Séance du
vendredi 30 avril 1999 à
17h
54e
législature -
2e
année -
6e
session -
17e
séance
M 1262
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
l'importance de Genève en tant que cité internationale et ville des droits de la personne ;
le rôle de l'Université en matière d'éducation et de sensibilisation à l'humanisme et aux droits de la personne ;
que donner le nom d'un « disparu » à un auditoire universitaire genevois, d'autant que ce « disparu » était étudiant à Genève, peut contribuer au souvenir des milliers de victimes de « disparitions » forcées qui se produisent chaque année, à manifester la solidarité de Genève avec les familles de ces « disparus », à exprimer une condamnation de cette pratique répressive et à s'élever contre l'impunité dont jouissent ceux qui s'y livrent ;
qu'une Convention internationale visant à protéger les personnes contre cette violation grave des Droits de l'Homme est actuellement à l'étude aux Nations Unies ;
qu'entre 1980 et 1997, près de 47 800 cas de « disparitions » ont été enregistrés par l'ONU, dont seuls 3000 ont pu être élucidés ;
EXPOSÉ DES MOTIFS
Les étudiants du « Groupe de Solidarité » de l'Université de Genève ont proposé de donner le nom d'Alexei Jaccard à un nouvel auditoire de l'Université. Cette proposition est à ce jour soutenue notamment par la Conférence universitaire des associations d'étudiantEs (CUAE), l'Union nationale des étudiants de Suisse (UNES), Amnesty International (Groupe Uni), HIJOS-Genève, la Ligue suisse des Droits de l'Homme (section Genève), l'Association Memoria Viva, le réseau contre l'impunité et pour les Droits de l'Homme en Argentine, l'Association des Chiliens résidant à Genève.
Alexei Jaccard était étudiant à l'Université de Genève lorsqu'il a disparu, en 1977, suite à son arrestation par les services spéciaux argentins, sur mandat des services spéciaux chiliens.
Une plainte pour enlèvement, suivi de disparitions forcées, actes qualifiés de « terroristes », de « violations des Droits de l'Homme » et de « crimes contre l'humanité », a été déposée en octobre dernier contre l'ancien chef d'Etat chilien Augusto Pinochet, dont l'extradition vers la Suisse a été demandée par le Procureur général de Genève.
Nous pensons donc que le fait d'attribuer le nom de ce disparu à un auditoire de l'Université de Genève serait un acte symbolique important contre les disparitions politiques.
En conséquence, afin de promouvoir la liberté et les droits de la personne, nous vous invitons, Mesdames, Messieurs les député-e-s à soutenir cette motion et à l'envoyer au Conseil d'Etat afin qu'elle soit concrétisée dans les meilleurs délais.
Débat
M. Christian Brunier (S). Alexei Jaccard était un étudiant de l'université de Genève. Ce défenseur des droits de l'humain, qui avait une double nationalité chilienne et suisse, a été enlevé en 1977, en Argentine, par les services de sécurité argentins sur ordre de leurs collègues chiliens. Depuis, il a disparu.
La disparition politique est un crime horrible, une invention de la pire barbarie. L'oubli, le silence, face à de tels actes, peut être un acte d'indifférence, parfois de lâcheté, mais à coup sûr de complicité, volontaire ou non. Dénommer symboliquement un auditoire de l'université du nom de ce disparu genevois peut sembler dérisoire par rapport au drame vécu par les disparus et par leurs familles, mais, face à l'immonde, à la violence, à la haine, au fascisme, les symboles sont des moyens de résistance efficaces.
Lorsque j'ai entendu, au Palais Wilson, nouvelle Maison des droits de l'homme, Mme Brunschwig Graf communiquer la décision gouvernementale de concrétiser cette motion, j'ai été réellement heureux. Alors, cet après-midi, je n'ai qu'un mot à dire au Conseil d'Etat, et je ne le dis pas souvent : merci !
Mme Anita Cuénod (AdG). Ces quelques mots sont un petit hommage personnel et un témoignage, car que je suis sans doute une des seules personnes dans cette salle à avoir connu Alexei Jaccard. Il était tout jeune quand il est arrivé à Lausanne, grâce aux démarches d'amis communs le sachant en danger dans les geôles de Valparaiso. Action Places gratuites de l'abbé Cornélius Koch, qui continue son travail magnifique, avait à l'époque aussi contribué à le faire venir en Suisse, d'autant qu'il était originaire de notre pays. J'ai encore en mémoire son sourire, sa gaieté, mais aussi sa nostalgie et sa tristesse d'être loin des siens. Et c'est au plus fort de la guerre sale qu'Alexei, naïf, n'imaginant pas qu'il allait être la cible des assassins des dictatures argentine et chilienne, est reparti voir les siens. Cet auditoire sera un hommage à Alexei, à sa jeunesse, son engagement, son sacrifice, mais un hommage aussi aux dizaines de milliers de disparus. Le nom d'Alexei contribue à ce que nous ne les oubliions jamais !
M. Antonio Hodgers (Ve). Madame la présidente du Conseil d'Etat, Madame et Messieurs les conseillers d'Etat, je suis très heureux que vous ayez pris la décision de nommer un auditoire du nom d'Alexei Jaccard. Je vous remercie d'avoir répondu à l'invite de cette motion.
Néanmoins, vous n'ignorez pas que les auteurs de cette proposition, soit les étudiants du Groupe de solidarité de l'université, ont prévu d'autres actions qui donnent tout son sens à cette dénomination. Parmi ces actions, citons la proposition que cet auditoire soit mis gratuitement à la disposition des organisations travaillant dans le domaine des droits de l'homme, qui sont souvent dotées de peu de moyens financiers et qui pourraient ainsi organiser gratuitement des conférences dans cet auditoire.
