Séance du vendredi 29 octobre 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 11e session - 49e séance

M 1199-B
a) Motion de Mmes et MM. Christian Ferrazino, Danielle Oppliger, Marie-Paule Blanchard-Queloz, Dolorès Loly Bolay, Christian Grobet et Bernard Clerc sur l'envol de Swiss World Airways. ( -) M1199
 Mémorial 1998 : Développée, 2369. Renvoi en commission, 2379.
 Mémorial 1999 : Rapport, 1010. Adoptée, 1015.
M 1250-A
b) Motion de Mme et MM. Christian Grobet, Dolorès Loly Bolay et Pierre Vanek sur le taux de fréquentation et le cash flow de la SWA. ( -) M1250
 Mémorial 1998 : Annoncée, 6742. Développée, 8022. Adoptée, 8037.

11. Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur les objets suivants :

Nous nous proposons de répondre dans le même rapport à la motion sur le taux de fréquentation et le cash-flow de la SWA (M 1250), renvoyée au Conseil d'Etat le 18 décembre 1998, ainsi qu'à la motion concernant l'envol de Swiss World Airways (M 1199-A), renvoyée au Conseil d'Etat le 26 février 1999.

Raisons et conditions de la participation de l'Etat de Genève (M 1199 et M 1250)

Il convient de rappeler d'abord les raisons qui ont poussé l'Etat de Genève à investir dans SWA et à ne pas revendiquer une représentation dans le Conseil d'administration de la société. Comme chacun le sait, c'est à la suite de la décision de Swissair, annoncée en avril 1996, de concentrer la plupart de ses vols long-courriers sur son aéroport d'attache de Zurich que l'idée d'une compagnie intercontinentale basée à Genève a vu le jour.

Le Conseil d'Etat a appelé de ses voeux la réalisation de ce concept « compte tenu du nombre d'emplois qu'il créera et de l'importance qu'il aura pour la desserte aérienne de la Suisse romande », comme il l'écrivait le 16 juin 1997 à SWA. Il se déclarait alors prêt, outre sa mise de fonds initiale de CHF 60'000.-, « à participer à l'augmentation du capital social à hauteur de CHF 5'000'000.- (cinq millions) ».

Cet engagement avait été arrêté dans le cadre de la Conférence des Gouvernements des cantons de Suisse occidentale, où d'autres cantons romands sont également convenus d'investir les sommes suivantes :CHF 900'000.- pour le canton de Vaud ; CHF 500'000.- pour le canton du Valais ; CHF 400'000.- pour la République et canton de Neuchâtel ;CHF 200'000.- pour la République et canton du Jura. Il y a lieu d'ajouter à ces fonds publics effectivement versés en un ou deux temps dès l'automne 1997, une souscription de CHF 200'000.- du canton de Fribourg faite en août 1998, ainsi que les souscriptions de deux communes vaudoises, soitCHF 50'000.- pour la Ville de Vevey et CHF 4'000.- pour la commune de Saint-Sulpice.

D'autres collectivités publiques ont soit renoncé à devenir actionnaires de SWA (Ville de Lausanne), soit assorti leur participation de conditions ou délais qui ne se sont pas matérialisés (Ville de Genève, 2e tranche deCHF 200'000.- du canton de Fribourg).

Notre Conseil avait lui-même assorti la participation financière de l'Etat de Genève et la libération des sommes convenues de conditions spécifiques figurant dans sa lettre du 16 juin 1997, lesquelles portaient notamment sur la souscription effective de l'augmentation du capital social par des investisseurs privés et publics suisses et étrangers dans les proportions requises par la loi fédérale sur l'aviation, la délivrance des concessions et autorisations nécessaires par l'OFAC, la finalisation de négociations avec American Airlines pour l'accès à son système de réservation, à son programme frequent flyers, ainsi qu'à sa désignation en tant qu'agent SWA pour les USA et enfin sur le renforcement du conseil d'administration, jusqu'alors formé d'un seul administrateur. SWA a répondu par ses correspondances des 1er octobre 1997 et 22 juillet 1998 de façon acceptable à ces conditions, permettant le versement des fonds promis. En revanche, il n'avait pas été envisagé, à l'époque, d'obtenir d'autres garanties au sens de la 2e invite de la motionM 1250, compte tenu des risques inhérents au lancement d'une compagnie aérienne.

