Séance du jeudi 24 juin 1999 à 17h
54e législature - 2e année - 9e session - 33e séance

IN 110-C
18. Rapport de la commission ad hoc des jeux chargée d'étudier la recevabilité de l'initiative : Pour la suppression partielle du droit des pauvres. ( -) IN110
Mémorial 1998 : Page, 2336. Rapport du Conseil d'Etat, 2336. Pris acte, 2346.
Renvoi en commission, 2346. Rapport, 6146.
Recevabilité, 6148. Renvoi en commission, 6148.
Rapport de M. Bernard Lescaze (R), commission ad hoc des jeux

1.

Arrêté du Conseil d'Etat constatant l'aboutissement de l'initiative, publié dans la Feuille d'avis officielle le

16 février 1998

2.

Débat de préconsultation sur la base du rapport du Conseil d'Etat au sujet de la validité et de la prise en considération de l'initiative, au plus tard le

16 mai 1998

3.

Décision du Grand Conseil au sujet de la validité de l'initiative sur la base du rapport de la commission législative, au plus tard le

16 novembre 1998

4.

Sur la base du rapport de la commission désignée à cette fin, décision du Grand Conseil sur la prise en considération de l'initiative et sur l'opposition éventuelle d'un contreprojet, au plus tard le

16 août 1999

5.

En cas d'opposition d'un contreprojet, adoption par le Grand Conseil du contreprojet, au plus tard le

16 août 2000

Sous la présidence de Mme Reusse-Decrey, la Commission des jeux chargée d'examiner l'initiative « Pour la suppression partielle du droit des pauvres », s'est réunie à 8 reprises, soit le 23 novembre 1998, les 4, 11 et 15 janvier 1999, les 1er et 8 février 1999, le 1er mars 1999 et le 19 avril 1999.

Introduction

Il est rappelé qu'en date du 22 septembre 1998, la Commission législative a examiné la validité de l'initiative populaire 110 et l'a déclarée recevable, (voir le rapport IN 110-B).

Le Grand Conseil a suivi la Commission législative. En conséquence, une commission ad hoc des jeux a été chargée d'en étudier le fond. Il convient de rappeler que cette Commission des jeux avait déjà été saisie d'un projet de loi 7467, traitant de la même problématique. Le rapport concernant ce projet de loi figure au mémorial N° 53 du 7 novembre 1997.

A l'occasion de ce projet de loi, de nombreuses auditions avaient eu lieu et la Commission des jeux n'entend pas procéder à un double travail.

Il est rappelé la position de différents groupes face au problème récurant du droit des pauvres. Une partie du milieu culturel, en raison de la situation financière précaire des subventions culturelles, accepte de maintenir le droit des pauvres dont une autre commission rappelle qu'en 1979 déjà, il avait été question de changer son appellation.

La commission doit aussi se déterminer sur la nécessité ou non de proposer un contreprojet à l'initiative. D'autres commissaires mentionnent que le droit des pauvres doit être supprimé.

Trois questions paraissent devoir trouver une réponse, afin que la commission puisse prendre une décision en toute objectivité. Il s'agit de savoir qui s'acquitte du droit des pauvres, quels sont les critères d'attribution de la taxe et comment s'organise la perception.

Il est rappelé que 70 % du droit des pauvres est octroyé à l'Hospice Général, le reste revenant au DASS pour sa politique sociale, et qu'il existe à ce propos un organe de répartition.

Dès la première séance, il est suggéré d'auditionner le comité d'initiative, diverses organisations de spectacles et les représentants des deux départements concernés, à savoir DJPT et DASS.

Auditions

Le 4 janvier 1999, la commission procède à l'audition de M. Michael Drieberg, organisateur d'événements artistiques. Ce dernier rappelle que la profession traverse de graves difficultés financières. Par exemple, pour 80 concerts mis sur pied chaque année il y a 10 ans, seuls 20 sont actuellement organisés. En effet, les vedettes coûtent de plus en plus cher. Seuls les festivals (Montreux, Paléo) ou des villes importantes peuvent encore les attirer. Le promoteur explique qu'il n'est bientôt plus possible d'organiser des spectacles, dans la mesure où une succession de taxes étrangle les organisateurs. Par exemple, il n'est pas possible de récupérer la TVA, puisque les billets ne sont pas soumis à cette taxe.

M. Drieberg souhaite que les députés comprennent bien l'enjeu financier que représentent certaines productions. Le budget du « Fantôme de l'Opéra » s'élevait à 1 300 000 F. Seule la baisse du dollar lui a permis de rentrer dans ses frais ! Pour lui, cette situation est imputable non pas au taux de remplissage, exceptionnel à Genève, mais bien aux taxes à payer. L'organisateur de spectacles convient toutefois qu'à Lausanne, l'on doit également s'acquitter d'une taxe sur les spectacles.

L'organisateur, en réponse à une question, précise que la suppression de la taxe devrait se répercuter sur le prix des billets, car ce dernier n'est pas fixé dans le but de gagner de l'argent. Il s'agit de vendre des entrées au prix le plus bas autorisé, dans la mesure où cet élément a un fort pouvoir d'attraction sur les spectateurs. Les retombées sont ailleurs : sponsoring, vente de boissons, etc.

Le 11 janvier 1999, la Commission des jeux auditionne M. Alain Vaissade, conseiller administratif chargé des affaires culturelles de la Ville de Genève, accompagné de M. Pierre Roehrich, directeur dudit département. Le conseiller administratif souhaite apporter quelques éléments de réflexion à la problématique du droit des pauvres.

La position de son département est simple. La Ville s'acquitte par ricochet de plusieurs millions de francs chaque année, au titre du droit des pauvres. Une partie des recettes prélevées par ce biais est affectée à certaines institutions, l'Hospice Général notamment. Plusieurs millions de francs sont aussi redistribués à diverses institutions d'actions sociales. Le droit des pauvres représente une ponction importante qui diminue les recettes des institutions culturelles concernées. Celles-ci se retournent alors vers la Ville pour qu'elle augmente son taux d'effort en matière de subventionnement.

Pour le magistrat, la grande problématique à résoudre a trait à la redistribution des compétences et des moyens destinés à l'accomplissement des tâches de service public.