Le projet des étudiants inclut une inauguration, avec un volet culturel et artistique, ainsi qu'un volet politique par le biais d'un débat sur ce que représentent les disparitions forcées, ce qu'elles ont représenté hier et ce qu'elles représentent malheureusement encore aujourd'hui. En outre, au niveau international, ce projet inclut une demande aux autorités fédérales pour qu'elles soutiennent un projet de convention internationale de protection des personnes contre les disparitions forcées, convention qui concerne donc très concrètement l'objet que nous discutons aujourd'hui.
C'est pourquoi, afin de donner un sens plus complet à notre motion, sachant que vous avez déjà répondu à la première invite, je me permettrai de proposer une seconde invite... Ne faites pas cette tête, Madame Brunschwig Graf, cette invite est toute gentille ! Elle se lit ainsi : «invite le Conseil d'Etat à appuyer la mise en oeuvre du projet «Auditoire des disparus Alexei Jaccard», préparé par les étudiants du Groupe de solidarité de l'université». Je demanderai donc au parlement de voter cette invite et de renvoyer ainsi une motion plus complète au Conseil d'Etat.
Mme Martine Brunschwig Graf. Mesdames et Messieurs les députés, j'ai une autre suggestion à vous faire. Donnant suite à une demande que chacun s'est plu à appuyer, le Conseil d'Etat et le Grand Conseil unanimes ont décidé d'inaugurer un «Auditoire des droits de l'homme, en mémoire d'Alexei Jaccard» - c'est la dénomination exacte, Monsieur Hodgers. Je comprends parfaitement qu'au-delà vous ayez, au sein du comité, d'autres projets, mais la suggestion que je vous fais, c'est de les envoyer, dès qu'ils seront élaborés, au Conseil d'Etat qui les traitera pour eux-mêmes, au lieu d'ajouter sur le siège une invite à cette motion à propos de projets que nous ne connaissons pas.
Votez donc cette motion telle qu'elle est, puisqu'elle fait l'objet d'un consensus. Puis, envoyez-nous votre projet lorsqu'il sera élaboré et nous verrons quelles réponses on peut y apporter. Mais ne mélangeons pas tout, faute de quoi nous nous retrouverons à débattre pour savoir s'il faut retenir tel ou tel objet, à discuter de la gratuité, de l'organisation, de l'inauguration...
Je vous rappelle que l'auditoire en question se trouve dans le nouveau bâtiment d'Uni-Mail qui sera inauguré cet automne en présence de Mme Dreifuss, et qu'à cette occasion on inaugurera aussi très probablement cet auditoire. Alors, je vous prierai, pour ne pas charger cette session, de bien vouloir me faire parvenir le projet en question, que j'examinerai dans le détail, mais de ne pas charger cette motion d'une invite supplémentaire.
M. Antonio Hodgers (Ve). Je crois qu'il y a un malentendu. D'une part, je ne fais pas partie de ce comité. D'autre part, ce projet est abouti. Je vous en ai dit les éléments principaux : gratuité de l'auditoire pour les ONG ou les associations qui travaillent dans le domaine des droits humains, inauguration et soutien à la Convention internationale de protection des personnes contre la disparition forcée. Ces éléments ne figurent pas dans la motion, mais ils font partie intégrante du projet Auditoire Alexei Jaccard. Il ne s'agit pas seulement de dénommer un auditoire, il y a d'autres actions prévues. Vous avez répondu, Madame, à une partie de ce projet - qui a été initié, je le rappelle, par des étudiants - et nous vous demandons de soutenir le reste du projet. Cela dit, le parlement votera ce que bon lui semble et vous répondrez comme bon vous semble, mais je ne crois pas qu'il y ait, sur cet amendement, matière à faire la grimace !
Le président. Mesdames et Messieurs, je vous propose de voter l'amendement de M. Hodgers, qui vise ajouter à cette motion une deuxième invite ainsi libellée :
« - à appuyer la mise en oeuvre du projet «Auditoire des disparus Alexei Jaccard» préparé par les étudiant-e-s du Groupe de solidarité de l'université».
Cet amendement est mis aux voix.
Le résultat est douteux.
Il est procédé au vote par assis et levé.
L'adjoint du sautier compte les suffrages.
Cet amendement est adopté par 35 oui contre 29 non.
Mise aux voix, cette motion ainsi amendée est adoptée.
Elle est ainsi conçue :
Motion(1262)pour un auditoire universitaire "; Alexei Jaccard "
Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèveconsidérant:
l'importance de Genève en tant que cité internationale et ville des droits de la personne ;
le rôle de l'Université en matière d'éducation et de sensibilisation à l'humanisme et aux droits de la personne ;
que donner le nom d'un "; disparu " à un auditoire universitaire genevois, d'autant que ce "; disparu " était étudiant à Genève, peut contribuer au souvenir des milliers de victimes de "; disparitions " forcées qui se produisent chaque année, à manifester la solidarité de Genève avec les familles de ces "; disparus ", à exprimer une condamnation de cette pratique répressive et à s'élever contre l'impunité dont jouissent ceux qui s'y livrent ;
qu'une Convention internationale visant à protéger les personnes contre cette violation grave des Droits de l'Homme est actuellement à l'étude aux Nations Unies ;
qu'entre 1980 et 1997, près de 47 800 cas de "; disparitions " ont été enregistrés par l'ONU, dont seuls 3000 ont pu être élucidés ;