Nous avons toujours été pleinement conscients de ces risques, ce d'autant que le projet SWA n'avait aucun précédent dans le monde du transport aérien. Au vu de l'échec de ce projet, il est tentant et facile aujourd'hui d'amplifier les risques encourus. Mais ce serait méconnaître le fait qu'en l'espèce, c'est incontestablement la très mauvaise gestion de l'entreprise qui est à l'origine de son échec, bien davantage en tout cas qu'une éventuelle sous-évaluation des risques.

C'est au demeurant l'appréciation de ces risques qui nous avait incités à ne pas revendiquer d'emblée un siège au sein du Conseil d'administration de la nouvelle société, considérant qu'une telle représentation ne se justifierait pas avant le début effectif des opérations aériennes. Dans un premier temps, il avait ainsi été demandé à M. Philippe Rochat, de retour à la direction de l'Aéroport International de Genève après 6 ans à la tête de l'Organisation de l'aviation civile internationale à Montréal, d'accepter un mandat d'administrateur de la société à titre personnel, mandat qui aurait dû prendre fin aussitôt après le lancement des premiers vols pour permettre précisément la désignation d'un représentant officiel de l'Etat de Genève. Une telle évolution n'a pu se faire, compte tenu des événements. M. Rochat a accepté de prolonger son mandat pour assurer une certaine continuité, compte tenu de nombreux départs et démissions, jusqu'à la liquidation de la société ou son éventuelle relance.

M. Rochat a été l'interlocuteur principal des collectivités publiques dans le dossier SWA. Il est conscient qu'il ne leur a pas toujours fourni toutes les informations dont elles pouvaient avoir besoin et que son rôle de Président du Conseil d'administration a pu le conduire à un optimisme de façade, contraire aux exigences de la transparence.

Pour le surplus, les éléments de réponse figurant ci-après reposent principalement sur l'audit établi par Deloitte & Touche.

Analyse du marché (M 1250)

Pour en revenir à la naissance de SWA, elle ne paraît pas avoir été précédée d'une analyse du marché aussi approfondie que la situation le méritait. En réponse à la 3e invite de la motion M 1250, on relèvera qu'un premier Business Plan avait été élaboré dès l'été 1997, qui allait servir de base au prospectus de souscription distribué en vue de la première augmentation de capital cet automne 1997. Il ne nous a pas été possible d'établir si ce document contenait des éléments erronés, comme semble le suggérer le rapport d'audit mis récemment à la disposition des actionnaires de SWA. Force est cependant de constater que la stratégie sur laquelle reposait ce document, basée sur des avions long-courriers de capacité moyenne (200 sièges) et sur un réseau d'alliances indispensable pour augmenter les taux de remplissage avec des passagers en correspondance, a dû être modifiée en raison du scepticisme des milieux intéressés.

On rappellera à cet égard les difficultés de SWA à trouver des avions, qui allaient retarder à plusieurs reprises son décollage et amener la société, au terme d'une nouvelle analyse du marché, à redimensionner ses opérations pour s'en tenir strictement au concept du transport de niche (niche-carrier) au moyen d'avions plus petits (90 à 150 sièges), sans besoin de l'apport des passagers en correspondance. C'est ce concept qui a fait l'objet d'un nouveau Business Plan présenté à l'assemblée générale ordinaire des actionnaires le 24 juin 1998, puis d'un second prospectus de souscription en vue d'une nouvelle augmentation de capital en automne 1998.

Entre-temps, SWA allait trouver son premier avion, un B767-200 de 160 sièges loué à Ansett/Australie et obtenir du Département fédéral des transports, de l'environnement, de l'énergie et de la communication, ainsi que de l'Office fédéral de l'aviation civile ses autorisations d'exploitation et sa concession de ligne. La compagnie pouvait ainsi ouvrir la ligne Genève - Newark le 10 septembre 1998, à raison de 5, puis de 6 vols par semaine.

Ce décollage tardif et cette évolution stratégique n'ont pas apaisé le scepticisme observé jusqu'alors. Bien au contraire, des doutes allaient être exprimés quant à l'emploi de Boeing B757 et B737 sur les lignesnord-atlantiques envisagées par SWA. Cette dernière s'est trouvée dans l'incapacité d'augmenter son capital, avec les conséquences que l'on sait : reconnaissance soudaine d'un état de surendettement au sens de l'article 725 CO ; interruption des vols dès le 3 décembre 1998 ; demande et obtention d'un sursis concordataire dès le 15 décembre 1998.