Un commissaire lui demande si le maintien d'un droit des pauvres est véritablement de nature à handicaper le développement du volet culturel. Le magistrat reconnaît que le droit des pauvres ne représente que quelques francs par place de spectacle. Par contre, il représente plusieurs millions sur la totalité du budget culturel. Le directeur des affaires culturelles, pour sa part, reconnaît que le rôle joué par le droit des pauvres dans la formation du prix des spectacles, semble difficile à distinguer. Il lui paraît douteux que le droit des pauvres constitue réellement un obstacle à la fréquentation des spectacles et autres manifestations.

Pour sa part, le magistrat est plutôt opposé à l'instauration d'une taxe sur la culture. Il lui paraît préférable de taxer ce qui est nuisible au fonctionnement de la société. Le magistrat estime qu'il appartient à la commission de se prononcer sur l'éventuelle idée d'un contreprojet.

Le 11 janvier 1999, la commission auditionne le comité d'initiative pour la suppression partielle du droit des pauvres, représenté par M. Pierre Kunz, président, M. Jean-Marie Revaz, vice-président d'Orgexpo et de Palexpo, M. Willy Wachtl, président du Groupement des cinémas genevois, M. Michael Drieberg, organisateur de spectacles, M. Daniel Perroud, organisateur de manifestations sportives, Mme Nicole Condurey, représentante de l'Association des cafés-concerts, cabarets, dancings et discothèques, M. Jean-Luc Vincent, directeur du Salon des inventeurs, M. Fernand Moennat, représentant la corporation des forains et M. Raymond Walther, président de l'Association genevoise des sports.

M. Pierre Kunz indique que le conseiller administratif Haediger soutient l'action du comité. M. Revaz, après avoir brossé un bref historique du droit des pauvres, mentionné quelques chiffres y relatifs, notamment qui ne représentent que 0,75% des recettes de l'Etat, juge que la loi actuelle est manifestement inadaptée à la situation de la société contemporaine. Plutôt que de l'examiner dans le contexte des difficultés budgétaires présentes, il convient d'analyser l'avenir du droit des pauvres par rapport aux conditions-cadres de l'économie, à la capacité concurrentielle de Genève, à l'équité fiscale et à la cohérence de la politique de subventionnement des institutions caritatives, culturelles et sportives.

Il rappelle que l'initiative 110 demande la suppression pure et simple du droit des pauvres sur toutes les activités autres que les loteries, les tombolas et les jeux d'argent divers, ainsi que la suppression de ce droit sur les tombolas et loteries lorsque celles-ci sont organisées au profit d'associations caritatives, culturelles ou sportives sans but lucratif, étant toutefois précisé que l'initiative n'empêche nullement la recherche de ressources compensatoires. Il s'agit en l'occurrence de corriger les disparités intercantonales.

Au cours de diverses interventions ponctuelles, il est rappelé que les cinémas se sont engagés à baisser leur prix dès que le droit des pauvres sera aboli. La représentante de l'Association des cafés-concerts, cabarets, dancings et discothèques, se plaint que les établissements mentionnés sont soumis doublement à cette taxe, par le biais des entrées d'une part, par le biais des boissons d'autre part, une contribution forfaitaire étant prélevée à l'avance sur la consommation de boissons. Il convient par ailleurs de savoir que le droit des pauvres constitue l'une des 28 taxes dont doivent s'acquitter les établissements mentionnés. De même, M. Moennat rappelle que les forains doivent s'acquitter du droit des pauvres avant même de faire tourner leurs carrousels, ce qui entraîne une concurrence accrue de la part des forains alémaniques qui ne connaissent pas ce type de taxe chez eux.

Le président du comité d'initiative s'interroge : à supposer qu'il faille décider aujourd'hui de lever une nouvelle taxe pour financer les activités de l'Hospice Général, qui aurait l'idée saugrenue, en cette fin de XXe siècle, de taxer la culture, les spectacles, les foires commerciales, le sport et les manifestations caritatives ? Personne bien sûr ; c'est, pour lui, la preuve la plus évidente que cette taxe, appelée d'une manière trompeuse droit des pauvres, est un impôt anachronique, discriminatoire et injuste, qui doit être supprimé.

Le 25 janvier 1999, la commission auditionne M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat. Après avoir remis à la commission un point de situation relatif à la problématique du droit des pauvres soulevée par l'initiative 110, il rappelle que le Conseil d'Etat a proposé dans son rapport au Grand Conseil du 23 avril 1998, de rejeter l'initiative 110 et de lui opposer un contreprojet. La récente publication, le 30 décembre 1998, de la loi fédérale sur les jeux de hasard et des maisons de jeux, est venue confirmer les craintes manifestées par le Conseil d'Etat et le Grand Conseil lors du rejet du projet de loi 7467. L'impôt sur les maisons de jeux ira exclusivement dans les caisses de l'AVS. Il serait donc vain de penser qu'il sera possible de prouver, après avoir supprimé le droit des pauvres, une compensation au niveau des casinos.

Le Conseil d'Etat n'entend pas modifier sa politique en matière de droit des pauvres, compte tenu des circonstances économiques actuelles. D'ailleurs, treize cantons perçoivent, directement ou par délégation aux communes, une taxe analogue au droit des pauvres. Plusieurs pays européens connaissent également une taxe sur les spectacles, comparable à la taxe du droit des pauvres. On ne peut donc pas prétendre que cette taxe constitue un anachronisme.

Pour le conseiller d'Etat, il convient d'opposer un contreprojet visant à maintenir le droit des pauvres à l'initiative 110. Ce contreprojet devrait comprendre les propositions suivantes :

Il faudrait abaisser le taux ordinaire de 13 à 10 % pour les entreprises de spectacles et les organisateurs ponctuels. Cette réduction de 3 % profiterait aux assujettis ordinaires et correspondrait au taux réel net de la TVA frappant les grands salons et les expositions nationales.

Il faut maintenir le taux de 10 % sur les loteries nationales.

Il faudrait abaisser le taux de 10 à 5 % pour les sociétés locales à but non lucratif.

Il faut exonérer totalement les spectacles, manifestations, fêtes, loteries et tombolas, dont le produit net est intégralement versé à des oeuvres de bienfaisance.

Il faut supprimer la taxe de 0,25 ct sur les billets de faveur gratuits.

