votre discours est lui d'une autre époque !
M. Armand Lombard (L). On a déjà dit passablement de choses sur cette motion et j'aimerais simplement rappeler, pour ma part, qu'elle vise trois objectifs. Les deux premiers ont déjà été largement mentionnés, mais le troisième me paraît aussi extrêmement important.
Le premier objectif, bien sûr, est d'augmenter l'interface entre les entreprises, quelles qu'elles soient - multinationales, sous-nationales, nationales, régionales et locales - et l'université. Il est nécessaire de créer entre l'université et les pôles économiques de la cité un meilleur interface, de créer une meilleure relation, permettant par exemple à des assistants de l'université de sortir dans de petites entreprises pendant quelques années, puis de revenir pour faire un doctorat, de ramener l'expérience de l'extérieur vers l'université pour faire vivre cette dernière. Premier objectif.
Deuxième objectif : la motion vise à favoriser des emplois durables, c'est-à-dire des plans de carrière, souhaitant que les entreprises soient soucieuses de proposer un parcours à leurs jeunes cadres sortant de l'université qui s'inscrive dans la durée. Bien entendu, cela a été traduit par l'Alliance de gauche comme du servage néo-libéral, comme un asservissement insupportable, ou encore comme l'exode de nos savoirs et autres balivernes complètement incompréhensibles et montrant surtout une méconnaissance du monde actuel, où Dieu sait s'il est bon d'aller faire un tour à l'étranger, d'avoir une formation et un plan de carrière à long terme.
Le troisième objectif de cette motion est de fixer, pour une fois, un objectif chiffré dans un projet de ce parlement, de poser une exigence. Il s'agit, vous l'aurez remarqué, d'une sorte de contrat de prestation. Nous demandons que ceci soit soutenu, nous demandons que tel programme soit développé, mais nous avons aussi tenté en commission de fixer un objectif chiffré : vingt projets par an. Vous me direz : pourquoi pas deux cents, ou pourquoi pas deux ? Vingt cas représentent un à deux cas par multinationale par année, c'est peu, mais c'est déjà l'amorce de quelque chose. C'est aussi la possibilité pour le Grand Conseil, ou pour la commission de l'enseignement supérieur, de vérifier dans une année, ou dans deux ou trois ans, si cela valait la peine, si cela a porté des fruits.
Bien entendu, je regrette infiniment l'opposition de l'Alliance de gauche. Elle souligne une fois de plus un fossé qui pourrait parfaitement être comblé entre quatre yeux, ou entre quelques députés, mais qui est impossible à combler en plénum. Tout le monde est d'accord pour créer des emplois bien sûr, tout le monde dit qu'il est pour l'emploi et l'Alliance de gauche ne peut quand même pas y faillir, au moins dans les principes et dans l'exposé de ses motifs. Cela dit, les emplois avec lesquels est d'accord l'Alliance de gauche, ce sont les emplois au sein de l'Etat bien sûr, parce que là il y a des garanties, des acquis, des syndicats... Ce sont des emplois qu'elle se vante de défendre. De même, passe encore pour les emplois fournis par les entreprises moyennes - mais pas trop petites, parce qu'il y a alors le risque qu'elles ferment ! En revanche, si les entreprises sont trop grandes et qu'elles ont des échanges avec l'étranger, alors là cela devient un scandale, parce qu'elles sont évidemment des suppôts de l'OMC honnie ! Ce d'autant plus si elles ont un objectif de rentabilité de 20% ! Rendez-vous compte : on préférerait tellement 0% ou - 5%, quitte à combler le déficit avec une subvention d'Etat !
La position de l'Alliance de gauche ce soir me désole, parce que je sais que ce n'est celle d'aucun de ses membres pris en particulier : c'est une position politique et il faudra qu'on se sépare un jour de cette habitude, pour tâcher de discuter en plénum de façon intelligente.