Le rappel de ces faits nous permet aujourd'hui, avec le recul, de formuler les remarques suivantes :

L'émotion soulevée par la décision de Swissair de concentrer ses opérations long-courriers à Zurich a été telle à l'époque que ses fondements économiques n'ont pas été pleinement analysés. La stratégie initiale de SWA en témoigne : elle ne se démarquait pas suffisamment de celle qui avait amené Swissair à abandonner le marché long-courrier inadapté à sa flotte en raison des limites du marché local et des faiblesses du réseau de correspondances. Il est vrai que pour cette compagnie le désengagement de Genève avait été amorcé bien avant la décision de 1996 et que celle-ci peut donc être considérée, à bien des égards, comme la résultante logique d'une diminution progressive de l'offre de bonnes correspondances à Genève. Mais il est tout aussi vrai que SWA, en tant que nouveau venu indépendant, sans véritable partenariat avec d'autres compagnies aériennes, ne pouvait raisonnablement espérer convaincre un grand nombre de passagers de transiter par Genève pour se rendre en Amérique du Nord.

Ce constat aurait dû inciter les promoteurs de SWA à davantage de prudence et de réalisme dans leurs choix initiaux. Nous pensons notamment au choix des premiers avions (B767 de 160 à 200 sièges), encore que la disponibilité d'appareils plus petits (B737) pour les vols intercontinentaux ne se soit matérialisée que postérieurement à ce choix initial, qui plus est dans un contexte, encore très controversé à ce jour, qui aurait fait de SWA la première compagnie à offrir des vols réguliers sur l'Atlantique Nord avec des avions de cette taille. Nous songeons aussi et surtout ici à une sous-évaluation des fonds propres nécessaires au lancement d'une compagnie aérienne long-courrier.

Dans le cadre des études récentes conduites en vue d'une éventuelle reprise des activités de SWA, le Professeur Rigas Doganis, dont la réputation n'est plus à faire dans l'industrie du transport aérien, est arrivé à la conclusion qu'une telle reprise, dans un cadre correspondant à la stratégie initiale de SWA, exigerait une nouvelle mise de fonds de l'ordre de 100 à 120 millions de francs. A l'origine, les promoteurs de SWA avaient estimé cette mise de fonds initiale à quelque 60 millions de francs, tout en acceptant de démarrer à la moitié de ce minimum. C'était manifestement insuffisant, d'autant que les chances de recueillir ultérieurement les millions manquant au départ étaient loin d'être garanties.

Fonds propres investis par les promoteurs de SWA et contributions de l'Aéroport International de Genève (M 1250)

Sur les 34 millions de francs investis dans SWA, les promoteurs de l'entreprise ont souscrit quelque 14 millions de francs, soit un peu plus de 42 %, alors que la part des collectivités publiques, avec 7,25 millions de francs, représente 22 % des fonds propres de la société. Le solde de près de 13 millions de francs se répartit entre des sociétés et personnes privées, suisses et étrangères, dont environ 200 petits actionnaires.

L'Aéroport International de Genève (AIG) n'a pour sa part jamais envisagé de devenir actionnaire de SWA, conformément à sa politique de stricte neutralité vis-à-vis de l'ensemble des compagnies aériennes qui sont ses clientes et partenaires. L'AIG n'a pas non plus consenti d'aides directes à la nouvelle entreprise, sinon dans le cadre des mesures promotionnelles dont bénéficient, non pas les nouvelles compagnies, mais les nouvelles lignes régionales, continentales ou intercontinentales ouvertes au départ ou à destination de Genève. C'est ainsi que la nouvelle ligne Genève - Newark, exploitée par SWA, a bénéficié de la gratuité des redevances d'atterrissage, ainsi que du remboursement, à hauteur de CHF 500'000.-, de ses frais effectifs de marketing et d'assistance aéroportuaire. De tels avantages auraient été consentis à toute autre compagnie aérienne en application de la politique tarifaire de l'AIG.

Les locaux mis à disposition de SWA, de même que les autres services aéroportuaires fournis à la compagnie ont été normalement facturés. Quant au salaire de M. Rochat, il a toujours été payé par l'AIG, dès lors qu'il correspond à un poste de chargé de mission dont la fonction d'administrateur de SWA n'a jamais excédé 20 à 25 % du temps. L'AIG a ainsi apporté, de manière indirecte, son soutien à la création de SWA, du fait de son intérêt évident à l'établissement d'une compagnie aérienne sur son site.