Il faut réduire la taxe forfaitaire et supprimer la taxe sur les appareils de reproduction de sons et d'images, dans les cafés-restaurants et dans les établissements assimilés.

Il faut augmenter le taux de 13 à 20 % sur les machines à sous, mais il convient d'examiner soigneusement les dispositions de la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeux.

Le conseiller d'Etat rappelle certains chiffres. En 1998, le produit de la taxe du droit des pauvres s'est élevé à 20,493 millions de francs. La répartition a porté sur 19,4 millions de francs, soit 13,6 millions pour l'Hospice Général et 5,8 millions pour l'Etat. Au niveau du droit des pauvres, il a été constaté en 1998 un très léger recul des recettes des cinémas et du football, un léger recul des loteries, un recul plus affirmé des jeux automatiques et du bowling. Cependant, d'une manière générale, le droit des pauvres a enregistré une augmentation de 338 000 francs par rapport à l'année précédente.

Une discussion s'engage entre les commissaires et les fonctionnaires du service du droit des pauvres, concernant la « paperasserie » exigée de certains organisateurs. Des réponses circonstanciées sont apportées. Au cours de la discussion il est rappelé, s'agissant des promesses de diminution de prix faites par les cinémas, qu'une situation analogue a été rencontrée dans l'initiative des taxis. Alors qu'ils avaient initialement promis des diminutions de tarif, une fois l'initiative acceptée, tous les taxis sont venus réclamer des augmentations.

Plusieurs commissaires souhaitent que le contreprojet soit transparent pour ce qui concerne l'affectation de la taxe sur le droit des pauvres. Les citoyens doivent avoir la conviction, sinon la certitude, que l'argent en question est alloué à ceux qui en ont réellement besoin. Pour ce faire, le Département de l'action sociale et de la santé fournira le détail de l'affectation des fonds.

Le 8 février 1999, la commission auditionne M. Guy Olivier Segond, conseiller d'Etat. Ce dernier souhaite préciser diverses questions relatives à la répartition et à l'utilisation des revenus provenant du droit des pauvres. Sur les 96 750 000 francs de subventions cantonales octroyées à l'Hospice Général en 1997, 13 450 832 francs proviennent du droit des pauvres et 83 299 168 francs des autres recettes ordinaires de l'Etat. Les comptes consolidés de l'Hospice Général montrent qu'en 1997 le droit des pauvres finance le 37,57 % des dépenses d'assistance publique, lesquelles s'élèvent à 37 812 781 francs.

La part du droit des pauvres attribuée à l'Etat de Genève s'est élevée à 5 764 642 francs en 1997. Les dépenses sont divisées en deux groupes sous la rubrique « Institutions privées » (rubrique 84.9900365) et « Versement au fonds » (rubrique 84.9900380). Les subventions octroyées à différentes institutions privées, d'un montant supérieur à 10 000 francs, sont accordées par le biais de projets de loi soumis au Grand Conseil. Les subventions accordées pour un montant inférieur à 10 000 francs à diverses institutions privées, figurent également sous cette rubrique. Elles sont accordées par un arrêté du Conseil d'Etat. Figurent également dans cette rubrique, des fonds d'aide en cas de catastrophes. Quant à la rubrique « Versement au fonds », elle représente la part non-utilisée du droit des pauvres qui s'est élevée à 339 642 francs en 1997.

Un commissaire constate que l'audition du magistrat montre bien que le droit des pauvres n'est pas une cassette secrète des magistrats et que la ventilation des versements est parfaitement transparente (voir annexe 2). Par ailleurs, le droit des pauvres joue à l'évidence un rôle important dans les ressources de l'Hospice Général consacrées à l'assistance publique.

Du coup, certains commissaires relèvent que parmi ceux qui s'opposent le plus fortement au droit des pauvres, se trouvent les organisateurs de manifestations sportives représentant 1,6 % du produit du droit des pauvres, les forains représentant 0,56 % du droit des pauvres, le football 1,56 % du droit des pauvres. Même les cinémas ne représentent que 16,33 % du produit du droit des pauvres.

Discussions

A la suite de la présentation - par M. Gérard Ramseyer, conseiller d'Etat - des principes généraux qui devraient sous-tendre le contreprojet proposé à l'initiative 110, une discussion s'engage afin d'évaluer l'impact de ces propositions (voir annexe 1).

Un commissaire remarque qu'il convient de saisir la chance historique qui se présente par le biais de cette initiative pour élaborer un contreprojet afin de faire en sorte que le droit des pauvres ne soit plus ressenti comme une entrave. Les pistes esquissées par le Département de justice et police, paraissent être de bonnes pistes de travail. L'ensemble des commissaires observent que ces pistes sont intéressantes, même si certaines doivent être encore affinées.

Proposition N° 1 - abaissement du taux ordinaire de 13 à 10 % du droit des pauvres.

Il s'agit là de la pierre de touche de tout le contreprojet éventuel. Une majorité des commissaires acceptent d'entrer en matière.

Proposition N° 2 - maintien du taux de 10 % sur les loteries nationales

Il est rappelé que le projet de loi 7467 (élaboré par le député Pierre Kunz) proposait d'augmenter le taux applicable aux loteries. La Commission des jeux est favorable à la proposition du département qui vise à maintenir le taux actuel de 10 %.

Proposition N° 3 - abaissement du taux de 10 à 5 % pour les sociétés locales à but non lucratif

La majorité de la commission est favorable à cette proposition. Elle constate toutefois qu'il s'agira de définir de manière précise, les mots « but non lucratif » et « sociétés locales ». Il est en effet parfois difficile de savoir s'il y a véritablement ou non, but lucratif.

Proposition N° 4 - exonération totale des manifestations dont le produit net est intégralement versé à des oeuvres de bienfaisance

La commission estime qu'il faut veiller à ce que le produit net récolté en faveur d'oeuvres de bienfaisance, ne diffère pas trop du produit brut, mais elle est favorable à cette proposition.

Proposition N° 5 - suppression de la taxe de 0,25 ct sur les billets de faveur gratuits

La commission ne formule aucun commentaire à ce sujet.