La méconnaissance des multinationales est une chose reconnue. Ce qui est recherché par cette motion, c'est d'inciter les multinationales à intervenir là où elles sont compétentes, là où on aimerait les voir compétentes, là où on aimerait pouvoir les apprécier, car il est vrai qu'il y a à redire sur le plan international. A cet égard, je vous rappelle que toute la série de nouvelles lois que mentionne M. Godinat et qui viennent d'être votées à Berne, pour le plus grand bien des démarrages d'entreprises et de l'emploi, ont été proposées par le Groupement des multinationales genevoises, qui ont précisé leurs demandes, qui sont allées à Berne, qui ont défendu ces projets. Ces lois ont passé grâce à ce côté-là, à ce côté-soleil des multinationales - car il y a un côté-soleil et c'est celui qui est à développer. Ce sont les raisons pour lesquelles nous sommes favorables bien entendu à cette motion.
M. Gilles Godinat (AdG), rapporteur de minorité. J'aimerais quand même défendre l'idée que j'ai gardé les pieds sur terre et que je ne suis pas un nostalgique ni un passéiste, mais que je suis préoccupé par l'évolution de notre économie locale et nationale.
Je vais donner quelques exemples : au Petit-Lancy, tout récemment, suite à la fusion de Compaq et Digital, on a supprimé en une année 800 emplois sur 1000. Un peu plus loin, à Nyon, pour la fusion Novartis avec Zyma, la proposition concrète est de supprimer 100 emplois sur 300. On constate actuellement, dans le domaine des multinationales, des processus de regroupements massifs qui vont jusqu'à inquiéter les hauts cadres européens de ces entreprises. Un journal local titrait tout récemment, le 30 octobre 1999 : «Les fusions dans la chimie inquiètent les cols blancs de sièges européens.» Au Japon, grande première, il existe une association de défense des cadres supérieurs au chômage.
Tout cela pour dire que le problème de la défense des postes de travail dans les multinationales ne relève pas des délires nocturnes d'un étudiant complètement déconnecté du monde réel ! Excusez-moi d'insister, mais tous les rapports sur l'économie mondiale nous montrent d'une part un rétrécissement des emplois et d'autre part une aggravation du fossé entre les détenteurs de capitaux et les masses populaires, qui restent souvent sur le carreau, à l'écart de la croissance économique des grandes entreprises. C'est une donnée confirmée régulièrement par les rapports du PNUD et par les rapports généraux sur l'activité des multinationales : celles-ci ne créent pas d'emplois aujourd'hui, elles les détruisent. C'est une thèse que je continuerai de défendre avec acharnement, parce que ce n'est pas uniquement ma conviction mais que les faits le prouvent.
Deuxièmement, sur le fait que l'université a créé des liens avec les entreprises, nous avons déjà eu l'occasion de souligner que nous étions tout à fait favorables aux synergies, notamment avec les entreprises qui créent des emplois, qui sont innovatrices. Nous avons eu l'occasion d'avoir ce débat au sujet de Tavaro. A l'époque, nous avions défendu le travail fait par la FONGIT, nous avions défendu l'idée qu'il fallait effectivement privilégier les liens avec les PME et détecter, dans la proximité, ce qui peut permettre de renforcer le tissu économique local. Nous continuons de penser que les multinationales ne sont pas une garantie à ce niveau-là.
Voilà la thèse principale que je voulais défendre. Ces liens existent, mais je ne vois pas pourquoi aujourd'hui nous devrions privilégier les liens avec les multinationales, car c'est bien ce que la motion propose : 20 postes dans les multinationales ! Que dire alors de toutes les autres priorités au niveau universitaire ? C'est là contre que je m'insurge : je ne vois pas de raison d'accorder la priorité à la création de postes en lien avec les multinationales.
M. Dominique Hausser (S). Je ne reviendrai pas sur toute la discussion concernant les multinationales, à propos desquelles un certain nombre d'éléments objectifs viennent d'être rappelés par M. Godinat.
Cette motion pose plusieurs problèmes hormis celui-là. Tout d'abord, le centre Uni-Emploi existe : il a des objectifs précis qui sont d'informer les étudiants sur la manière d'entrer en contact avec les entreprises de la place, et dans ce domaine il joue son rôle. Je ne vois pas comment ni pourquoi l'université devrait s'engager dans la création, ou favoriser la création d'emplois : nous avons un gouvernement qui est chargé de cette tâche. A cet égard, on peut d'ailleurs se poser la question - et je la pose à celles et ceux qui soutiennent cette motion - de savoir s'il ne s'agit pas simplement de défiance à l'égard du département de l'économie et du Conseil d'Etat en général, qui serait incapable d'effectuer son travail.