On notera encore, en réponse à la première invite de la motion M 1250, que le Conseil d'administration de l'Aéroport International de Genève a accordé une avance d'un million de francs pour permettre le paiement des salaires et des charges sociales des quelque 120 personnes employées par SWA pour le mois de novembre et la première quinzaine de décembre 1998, soit les 6 semaines qui ont précédé l'obtention d'un sursis concordataire. Sans cette avance de trésorerie, les salaires n'auraient pas pu être payés à temps. De plus, conformément aux procédures en vigueur, la caisse cantonale de chômage doit rembourser à l'AIG l'essentiel de cette avance pour produire sa propre créance dans le cadre du sursis concordataire accordé à SWA.

Respect de la législation sur la protection des salariés (M 1250)

C'est l'occasion de revenir à la 4e invite de la motion M 1250 relative à la surveillance exercée quant au respect de la législation concernant la protection des salariés. Ni notre Conseil ni les services compétents de l'Etat n'ont été informés de problèmes liés au respect par SWA de la législation en question. Tout ce que nous savons, c'est qu'une contestation est pendante devant la juridiction des prud'hommes quant aux modalités du licenciement collectif auquel SWA a dû procéder dans le cadre de sa demande de sursis concordataire.

Dépenses, cash-flow et taux de fréquentation (M 1250 et M 1199)

D'une analyse sommaire des bilans financiers de SWA de décembre 1996 à décembre 1998, on retiendra les chiffres approximatifs suivants (en cours d'audit) :

- Revenus de l'exploitation aérienne (passagers + fret)  3

- Coûts directs passagers et fret  3

- Frais fixes (leasing, assurances, marketing, etc.) 10,8

- Frais de personnel (salaires, formation, uniformes, etc.)  9

- Honoraires consultants externes  2,5

- Perte d'exploitation 33,5

- Amortissements extraordinaires consécutifs à la cessation d'activité(y compris les frais de premier établissement) 12

- Perte totale 45,5

Entre le 10 septembre 1998 (date de son premier vol commercial) et le 2 décembre 1998 (date de suspension de ses opérations), SWA aura effectué 71 vols aller-retour entre Genève et Newark. 6636 passagers ont été transportés, ce qui correspond à un taux de remplissage de 29,4 % (17 % en première et business classes et 33,5 % en classe économie). En outre, 721 tonnes de fret ont été embarquées, ce qui correspond à un taux de remplissage de plus de 40 % (près de 100 % le dernier mois).

On remarquera que l'essentiel de la clientèle de SWA était originaire de notre région, ce qui tend à prouver que la Suisse romande et la France voisine, qui sont censées fournir un tiers environ des passagers long-courriers de l'aéroport de Genève, avaient très bien réagi à l'offre SWA sur le marché. En revanche, ni la clientèle de la région de destination (en l'occurrence la grande métropole new-yorkaise) ni la clientèle en correspondance, qui doivent assurer les deux autres tiers du remplissage des vols intercontinentaux, n'ont utilisé les services de SWA, ce qui explique la faiblesse relative des taux de fréquentation.

Il convient de relever que les vols SWA entre Genève et Newark et vice versa ont été opérés avec une parfaite régularité, une grande ponctualité et sans incident. La qualité des prestations et du service à bord a été relevée par de très nombreux passagers.

Conclusions

L'échec de SWA a été provoqué principalement par une gestion déficiente, par des retards et des hésitations, ainsi que par une politique de communication malheureuse.

L'entreprise n'a pas su recruter, notamment à ses postes dirigeants, des personnes disposant de l'expérience indispensable au lancement et à la gestion d'une compagnie aérienne long-courrier. Le Conseil d'administration aurait dû être beaucoup plus attentif à cette exigence de professionnalisme, même s'il n'est pas facile de trouver des cadres compétents sur un marché suisse du transport aérien encore marqué par plus de cinquante ans de monopole.

Les administrateurs de SWA auraient dû surtout exercer en matière de gestion le contrôle rigoureux qu'on est en droit d'attendre de tout administrateur de société commerciale dans notre pays. Des sommes très importantes ont ainsi été dépensées ou engagées sans analyse comparative ; des contrats inéquitables ont été conclus, des dépôts effectués sans clauses de restitution ; plus préoccupant encore, des consultants de toutes sortes, souvent proches de dirigeants de la société, ont été très largement payés pour les activités dont l'utilité ou le résultat sont loin d'être établis.