Proposition N° 6 - réduction de la taxe forfaitaire et suppression de la taxe sur les appareils de reproduction de sons et de l'image

Il est rappelé que la taxe forfaitaire calculée sur la base de 10 à 13 % de la recette brute, s'applique aux forains, aux dancings, ainsi qu'aux cafés-restaurants proposant animations et musiques. Cette taxe forfaitaire fait l'objet d'un règlement. S'agissant des forains, elle est calculée en fonction des montants introduits dans les appareils. Quant aux dancings, la taxe forfaitaire est aujourd'hui basée sur le chiffre d'affaires. La commission est favorable à la réduction de cette taxe forfaitaire, car le contreprojet pourra voir des chances d'aboutir, soit atteindre le plus grand nombre de personnes, au moindre frais possible.

Une discussion s'engage pour savoir si, le cas échéant, la part du droit des pauvres provenant du domaine sportif, respectivement du domaine culturel, pourrait être rétrocédée à la formation de jeunes sportifs, respectivement de jeunes artistes. Cette interrogation pose un problème de principe : le droit des pauvres doit-il exclusivement revenir à des opérations réalisées en faveur des pauvres, de la santé publique ou du bien-être social, ou peut-il s'ouvrir à d'autres domaines ? Les commissaires constatent qu'ils doivent avant tout se déterminer sur le principe du contreprojet afin de l'opposer à une initiative qui apparaît excessive. Il convient donc de ne pas envisager de détourner le produit du droit des pauvres de sa finalité première. Pour certains commissaires, il ne faut pas oublier l'aspect symbolique du droit des pauvres qui milite en faveur du maintien de son appellation.

Proposition N° 7 - augmentation du taux de 13 à 20 % sur les machines à sous

Cette proposition mérite une analyse plus fine, une fois l'ordonnance fédérale édictée sur la base de la loi fédérale sur les jeux de hasard et les maisons de jeux publiée. Il ne faut pas s'attendre, toutefois, à de grandes possibilités de recettes de ce côté, la Confédération entendant garder pour elle l'essentiel de la taxation des machines à sous et des casinos.

Conclusions et vote de la commission

Une majorité de la commission est favorable à l'idée d'un contreprojet, même si celui-ci ne peut être envisagé, à l'heure actuelle, que sur la base d'un certain nombre de principes. Il s'agit donc d'opposer un contreprojet à une initiative intitulée, à la limite de l'honnêteté, « Pour la suppression partielle du droit des pauvres » alors qu'elle vise en réalité, la suppression totale du droit des pauvres en caressant l'illusion d'une augmentation des recettes par le biais des casinos. Ce qui importe est de définir une nouvelle assiette du droit des pauvres qui ne soit pas significativement entamée, mais dont le nouveau découpage entraîne l'approbation d'une majorité.

Par un premier vote sur le principe d'un contreprojet, la commission se prononce par 8 oui (3 S, 2 AdG, 1 R, 2 DC) contre 0 et 3 abstentions (2 L, 1 R).

Proposition N° 1 - abaissement du taux ordinaire de 13 à 10 % du droit des pauvres.

La diminution de recette se monterait à 2 561 000 francs.

Vote : la proposition pour un abaissement raisonnable du taux ordinaire est acceptée par 8 oui (2 AdG, 1 DC, 1 R, 3 S, 1 Ve), avec 2 abstentions (1 L, 1 R).

Proposition N° 2 - maintien du taux de 10 % sur les loteries nationales

La proposition est acceptée par 8 oui (2 AdG, 1 DC, 1 R, 3 S, 1 Ve), avec 2 abstentions (1 L, 1 R).

Proposition N° 3 - abaissement du taux de 10 à 5 % pour les sociétés locales à but non lucratif

La plupart des commissaires estiment que c'est à ce niveau qu'il faut porter l'effort principal. Un commissaire suggère même la suppression totale, soit 0 %. L'administration explique qu'il s'agit de conserver le principe de la taxe puis de le moduler en trois volets, 10 %, 5 % et 0 %, de même, la distinction entre les sociétés à but non lucratif et le versement à une oeuvre caritative, qui implique un taux de 5 % dans un cas et de 0 % dans l'autre, est de nature historique, mais que le Conseil d'Etat est d'avis de la respecter.

Les sociétés sont dites locales lorsqu'elles sont installées à Genève, soit selon la loi, depuis plus de deux ans. Le but lucratif est déterminé par le code des obligations. Les statuts de la société fourniront également des indications pour savoir si telle société doit être véritablement cataloguée comme « sans but lucratif ». Il est précisé que les sociétés au bénéfice du taux réduit de 5 % ne sont pas nombreuses, soit une trentaine par an.

En 1958, le Conseil d'Etat a répondu à un député qui sollicitait l'exonération totale en faveur des sociétés charitables, en précisant qu'il ne pouvait exonérer de manière complète les sociétés locales, parce que « les personnes qui répondent à l'appel des organisateurs ne sont pas appelées exclusivement par le désir d'accomplir un acte de charité. Le prestige d'un conférencier, la qualité d'un spectacle ou d'un concert, joue un rôle non négligeable. »

Dans ces conditions, les commissaires constatent que le département devrait préciser davantage les diverses catégories qui bénéficieraient de la réduction envisagée sous le point 3. Il y a là source de confusion. Dans ces conditions, la commission, souhaitant que le contreprojet soit affiné, décide de ne pas voter sur ce point.

Proposition N° 4 - exonération totale des manifestations dont le produit net est intégralement versé à des oeuvres de bienfaisance

Une disposition du règlement prévoit qu'il faut que 50 % de la recette brute soit versée à l'organisation charitable pour bénéficier de la suppression du droit des pauvres. Pour l'administration du droit des pauvres, les situations doivent pratiquement être traitées toujours au cas par cas tant les situations peuvent être différentes. Même au cas où le versement serait très inférieur au 50 % de la recette brute, sans pour autant comporter des dépenses excessives, on pourrait accorder l'exonération totale, de même qu'aujourd'hui ces organisations peuvent bénéficier du taux réduit de 5 %.

Vote : 9 oui (3 AdG, 1 R, 1 DC, 3 S, 1 Ve) avec 2 abstentions (1 R, 1 L).