Je crois que cet élément est extrêmement important. On ne va pas demander à l'université de favoriser la création d'emplois, alors que sa tâche est de former des étudiants qui soient capables non seulement de travailler, mais également de s'insérer dans la société dans divers domaines et, plus largement, d'acquérir une culture générale. Voilà pourquoi, au-delà des arguments développés dans le rapport de minorité, on ne doit pas entrer en matière sur cette motion.
Le président. Ont encore demandé la parole Mme Wenger, M. Vanek, Mme de Tassigny et MM. Nissim et Lombard. Je vous propose de clore ici la liste des orateurs.
Mme Salika Wenger (AdG). Comme tout le monde, j'attends beaucoup de l'université - qu'elle soit le creuset où se forme la pensée de demain, qu'elle soit un lieu de débat ou de création, que sais-je - mais de là à la transformer essentiellement en une pourvoyeuse de chair à multinationales, il y a un monde ! Il n'y a malheureusement rien de drôle dans ce constat, surtout que cette motion induit quelque chose que je trouve très, très curieux : une université à deux vitesses ! Il y aurait une branche noble, qui formerait des étudiants à la compétition, à la rentabilité - les bons, donc - et une autre branche - je ne sais comment on pourrait l'appeler - qui formerait seulement à la réflexion et à la critique, donc des inutiles...
Pour que la pensée et l'éthique ne disparaissent pas totalement de l'université au profit de l'efficacité commerciale, pour que la bipolarisation manichéenne du monde vue d'un fauteuil de conseil d'administration ne devienne pas l'unique modèle de perception du monde, je vous invite tous à refuser cette motion.
M. Pierre Vanek (AdG). Je ne dirai que deux mots, Gilles Godinat ayant montré, dans sa dernière intervention, les problèmes que soulève cette motion de manière infiniment plus concrète que ceux qui la soutiennent, les problèmes réels de l'économie et de son développement dans ses structures actuelles.
J'ai demandé la parole après l'intervention de M. Lombard, pour lui répondre sur un point. M. Lombard a dit une chose complètement fausse, contre laquelle je tenais à m'élever personnellement. Il a dit qu'individuellement aucun des députés de l'Alliance de gauche ne soutiendrait cette motion, laissant entendre que ce serait une position adoptée pour Dieu sait quelles raisons politiciennes ou autres. Or, c'est absolument faux. Je tiens à dire ici publiquement - et je crois que j'exprime l'avis de l'unanimité des députés de l'Alliance de gauche - que le rapport de mon ami Gilles Godinat et ce qu'il contient n'est pas simplement une gesticulation politique. C'est au contraire une position raisonnée, de fond, critique par rapport à certains développements de l'économie dans cette société. Nous appliquons cette position à un problème concret, en réponse à une motion que vous proposez, mus peut-être par de bons sentiments mais sans aucune volonté de montrer les problèmes de la société tels qu'ils sont réellement. Mme Polla tout à l'heure en appelait à la bonne volonté contre la lutte des classes : mais, ce que l'on voit se dérouler dans le monde réel aujourd'hui se situe bien sur le terrain de la lutte des classes, à savoir une offensive terrible des possédants contre les plus démunis. C'est de cela qu'il s'agit, c'est une réalité concrète.
Je le répète et je crois parler au nom de mes collègues : ce n'est pas une position que nous soutenons seulement dans ce débat parlementaire ; c'est une position de fond, dont je suis prêt à discuter avec vous, Monsieur Lombard, en privé comme en public dans cette enceinte.
Mme Marie-Françoise de Tassigny (R), rapporteuse de majorité. Je crois que certains sont en train de se tromper de combat. En partant sur des grands débats philosophiques, je crois que M. Godinat mène vraiment un autre combat.
Cette motion avait comme objectif exprès de soutenir notamment le centre Uni-Emploi, qui est très attendu des étudiants. Il faut savoir que les étudiants attendent depuis longtemps qu'il y ait un lien sérieux, concret entre l'alma mater et la cité. Il faut donc soutenir, cautionner le centre Uni-Emploi, c'est très important.