Après avoir pris connaissance du rapport d'audit présenté à l'assemblée générale extraordinaire de SWA du 29 mars 1999 et mis à la disposition des actionnaires, les représentants des cantons romands actionnaires se sont réunis sous la présidence de Mme Calmy-Rey. Ils ont constaté que les membres du Conseil d'administration et de la direction de la société portent une responsabilité certaine dans l'échec de SWA et que la qualité et la viabilité d'un projet, pourtant présenté par des personnalités dignes de confiance, n'ont pas été garanties. L'échec de SWA porte ainsi une grave atteinte à la crédibilité d'un projet qui entendait à juste titre associer les cantons romands et démontrer leur capacité d'agir ensemble en vue de conserver à l'Aéroport International de Genève son attractivité pour l'ensemble de la population de la Suisse occidentale.

Le rapport d'audit aurait pu justifier pleinement une plainte des cantons actionnaires pour que toute la lumière soit faite sur les responsabilités encourues. Les représentants des cantons actionnaires ont décidé d'y renoncer pour l'instant dans la mesure où le Procureur général de la République et canton de Genève a lui-même et d'office ouvert une enquête sur la gestion de SWA. Ils se réservent cependant de faire valoir leurs droits en fonction des conclusions de l'enquête.

Les circonstances dans lesquelles l'échec de SWA s'est produit ne justifient pas à nos yeux de modifier notre politique de promotion économique, ni notre volonté d'investir dans certains projets créateurs d'emplois s'ils revêtent une importance particulière pour l'avenir de notre région. SWA présentait un tel intérêt dès lors que la qualité de la desserte de l'Aéroport International de Genève, en particulier dans le domaine des long-courriers où elle s'est détériorée, mérite d'être défendue. On rappellera ici que l'Etat de Genève a de tout temps investi dans des compagnies aériennes pour favoriser leur présence à Genève. Il est ainsi devenu un actionnaire important de Swissair, puis un actionnaire fondateur de CTA et de Crossair.

C'est au demeurant par la vente, à un moment particulièrement favorable, d'actions Swissair - qui ont toujours figuré au patrimoine financier - que l'Etat a financé la première tranche de sa participation au capital de SWA(2,5 millions de francs), la deuxième tranche ayant été financée par des disponibilités issues de placements obligataires effectués il y a une dizaine d'années et qui sont venus récemment à échéance.

Nous restons dès lors convaincus que l'Etat de Genève doit continuer, par des mécanismes financiers appropriés, à favoriser l'émergence d'entreprises « à risques » et à stimuler ainsi le développement de notre région confrontée aux profondes mutations mondiales. Nous entendons cependant, forts de la récente et malheureuse expérience de SWA, exercer une vigilance accrue dans notre contrôle de la gestion des risques auxquels nous acceptons de participer.

Le Conseil d'Etat vous prie dès lors, Mesdames et Messieurs les députés, de prendre acte du présent rapport.

Débat

M. Christian Grobet (AdG). Nous avons pris connaissance du rapport du Conseil d'Etat sur cette lamentable affaire de la SWA, rapport qui est totalement insatisfaisant. Il démontre que le Conseil d'Etat n'a pas tiré les conséquences de cette lamentable affaire, puisqu'il entend faire assumer quasiment exclusivement la responsabilité aux administrateurs de la SWA, pour les graves fautes de gestion qui ont été commises.

C'est vrai, les administrateurs de la SWA ont commis un certain nombre d'erreurs et géré cette compagnie de façon inacceptable. Mais ce qui est tout aussi inacceptable, c'est que le Conseil d'Etat s'en soit rendu compte aussi tardivement... Il apparaissait tout de même, bien avant que la compagnie ne lance ses premiers vols à partir du mois de septembre de l'année dernière, qu'on avait affaire à une équipe de bluffeurs qui racontaient n'importe quoi et, surtout, qui mentaient sur toute une série de questions ! Alors, quand on a affaire à des gestionnaires d'une entreprise dans laquelle on a investi et qu'on se rend compte qu'ils racontent n'importe quoi - je ne ferai pas ici l'injure de rappeler au Conseil d'Etat toutes les déclarations et les fanfaronnades de la SWA sur l'obtention des autorisations qui étaient nécessaires - on doit se montrer beaucoup plus circonspect et beaucoup plus attentif que ne l'a été le Conseil d'Etat, s'agissant de la gestion de l'entreprise !