Proposition N° 5 - suppression de la taxe de 0,25 ct sur les billets de faveur gratuits

Il y a surtout un aspect symbolique non négligeable dans la problématique de cette proposition, mais il convient de dépoussiérer la loi. Le montant en jeu s'élève à 75 000 francs nets. Plusieurs commissaires se montrent plutôt favorables au maintien des 0,25 ct., voire pour l'un d'entre eux, de l'augmenter à 1 franc. Le directeur du service du droit des pauvres déclare alors que si l'on augmente cette taxe de 0,25 ct. à 1 franc, on risque de se mettre en porte-à-faux avec les grands organisateurs de salons qui distribuent de nombreux billets de faveur. Cette suggestion ne serait alors guère adéquate puisque Palexpo par exemple, s'acquitte déjà de la TVA en sus du droit des pauvres.

Vote : 8 oui (1 AdG, 1 L, 1 DC, 2 R, 2 S, 1 Ve) contre 2 non (2 AdG) et 1 abstention (1 S).

Proposition N° 6 - réduction de la taxe forfaitaire et suppression de la taxe sur les appareils de reproduction de sons et de l'image

Il est rappelé que le souci principal est de faire coller la loi à la pratique actuelle qui n'a de fait jamais appliqué le taux de 13 %. Il faut faire correspondre la loi à la réalité.

Vote : 10 oui (3 AdG, 1DC, 2 R, 3 S, 1 Ve) et 1 abstention (1 L).

Proposition N° 7 - augmentation du taux de 13 à 20 % sur les machines à sous

Il est rappelé que sur ce point, la commission ne peut se prononcer que sur le principe, dans l'attente des décisions fédérales. En effet, si la loi fédérale ne laisse aucune marge de manoeuvre pour prélever des recettes, l'ensemble de l'édifice sera fragilisé. Pour un commissaire, l'inconnue fédérale est quasiment levée. Si Genève souhaite obtenir un casino A, soit un casino de prestige, toute possibilité de percevoir une taxe de 13 % sur les machines à sous est perdue, puisque la Confédération prendrait tout. En revanche, si Genève acceptait de se contenter d'un casino B, faisant fi de tout amour-propre, la question serait différente. Toutefois, le département rappelle que le taux d'une taxe cantonale sur les machines à sous, dans l'hypothèse d'une concession de type B, dépendra de ce qui sera fixé en la matière par l'ordonnance d'exécution de la loi fédérale. Il convient de rappeler que l'on parle d'une fourchette allant jusqu'à 80 %. Un autre commissaire rapporte que les autorités fédérales n'envisagent pas de faire une distinction entre les machines à sous, ce qui ferait tomber tous ces appareils sous le coup de la loi fédérale, alors qu'à l'heure actuelle, les machines à sous du Grand Casino de Genève n'entrent pas dans cette problématique puisqu'elles sont encore considérées comme des jeux d'adresse et s'inscrivent, pour l'heure, dans la compétence résiduelle dont disposent les cantons.

La commission décide donc d'un vote de principe sur le maintien ou l'augmentation de la taxe sur les machines à sous.

Vote : 9 oui (3 AdG, 1 DC, 1 R, 3 S, 1 Ve) avec 2 abstentions (1 R, 1 L).

Vote final

Pour les motifs qui précèdent, la Commission des jeux vous propose, Mesdames et Messieurs les députés, par 9 oui (3 AdG, 1 DC, 1 R, 3 S, 1 Ve) contre 2 non (1 R, 1 L), de rejeter l'initiative 110 « Pour la suppression partielle du droit des pauvres ».

Conformément aux dispositions légales, elle vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, d'accepter le principe d'un contreprojet du Conseil d'Etat opposé à l'initiative, contreprojet dont les principales lignes de force ont été définies ci-dessus, par 9 oui (3 AdG, 1 DC, 1 R, 3 S, 1 Ve) avec 2 abstentions (1 R, 1 L).

Le Grand Conseil doit se décider d'ici au 16 août 1999. En cas d'opposition d'un contreprojet, ce dernier devra être adopté par le Grand Conseil, au plus tard le 16 août 2000.

C'est pourquoi nous vous invitons, Mesdames et Messieurs les députés, à rejeter l'initiative 110 et à accepter le principe de l'opposition d'un contreprojet.

Annexes:

Proposition du Conseil d'Etat en vue de la rédaction d'un contreprojet à l'initiative populaire 110.

Lettre du 8 février 1999 de M. Guy Olivier Segond, relative au produit du droit des pauvres et à son utilisation.

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Débat

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette fois-ci nous sommes appelés à prendre position sur le fond de l'initiative 110 et, ensuite, après l'acceptation ou le refus de l'initiative, sur le principe d'un contreprojet.

M. Albert Rodrik (S). L'attachement du groupe socialiste à la taxe du droit des pauvres n'est pas idolâtrie.

Il y a vingt ans déjà, une motion Damien Cristin demandait que l'on réfléchisse et sur l'appellation et sur la matière sur laquelle était perçue cette taxe. C'est dire que le débat d'aujourd'hui porte sur l'absolue nécessité du produit du droit des pauvres à la conduite de ce qui nous est le plus cher, c'est-à-dire la politique sociale du canton. Et aujourd'hui - non seulement aujourd'hui mais même en temps de prospérité, sans les difficultés que nous connaissons dans les finances du canton - le produit du droit des pauvres n'a jamais cessé d'être indispensable pour la conduite de cette politique sociale.

Cela dit, Mesdames et Messieurs les députés, il faut bien reconnaître que nous avons bien tardé à moderniser et à actualiser cette taxe. Mais ceci n'était pas sujet de malignité... C'est parce que nous n'avions guère de garantie qu'il ne se trouve des majorités de circonstance pour jeter le bébé avec l'eau du bain ! Mais aujourd'hui, cette initiative pernicieuse nous met devant l'ardente obligation de réformer si nous ne voulons pas tout perdre. Cette initiative est pernicieuse de par son intitulé, «suppression partielle», car elle n'a rien de partiel : elle est totale ! Et ça devient d'autant plus évident depuis que la Confédération a légiféré en matière de casinos...

Mesdames et Messieurs les députés, nous avons donc l'obligation de saisir cette chance que nous donne, sans le vouloir, cette initiative pour moderniser et actualiser ce produit du droit des pauvres, pas seulement de façon superficielle et cosmétique mais intelligemment et en profondeur. Et de ce point de vue, comme M. Ramseyer n'a pas été à la fête cet après-midi, je me plais à dire que ses propositions à la commission constituent la bonne voie pour réformer cette taxe dont nous avons besoin. Que ce soit aussi le lieu de remercier ses principaux collaborateurs qui nous ont apporté une aide précieuse.

