Séance du jeudi 28 octobre 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 11e session - 45e séance

PL 8146
30. a) Projet de loi de Mmes et MM. David Hiler, Chaïm Nissim, Anne Briol et Fabienne Bugnon constitutionnelle modifiant la constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (instituant le référendum financier obligatoire). ( )PL8146
PL 8147
b) Projet de loi de Mmes et MM. David Hiler, Chaïm Nissim, Anne Briol et Fabienne Bugnon modifiant la loi sur l'exercice des droits politiques (A 5 05). ( )PL8147

PL 8146

Projet de loi constitutionnellemodifiant la Constitution de la République et canton de Genève (A 2 00) (instituant le référendum financier obligatoire)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

La Constitution de la République et canton de Genève, du 24 mai 1847, est modifiée comme suit :

Art. 56  Référendum financier facultatif (note, nouvelle teneur)

Art. 56A Référendum financier obligatoire (nouveau)

1 Sont soumises au référendum obligatoire toutes les lois entraînant, pour le canton et pour un même objet, une dépense non renouvelable supérieure à 0,5 % des recettes inscrites au compte de fonctionnement.

2 Les comptes à prendre en considération sont ceux qui ont été arrêtés par le Grand Conseil avant l'adoption du projet de loi.

Art. 57 Exclusion de l'urgence (nouvelle teneur)

L'urgence ne peut être prononcée par le Grand Conseil pour les lois prévues aux articles 56 et 56A, à l'exception des lois relatives à un emprunt.

PL 8147

Projet de loi modifiant la loi sur l'exercice des droits politiques (A 5 05)

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

La loi sur l'exercice des droits politiques, du 15 octobre 1982, est modifiée comme suit :

Art. 84A Référendum financier obligatoire - délais (nouveau, inséré à la section 2)

Le Conseil d'Etat ordonne dans les six mois dès leur adoption par le Grand Conseil la votation sur les actes soumis au référendum obligatoire en vertu de l'article 56A de la Constitution.

EXPOSÉ DES MOTIFS

La majeure partie des 11 milliards de dette qui grèvent aujourd'hui les comptes de l'Etat de Genève est imputable aux investissements exagérés réalisés pendant les années 1980. Ceux-ci pèsent lourdement sur le budget de fonctionnement tant par le biais des amortissements (277 millions au budget 2000) que des intérêts passifs (398,6 millions). Dans une étude intitulée Mise en perspective du déficit des comptes de l'Etat de Genève (mars 1998), Gabrielle Antille, Marc Fues et Marc Betemps constatent : « L'origine du déficit remonte au comportement procyclique de l'Etat dans les années 80. » (p. 1).

Les mêmes auteurs relèvent que « les investissements nets ont été multipliés par 2.6 entre 1980 et 1987, le niveau atteint en 1987 s'étant à peu près maintenu jusqu'en 1991. Cette politique, d'une part, a engendré des coûts pour les périodes futures, non seulement à travers les amortissements mais également pas le biais des frais d'entretien que ces investissements suscitent et, d'autre part, empêche, actuellement l'Etat d'exercer sa fonction de stabilisateur économique. » (p. 3-4).

Les leçons du passé sont vite oubliées. Les auteurs de ce projet de loi craignent fortement que l'Etat ne s'engage dans un avenir très proche (pour ne pas dire immédiat) dans une politique irréfléchie d'investissements massifs, freinant ainsi le retour à l'équilibre déjà compromis par l'acceptation par le peuple genevois d'une baisse graduelle d'impôt de 12 %.

Nous craignons qu'un manque de maîtrise des investissements ne conduise à une dégradation à moyen terme de la qualité des prestations offertes dans le domaine de la santé et de l'enseignement, pour ne citer que les postes les plus importants du budget de l'Etat de Genève. Il nous paraît absurde de prendre le risque que la population genevoise soit moins bien soignée et que les effectifs des classes continuent à augmenter parce que ni le Conseil d'Etat, ni le Parlement n'ont la volonté ou le courage de résister aux pressions dont ils font l'objet de la part des milieux ou (des services) intéressés.

Genève est riche et même très riche en équipements publics les plus variés, réalisés souvent à prix d'or. Aujourd'hui la plus grande prudence s'impose. Cette prudence, nous n'entendons pas l'imposer à la population, mais la pratiquer en lui donnant la parole. Récemment une initiative a été déposée qui prévoit de consulter le corps électoral lors de chaque création ou augmentation d'un impôt. Il s'agit là d'un élargissement des droits populaires qui devrait être bien accueilli par tous. A notre sens, toutefois, il doit avoir son corollaire dans le domaine des dépenses.