Effectivement, on peut comprendre que le Conseil d'Etat n'ait pas revendiqué un siège au sein du conseil d'administration, parce qu'en entrant au conseil d'administration on prend des responsabilités. Mais le Conseil d'Etat de l'époque a retenu une formule totalement insatisfaisante - ce qu'il met en évidence dans son rapport - en désignant M. Rochat plus ou moins ad personam, tout en disant expressément que celui-ci était tout de même là pour représenter les intérêts de l'Etat et lui faire rapport sur ce qui se passait. Le Conseil d'Etat reconnaît que M. Rochat, dont on sait qu'il a raconté toutes sortes de choses fausses à la presse, n'a pas fait rapport auprès du Conseil d'Etat comme il aurait dû le faire.

Le statut de M. Rochat, qui était en même temps un des directeurs adjoints ou en tout cas un des cadres de l'aéroport, était totalement insatisfaisant. Si la logique du Conseil d'Etat était de dire qu'il ne fallait pas siéger dans ce conseil d'administration, il ne fallait pas y envoyer M. Rochat, et encore moins accepter qu'il devienne plus que le porte-parole : le sauveur potentiel de l'entreprise ! M. Rochat aurait dû être envoyé comme expert. Le Conseil d'Etat aurait pu déléguer des experts pour vérifier un certain nombre de choses qui ont été vérifiées ultérieurement, mais, hélas, beaucoup trop tard.

Alors, le Conseil d'Etat ne peut pas se contenter de dire que la SWA a commis une faute de gestion, ce qui est évident, et que cela ne va pas modifier sa politique. Nous tenons à dire à M. Lamprecht que nous sommes bien entendu favorables à ce que l'Etat prenne des risques. Que nous admettons le fait que certaines aides à l'économie peuvent être à fonds perdus. Mais lorsque ces aides sont importantes - plusieurs millions - nous souhaitons qu'à l'avenir un suivi attentif soit effectué sur l'utilisation de ces deniers.

Le rapport dit que le taux moyen d'occupation des vols de la SWA n'était que de 27%, moyenne des chiffres du rapport qui donne les taux de la première classe et de la classe économique. Mais M. Rochat, représentant de l'Etat, déclarait à la presse que ce taux dépassait 70 ou 75% ! A noter du reste que ce taux d'occupation ne veut rien dire du tout ! En effet, vous le savez aussi bien que moi, on peut remplir un avion tout en faisant un énorme déficit, si les billets sont vendus à un prix ridicule qui ne couvre pas les charges d'exploitation.

Le Conseil d'Etat explique dans le rapport qu'il laissait faire jusqu'aux premiers vols - sous-entendu qu'après il suivrait les choses de près, peut-être même en entrant dans le conseil d'administration. En l'occurrence, après les déclarations de M. Rochat, on aurait dû vérifier. Ce n'était pourtant pas difficile de vérifier les taux d'occupation des avions, quel était le coût effectif d'un vol aller-retour Genève/New York et quels étaient les encaissements pour chaque vol ! Cela aurait permis d'éviter de dépenser des sommes astronomiques en quelques mois ! La réalité, c'est que chaque vol s'est effectué à perte - et à grande perte - jusqu'à ce que la caisse soit totalement vide ! Cela n'est pas acceptable !

Finalement, non seulement la collectivité a perdu de l'argent mais les actionnaires privés aussi, qui avaient investi de bonne foi dans cette société, car la participation de l'Etat était de nature à leur donner confiance. A ce sujet, je souligne que le Conseil d'Etat avait une double responsabilité : s'assurer que les deniers soient utilisés judicieusement et veiller à ce que la participation des pouvoirs publics, dont on a énormément parlé, ne représente pas une sorte de garantie pour les actionnaires privés - garantie qui s'est finalement avérée ne pas en être une !

Nous prenons acte de tout cela. Je remercie le Conseil d'Etat d'avoir fourni un certain nombre de renseignements précis qui confirment, hélas, ce que nous pressentions. Nous encourageons le Conseil d'Etat, malgré cette affaire, à continuer de faire ce qu'il peut pour aider les entreprises créatrices. Tout ce que nous souhaitons, Monsieur Lamprecht - mais vous n'êtes pas en cause, ce n'est pas vous qui avez lancé cette affaire - c'est qu'à l'avenir une cellule composée de représentants de votre département, ou le contrôle financier de l'Etat par exemple, exerce précisément un contrôle.