Mesdames et Messieurs les députés, le soir du 6 novembre 1997, le premier soir de cette législature, je disais dans ce débat que si nous ne saisissions pas l'occasion de procéder à cette modernisation, la prochaine offensive contre le droit des pauvres aurait une légitimité que n'a pas la présente offensive.

Nous voici donc au pied du mur... Nous devons faire de cette initiative pernicieuse, comme je l'ai dit, une chance et un tremplin pour préserver cette taxe à l'avenir en la modernisant. Je vous prie donc de suivre le rapport qui vous est soumis et d'opter pour le refus de cette initiative, en lui opposant un contreprojet selon les lignes de la proposition du département, proposition de réforme qui est sa substance et qui nous assure des lendemains. 

Mme Salika Wenger (AdG). La culture a bon dos... En effet, tous les organisateurs de concerts, de spectacles et autres manifestations culturelles, dans le sens large du terme, clament à l'unisson qu'il est inadmissible de taxer leurs activités; qu'elles sont une nécessité de la vie moderne et que le droit des pauvres est une taxe prohibitive et responsable de tous les maux qu'ils endurent. La culture est sacro-sainte : on ne peut pas y toucher ! D'ailleurs, personne ne gagne d'argent... Il ne s'agit plus, à les entendre, d'une activité lucrative, mais d'un sacerdoce !

Mais ces mêmes personnes nous expliquent aussi que ces manifestations sont souvent un support pour la vente de tee-shirts, de sodas, de disques, d'affiches et autres gadgets. Et là, nous sommes très loin des préoccupations d'accès à la culture et autres credo vides et hypocrites... Certains cantons, en effet, ne pratiquent pas le droit des pauvres, mais je n'ai jamais entendu dire que les places de théâtre ou de cinéma y soient notablement moins chères qu'à Genève. Durant ce moment de jubilation que nous apportent un bon spectacle, une exposition, un bon film, le fait de penser aux plus démunis est un acte noble. Le droit des pauvres est le symbole de la générosité genevoise, aussi ne doit-il pas disparaître. En nous efforçant d'atteindre l'inaccessible, nous rendrions le possible irréalisable.

C'est pourquoi il nous a semblé juste de soutenir le contreprojet du Conseil d'Etat, même si en l'état il ne nous satisfait pas totalement. 

M. Michel Balestra (L). L'initiative pour la suppression partielle du droit des pauvres vise à supprimer la taxe sur toutes les activités autres que les loteries et les tombolas et à exonérer les associations sans but lucratif qui organisent ces dernières manifestations.

Il s'agit d'un effort limité, qui pourrait être largement compensé par les retombées qu'entraînerait cette suppression. Mesdames et Messieurs les députés, cette taxe est désuète... Elle date d'une époque où l'idée était de soulager la misère des plus démunis en taxant ceux qui avaient les moyens de sortir s'amuser. Nous parlons aujourd'hui dans ce Conseil - et vous le reconnaîtrez - de passer du devoir d'assistance à un droit à un revenu. Nous l'avons réalisé avec le RMCAS; certains veulent aller encore plus loin. Nous n'en sommes pas, mais quand bien même nous resterions au point où nous sommes, reconnaissez que nous nous trouvons aujourd'hui bien au-delà de la philosophie de la taxe à laquelle la majorité de la commission a cru bon de rester attachée.

Les opposants peignent le diable sur la muraille. Or, il s'agit en fait d'un manque à taxer théorique de 12 millions seulement, sur un budget de plus de 5 milliards ! Pourquoi un manque à taxer théorique ? Parce que l'économie, Mesdames et Messieurs les députés, n'est pas statique. Elle est dynamique et d'autres revenus dus à l'amélioration de la fréquentation des spectacles et à l'amélioration du nombre d'expositions réalisées à Genève, compenseront largement ce manque à taxer théorique.

Mesdames et Messieurs les députés, en Suisse, les cantons l'ont bien compris. Seuls Genève, le Tessin, et Bâle-Ville jusqu'à il n'y a pas longtemps, conservaient ce type d'impôt. Bâle-Ville vient d'y renoncer à cause de, je cite, «son caractère anticulturel et anti-économique» et, lorsque Zurich a proposé de voter sa suppression, celle-ci a été approuvée à plus de 92% de oui... A l'appui de cette affirmation, je citerai le résultat d'une étude de la faculté des sciences économiques et sociales de l'université qui démontre qu'un seul acteur des manifestations, Palexpo, génère plus de 600 millions de retombées économiques par année, avec deux cents manifestations. Imaginons que nous passions à deux cent vingt manifestations, ce type d'activité pourrait générer 720 millions de retombées économiques pour Genève, avec 12 millions d'investissement seulement, en renonçant à une taxe obsolète.

Eh bien, Mesdames et Messieurs les députés, pour une affaire comme celle-ci, je signe ! Et encore, j'ai pris la liberté de ne me concentrer que sur un seul exemple.

Prenons-en tout de même un autre. Telecom est exonéré de la taxe, parce que son organisation est d'obédience internationale. C'est heureux pour Genève, car qui peut chiffrer la visibilité, l'avancée technologique et les retombées de cette exposition pour Genève ?

Mesdames et Messieurs les députés, depuis 1928, le droit des pauvres a fait l'objet, en plus de celui qui a été cité par mon excellent collègue Rodrik, de trente et un projets ou propositions de révisions, dont quasiment aucun n'a passé la rampe... Tout cela parce que la classe politique n'a jamais eu le courage d'y toucher ! Aujourd'hui, la population genevoise devrait pouvoir se prononcer rapidement.

Le groupe libéral, pour toutes ces raisons et d'autres encore dont je vous fais grâce, soutiendra cette initiative. Nous ne nous opposerons pas à l'idée d'un contreprojet si l'initiative, par impossible, ne trouvait pas de majorité, malgré l'intelligence de son objectif, devant ce Conseil. Mais, Mesdames et Messieurs les députés, que l'idée de ce contreprojet ne soit pas employée comme mesure dilatoire ne visant qu'à retarder par trop l'échéance du vote. Ce ne serait pas correct, et nous le dénoncerions avec toute notre énergie. Si ce contreprojet est suffisamment ambitieux, nous le soutiendrons, mais en recommandant le double oui. 