Pour un élargissement des droits populaires

C'est pourquoi nous proposons aujourd'hui d'introduire dans la Constitution genevoise une clause prévoyant le référendum obligatoire pour les investissements d'une certaine ampleur. Son principal mérite est de permettre aux citoyennes et aux citoyens de ce canton de se prononcer sur des projets phares, ayant indiscutablement des conséquences à long terme. En Suisse, une telle disposition n'a rien de révolutionnaire, puisqu'on la retrouve dans 12 cantons suisses. Nous estimons que les citoyens ont le droit de s'impliquer davantage dans la gestion financière de l'Etat.

En instituant un référendum financier obligatoire pour les grands projets, nous assurons que chacun d'eux dispose d'une réelle assise populaire. Le référendum obligatoire évite en outre que seuls les groupes qui ont les moyens de récolter les signatures puissent provoquer une votation. Il se trouvera toujours un groupement d'intérêts assez puissant pour provoquer un référendum en matière fiscale, ce qui n'est manifestement pas le cas pour une bonne partie des grands projets de l'Etat.

Deux arguments sont généralement avancés pour s'opposer au référendum financier obligatoire.

Le premier conteste qu'un grand projet doive être traité différemment des autres projets de lois, soumis au référendum facultatif. Pour nous, le caractère obligatoire du référendum se justifie amplement par le fait que les grands investissements engagent l'avenir de manière irréversible. Ils occasionnent des dépenses d'amortissements et d'intérêts pendant des décennies, sans qu'il soit possible de revenir en arrière, contrairement aux autres lois occasionnant des dépenses régulières, qui peuvent être abrogées en tout temps.

Le second argument prétend qu'un référendum financier empêche la réalisation de tout nouveau projet. L'expérience dans les autres cantons ayant institué un référendum obligatoire montre que cette crainte n'est pas fondée.

Les effets positifs que nous attendons du référendum financier obligatoire sont d'un tout autre ordre.

La crainte du vote populaire poussera les services compétents à présenter des projets mieux dimensionnés et à des prix plus raisonnables qu'aujourd'hui.

Elle obligera aussi le Conseil d'Etat et le Parlement à définir des priorités au niveau des investissements, ce qui entraînera à n'en pas douter une belle revitalisation du débat politique.

Les dépassements de crédit seront plus rares, les magistrats hésitant, en principe, à bafouer les décisions populaires.

Le peuple ayant donné son avis préalablement assumera une véritable responsabilité.

Dans une optique strictement politicienne, le référendum obligatoire suscite forcément des inquiétudes, car chacun court le risque de voir « son » projet refusé par le peuple. Les auteurs de ce projet de loi constitutionnelle ont aussi leurs priorités dans le domaine des investissements (le raccordement des réseaux ferrés suisses et français et la réalisation d'un RER par exemple). Ils savent que parfois le peuple ne les suivra pas. Ils sont d'avis que dans un processus de réforme démocratique de la société, il est bon que le peuple ait le dernier mot.

Modalités du référendum financier obligatoire

Les cantons qui connaissent le référendum financier obligatoire définissent différemment la limite à partir de laquelle on peut parler d'un « grand projet ». Les cantons de Fribourg et de Vaud fixent par exemple un plancher de 20 millions. Les cantons de Neuchâtel et du Valais définissent pour leur part le plancher en proportion des recettes de l'Etat. La Constitution neuchâteloise par exemple fixe le plancher à 1.5 % du montant total des revenus destinés à couvrir les charges de fonctionnement de l'Etat.

Après réflexion, nous avons retenu un chiffre proche de celui que les Vaudois ont accepté en votation populaire l'année dernière, mais nous l'avons exprimé en pourcentage des recettes, pour éviter qu'il faille modifier trop fréquemment la Constitution pour adapter ce chiffre à l'évolution du coût de la vie ou simplement à celle du budget de l'Etat.

Au bénéfice de ces explications, nous espérons, Mesdames et Messieurs les députés, que le présent projet de loi recevra un bon accueil de votre part.

Ces projets sont renvoyés à la commission des finances sans débat de préconsultation.