Je crois - et ce sera ma conclusion - que vous avez raison de ne pas vouloir siéger dans les conseils d'administration des entreprises qui sont aidées, à la condition qu'une cellule de contrôle performante s'assure de leur bonne gestion, pour éviter d'en arriver à une situation aussi désastreuse que celle-là. 

Mme Dolorès Loly Bolay (AdG). Je suis très gênée ce soir de m'exprimer sur ce rapport, alors que le Conseil d'Etat n'est pas là... à part vous, Monsieur Lamprecht, excusez-moi ! Mais vous n'êtes absolument pas responsable et j'aurais aimé m'adresser aux conseillers d'Etat - ils sont encore trois - qui faisaient partie de l'ancien gouvernement monocolore.

Les critiques que je veux exprimer rejoignent en partie celles de mon collègue Christian Grobet. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce rapport. J'ai lu les critiques faites dans ce rapport : le manque de professionnalisme, l'absence de réalisme et de prudence, la sous-évaluation des fonds propres et surtout, surtout, la très mauvaise gestion de l'entreprise qui est à l'origine de la débâcle de SWA.

Par contre, ce qui m'étonne c'est que rien n'est dit sur votre propre responsabilité. Vous avez fait confiance à une bande d'aventuriers, vous avez investi 5 millions du contribuable avec une légèreté inouïe, sans aucun suivi, les yeux fermés, sans même prévoir, comme l'avait fait la Ville de Genève ou la Ville de Lausanne, d'assortir votre participation à certaines conditions et délais. Vous avez failli à votre tâche ! Quand on investit des sommes aussi considérables, qui plus est avec l'argent du contribuable, on a le devoir moral de s'en préoccuper et on prend des précautions élémentaires ! En outre, vous n'avez jamais écouté les questions légitimes de plusieurs d'entre nous, qui avions tiré la sonnette d'alarme depuis le départ et qui vous avions dit tout le mal que nous pensions du projet SWA.

Vous dites de plus dans votre rapport que M. Rochat - il avait par ailleurs une double casquette - qui avait été sollicité par votre Conseil pour exercer le mandat d'administrateur et qui était, en plus, votre interlocuteur, n'aurait pas fourni les indications que vous lui aviez demandées, c'est-à-dire qu'il vous a menti. C'est totalement inacceptable ! Mesdames et Messieurs du Conseil d'Etat, vous devez assumer cette responsabilité et nous vous demandons de le faire !  

M. Jean-Claude Vaudroz (PDC). Ce que je viens d'entendre me surprend, mais qu'à moitié finalement ! Tout de même, je suis étonné de vous entendre, Madame Bolay, parler de la responsabilité du Conseil d'Etat ! En tout cas, je constate que vous n'êtes pas très entreprenants sur les bancs d'en face et cela ne me surprend guère. Quand on ne prend pas de risques, ce qui est sûr c'est qu'on ne risque rien !

Je suis plutôt mal à l'aise d'avoir à revenir sur cette affaire sur laquelle nous nous sommes très largement exprimés, en particulier en commission de l'économie. Nous avons suivi cette aventure qui a manqué - nous en sommes conscients - de beaucoup de rigueur. Des erreurs de gestions ont été commises, mais je trouve grave que l'on reproche au Conseil d'Etat de s'être engagé.

Monsieur Grobet, vous avez également reproché au Conseil d'Etat de ne pas avoir géré, pour ainsi dire, cette entreprise...

M. Christian Grobet. Contrôlé !

M. Jean-Claude Vaudroz. Oui, mais vous voulez contrôler dans le détail ! C'est tout simplement impossible ! Je vous demande de venir travailler en entreprise. Peut-être vous rendrez-vous compte alors des problèmes de gestion que cela comporte quand une entreprise est contrôlée par le biais d'un conseil d'administration ! C'est impossible, je le répète ! Du reste, ce n'est pas le rôle du Conseil d'Etat ! Au contraire, il serait positif de montrer que le Conseil d'Etat est créateur d'emplois par des conditions-cadres qu'il met lui-même en place, par exemple avec la LAPMI, Start-PME, la recapitalisation de l'OGCM ! Comme cela est dit et redit dans ce parlement depuis des années, des centaines et des centaines d'emplois ont été créés, mais vous passez dessus comme de l'eau sur les plumes d'un canard... Je trouve cela inadmissible ! Madame Bolay, je ne comprends vraiment pas votre intervention.