M. Claude Blanc (PDC). Comme vous venez de le reconnaître, Monsieur Balestra, si à vingt-huit reprises les modifications fondamentales du droit des pauvres ont été refusées, soit par le parlement soit par le peuple, c'est que c'est une institution profondément ancrée dans les lois de la République qui veut que lorsqu'on s'amuse on doit penser à ceux qui ne le peuvent pas. Mais cela a beaucoup changé, je le reconnais...

Il n'est toutefois pas possible de s'en passer, parce que les recettes engendrées par cette taxe financent encore des tâches de l'Etat que nous ne pourrions pas assumer autrement. Bien sûr, nous pourrions les financer par l'impôt, mais tout le monde sait ce qu'on en fait et ce qu'on ferait si l'impôt diminuait... Je pense donc qu'il faut maintenir le principe du droit des pauvres, mais aussi le modifier.

Cette fois-ci, les partisans de l'abrogation du droit des pauvres ont eu une idée assez géniale, parce qu'en fait les vrais partisans de cette suppression sont les gros organisateurs de spectacles, ceux qui, par la force des choses, payent des sommes considérables au droit des pauvres. Mais ils ne sont pas nombreux, alors ils ont eu la riche idée d'aller à la pêche parmi la multitude des petits organisateurs de petites manifestations sportives, culturelles, etc. Ils ont donc été nombreux à signer l'initiative - je n'en sais même plus le nombre exact. Et je dois reconnaître que les services de M. Ramseyer ont eu l'idée géniale de désamorcer l'initiative en donnant partiellement satisfaction à la multitude des petits, de manière que ces gens-là, une fois satisfaits, retirent leur soutien à l'initiative, ce qui nous permettra de continuer à bénéficier des revenus du droit des pauvres, amoindris, mais tout de même nécessaires pour l'instant.

La commission des jeux l'a très bien compris, en donnant satisfaction à la multitude, ce qui est logique. En effet, beaucoup de gens organisent des spectacles en y laissant la peau des fesses - si vous me passez l'expression -alors, s'ils doivent encore payer le droit des pauvres, il leur reste moins que la peau, si vous voyez ce que je veux dire... (Remarques et rires.) L'idée utilisée pour désamorcer cette initiative est bonne, et nous soutiendrons, pour notre part, l'idée du contreprojet que nous demandons au Conseil d'Etat de bien vouloir mettre au point pour la rentrée. 

M. Bernard Lescaze (R), rapporteur. Je vous rappelle, Monsieur Balestra, que l'étude en commission a fait grandement avancer le projet. Les reproches qu'on pouvait lui faire n'ont pas été balayés mais singulièrement édulcorés, grâce aux lignes directrices du contreprojet qui a été présenté par le département de justice et police et des transports.

En revanche, nous n'avons toujours pas eu de réponse de la part des initiants sur la manière de trouver les 18 millions qui manqueront pour financer les buts sociaux auxquels ils sont actuellement affectés, dont plus de 13 millions pour l'Hospice général, ce qu'on ne peut, malgré tout, pas écarter d'un revers de main, surtout de la part d'un parti qui défend l'orthodoxie financière.

En ce qui concerne les études faites par la faculté des sciences économiques et sociales, la mode veut montrer, en effet, que certaines institutions très lourdement subventionnées rapportent quand même... C'est ainsi qu'il y a quelques années on essayait de nous faire accroire que, même d'une manière nette, le Grand Théâtre qui coûte 40 millions rapportait financièrement, alors qu'en réalité il rapporte d'une autre manière, plus immatérielle. On a essayé de faire le même calcul avec l'université qui coûte 500 millions par an... Ce sont des comptes fantastiques, et je suis un peu étonné de vous voir vous lancer sur cette voie, Monsieur Balestra !

En revanche, vous avez parfaitement raison : il y a eu trente et un projets divers de révision. Eh bien, la majorité de la commission pense que le nouveau projet qui est présenté aujourd'hui - la commission s'est prononcée sur la piste principale que le département est désormais censé affiner - passera la rampe, et cela nous satisfait. 

M. Albert Rodrik (S). Comme je commence à être un militant de gauche qui date d'un certain nombre d'années, je me rends compte d'une chose : à force de nous reprocher pendant des années de raser gratis, la droite commence à s'en imprégner... Depuis quelques années, le leitmotiv est de «supprimer», «démanteler», «abaisser» pour «rendre au centuple». C'est une espèce de vision chimérique qui ferait que plus on taille, plus on réduit, plus il en tombe du ciel...

Eh bien, un certain M. Reagan a essayé, une certaine Mme Thatcher aussi, le «supply side economy», mais ce n'est pas venu. Cela n'a engendré qu'une multitude d'emplois précaires... Eh non, ça ne pousse pas ! Et nous sommes au regret que cette croyance naïve puisse encore être d'actualité. D'ailleurs, vous ne savez même pas ce que vous allez supprimer avec 12,5% d'impôts en moins : vous n'avez jamais été capables de le dire... «Supprimez, supprimez, supprimez, et il vous sera donné au centuple !» : c'est merveilleux, biblique, mais nous ne marcherons pas, non ! Si vous savez vraiment où trouver 12 millions de substitution, vous nous le dites, et nous vous dresserons une statue et nous vous tresserons des couronnes. Il faut arrêter... Cessez de dire que le droit des pauvres n'existe qu'à Genève : ailleurs, il est appelé autrement, c'est tout !

Deux cantons seulement l'ont maintenu, mais il est en vigueur dans une multitude de communes, ce qui revient strictement au même ! Il faut arrêter les chimères selon lesquelles les productions seront extraordinaires, alors que Genève ne fait que des «genevoiseries», et s'en tenir aux réalités... La réalité, c'est que nous avons besoin de ce droit des pauvres pour la politique sociale; que, jusqu'à preuve du contraire, vous ne savez pas où trouver les sommes correspondantes et que vous n'avez pas de baguette magique pour les faire apparaître ! 