Par ailleurs, nous sommes quand même très contents d'avoir toutes ces entreprises multinationales sur notre territoire qui, économiquement, nous rapportent. De plus, on ne peut pas, alors qu'on prône l'entreprise citoyenne, l'entreprise qui s'intéresse à la vie de la cité, ne pas encourager celles-ci, les inciter à engager des étudiants genevois. Et je vous promets que c'est vraiment une des attentes des étudiants.
Ne nous trompons donc pas de combat, ne nous lançons pas dans un grand débat philosophique, économique, mais parlons plutôt du bien-être du canton de Genève, qui était vraiment l'objet de cette motion.
M. Chaïm Nissim (Ve). Je voudrais répondre en deux mots à Gilles Godinat. Vous dites que les multinationales détruisent l'emploi : c'est vrai et c'est le problème économique gigantesque que nous avons aujourd'hui dans nos pays. Vous dites ensuite que cette motion veut privilégier, en priorité - vous avez employé ces deux mots - les contacts entre Uni-Emploi et les multinationales, mais cela, ce n'est pas vrai ! Ce n'est pas cette motion qui dit cela, c'était la précédente. Celle-ci invite à inciter, à soutenir et à développer le dialogue et les contacts entre Uni-Emploi et les multinationales. On ne peut pas refuser de dialoguer avec ces sociétés, même si effectivement elles posent de gigantesques problèmes économiques et détruisent des emplois. Justement, pour pallier ces problèmes économiques, il faut dialoguer, expliquer, parler et on pourra éventuellement contrôler ces multinationales, mais ce n'est pas en refusant le contact qu'on peut le faire.
M. Armand Lombard (L). Je voudrais ajouter quelques points qui me paraissent fondamentaux. Les modifications, les restructurations d'entreprises, Dieu sait si nous ne les apprécions pas, Dieu sait si elles sont choquantes quand telle grande multinationale annonce des milliers d'emplois perdus. C'est bien évidemment insupportable.
Cela dit, dans l'entreprise ordinaire, ou moins grande, il est évident qu'il y aura toujours des faillites, ou des fermetures, en toute bonne foi, de la part de patrons qui ne peuvent plus faire tourner leur affaire. Nous sommes là pour contrôler que cela se fasse correctement, mais il arrive que des entreprises se portent mal, qu'elles doivent se réorienter et aient besoin de moins de personnel. De même, il arrive aussi le contraire : elles peuvent se réorienter pour le mieux et engager plus de personnel. Il faut donc se faire à l'idée que la mobilité est nécessaire. Elle fait peur à celui qui perd son emploi, mais qui d'entre nous, dans ce Grand Conseil, n'a pas dû une fois changer de job parce que son entreprise se transformait ? Ce sont des choses qui arrivent et je crois qu'il nous faut vivre avec.
Le deuxième point que j'aimerais relever, c'est que, bien sûr, l'université doit former les étudiants, non pas pour qu'ils servent de chair à canon, de pâte à fusil... ou à dent..., comme vous voudrez, mais simplement pour qu'ils puissent s'insérer dans la société. Or, s'insérer dans la société, malheureusement ou heureusement, c'est y trouver un job, c'est y trouver une situation, un intérêt. Si bien que je ne vois absolument pas cette motion comme une motion dictée, patronnée, pistonnée, instillée par le responsable de l'économie publique : je la vois comme une motion qui cherche à améliorer les relations, ainsi que l'a souligné Chaïm Nissim, qui cherche à instaurer un dialogue et à créer un certain nombre de postes.
Dernière chose : l'exode des élites. Je l'ai mentionné tout à l'heure, l'exode des élites peut aussi s'appeler stage à l'étranger, ou ouverture sur l'extérieur, ou encore expérience. Cela peut aussi signifier sortir de chez son papa et sa maman, ou sortir d'une ambiance trop morose dans un milieu donné. C'est en l'occurrence une valeur ajoutée que peuvent nous fournir les sociétés multinationales, puisqu'elles offrent bien entendu plus de facilités, disposant de larges réseaux. En l'occurrence, cette motion peut aussi être un moyen pour nos étudiants d'aller visiter des entreprises sur lesquelles on a beaucoup à dire mais qu'on ferait bien de connaître de l'intérieur !
Le président. Nous arrêtons là nos travaux. La séance reprendra à 10 h.