J'aimerais au contraire pousser et motiver le Conseil d'Etat pour qu'il prenne de tels risques et soutienne ainsi avec enthousiasme la création de nouvelles entreprises. C'est la seule manière de créer des emplois à Genève !

Monsieur Velasco, vous vous plaigniez tout à l'heure des problèmes liés au chômage. Eh bien, une des solutions au chômage, c'est bien la création de nouvelles richesses ! La création d'entreprises est incontournable, si on veut créer des emplois et ainsi diminuer le chômage. Mais cela ne se fait pas sans courir de risques. Si ce parlement n'est pas prêt à courir des risques, c'est tout à fait lamentable ! 

M. Carlo Lamprecht. Je peux comprendre l'agacement et la déception des députés à propos de cette affaire. Ce canton a en effet investi 5 millions dans une compagnie qui n'a pas marché, pour des raisons qui sont connues maintenant, mais qui nous ont échappé à un moment donné. Il est facile, aujourd'hui, de refaire l'histoire... Nous l'avons refaite, nous aussi, lorsque nous avons découvert certains faits...

Rappelez-vous tout de même que j'ai dit stop à ces messieurs, lorsque je me suis rendu compte - mais trop tard - que les choses n'allaient pas bien ! Malheureusement, le mal était fait. A un moment donné, un avion a décollé. Nous attendions ce moment depuis si longtemps que nous avons eu l'espoir d'y arriver, mais le marché n'a pas suivi. Je vous rappelle toutefois que la création d'une compagnie d'aviation n'est pas chose aisée. Ceux qui ont voulu se «réatteler» - si vous me permettez l'expression - à SWA s'en sont rendu compte.

Je ne vous cache pas que j'aurais peut-être commis la même erreur que le précédent gouvernement, vu la situation émotionnelle dans laquelle il se trouvait. Quoi qu'il en soit, en ma qualité de conseiller d'Etat, j'assume ses erreurs : les institutions restent, les hommes passent... En effet, après le départ de Swissair, cette compagnie représentait un véritable espoir pour l'économie genevoise et pour l'Aéroport de Genève. Rappelez-vous le rassemblement à l'Arena, où tout le monde manifestait... (L'orateur est interpellé par M. Grobet.) Peut-être pas tout le monde - Monsieur Grobet, vous n'y étiez sûrement pas - mais tout de même beaucoup de monde s'est mobilisé au départ de Swissair.

Il faudra être plus attentifs à la gestion des entreprises que nous subventionnons : vous avez raison ! Ce n'est pas toujours facile de le faire et il faudra que nous revoyions nos lois à cet égard : la LAPMI, Start-PME, etc. Nous devons définir le suivi de ces entreprises. Il ne suffit en effet pas de les aider, il faut également les accompagner. Nous essayons de voir quelle est la meilleure manière de le faire. Comme vous l'avez dit, Monsieur Grobet, le Conseil d'Etat n'a pas sa place dans les conseils d'administration.

L'aide aux entreprises qui a été dispensée depuis quelques années, que vous avez votée - c'est votre travail, ce n'est pas le mien, même si j'essaye de le continuer et de l'amplifier - a permis de créer des centaines et des centaines d'emplois. Cela vaut donc la peine de continuer, même si nous nous trouvons aujourd'hui devant un échec retentissant qu'il n'est pas agréable d'assumer, je vous l'avoue. Nous avons fait ce que nous avons pu - pour ma part, c'est ce que j'ai fait. Le gouvernement précédent y a cru : ma foi, il s'est «planté» ! Nous sommes maintenant en mesure de vous donner des résultats - nous ne les connaissions pas avant - et peut-être aurons-nous d'autres informations lorsque l'enquête sera terminée.

Mesdames et Messieurs les députés, en tant que responsable du département de l'économie, de l'emploi et des affaires extérieures, je peux simplement vous assurer que je veillerai à l'avenir à ce que de tels investissements fassent l'objet d'un suivi pour éviter tout nouveau dérapage.

Le Grand Conseil prend acte de ce rapport.