M. Jean-François Courvoisier (S). Ecoutez, j'ai pu diriger pendant quinze ans un bureau de concerts - je faisais partie de ces petits organisateurs dont vous parliez tout à l'heure, Monsieur Blanc - mais je peux vous dire que ce ne sont pas les 13% du droit des pauvres qui ont grevé les budgets et que ce n'est pas le seul canton où il existe. Lorsque je donnais des concerts dans le canton de Vaud et dans le canton du Tessin une taxe communale était prélevée qui remplaçait largement le droit des pauvres. Et ce n'est pas la suppression de ce droit des pauvres qui va favoriser la culture : c'est tout autre chose... 

M. Gérard Ramseyer. Monsieur Rodrik, vous avez eu la gentillesse de signaler que je ne suis pas à la fête cet après-midi... Je ne pense pas avoir été particulièrement malmené, mais je me dis que mes nuits doivent être effectivement plus belles que vos jours ! Au théâtre, je constate souvent que le talent des meilleurs doit une part de son éclat à l'approximation des autres... Veuillez accepter cet hommage, Monsieur le député !

Il convient tout d'abord de rappeler que, dans son rapport au Grand Conseil du 23 avril 1998, sur la validité et la prise en considération de l'initiative 110, le Conseil d'Etat était arrivé à la conclusion que celle-ci était formellement et matériellement recevable. La commission législative chargée d'étudier la validité de l'initiative populaire 110 est arrivée à la même conclusion. Le dossier a ensuite été renvoyé à la commission ad hoc des jeux, qui a présenté, le 7 juin 99, un excellent rapport, dû à la non moins excellente plume de M. le député Lescaze... Cette commission arrive à la conclusion qu'il convient de rejeter l'initiative et de lui opposer un contreprojet dont les principaux points devraient faire l'objet d'un consensus.

Comme le Grand Conseil l'avait déjà fort bien compris en rejetant le projet de loi 7467 qui poursuivait, pour ainsi dire, le même but que l'initiative, il ne manquera pas, j'en suis persuadé, d'accepter la proposition de la commission ad hoc des jeux de rejeter l'initiative et de lui opposer un contreprojet.

Il ne faut pas oublier, Mesdames et Messieurs les députés, que l'idée des initiants - qui était d'ailleurs la même que celle des auteurs du projet de loi 7467 - de compenser la perte résultant de la suppression partielle du droit des pauvres par l'augmentation de la part revenant à l'Etat sur les produits des jeux d'argent est hélas devenue totalement irréaliste en raison de la loi fédérale sur les maisons de jeux, qui devrait normalement entrer en vigueur le 1er janvier 2000.

Il ne faut pas oublier non plus que l'acceptation de l'initiative 110 entraînerait un manque à gagner d'au moins 10 millions de francs, soit la moitié du produit de la taxe. Une telle conséquence n'est de toute évidence pas acceptable.

Cela étant, Mesdames et Messieurs les députés, il convient de saisir la chance, pour ainsi dire historique - vous l'avez dit les uns et les autres - qui se présente par le biais de cette initiative, pour lui opposer un contreprojet qui permettra, s'il est accepté, que le droit des pauvres ne soit plus ressenti comme une entrave et une institution poussiéreuse, mais, au contraire, comme une mesure équitable et moderne.

Il demeure que tous, je crois, nous partageons la volonté de faciliter l'industrie du spectacle à Genève, la gestion du sport, de la culture et du social en général. Monsieur le député Balestra, je dois une nouvelle fois m'inscrire en faux contre les allégations selon lesquelles des organisateurs de spectacles auraient quitté Genève en raison du seul droit des pauvres. Vous le savez, Monsieur le député, ce n'est pas vrai ! Ils reconnaissent volontiers payer plus à l'extérieur de Genève, mais par contre - et ce n'est pas l'objet de notre discussion - bénéficier d'installations beaucoup moins coûteuses et beaucoup plus performantes ailleurs... C'est en particulier le cas du canton de Bâle-Ville que vous avez évoqué.

Mesdames et Messieurs les députés, le contreprojet sera autant notre devoir que le vôtre. Tout est négociable en définitive, pour autant que les uns accordent respect et attention aux arguments des autres. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons que les propositions de la commission des jeux soient acceptées, poursuivant ainsi une volonté que ce département applique régulièrement depuis cent cinquante ans. 

M. Michel Balestra (L). Monsieur le conseiller d'Etat, vous dites que j'ai prétendu que des organisateurs de manifestations avaient quitté Genève en raison du droit des pauvres... Je le regrette, car je n'ai rien prétendu de tel ! Et le Mémorial en sera le témoin.

Mais puisque vous avez évoqué un exemple précis, je vous rappellerai tout de même que le problème principal du droit des pauvres est que c'est une taxe sur la recette brute. Aujourd'hui, si les organisateurs de manifestations veulent avoir du succès ils doivent consentir des investissements de plus en plus lourds. Or, cette mesure ne permet pas de taxer la recette nette, hors investissement payé à l'extérieur, mais il est possible de la supporter lorsque des salles subventionnées sont mises à la disposition des organisateurs, ce qui devient très difficile.

Je vous rends hommage de reconnaître que le droit des pauvres est vieillot, qu'il va falloir réfléchir à un contreprojet intelligent, mais, de grâce, tenez compte de ces éléments dans votre réflexion, parce que je reste convaincu que vous perdez beaucoup d'argent à cause de cela. 

Le président. La parole n'est plus demandée. Nous sommes appelés à nous prononcer. Etant donné qu'il s'agit d'une initiative et vu que le rapport propose de lui opposer un contreprojet, il faut d'abord voter sur le rejet de l'initiative et, ensuite, sur le principe d'un contreprojet, puis renvoyer le tout en commission, en la chargeant de rédiger le contreprojet. Je fais voter d'abord l'initiative. Si l'initiative est approuvée, elle deviendra donc une simple loi du Grand Conseil. Si elle est refusée, nous verrons à ce moment-là l'opportunité de lui opposer un contreprojet. Il y a deux cas de figure : avec et sans contreprojet.

Je soumets donc au vote l'initiative 110 «Pour la suppression partielle du droit des pauvres».

Mise aux voix, cette initiative est rejetée.

Le président. Je soumets maintenant au vote le principe d'un contreprojet.

Mis aux voix, le principe d'un contreprojet est adopté.

L'initiative est renvoyée à la commission ad hoc des jeux pour l'élaboration d'un contreprojet.

Le président. Vous avez accepté le principe d'un contreprojet. La commission est chargée d'élaborer un contreprojet et de nous le présenter.